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mardi 14 octobre 2008

Migrations 1/40


Des émeutes anti Belges et Italiens de la France de la fin du XIXe siècle aux récentes violences xénophobes sud africaines, les questions de l’immigration et de la xénophobie sont souvent liées à la peur de perdre son emploi : l’arrivée d’une main d’oeuvre immigrée sur le marché ne travail ne va-t-elle pas mettre les locaux au chômage ou bien pousser les salaires vers le bas ? Les économistes se sont donc tout naturellement intéressés à cette question typiquement économique (blogs éco y compris). Et c’est pour Ecopublix l’occasion d’ouvrir une nouvelle saga. Pour commencer, nous vous proposons comme mise en bouche une perspective statistique de l’évolution des migrations au cours du siècle passé, graphiques à l'appui.

A partir des années 1960, la question des migrations a pris de plus en plus d’importance : avec la « globalisation », la mobilité internationale des biens et des personnes a atteint des sommets. C’est du moins la perception qu’en ont les pays développés, car si la population d’immigrés dans le monde est passée de 75 millions en 1965 à près de 191 millions en 2005 selon les chiffres de l’ONU, ces chiffres doivent être mis en rapport avec l’augmentation de la population mondiale. En termes relatifs en effet, la part des immigrés représente 2,5% de la population mondiale en 1960 contre 3% en 2005. Cette augmentation est donc loin d’être aussi massive que ce que l’on a généralement en tête, et ce, d’autant plus que, pour l’essentiel, cette augmentation est due à l’éclatement de l’URSS, qui a transformé tout à coup des migrants internes en migrants internationaux (puisque un Russe voyageant dans un pays de l’URSS est devenu du jour au lendemain un migrant international). Jusqu’à l’éclatement de l’URSS en effet, la part des immigrés était plutôt sur le déclin avec 2,2% de la population mondiale en 1970 et 1980. Surtout, jeter un œil sur l’évolution des migrations sur une période plus longue permet de souligner la faiblesse de ces chiffres : la part de la population immigrée est estimée à 10% de la population mondiale en 1913, soit une proportion d’immigrés dans le monde plus de 3 fois plus importante que celle que nous connaissons aujourd’hui.

Comment alors expliquer l’importance que revêt l’immigration dans le débat politique, dans les pays développés notamment ? Hatton et Williamson mettent en avant deux explications. La première est que si le stock de migrants est faible par rapport à celui du début du XXe siècle, sa répartition dans l’espace s’est profondément modifiée, les pays riches ayant connu une augmentation de la part de migrants dans leur population, celle-ci passant de 3,1% en 1965 à 4,5% en 1990. Plus encore, si l’on ne s’intéresse qu’à l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et l’Australie, ce taux passe de 4,9% à 7,6%. On constate ainsi sur le graphe qu’à partir de 1995, le nombre de migrants dans les pays développés hors ex-URSS dépasse pour la première fois le nombre de migrants dans les régions peu développées. On comprend dès lors que si, en moyenne, la part des migrants a largement baissé au cours du XXe siècle, et est restée stable au cours de la seconde moitié de ce siècle, les destinations des migrations ont par contre beaucoup changé, pour se diriger vers un groupe de pays bien plus restreint qu’auparavant, pays pour lesquels l’immigration devient une question importante.


Une seconde explication que ces auteurs avancent quant au décalage entre la perception de l’importance de l’immigration et l’immigration effective est celle de la pression à la migration. En effet, une des différences majeures avec les migrations massives du XIXe siècle est qu’aujourd’hui, les migrants font face à tout un arsenal législatif visant à les décourager. Ainsi, si les niveaux de migration sont relativement faibles, les candidats à la migration vers les pays développés sont eux de plus en plus nombreux, ainsi que l’illustre le développement de l’immigration clandestine : selon Hatton et Williamson, près de 300 000 immigrants clandestins entrent chaque année aux Etats-Unis, et entre 400 000 et 500 000 passent les frontières des pays de l’Europe de l’Ouest (de 10 à 15% du stock de migrants des pays de l’OCDE serait constitué d’immigrés clandestins). Ce n’est donc peut être pas tant les migrations en elles-mêmes qui font tant parler, que les pressions à la migration : si le stock de migrants est aujourd’hui bien inférieur à celui qu’il était il y a un siècle de cela, c’est avant tout du à la mise en place de barrières aux migrations, et non pas à une diminution du nombre de candidats à la migration.

Les migrations internationales sont donc passées en l'espace d'un siècle d'une situation de liberté quasi totale à une réglementation très stricte. Causes de bien des fantasmes, elles sont devenues de véritables sujets de politique publique, dont nous aborderons dans de prochains posts les tenants et aboutissants.
_Guilhem_

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lundi 5 novembre 2007

La City avale-t-elle trop de jeunes Gaulois ?


