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mercredi 12 mai 2010

Retraites (10/41) : le débat 2010


La grande question qui structure le débat public sur les retraites concerne la nature de la réforme et oppose les partisans d’une réforme dite « systémique » (qui consiste à remettre à plat le système sur le long terme) aux partisans de réformes dites « paramétriques » (qui consistent à modifier périodiquement les paramètres du système). Au sein des partisans de chacune de ces grandes « voies de réforme », on peut distinguer deux approches qui donnent plus ou moins de poids aux garanties à donner aux salariés. On a donc au final quatre visions, assez différentes, de la direction vers laquelle notre système de retraite doit aller.

I/ L’option « remise à plat du système »

La motivation première d’une remise à plat du système français est la nécessité d’unifier les régimes de retraite : nous disposons de 36 régimes de retraite publics, obligatoires et financés en répartition, mais dont les règles sont différentes, la coordination malaisée et la gestion coûteuse. On notera d’ailleurs que le seul réel élément de consensus sur le système actuel est qu’il constitue un véritable casse-tête pour les salariés et pour les gestionnaires. Les avis sont en revanche partagés sur l’opportunité d’une réforme globale. Les pessimistes pensent que ce n’est pas possible, soit parce qu’ils considèrent que la complexité est naturelle à tout système de retraite, soit parce qu’à leurs yeux, l’esprit de consensus n’est pas suffisamment développé en France pour rendre possible une telle réforme (on préfère se taper dessus avec du poisson pourri…). Les optimistes pensent au contraire qu’une telle remise à plat est non seulement possible mais à terme plus efficace. Unifier un système de retraite n’est pas beaucoup plus compliqué et finalement bien moins coûteux que de construire une nouvelle ligne TGV. Ils soulignent par ailleurs les risques de l’approche actuelle : en annonçant des mesures partielles périodiquement, suivies d’autres projections catastrophistes, la confiance dans le système s’effrite, les jeunes générations en viennent à imaginer qu’elles ne toucheront pas de retraite et que leurs cotisations s’apparentent surtout à des impôts sans contrepartie. Au lieu de renforcer la solidarité entre générations, la situation actuelle mine les fondements du système en répartition.

Parmi ceux qui défendent une réforme globale du système de retraite, le consensus n’est pas vraiment de mise non plus. Jacques Bichot (Université Lyon II) défend une réforme systémique sur le modèle d’un système à points, tandis que Thomas Piketty et moi-même avons mis en avant une réforme suivant le modèle des comptes individuels de cotisation ou comptes « notionnels ».

1/ L’unification avec des comptes individuels en cotisation est défendue par Thomas Piketty et votre serviteur dans un opuscule du Cepremap (disponible gratuitement ici, reproduit dans un livre en vente ici, et discuté sur Ecopublix).

Le système fonctionne sur deux piliers intégrés : le premier pilier est purement contributif et le second est purement redistributif. La partie contributive fonctionne avec des comptes individuels sur lesquels les cotisations retraite versées chaque année sont enregistrées. Ces cotisations sont revalorisées chaque année par la croissance des salaires. Il s’agit d’un système en répartition car les cotisations ne sont pas placées sur les marchés financiers mais servent, comme aujourd’hui, à financer les retraites actuelles. Au moment de la liquidation, les salariés disposent ainsi d’une mesure de leurs droits à la retraite. Ces « droits retraite » sont convertis en pension mensuelle selon l’espérance de vie en retraite de chaque génération : plus le salarié reporte son départ en retraite, plus la pension est élevée ; les conditions de liquidation évoluent parallèlement à l’espérance de vie au fil des générations. Au lieu de réformes brutales, le principe est celui d’une adaptation lente et progressive des conditions de liquidation. Le seul paramètre de pilotage du système devient alors le taux de cotisation : si l’on souhaite augmenter le niveau des retraites ou consacrer une part plus importante du revenu national à passer plus de temps en retraite, il suffit d’augmenter le taux de cotisation. Automatiquement les droits à la retraite seront augmentés.

Le second pilier est redistributif : il s’agit de l’expression de la solidarité nationale envers ceux qui ont eu de faibles revenus, des carrières heurtées par le chômage, la maladie ou autre. Ces avantages non-contributifs sont crédités sur les comptes de la même façon que les cotisations, mais ils sont financés par l’impôt.

2/ L’unification des régimes avec un système à points est défendue par Jacques Bichot dans un document de l’Institut Montaigne (disponible ici). Cette proposition vise à étendre le mode de fonctionnement des régimes complémentaires en points à l’ensemble du système de retraite. Les salariés achètent des points en cotisant, points qu’ils vendent pour obtenir une pension. Comme les comptes notionnels, le système en points fonctionne en répartition et permet de prendre en compte l’ensemble de la carrière des salariés.

