La difficulté technique est réelle mais n’est pas forcement le point sur lequel nous avons en France le retard le plus important. Ce qui manque cruellement ce sont des institutions qui sachent communiquer aux citoyens comme à leurs représentants les résultats et les discussions des chercheurs sur ces évaluations. Ce besoin d’institutions ne veut pas dire qu’il soit facile aux chercheurs de convaincre leurs concitoyens de leurs résultats, bien au contraire ! La recherche scientifique est en partie une recherche de résultats et en partie un exercice de persuasion de la communauté scientifique (avec des méthodes, une démarche de réplication…). Pour le succès de l’évaluation, il faut convaincre en plus les politiques et les citoyens qui les élisent. Les chercheurs ne peuvent se satisfaire du modèle de l'intellectuel engagé, ils ont besoin d’institutions crédibilisant leur participation au débat public.
Communiquer comme exercice démocratique.
La décision doit rester celle des citoyen : l’expert n’est pas là pour capturer le pouvoir des citoyens, mais pour l’éclairer. Les citoyens doivent savoir, car c’est là la garantie d’un vote qui ne se laisse pas abuser par les démagogies. C’est aussi une nourriture indispensable pour la démocratie, afin qu’elle ne sombre ni dans le populisme ni dans une aristocratie élitiste.
Les représentants doivent savoir, d’une part pour pouvoir contrôler efficacement l’exécutif, et d’autre part car ce sont eux qui dans une large mesure font l’offre politique. Ils doivent pouvoir être en mesure de savoir s’ils font des propositions crédibles ou totalement fantaisistes, et surtout si les politiques qu’ils proposent ont des chances d’atteindre les objectifs qu’ils ont annoncé à leurs électeurs. Le problème n’est pas tant que nos femmes et hommes politiques disent qu’ils souhaitent baisser le chômage, que de savoir comment.
La crédibilité indispensable.
La qualité d’une évaluation ne dépend pas que de sa qualité technique et de la communication qui peut en être faite : son utilité pour le débat publique repose avant tout sur sa crédibilité auprès du public. Trois écueils doivent être impérativement évités :
- Le premier est la dépendance au pouvoir politique. Les évaluations des politiques publiques ne peuvent pas être réalisées par les administrations chargées de leur mise en place (on ne peut être juge et partie). Il est impossible de penser qu’un ministre (voire une administration) n’ait pas la tentation de contrôler l’évaluation de la politique qu’il a défendue. De nombreux exemples récents en France soulignent qu’un tel contrôle a lieu régulièrement, soit en censurant les études réalisées, soit en empêchant leur réalisation par l’interdiction d’accès aux données.
- Rexecode ou l’IRES sont officiellement liés respectivement au patronat ou aux syndicats et leurs études ont de fortes chances d’être idéologiquement orientées, même si elles peuvent être de qualité.
- Le troisième est le coût de la neutralité. L’Insee est l’institut le plus à même à réaliser des évaluations sérieuses et respectées des politiques publiques en France, mais l’institution a les mains liées par sa principale tâche qui est la production de données fiables et respectées de tous. La crédibilité de l’Insee est une chose trop précieuse pour que ses membres se risquent sur les sujets controversés et trop politiques. On voit aujourd’hui par la remise en cause frontale de l’indice des prix et de la mesure de la pauvreté que même établir des faits (des données de base) nécessite une institution au-dessus de tout soupçon.
Des institutions pour communiquer.
La communication de l’évaluation des politiques publiques demande des compétences et des institutions particulières. Il faut pouvoir communiquer au point de vue scientifique (faire valider par ses pairs les méthodes utilisées comme dans tout autre discipline scientifique), mais il faut aussi communiquer les résultats aux décideurs et à la représentation (rapports d’expertise) et enfin communiquer au grand public pour éclairer les enjeux (presse de grand public).
Une telle communication est un véritable métier et si on peut reprocher aux chercheurs de ne pas assez sortir de leur tour d’ivoire, il faut reconnaître qu’il n’existe que peu d’institutions (think tanks de niveau universitaire) qui peuvent jouer ce rôle en France. Ce constat est à la fois le résultat de la pauvreté des universités et de leur éloignement institutionnel de la sphère publique (qui n’est pas étranger à leur éloignement du marché du travail…) et le manque de demande d’évaluation de la part de l’Etat. Les administrations ont le plus souvent leurs propres services d’études qui gardent jalousement leurs données contre de cupides chercheurs prêts à les exploiter. Chaque service est en rivalité avec les autres administrations, pour conserver le contrôle sur des données qu’ils assimilent à une forme de pouvoir dans le rapport de force politique. Enfin la formation généraliste des élites de l’administration française est peu propice à la consommation de travaux d’évaluation de politique publique de qualité (utilisant les méthodes économétriques récentes et ayant fait l’objet de publication scientifique).
L’évaluation des politiques publiques n’est pas un slogan, c’est un vaste programme de réforme des universités, de la recherche, des administrations et de la façon de faire de la politique. La recette de la potion magique est donc un subtile équilibre de compétence universitaire, de crédibilité, d'indépendance politique, d'honnêteté intellectuelle, de communication moderne, d'efficacité de l'Etat... Bon ça sonne un peu science-fiction dit comme ça, mais on y croit très fort!
Avant d’en venir à des propositions concrètes, il nous faudra faire un tour d’horizon des institutions chargées de l’évaluation en France.
Suite au prochain numéro !