Qui n’a pas pris l’Eurostar un Vendredi soir ne peut se rendre compte à quel point les métiers de la finance sont devenus le principal débouché pour les élèves de grandes écoles et pour nombre de diplômés du 3ème cycle. En retour, cet exode a suscité une nouvelle forme d’implorations de la part desdits « exilés » : Sarkozyx, de grâce fais-nous revenir à Paris pour pouvoir enfin gagner plein de sesterces sans avoir à délaisser Bonnemine durant la semaine ! Autrement dit, il s’agirait de diminuer l’impôt sur le revenu pour qu’enfin la place parisienne devienne l’égal de la City. Bigre ! Une telle ambition est-elle bien raisonnable ? Existe-t-il de vraies raisons de s'inquiéter de cette fuite des cerveaux gaulois vers les bonus bretons ?

Pour ceux qui ne sont pas au courant, il faut mentionner à quel point le système financier européen est désormais intégré. En tête de pont du système, située sur quelques kilomètres carrés de la rive Nord de la Tamise : la City. Les transactions les plus importantes y sont décidées (c’est le plus souvent là-bas que les gros « deals » se font et se défont). Comme, évidemment, une telle structure a besoin de contact avec les clients, les banques d’affaires disposent d’antennes dans les plus grandes villes européennes, mais tous les employés doivent avoir passé du temps dans l’antenne centrale au préalable. Notons tout de même que c’est ici une description très stylisée : dans certaines « niches » (sur le trading de certains produits dérivés), la place de Paris n’est pas encore de second rang ; mais l’évolution générale est assez nette si l'on en croit le graphique suivant qui nous montre que les entreprises choisissent de plus en plus d'être cotées à Londres plutôt qu'à Francfort ou à Paris (représenté par Euronext) :


Y a-t-il une logique sous-jacente à une telle organisation ? Et bien oui, avec l’intégration quasi-complète des systèmes financiers européens et l’amélioration des transports, il était devenu de plus en plus rentable de centraliser bon nombre de métiers de la banque : avec une place centralisée, les « wannabe » golden boys savent très bien où aller s’ils veulent réaliser leurs ambitions et les banques peuvent plus facilement dénicher la perle rare.

Mais pourquoi donc est-ce Londinium et pas Frankonovurd ou Lutèce qui a le plus bénéficié de ce mouvement ? On ne peut écarter à l’avance une fiscalité supposée plus avantageuse (même si l’avantage fiscal n’est pas aussi net qu’on le croie généralement : les taux marginaux maximum d'impôt sur le revenu sont comparables, pas d'ISF mais une taxation maximale des plus-values plus forte (40% au Royaume-Uni contre 15% en France)) et une régulation des marchés financiers moins tatillonne qu’ailleurs, mais les principaux candidats sont certainement une tradition financière bien ancrée et surtout l’usage commun de la seule langue internationale, l’anglais.

A l’heure actuelle, quelle est donc la place de la France dans ce système d’offre de services financiers ? Principalement, la production de matière grise ! Notre pays bénéficie d’une tradition de sélection par les mathématiques qui fait émerger ces as des formules financières qui font le bonheur du trading contemporain. Mais c’est aussi que nos élites sont très tôt acclimatées à l’ambiance de travail qui règne dans les banques : grâce aux classes préparatoires, les deadlines résonnent comme autant de devoirs sur table et de khôlles à réviser jour et nuit pour ne pas perdre pied, et les situations de trading peuvent s’apparenter à ces problèmes mathématiques abscons qu’il faut savoir résoudre dans un temps très limité.

Cette division du travail pose-t-elle problème pour la France ? Dans une certaine mesure, non : les bénéfices de la centralisation des services financiers rejaillissent sur l’ensemble des pays européens, nos exilés ont une fâcheuse tendance à dépenser leur salaire sur notre territoire, et la présence physique de nombreux golden boys à Londinium n’est pas sans avoir des conséquences déplaisantes : coût de la vie très élevé (des prix au mètre carré plus de 2 fois plus élevés qu'à Paris selon l'indice de The Economist), dualisme très poussé du marché du travail, inégalités criantes, etc. En bref, il ne semble ni possible ni peut-être même souhaitable de faire de Paris l'égale de la City.

Tout est-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Et bien pas tout à fait : le détournement des élites vers l’industrie financière au détriment des filières de l’économie réelle (ingénieurs, entrepreneurs) n’est pas sans poser un vrai problème à long terme (voir cet article de Thomas Philippon). Et c’est un souci qui est de plus en plus évoqué aux Etats-Unis même ! En effet, le propre de l’industrie financière est qu’elle est capable de s’approprier une grande partie des profits retirés de son activité : un trader contribue à établir la vérité des prix des actifs financiers mais c’est lui qui en bénéficie le plus via les profits d’arbitrage qu’il réalise ; un banquier d’affaires qui fait se rencontrer deux entreprises en vue d’une fusion est justement rémunéré en fonction de la taille de la fusion menée. En termes économiques, on dirait que la finance génère assez peu d’externalités positives : elle est très utile au fonctionnement de l’économie mais elle est correctement rémunérée pour cela.