L’avantage du système à points, d’après ses défenseurs, est qu’il permet un pilotage « au fil de l’eau » : en effet, l’équilibre financier du régime peut être obtenu chaque année par ajustement du rendement du système, c’est-à-dire que l’on peut jouer sur la valeur du point pour équilibrer les finances du régime.

Pour ses critiques (dont l’auteur de ces lignes), le système à points ne permet pas de garantir les droits de retraite autant qu’un système en comptes notionnels peut le faire : en se donnant la marge de liberté de faire modifier la valeur du point, on n’offre pas les mêmes garanties qu’un taux de rendement indexé sur la croissance de l’économie. En effet, contrairement aux comptes notionnels, le rendement du régime à points n’est pas fixé : il s’agit d’un paramètre du régime. Comme le système fonctionne en points et non en euros, il est possible de faire de « l’inflation du point », c’est-à-dire de baisser le rendement du régime pour réduire les promesses passées. La philosophie des comptes notionnels est, au contraire, de ne faire que des promesses que l’on peut honorer, mais d’être extrêmement stricte sur le fait qu’elles seront honorées.

II/ L’option paramétrique

Les partisans d’une réforme paramétrique rejettent les propositions d’unification, les considérant comme des chimères ou de vaines constructions intellectuelles...

Le premier point mis en avant est le fait que modifier des paramètres du système existant est beaucoup plus simple techniquement, donc peut être mis en place beaucoup plus rapidement. Le président de la République a annoncé qu’il souhaitait une réforme avant la rentrée prochaine et seule une réforme paramétrique peut être réalisée dans un temps aussi court. Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer ce choix : pressions pour annoncer un redressement à long terme des finances publiques, choix stratégique de communiquer sur des mesures symboliques du système de retraite (« la retraite à 60 ans ») ou craintes d’un scénario à la Juppé en cas de réforme globale. Parmi les partisans d’une réforme paramétrique, on trouve aussi des syndicalistes et des universitaires. Jean-Christophe Le Duigou (CGT), Danièle Karniewicz (CFE-CGC, syndicat des cadres) ou Henri Sterdyniak (OCFE) ont ainsi pris parti contre toute réforme systémique et défendu une modification des paramètres du système actuel.

Ils ont tous défendu l’idée d’un âge pivot, « âge norme », qui pourrait évoluer avec le temps, mais qui doit continuer à faire référence. Leurs positions se distinguent donc essentiellement par le calendrier et l’ampleur de la hausse de paramètres comme la durée requise de cotisation ou l’âge minimum de liquidation.

3/ Le gouvernement, le Medef et la confédération des cadres défendent une hausse de l’âge minimum de départ en retraite couplée avec la hausse prévue de la durée requise de cotisation. Le Medef a suggéré une augmentation de l’âge minimal à 63 ans. Les modalités exactes de la proposition du gouvernement ne sont pas encore connues : hausse progressive de l’âge minimum ? hausse en parallèle de l’âge du taux plein, actuellement à 65 ans ? augmentation des âges minimums dans la fonction publique et dans le secteur privé ? Les paramètres qui peuvent être modifiés sont le calcul du salaire de référence dans la fonction publique (6 derniers mois au lieu des 25 meilleures années dans le secteur privé, intégration ou non des primes…).

Pour la droite, s’attaquer au symbole de la « retraite à 60 ans » permet de galvaniser les troupes de l’UMP, et de ringardiser la gauche comme incapable de proposer une réforme permettant de rendre soutenable l’équilibre des retraites.

Pour le gouvernement, il s’agit aussi de donner des gages symboliques à Bruxelles, Berlin et aux marchés financiers. Quand les Français ont fait pression sur la chancelière Merkel pour contribuer à l’aide financière à la Grèce, quand les Allemands ont annoncé une augmentation de l’âge du taux plein à 67 ans à l’horizon 2028 et au moment où l’on demande aux Grecs de repousser leur départ en retraite à 67 ans, on peut imaginer que le gouvernement français souhaite envoyer un signal fort sur la réforme des retraites.

Le problème de cette analyse, c’est qu’elle néglige complètement la perspective de long terme du système de retraite et de l'équilibre des finances publiques. La crise financière n’a pas mis considérablement en péril l'équilibre financier des retraites : ce qui reste la raison majeure des déséquilibres à long terme est l’augmentation de l’espérance de vie. Chercher à rééquilibrer le système à court terme en complexifiant encore notre système fait courir le risque d’accroître un peu plus la confusion et l'incertitude sur le pilotage à long terme. Croire qu’une réforme paramétrique, « symbolique » permettrait de rassurer les marchés financiers sur la soutenabilité à long terme des finances publiques est quelque peu déconcertant.

