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vendredi 7 mars 2008

Faut-il moins taxer le travail des femmes ?


Les inégalités salariales entre hommes et femmes et le débat sur la taxation des couples ayant déjà été abordés par Ecopublix, les bases sont posées pour discuter d’une question plus provocatrice, à savoir la taxation différentielle selon le sexe. La proposition de taxer moins le travail des femmes a en effet alimenté récemment le débat économique, à la suite à un article d’Alberto Alesina, Andrea Ichino et Loukas Karabarbounis, fortement contesté par Gilles Saint-Paul sur Vox Populi (voir ici, ici, et là) et repris par Etienne Wasmer. Cette proposition est d’autant plus d’actualité qu’elle fait partie du programme du parti conservateur espagnol Partido Popular pour les prochaines élections législatives. Voici un résumé et une discussion des arguments en présence.

I/ La proposition initiale

L’idée d’une taxation différenciée du travail des hommes et des femmes repose sur la constatation empirique que l’offre de travail des femmes, en particulier celles qui sont en couple, est plus élastique que celle des hommes (c’est-à-dire qu’une femme réduira plus fortement son offre de travail à la suite d'une baisse de 10% de son salaire qu’un homme). Si l’élasticité de l’offre de travail des femmes mariées a eu tendance à baisser ces trente dernières années, elle reste significativement plus élevée que celle des hommes. Les estimations actuelles de l’élasticité de l’offre de travail des femmes mariées par rapport à celle des hommes varient d’un ratio de 1 à 4 pour les Etats-Unis (Blau et Khan 2007), qui pratiquent la taxation jointe des couples (le second apporteur de revenu étant plus taxé que le premier, comme expliqué ici), à un ratio 1 à 2 pour un pays comme la Suède (Gelber 2008), où la taxation est individuelle (et non par couple) et où la participation des femmes au marché du travail est particulièrement forte.

Partant du constat que l’offre de travail des femmes est plus élastique que celle des hommes, si on applique le principe de finance publique, déjà exposé dans un précédent post, qui consiste à taxer plus fortement les biens inélastiques (car leur demande est peu sensible au prix) et moins fortement les biens élastiques, alors le travail des femmes devrait être moins taxé que celui des hommes. Plus précisément, si le gouvernement prend ses décisions en fonction d’un objectif « utilitariste », c’est-à-dire en maximisant la somme des utilités des individus, alors il apparaît qu’il est plus efficace de taxer moins les femmes et plus les hommes pour récolter un niveau donné de recettes fiscales. L’essentiel du débat porte sur la question de l’origine de la différence d’élasticité d’offre de travail selon le sexe. Si cette différence est liée à des caractéristiques non manipulables, alors le principe d’égalité de traitement des individus conduit à contester une telle proposition.

II/ La critique

C’est précisément au nom du principe d’égalité de traitement des individus que s’articule la critique de la taxation différenciée selon le sexe. En effet, le résultat précédent est établi en supposant que l’objectif du gouvernement a une forme bien particulière, qui ne prend pas en compte le principe constitutionnel de base d’égalité de traitement des individus. La fonction de bien-être social utilitariste ne considère pas le bien-être de chaque individu pris séparément, mais la somme totale du bien-être au sein de la Société. Selon le même raisonnement « utilitariste », s’il était avéré que les blondes ont une offre de travail plus élastique que les brunes, alors il faudrait taxer plus les brunes que les blondes !

Au nom du principe d’égalité de traitement des individus, on peut donc s’opposer à une maximisation du bien-être social qui conduirait à discriminer les individus sur la base de leurs caractéristiques innées. Cependant, la taxation différenciée selon le sexe vise à rétablir l’égalité des opportunités, ce que l’égalité en droit ne suffit pas toujours à assurer. En effet, les différences de comportement des hommes et des femmes sur le marché du travail ne sont certainement pas innées, mais résultent du mode d’organisation de nos sociétés.

III/ Mais d’où vient la différence d’élasticité d’offre de travail des hommes et des femmes ?

Sans refaire l’histoire de la « domination masculine », la plus forte élasticité des femmes sur le marché du travail semble être fortement liée à la division traditionnelle des tâches au sein du couple, l’homme partant chasser travailler, et la femme s’occupant surtout des enfants. D’ailleurs, l’offre de travail des femmes célibataires est proche de celle des hommes et c’est l'offre de travail des femmes mariées qui est beaucoup plus élastique. Dans l’article d’Alberto Alesina, Andrea Ichino et Loukas Karabarbounis, les différences de comportement des hommes et des femmes sur le marché du travail résultent d’une négociation sur le partage des tâches ménagères au sein du couple où le pouvoir de négociation du mari est le plus fort.