Cela n’est malheureusement pas le cas pour d’autres activités professionnelles qui réclament une formation aussi longue que la finance. En particulier, les entrepreneurs et les ingénieurs font émerger des innovations sans en récolter tous les bénéfices : les connaissances se répandent si vite et les produits s’imitent si facilement qu’il est impossible de s’en approprier pleinement les fruits. Pour cette raison, ces carrières sont souvent moins attirantes que la finance alors même que leur contribution à la performance économique est au moins aussi importante.

Ce problème ne date pas d’hier certes : ainsi il est notable qu’en France, les grandes écoles qui mènent aux carrières de chercheur ou d’ingénieur (X, ENS, etc.) sont beaucoup plus subventionnées que les grandes écoles dédiées à la gestion et à la finance (HEC, ESSEC, etc.). A l'extrême, tout le système des corps d'Etat représente une gigantesque subvention des carrières générant le plus d'externalités positives, et tout ceci n'est donc pas dépourvu d'une certaine logique économique.

Mais le fait est que la finance a connu un très fort développement ces 25 dernières années, et le secteur est devenu de plus en plus demandeur de travailleurs qualifiés. La conséquence, c'est que les salaires dans la finance sont devenus de plus en plus intéressants par rapport à ceux offerts aux ingénieurs à formation égale, comme le montre le graphique suivant qui concerne les Etats-Unis, où cette évolution fut probablement la plus précoce :


La préférence de l’Etat pour les formations d’ingénieurs est donc logiquement de plus en plus détournée, puisqu'au sein des diplômés des grandes écoles, les carrières dans les secteurs de la finance sont de plus en plus prisées au détriment des carrières dans l’industrie ou la recherche : alors que les 2/3 des polytechniciens se tournaient vers l’industrie en 1994, ils ne sont plus que 45% aujourd’hui ; de même, alors qu’ils étaient 10% à travailler à l’étranger en 1994, ils sont aujourd’hui 24%. En effet, avec des connaissances de mieux en mieux rémunérées dans le monde entier et des coûts de transports moins élevés qu'auparavant, pourquoi se priver ?

Cette désincitation aux carrières d'ingénieur existe donc bien à la fois aux Etats-Unis et en Europe, à cette différence près qu'aux Etats-Unis, c'est sur le même territoire que sont formés les financiers et qu'ils exercent leur métier alors qu'en Europe, chaque pays a intérêt à attirer les cadres financiers (quitte à promettre de faibles taux d'imposition) en laissant les autres pays former ces personnes, si bien que la tendance à la dévalorisation des métiers d’ingénieur est potentiellement plus importante.

Dans notre cas précis, l'Angleterre n'a même pas à être aussi machiavélique, puisqu'elle bénéficie d'une attractivité « naturelle » qui repose finalement peu sur des décisions politiques avantageuses. En revanche, les pays d'Europe continentale se trouvent dans une situation où leurs investissements dans le supérieur, qui visent à développer l'esprit d'innovation, perdent en rentabilité du fait que ceux qui en bénéficient peuvent choisir des carrières générant moins d'externalités positives sans coût supplémentaire.

Pour prendre un exemple, la Suède a dû mettre un terme en 2001 à un programme de prêts étudiants dont les remboursements dépendaient du salaire perçu durant la vie active : la raison qui fut invoquée était que des bénéficiaires de plus en plus nombreux émigraient et n'étaient donc plus astreints à payer en fonction de leur revenu du moment (faute d'une coopération fiscale suffisante entre la Suède et les pays d'émigration), ce qui contribuait à déséquilibrer très fortement le budget d'une telle mesure.

C'est un exemple d'autant plus parlant que ce type de moyen de financement de l'enseignement supérieur est de plus en plus à la mode : en France, les travaux récents de Robert Gary-Bobo et Alain Trannoy ont contribué à populariser ce type de prêts étudiants, et de tels systèmes, qui existaient auparavant surtout dans les pays scandinaves, se sont développés en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, et même... en Angleterre depuis 2004 ! En effet, ce système permet à la fois de ne pas décourager par des droits d'inscription élevés les étudiants potentiels, et de faire financer l'université par ceux qui en profitent le plus. Pourtant, il est bien évident que ces mesures ne sont efficaces que si les bénéficiaires ne sont pas trop tentés de travailler dans un autre pays que celui de leur formation : en l'absence de coopération fiscale, il est difficile de faire payer l'université par ceux qui en profitent le plus.

En définitive, la forte présence des élites françaises à la City est problématique, non pas parce que ces dernières font de la finance en Angleterre au lieu d'en faire en France, mais parce que cette émigration détourne les éléments de notre système éducatif qui permettaient d'orienter les meilleurs élèves vers les carrières les plus "utiles".

Il existe malheureusement assez peu de solutions nationales à un tel problème, comme le suggère le cas suédois. Sans coopération des administrations fiscales qui permettrait à un pays de faire financer ses universités en partie par les revenus de ses diplômés qui travaillent à l'étranger, il reste difficile de construire un système éducatif résolument tourné vers l'esprit d'innovation.

Un bémol cependant : on peut toujours espérer que la nourriture et la météo anglaises fassent revenir nos golden boys vers des carrières moins lucratives mais plus généreuses...
_Laurent_

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