Par ailleurs, une augmentation seule de l’âge minimum de liquidation toucherait avant tout ceux qui ont commencé tôt à cotiser, les carrières longues, qui sont les grandes perdantes du système de retraite français. Il est difficile de ne pas y voir une proposition de réforme particulièrement injuste.

4/ Une partie de la gauche et du monde syndical s’accorde avec le gouvernement pour refuser toute réforme globale, mais s’oppose à celui-ci sur la façon d’équilibrer le système. A l’appel d’Attac et de la fondation Copernic, une pétition en ligne, signée par beaucoup de monde, des universitaires (André Orléan, Henri Sterdyniak, Pierre Concialdi, Jacques Généreux, Olivier Favereau) et des politiques (Olivier Besancenot, Noël Mamère, Marie-George Buffet, Jean-Luc Mélenchon) résume le diagnostic de cette position : les réformes déjà mises en place et envisagées appauvrissent les retraités et il est inenvisageable de reporter l’âge de départ en retraite lorsque les plus jeunes font face à un taux de chômage élevé. La pétition attaque aussi les propositions d’unification du système (en points ou en comptes notionnels) comme des mesures qui visent à paupériser les salariés et à inciter ceux qui occupent des professions à grande pénibilité physique à travailler toujours plus longtemps. La pétition propose une solution simple (certains diraient une « solution miracle »…) pour financer l’augmentation de la durée de la retraite : augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée (c’est-à-dire augmenter les salaires) et taxer les profits.

Que penser de cette analyse ? Davantage qu’une position politique particulière (au sens d’une préférence particulière pour la redistribution, par exemple), les personnes qui défendent cette position ont en commun de partager un certain nombre de croyances contestables.

La première croyance est que le marché du travail fonctionne de manière « malthusienne » : il est impossible de repousser l’âge de retraite effectif car il existe du chômage des jeunes ; si les seniors poursuivent leur carrière, cela va se traduire par plus de chômage pour les plus jeunes. Cette idée de substitution entre jeunes et vieux est le fondement des politiques de préretraites mises en place en France pendant une vingtaine d’années : on a subventionné les entreprises françaises avec de l’argent public pour se débarrasser des seniors, et ce de plus en plus tôt. Cette politique a été redoutablement « efficace » : le taux d’emploi des seniors a chuté avec une rapidité extraordinaire pour atteindre un des plus bas niveaux des pays développés (accompagné en cela par d’autres pays européens comme la Belgique). Le taux de chômage des jeunes, lui, n’a pas bougé. Les pays, comme la Suède, qui ont dépensé beaucoup d’argent pour faciliter le maintien en emploi des seniors, ont un taux d’emploi considérablement plus élevé non seulement pour les jeunes, mais également pour les seniors, . Sans surprise, on compte parmi les signataires de cette pétition un grand nombre d’anciens défenseurs des préretraites.

La seconde croyance des pétitionnaires est que les salariés ne paient pas in fine les retraites et qu’il n’y donc aucune raison qu’ils paient la durée supplémentaire en retraite qu’engendre l’augmentation de l’espérance de vie. Dans cette perspective, il ne faut surtout pas que les salariés soient responsables et organisent la soutenabilité à long terme de leur système de retraite. Il faut « lutter », il faut « augmenter les salaires ». La proposition principale de la pétition est donc tout simplement d’augmenter la part du PIB consacrée aux salaires. Cette position est cohérente avec la vision que les cotisations sont payées par les employeurs et ainsi s’oppose avec l’analyse standard de l’incidence fiscale.

Au-delà du fait qu’on ne sait pas expliquer le partage de valeur ajoutée, imaginons qu’il soit possible d’augmenter les salaires (avec la croissance de la productivité, c’est possible). On peut certes financer plus de temps en retraite, mais cela implique forcément que la part des salaires consacrée à la consommation de biens et services publics et privés sera réduite. Ce seront bien les salariés qui auront payé leur retraite, in fine. Ces biens et services, publics et privés, vont dépendre aussi du niveau des salaires (pensez aux heures d’infirmières dont vous aurez besoin à la fin de votre vie). Si on choisit d’augmenter les cotisations pour financer des retraites plus longues, la consommation de services privés ou publics devra baisser. On peut donc opposer à Henri Sterdyniak sa propre formule : « méfions nous des recettes miracles »…

Bon, ayant perdu la moitié des lecteurs, je vais arrêter là pour aujourd’hui. La prochain post sera consacré au rapport du COR de février 2010 sur la faisabilité des comptes notionnels.