Alesina et al. font plus que proposer de taxer davantage l’offre de travail la moins élastique : ils explicitent les causes de cette inélasticité. Ils considèrent que les membres d’un couple se partagent les tâches ménagères et que l’homme a un pouvoir de négociation plus élevé, pour des raisons culturelles ou historiques. À salaire égal, un homme va donc avoir plus de temps libre qu’une femme et les auteurs considèrent que cela lui permet de s’impliquer plus fortement dans son travail. Si, par exemple, l’homme ne va chercher les enfants à la sortie de l’école qu’un soir par semaine, il va être plus flexible dans son emploi du temps. On peut également considérer qu’un homme qui ne fait jamais le ménage aura plus d’énergie disponible pour son travail que sa femme, fatiguée de nettoyer. Bref, l’homme tirera plus d’avantages de son travail que sa femme ne pourra le faire. Alesina et al. résument cette propriété en disant que la femme ne travaille « que » pour son salaire, tandis que l’homme parvient à en tirer d’autres bénéfices (un travail plus intéressant, plus de considération au bureau, etc.). La différence entre l’élasticité de l’offre de travail des hommes et celle des femmes émane du déséquilibre caractérisant le pouvoir de négociation au sein du ménage. Puisque les hommes tirent des bénéfices non-matériels de leur travail, ils réagissent peu à un changement de salaire. Les femmes, dont la seule récompense au travail est le salaire, réagissent au contraire fortement à un changement de rémunération.

Que se passe-t-il lorsque la taxe sur le salaire masculin augmente ? Trois effets peuvent être identifiés :

1/ L’homme y perd car il touche moins d’argent à la fin du mois. Pour compenser cette perte, il va tenter de négocier moins de tâches ménagères à la maison. C’est l’effet « avec ce qu’il m’arrive déjà avec les taxes, si en plus je dois faire la vaisselle, ça ne va plus aller entre nous ».
2/ L’homme touche moins d’argent et sent bien qu’il ne peut plus commander sa femme comme avant. Il va accepter plus de tâches ménagères car son pouvoir de négociation faiblit. Cet effet (et le suivant) est à la base du résultat de la taxation sexuée, en ce qu’elle affecte les rapports de force au sein du ménage. C’est l’effet « déjà que je ramène moins d’argent, laisse-moi faire la vaisselle ».
3/ La femme y perd aussi car son homme ramène moins d’argent à la maison, or cet argent lui profitait aussi en partie car certains biens sont consommés en commun (les factures, la télévision, le réfrigérateur, etc.). Elle demande donc à être compensée pour cette perte en acceptant moins de tâches ménagères. C’est l’effet « tu ramènes moins d’argent alors si tu crois qu’en plus je vais faire la vaisselle, tu te mets le Paic Citron dans l’œil ».

Alesina et al. montrent que le deuxième effet est dominant et donc que des taxes plus élevées sur l’homme rétablissent la balance dans l’allocation des tâches ménagères. La taxation différenciée selon le sexe incite donc non seulement les femmes à participer davantage sur le marché du travail, mais elle conduit aussi à une modification du partage des tâches quotidiennes au sein du couple, au profit d'une répartition plus équitable.

On comprend maintenant qu’il faut faire la distinction entre la politique proposée et celle mentionnée plus haut dans l’exemple blondes/brunes. Si les blondes avaient une offre de travail plus élastique que les brunes, cela proviendrait de leurs préférences et en aucun cas il ne serait question de moins les taxer. Elles seraient libres de gérer leur offre de travail comme bon leur semble et une taxation basée sur la couleur des cheveux irait bien à l’encontre du principe d’égalité. Mais Alesina et al. fondent leur proposition sur le différentiel de pouvoir de négociation contre lequel les femmes ne peuvent pas agir. Elles subissent un héritage culturel, historique, sociologique qui n’a rien à voir avec leurs choix. La critique de Gilles Saint-Paul repose plus sur une distinction blondes/brunes que hommes/femmes et en ce sens elle est réductrice, puisqu’elle ne s’attaque pas au cœur du problème.