_Antoine_

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mercredi 26 novembre 2008

Dream team, le retour !


Le President-elect Obama, (celui là même qui va casser la baraque de Kaboul a Bamako), a commencé à nommer son staff économique. Et, bonne surprise, il a décidé de s’entourer d’une dream-team dont on avait plus vu la couleur à Washington depuis longtemps, l’équipe économique en place s’apparentant à un vrai Ministere Who? Who?.

Parmi les nominations, certaines étaient attendues et commentées depuis quelques semaines, comme celle de Larry Summers au poste de top economic advisor (Head of the National Econmic Council). D’autres en revanche étaient moins prévisibles, et en particulier celle de Christina Romer comme chairman of the Council of Economic Advisors (CEA) a déclenché un peu l’euphorie au département d’économie de Berkeley.

Christina Romer et son mari David, qui sont un couple à la scène comme à la ville, ont déjà conseillé le candidat Obama durant la campagne. Mais il est certain que dans le milieu, tout le monde attendait la nomination au poste de chairman of the CEA du jeune et talentueux économiste de la Chicago Business School, Austan Goolsbee, qui a été le premier conseiller économique d’Obama et un soutien sans faille depuis 2 ans. [C'est le même Goolsbee que l'équipe de l'IFS de notre ami Antoine a cru pouvoir s'offrir il y a quelques mois de cela, sans trop de succès]. Il semblerait, d’après la fama publica, qu’Obama ait cherché désespérément à féminiser son équipe afin de rendre la photo de groupe sur le perron de la Maison-Blanche un peu moins débordante de testostérone. Quoi qu’il en soit, la nomination de Christina Romer n’est certainement pas un choix de complaisance : elle fait véritablement partie d’une ambition remarquable de la part du nouveau président de s’entourer de la clique de cerveaux la plus pointue du monde, qui n’est pas sans rappeler les premiers moments des présidences de Roosevelt ou de Reagan.

Voici donc quelques trucs à savoir sur la nouvelle maîtresse des orientations de politiques économiques de la plus grande puissance mondiale. C’est une super pointure dans le domaine académique, elle a un parcours exemplaire et une culture économique et historique vraiment impressionnante. Ses travaux, avec son mari, portent essentiellement sur les politiques budgétaires et monétaires, la Grande Dépression et les cycles économiques. C’est une personnalité peu marquée politiquement, et peu suspecte de vouloir uniquement coller au bon plaisir du Prince. Son dernier papier empirique sur les effets des politiques de relance budgétaires sur la croissance est en effet loin d’être euphorisant pour la nouvelle administration : les hausses d’impôt ont en effet d’après les époux Romer un impact macroéconomique assez néfaste indépendamment des conditions du cycle économique. Ce qui ne veut bien évidemment pas dire qu’une relance ultra-musclée n’est pas souhaitable à l’heure actuelle, lorsque l’on est en phase de récession.

La question qui reste pendante néanmoins est celle de la cohabitation entre Romer et Summers, Larry Summers étant une forte tête et réputé assez macho (il a dû quitter le poste de Président de l’université d’Harvard suite à un scandale autour de certaines déclarations qu’ils auraient faites sur les aptitudes respectives en sciences des garçons et des filles). Selon la plupart des commentateurs qui connaissent bien les deux personnalités, comme Mankiw ou Brad de Long, il ne devrait pas y avoir de gros problème, les deux se connaissant bien et Romer étant une vraie « consensus builder ». Et quoi qu’il en soit, la structure même du National Economic Council, fondé par Clinton en 1993 et donc dirigée par Summers, en fait un organe exécutif beaucoup plus puissant qui devrait lui donner un ascendant sur le Council of Economic Advisors, qui est plus une sorte de chambre de cerveaux en fusion destinés à conseiller le président de manière moins formelle.

Il faut également saluer la nomination par le nouveau président de Peter Orszag au poste de director of the White House Office of Management and Budget (sorte de super ministère du budget et de l'organisation des dépenses publiques), qui, à 47 ans, est déjà un vétéran des batailles budgétaires et de Timothy Geithner, président de la Reserve fédérale de New York, au poste de secrétaire au Trésor (le vrai ministre des Finances). Ces deux personnalités sont expérimentées et prouvent de la part d'Obama une volonté d'envisager le problème de la relance économique dans toutes ses dimensions. On voit donc se profiler à l'horizon un gros stimulus fiscal avec dans le même temps une très musclée rationalisation de la dépense publique.

Il n’en reste pas moins remarquable de voir autant de gros cerveaux autour du Président, et l’on ne peut s’empêcher de constater que le niveau moyen du conseil de politique économique du futur président est à des années-lumières de ce que l’on peut voir actuellement en France. Non seulement Romer ou Summers en connaissent plus sur l’économie qu’Henri Gaino, mais plus encore, il est frappant de voir à quel point le conseil économique du Président est organisé, encadré et formalisé. Comme le soulignait Brad de Long, de telles structures permettent de faire émerger des consensus sur la politique économique à suivre, laissant beaucoup moins de place et d’influence pour les lobbysites et les spin-doctors, ce qui ne peut que profiter à la qualité de la politique économique mise en place.
_Camille_

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vendredi 31 octobre 2008

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (1/2) : l’incidence fiscale


En cet automne 2008 arrivent les projets de loi de finances ; en particulier, le projet de loi de financement de la sécurité sociale a été présenté par les nombreux ministres concernés. Pour se faire une idée, on peut lire le dossier de presse, regroupement des discours d’Eric Woerth, Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot-Narquin devant différentes commissions parlementaires ainsi que la présentation du projet de loi à Bercy le 28 septembre et bon nombre de fiches explicatives des différentes mesures. Le présent post est surtout un prétexte pour présenter des exemples d’incidences fiscales, et rappeler une fois de plus que ce n’est pas forcément l’agent officiellement taxé qui paie réellement l’impôt. Ceci avait déjà été présenté sur ce blog dans le cas général, pour les cotisations sociales ou bien encore la TVA, et bien entendu dans bien d’autres blog comme liberté réelle, mais nous ne craignons pas la répétition. Ici, nous allons pouvoir nous pencher sur un impôt sur les bénéfices et une contribution sur des revenus du travail. Dans un second post sur l’assurance maladie, nous présenterons les différentes conséquences de l’augmentation des cotisations des mutuelles.

I/ Présentation du projet de loi de finance

Nous allons nous pencher sur une partie restreinte de ce projet de loi, mais pas la moins intéressante : l’augmentation des recettes. En effet, même si le contrôle des dépenses est encore mis en avant, il est prévu que celles-ci augmentent de manière importante, d’où un besoin accru de financement. Les mesures en vue d’augmenter les recettes sont principalement de trois ordres : une contribution patronale de 2 % sur l’intéressement et la participation, une contribution des organismes complémentaires sur leurs bénéfices et une augmentation des cotisations retraites.

Le thème général de la présentation du PLFSS 2009 a été que les assurés ne paieraient pas le surplus de financement. On trouve ainsi écrit que l’ensemble des mesures d’augmentation des recettes ne conduira à "aucune participation supplémentaire pour les assurés respectant le parcours de soins coordonnés". On peut cependant fortement en douter. Notre but n’est pas de dire si les assurés doivent ou pas supporter la charge de ces besoins de financement, car ce pourrait être légitime bien qu’impopulaire. De plus, les conséquences des augmentations des cotisations de mutuelles (ce qui n’est qu’un des moyens de faire porter la charge des recettes supplémentaires sur les assurés) seront étudiées dans un prochain post. Nous nous contenterons ici de montrer que contrairement à ce qui est dit, les assurés, même ceux suivant le parcours de soins coordonnés, supporteront au moins en partie la charge des besoins de financements supplémentaires.

Pour ce qui concerne la hausse des cotisations retraites, elle est présentée sans coût car elle doit être compensée par une baisse des cotisations pour l’assurance chômage. Si le chômage a été en baisse au cours des années 2007 et 2008, il semble repartir à la hausse, ce qui devrait interdire ce basculement. Il est cependant resté présent dans la version du PLFSS 2009. Il faut probablement en tirer comme conclusion que soit les cotisations retraites augmenteront sans baisse des cotisations chômage, soit que le déficit de l’assurance maladie sera partiellement financé par un déficit de l’assurance chômage.

Pour la justification de la contribution de 2 % sur la participation et l’intéressement, l’accent est donné sur un principe d’équité : ces revenus, qui ne sont pas officiellement considérés comme des revenus du travail, sont exonérés de charges sociales (ce qui veut d’ailleurs dire qu’ils n’ouvrent pas de droits supplémentaires au chômage ou à la retraite). Les seules contributions qui les touchent à la source sont la CSG et la CRDS. Si l’intéressement et la participation ne sont pas considérés socialement comme des salaires, ils n’en sont pas moins une rémunération du travail, lié à une négociation entre employé et employeur. Comme le montre le post de Julien sur l’incidence des cotisations sociales, cette nouvelle contribution de 2 % sur la participation entrainera forcément une hausse des primes brutes et une baisse des primes nettes, c’est à dire qu’à la fois l’employeur et l’employé la paieront, ce qui contredit la déclaration qu’il n’y aura "aucune participation supplémentaire pour les assurés respectant le parcours de soins coordonné", si on considère que notamment les salariés sont parmi les assurés.