IV/ Taxation différenciée et pratiques des politiques familiales

Cette taxation différenciée s’inscrit donc dans le cadre des politiques visant à rétablir l’égalité d’opportunité des hommes et des femmes sur le marché du travail, en agissant à la racine de l’organisation sociale. Son principal avantage est de ne pas considérer les élasticités du travail des hommes et des femmes comme des données, mais au contraire comme le produit d’une négociation, d’une histoire. Il s'agit donc pour ces politiques d'intervenir au cœur du réacteur familial. Ce type de politique fiscale porte donc une vision moderne de la lutte contre les inégalités, dans la mesure où l’on s’intéresse aux conditions de formation de ces inégalités. Il est donc vraiment stupéfiant d'assister, au nom du principe d'« égalité » de traitement, à une telle levée de bouclier face à des mesures du type de celles proposées par Alesina et al., alors qu’un grand nombre de politiques sexuées sont déjà tout à fait « inégales » dans leur principe et ne déclenchent pas autant de polémiques. Pis, on ignore généralement que ces politiques sexuées tendent souvent à accroître les inégalités au sein du couple, en renforçant les mécanismes à l’œuvre dans la négociation inégale au sein des couples. Un exemple : les trimestres gratuits accordés aux seules femmes dans le calcul des retraites du régime général pour le simple fait d’avoir eu des enfants. C’est évidemment une mesure qui déroge au principe de l’égalité de traitement. Or on oublie souvent que de telles mesures de politique familiale, qui visent à compenser les femmes pour des carrières plus courtes parce qu'elles ont eu des enfants, ont réduit le pouvoir de négociation des femmes au sein du couples, en rendant plus attractif dans la négociation familiale le fait que ce soit la femme plutôt que l’homme qui s’occupe des enfants ! L’effet incitatif est donc désastreux car la mesure créé les conditions de l’inégalité des carrières qu’elle prétend combattre.

En réalité, les mérites de la taxation sexuée devraient être évalués en comparant son efficacité avec celle des politiques qui visent à favoriser le travail des femmes, comme l’aide à la garde d’enfants, le congé parental, ou encore les politiques de discrimination positive, et ce au regard d’un double objectif : aider les carrières des femmes d’une part, mais aussi entraîner une plus grande implication des hommes dans les tâches quotidiennes d’autre part. Plutôt que de ruer dans les brancards au nom du principe d’égalité, ce pour quoi milite ce genre de propositions de taxation différenciée, il faudrait plutôt mener une analyse empirique sérieuse de l’élasticité réelle des comportements d’offre de travail et de production domestique des hommes et des femmes par rapport au niveau de taxation. On pourrait ainsi comparer cette proposition à d’autres mesures de politique familiale comme la construction de crèches ou les aides à la garde d’enfant à domicile, qui jouent également sur le cœur du réacteur des inégalités, à savoir la négociation familiale sur les tâches domestiques.

Pour finir, il convient quand même de rappeler que si la taxation différenciée n’est peut-être pas la meilleure des solutions au problème, il est en revanche certain que le système français actuel, qui taxe plus à la marge le deuxième apporteur de ressources (et donc en général les femmes) que le premier est sous-optimal. Avant d’envisager une taxation sexuée, dont l’implémentation pose d’ailleurs d’importantes difficultés (liées en particulier à la différence d’élasticité des femmes célibataires et des femmes mariées), le fait d’avoir une taxation individuelle serait sans doute un premier pas vers l’efficacité.
_Camille_ _Emmanuel_ _Gabrielle_

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mercredi 4 avril 2007

Où sont les Gauloises ?


Je ne doute pas, cher lecteur, que tu te sois posé gravement cette question en parcourant la liste des contributeurs de ce blog. Car cette liste, je te l’accorde, fleure bon la testostérone, le bitume et la cervoise, bien que nous ayons la chance de compter dans nos rangs l’une des rares blogueuses économistes de Gaule (et encore... au village, Noblabla s’occupe avant tout de l’économie du logis, option tâches domestiques). Et c’est parce que, comme toi, nous sommes préoccupés par cette situation, que nous avons essayé de déchiffrer l'origine des inégalités de salaires entre les hommes et les femmes, avant de suggérer (dans un prochain post) quelques pistes de réforme pour essayer de les corriger.

Les Gaulois ne sont pas réputés pour être de grands défenseurs de la cause des femmes. Certes, comme le rappelle ce document, publié récemment par la Commission européenne, le tableau est sans doute moins noir que notre réputation de rudes machos ne pourrait le laisser penser a priori : on y découvre que les Gaulois font plutôt mieux que les autres peuples européens en matière d’écart de rémunération, d’accès aux postes de chefs d’entreprise (1er rang en Europe avec 36% de chefs d’entreprises qui sont des femmes), où encore d’accès aux postes de professeurs des universités (13% des universitaires gauloises ont le rang de professeur, contre 6% en Europe). Pas de quoi se décerner la palme de l’égalité professionnelle pour autant. Dans l’ensemble, la situation telle que la révèlent les chiffres de la Commission est plutôt inquiétante : les inégalités entre les hommes et les femmes sur le marché du travail restent importantes et ne semblent pas avoir diminué au cours des 10 dernières années.