II/ Pouvoir n’est pas vouloir ou l’impossibilité de légiférer sur l’incidence fiscale

Les gouvernements, et probablement pas seulement en France, aiment bien les déclarations d’intentions sur les incidences fiscales, ou alors oublier celles-ci totalement. Pour ce qui concerne la taxe sur les bénéfices des complémentaires santé, le discours est ici pour le moins ambigu. Si le principe des incidences fiscales est implicitement reconnu, le problème est écarté avec des arguments peu convaincants économiquement. On peut ainsi lire dans le compte rendu des propos d’Eric Woerth cette phrase qui n’a pas trop de sens économique : "Cette contribution peut donc être absorbée par les complémentaires sans hausse des cotisations.". Outre les justifications qu’il donne à cette possibilité, le terme "peut" est totalement hors de propos. La question n’est pas de savoir si les complémentaires peuvent ou non le faire, mais si elles le feront réellement. Et c’est d’ailleurs un raisonnement que le gouvernement connaît très bien. Lors de débats sur le niveau de certaines taxes sur les hauts revenus (IR, IS, ISF…) la question est rarement posée de savoir si les personnes concernées pourraient payer des montant plus élevés, mais si oui ou non il y a un risque qu’elles envoient leurs capitaux fructifier à l’étranger.

La justification donnée par Eric Woerth pour cette possibilité est la suivante : "Chaque année, en l’absence de mécanisme de rééquilibrage, près de 600 millions d’euros de plus sont à la charge de l’assurance maladie obligatoire et ne sont plus remboursés par les complémentaires". Le ministre se réfère là au rapport annuel du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, qui ne dit pourtant pas exactement cela. En effet, si la première partie de la phrase correspond au-dit rapport, la seconde partie donne l’impression que chaque année le régime général rembourse une plus grande part des dépenses, ce qui permet aux mutuelles d’avoir moins à rembourser. Or ce n’est pas ce que déclare le HCAAM. Ce haut conseil trouve certes une hausse des dépenses de l’assurance obligatoire de cet ordre (3 milliards d’euros sur 5 ans) du fait du vieillissement de la population et des prises en charge à 100 %, mais ne dit à aucun moment que cela est dû à un transfert global des prises en charge vers le régime obligatoire. On lit au contraire dans ce rapport que "le taux de prise en charge a connu un très léger fléchissement" et que "le taux d’engagement de la sécurité sociale dans la dépense reconnue ne varie que de façon très faible, résultat de mouvements de sens contraires.". En réalité, si les dépenses de sécurité sociale augmentent fortement, celles des complémentaires également, et ce n’est pas dû à un basculement de l’un sur l’autre, mais à une hausse importante des dépenses globales.

Alors pourquoi les complémentaires pourraient-elles ne pas répercuter sur les cotisations leur nouvelle contribution ? Toujours dans le même élan, le ministre nous dit que c’est parce que leurs profits ont fortement augmenté ces derniers temps. Mais encore une fois le raisonnement est biaisé, et au contraire, si elles ont pu augmenter autant leurs bénéfices ces dernières années, c’est peut-être qu’elles sont en position de force sur le marché de l’assurance maladie complémentaire. Et si elles sont en position de force, il y a fort à parier qu’elles pourront répercuter leur nouvelle taxe sur leurs assurés. Et en effet, le rapport du HCAAM note que les cotisations d’assurance complémentaire entre 2001 et 2006 ont augmenté de 48 % pendant que les dépenses de ces organismes n’augmentaient que de 32 %, notamment du fait d’une "restructuration de l’offre par concentration". Ce n’est donc pas parce qu’ils se sont déchargés sur l’état que les organismes d’assurance maladie complémentaire ont réussi à augmenter fortement leurs bénéfices, mais parce que la concurrence sur ces marchés a fortement décru.