Pour y voir plus clair, intéressons-nous à une question débattue depuis fort longtemps par les économistes, et que l’on peut formuler très simplement : Pourquoi les femmes sont-elles moins bien payées que les hommes ?

La réponse à cette interrogation est loin d’être évidente. Prenons l’exemple gaulois : en moyenne, le salaire mensuel des femmes y est inférieur de 30% à celui des hommes. Cela signifie-t-il que les Gauloises sont victimes d’une discrimination salariale qui ampute leur rémunération d’un tiers ? Non, car ce serait oublier que les écarts de rémunération entre hommes et femmes peuvent avoir d’autres causes. Traditionnellement, les économistes distinguent trois composantes de l’inégalité salariale hommes-femmes :

1/ Les écarts de salaires peuvent d’abord provenir de différences entre les caractéristiques intrinsèques observables des hommes et les femmes : par exemple, si les femmes sont en moyenne moins diplômées que les hommes, ou ont accumulé moins d’expérience professionnelle en raison de plus fréquentes interruptions d’activité, alors il est logique que cela se traduise par une rémunération moyenne plus faible.

2/ Les inégalités de salaires peuvent également s’expliquer par le type d’emploi que les femmes occupent : si elles sont davantage à temps partiel que les hommes, leur rémunération sera pour cette raison inférieure, dans la mesure où le salaire mensuel associés aux emplois à temps partiel est par définition plus faible que celui des emplois à temps complet.

3/ Enfin, les femmes sont potentiellement victimes de discrimination salariale : ce sera le cas à chaque fois qu’une femme présentant exactement les mêmes caractéristiques (enfin… presque : même diplôme, même âge, même expérience professionnelle, etc.) et occupant exactement le même emploi qu’un homme (même secteur, même fonction…) gagnera néanmoins un salaire inférieur.

Que nous apprennent les études empiriques consacrées aux écarts de rémunérations hommes-femmes sur la part respective de ces différents facteurs ? En utilisant une technique d’estimation baptisée « décompositions de Oaxaca » et assez populaire dans les études empiriques consacrées à ce sujet, Dominique Meurs et Sophie Pontieu (dans « Une mesure de la discrimination dans l’écart de salaire entre hommes et femmes », Economie et Statistique n°337-338, 2000) proposent la décomposition suivante :


D’après ce tableau, pour l’ensemble de la population (deux premières colonnes), 40,9% de l’écart salarial total proviendrait de la durée du travail (30 % des femmes occupant un emploi à temps partiel contre seulement 5 % des hommes) ; 43,7%, de leurs caractéristiques individuelles (moindre expérience professionnelle, en raison notamment des interruption d’activité liées à la maternité et à l'éducation des enfants) ou des caractéristiques des emplois occupés (plus souvent dans le public et dans le secteur tertiaire) et seulement 15,4% de cet écart serait « inexpliqué » par les facteurs structurels, ce qu’on interprète généralement comme une mesure de la discrimination salariale « pure ».

Cela signifie-t-il pour autant que la discrimination n’est qu’un facteur marginal dans l’explication des écarts de salaires entre les hommes et les femmes ? Rien n’est moins sûr, pour au moins deux raisons.

1/ D’une part, l’étude de Meurs et Ponthieu montre que lorsqu’on se limite aux salariés à temps complet (deux dernières colonnes du tableau), la part « inexpliquée » des écarts de salaires est beaucoup plus élevée : les caractéristiques structurelles n’expliquent plus que 52% de l’écart salarial, les 48% restants pouvant être imputés à la discrimination salariale « pure ». Cela signifie qu’il ne suffit pas de promouvoir l’accès des femmes aux emplois à temps complet pour espérer annuler leur retard salarial sur les hommes.

2/ Plus fondamentalement, l’approche précédente, bien qu’éclairante sur le plan conceptuel, privilégie une conception trop étroite de la notion de discrimination. Car la discrimination salariale « pure » n’est pas la seule forme de discrimination à laquelle se heurtent les femmes sur le marché du travail. Prenons l’exemple du temps partiel : si certaines femmes décident librement de travailler à temps partiel (pour élever des enfants, prendre en charge un parent ou encore suivre une formation), nombreuses sont celles qui déclarent ne pas travailler à temps partiel par choix, mais par contrainte. D’après cette étude de l'Insee, si 31% des femmes travaillant à temps partiel ont choisi de le faire pour des raisons d’ordre familial, elles sont plus de 37% à déclarer le subir, faute d’avoir trouvé un emploi à temps plein. Par ailleurs, la discrimination subie par les femmes passe par l’existence d'une forte ségrégation des emplois, à diplôme donné : on constate par exemple que parmi les bacheliers, les hommes sont 40 % à occuper un emploi de cadre, contre seulement 7 % chez les femmes. Plus on monte dans l’échelle des qualifications, plus les femmes semblent se heurter au fameux « plafond de verre » qui limite leur accès aux postes à responsabilités.