III/ De l’incidence fiscale de la taxe sur les bénéfices

Alors les complémentaires maladie vont-elles oui ou non répercuter cette nouvelle contribution sur les cotisations ? Pour revenir à cette question, et si on regarde pour cela la littérature économique sur l’incidence des taxes sur les bénéfices, et en particulier cet article récent d’Auerbach qui fait le point sur les connaissances, on trouve beaucoup de résultats contradictoires. Si les résultats les plus connus et les plus anciens disent que les taxes sur les bénéfices sont supportées entièrement par les détenteurs de capital (et aussi bien les détenteurs d’autres capitaux – actions d’autres entreprises, bien immobiliers... – que les actionnaires des entreprises touchées), ces résultats sont basés sur beaucoup d’hypothèses fortes, dont une économie fermée, une offre de capital globalement fixe et surtout la concurrence parfaite sur les marchés concernés. L’idée générale est que les décisions en vue de maximiser les profits ne sont pas modifiées, mais que les rendements du capital sont juste linéairement réduits, pour l’ensemble des capitaux, quelque soit leur forme.

Cependant, d’autres analyses relâchant ces hypothèses trouvent que d’autres agents peuvent supporter la taxe, comme les employés, et dans le cas de la concurrence imparfaite, les consommateurs. En effet, si le marché est déjà concentré, entrainant une réduction de l’offre afin d’augmenter les prix, une taxe supplémentaire sur les bénéfices peut renforcer encore la concentration, permettant ainsi aux entreprises présentes d’augmenter leur pouvoir de marché, ce qui conduit à une augmentation des prix. Des études empiriques et théoriques citées dans la revue de la littérature d’Auerbach présentent même la possibilité que l’augmentation des prix soit plus importante que la nouvelle taxe : les entreprises sur le marché non concurrentiel augmentant leur bénéfice net après une augmentation de la taxe sur les bénéfices, du fait d’une forte baisse de la concurrence.

Quoi qu’il en soit, et vu le niveau élevé de concentration dans le marché des assurances maladie complémentaires, il est fort probable que cette contribution sur leurs bénéfices soit supportée au moins en partie, sinon en intégralité, par les assurés.
_Ecopublix_

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mercredi 4 juin 2008

Blanchard au FMI


Ecopublix est très heureux d’apprendre qu’Olivier Blanchard a été nommé chef économiste du Fonds monétaire international (FMI). Il rejoint la liste des prestigieux universitaires qui ont occupé ce poste (parmi lesquels Raghuram Rajan ou Kenneth Rogoff ) ainsi que la courte liste des économistes français qui ont exercé ce type de fonctions dans des organisations internationales (on pense à François Bourguignon, qui a quitté l'année dernière le poste de chef économiste à la Banque mondiale pour reprendre la direction de l’Ecole d’Economie de Paris).

Olivier Blanchard, qui va fêter ses 60 ans le 27 décembre prochain, est parti faire ses études doctorales au MIT après des études d'économie à Dauphine et à Nanterre. Il obtenu son PhD en 1977 et commencé sa carrière comme professeur assistant à Harvard, puis il a rejoint à nouveau le MIT en 1982 comme professeur au département d’économie.

Olivier Blanchard a consacré l'essentiel de sa recherche à la macroéconomie, et en particulier au fonctionnement du marché du travail. Rechercher les causes du chômage européen a été un de ses thèmes de prédilections. Il a publié avec Stanley Fischer un manuel de référence en macroéconomie, Lectures on macroéconomics et il est en train de préparer la publication d’un nouveau livre consacré au chômage et à ses causes.

La rumeur veut qu'Olivier Blanchard ait déjà plusieurs fois refusé le poste de chef économiste au FMI, avant d’accepter. Il rejoint Dominique Strauss Kahn, le nouveau président du Fonds, créant une gouvernance française sans précédent à la tête de cette organisation internationale, au moment où celle-ci traverse une phase de remise en question majeure. En effet, le rôle de cette institution était à l'origine triple : surveillance des marchés financiers internationaux, prêteur aux pays en difficulté sur leur balance des paiements et assistance technique aux pays en voie de développement pour la mise en place d'institutions financières robustes. Or aujourd’hui, le fonds rencontre lui-même des difficultés financières du fait que la plupart de ses revenus (issus de prêts à des pays en difficultés financières) sont en forte baisse, une grande partie des pays ayant remboursé leurs emprunts. Le fonds prévoit ainsi de vendre ses réserves d’or afin de constituer un fonds constitué d’actifs plus diversifiés, mais doit aussi réduire fortement ses effectifs.