Même si la frontière n’est pas aisée à tracer entre la discrimination salariale plus ou moins directe et l’effet des caractéristiques observables des femmes et des emplois qu'elles occupent, il n’en demeure pas moins que les différentes composantes de l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes semblent bien résister aux progrès de l’égalité professionnelle. Après une longue période de réduction de l’écart salarial hommes/femmes, sous l’effet principalement de l’amélioration du niveau de qualification des femmes, plus rapide que celui des hommes, l’écart global semble s’être stabilisé autour de 30% pour l’ensemble des salariés depuis le début des années 1990 et autour de 18% pour les salariés à temps complet, comme le montre le graphique ci-dessous :


Pour expliquer cette stagnation, les économistes invoquent généralement trois séries de facteurs qui ont eu tendance à renforcer les trois composantes de l’inégalité salariale entre les sexes :

1/ Du côté des caractéristiques observables, le principal enseignement des études empiriques est que les femmes continuent de sacrifier une grande partie de leur carrière professionnelle à l’éducation de leurs enfants, à travers des périodes d’interruption d’activité qui les pénalisent à double titre : en réduisant leurs gains salariaux liés à l’accumulation de l’expérience professionnelle, d’une part ; en les exposant aux difficultés de la réinsertion sur le marché du travail, d’autre part. Cette note de l’Insee montre ainsi que si les salaires de début de carrière des femmes sont aujourd'hui très proches de ceux des hommes, l’écart salarial continue d’augmenter tout au long de leur carrière professionnelle, même pour les générations les plus récentes. Cela semble indiquer qu’aujourd’hui, ce n’est pas avant tout parce qu’elles subissent une discrimination salariale à l’embauche que les femmes sont moins bien payées que les hommes, mais parce qu’elles « décrochent » progressivement en raison de leur investissement familial : entre 20 et 30 ans, on estime qu’à emploi comparable dans le secteur privé, la progression salariale d’une femme est deux fois plus faible que celle d'un homme.

2/ Du côté des caractéristiques des emplois occupés par les femmes, il est avéré que les dispositifs d’exonérations de charges sociales mis en place à partir du début des années 1990 (et sur lesquels nous ne manquerons pas de revenir dans ce blog) ont favorisé le développement du travail à temps partiel et la création d’emplois peu qualifiés, très largement pourvus par des femmes, ce qui a eu pour effet de ralentir le rapprochement de leurs rémunérations de celles des hommes

3/ Enfin, la part « inexpliquée » des écarts salariaux, ou discrimination salariale pure, est restée étonnamment stable, malgré les nombreuses professions de foi qui ont accompagné la revendication de l’égalité professionnelle pour les femmes au cours de la décennie 1990. Un des grands apports des études empiriques récentes consacrées à ce sujet a été de montrer à quel point la discrimination est un phénomène complexe à cerner et difficile à combattre, dans la mesure où il n'est pas toujours aisé de distinguer ce qui relève du choix de ce qui relève de la contrainte. Dans un livre qui fit pas mal de bruit lors de sa sortie (Women Don’t Ask : Negociation and the Gender Divide), Linda Babcock et Sara Laschever ont notamment montré qu'une certaine forme d'autocensure pouvait expliquer en partie la persistance d'une discrimination salariale largement intériorisée par les femmes. Une étude citée dans ce livre indique par exemple que le salaire d’embauche des diplômées en Master de l’université de Carnegie Mellon aux Etats Unis est inférieur de 7,4% à celui de leurs condisciples masculins, pour la simple raison que ces derniers sont plus nombreux à négocier leur salaire à la hausse. Ainsi, à compétences égales, il semblerait que les femmes très qualifiées aient davantage de scrupules à négocier leurs salaires que leurs homologues masculins.

Faut-il conclure de ce constat assez pessimiste que l’égalité salariale entre les sexes est à ranger au rayon des généreuses utopies ? Ce n’est pas sûr, à condition de savoir utiliser les instruments appropriés. Cette question fera l’objet d’un prochain post.

Bon, c’est pas tout ça mais je commence à avoir une petite soif, moi... Noblabla, pendant que t’es debout, tu voudrais pas m’apporter une cervoise bien fraîche ?
_Julien_

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