Cette crise financière remet en question le rôle du FMI comme prêteur aux pays en difficulté. Plusieurs options sont envisagées pour faire évoluer les missions de l'institution : l'une consiste à renforcer son rôle de prêteur en dernier ressort international (sorte de Banque centrale au niveau mondial) ; une autre serait au contraire de renforcer son aspect régulateur de la finance internationale ; enfin une dernière piste souvent évoquée serait d'améliorer l'efficacité de ses prêts conditionnels aux pays pauvres pour mieux les aider à sortir de la pauvreté. Cependant, la difficulté consiste à redéfinir le rôle du FMI tout en préservant sa spécificité au sein des organisations internationales : il ne s'agit pas de dupliquer la Banque mondiale (qui a pour vocation d'aider les pays pauvres) ni de remplacer les banques centrales (qui déterminent les politiques macroéconomiques de façon bien plus déterminante que le FMI ne pourrait le faire, avec en tête la Federal Reserve, elle aussi dirigée par un autre macroéconomiste, Ben Bernanke). Cerner les nouvelles missions du Fonds, entre finance, macroéconomie et développement, sera certainement l'un des principaux objectifs d'Olivier Blanchard, en tandem avec Dominique Strauss Kahn.
_Ecopublix_

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mercredi 13 février 2008

Elections américaines : le rôle des économistes


La campagne de l’élection présidentielle américaine suscite un intérêt croissant, y compris de ce côté de l’Atlantique. Ceci est dû en grande partie à la qualité des candidats, au charisme d’un Barack Obama, à la détermination d’une Hillary Clinton et à l’aura de l’ancien prisonnier du Vietnam John McCain. Derrière la démocratie à grand spectacle et les questions de personnes se cache aussi un débat sur les politiques publiques que le/la futur(e) président(e) souhaitera mettre en place. Et c’est là que les économistes entrent en scène. Ecopublix avait exprimé en avril dernier sa déception en commentant le rôle partisan (et peu convaincant) que les économistes français avaient joué lors de la dernière campagne présidentielle. Est-ce que leurs confrères d’Outre-Atlantique font mieux ? Comment gèrent-ils les dilemmes du savant (l’expert) et du politique (le conseiller) ?

Le premier point à remarquer est le fait que les questions économiques prennent une part croissante dans le débat politique, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis. Même si la presse française n’insiste pas fortement sur le débat de fond qui anime la campagne des primaires, les enjeux sont considérables. L’opposition Obama/Clinton est tout en autant marquée sur la question de l’assurance maladie que sur la question irakienne. Des enjeux aussi divers que la l’opportunité d’un « stimulus fiscal », le relèvement barrières commerciales, la réévaluation du Yuan, la mondialisation et les jobs Américains divisent démocrates et républicains. L’importance des questions économiques dans le débat politique ne date pas d’aujourd’hui aux Etats-Unis. Le fameux « it’s the economy stupid ! » de Bill Clinton s’est rarement démenti. La blogosphère économique américaine avait pris une longueur d’avance dans son développement sur son homologue gauloise (avant le rôle pionnier des Econoclastes). Les économistes sont sollicités pour donner leur avis, juger les programmes ou même les écrire.

D’une façon similaire, mais moins nouvelle, les économistes américains participent largement à la campagne électorale, soit en analysant les programmes, soit en affichant leur soutien partisan ou en apparaissant comme conseillers sur des propositions de réformes. On savait depuis longtemps Paul Krugman (Princeton) démocrate de longue date et pourfendeur de Bush. De façon moins attendue, il a émis un soutien très marqué à Hillary Clinton en critiquant nettement le plan d’Obama de réforme de l’assurance maladie. Il rejoint ainsi Jon Gruber (MIT), spécialiste des assurances sociales et de la fiscalité, qui est devenu le conseiller d’Hillary pour les questions d’assurance maladie. Toujours chez les démocrates, trois stars de l’économie publique ont rejoint Barack Obama : David Cutler (Harvard), spécialiste de l’économie de la santé qui a concocté le plan de réforme de l’assurance maladie du candidat, Jeffrey Liebmann (Harvard Kennedy School), spécialiste des questions de retraite et Austan Goolsbee (Chicago), spécialiste de la fiscalité et de la nouvelle économie. Brad DeLong a exprimé son soutien à Obama dans son blog sans déjuger la candidature d’Hillary, suivant ainsi Paul Volcker, l’ancien directeur de la Banque fédérale américaine et célèbre pour avoir impulsé le tournant monétariste de 1980. Du côté républicain, la liste n’est pas moins impressionnante : Kenneth Rogoff (Harvard), star de la Finance internationale, ancien chef économiste du FMI, Harvey Rosen (Princeton), spécialiste d’économie publique, auteur d’un manuel prisé par les jeunes étudiants ou Douglas Holtz-Eakin, ancien directeur du Congressional Budget Office (le centre d’expertise économique du Congrès américain qui donne aux Parlementaires américains l’expertise nécessaire pour contrôler efficacement l’action de l’exécutif), ont rejoint la longue liste des conseillers économiques de John McCain. Greg Mankiw (Harvard), peut-être échaudé par sa (mauvaise) expérience de conseiller économique de George Bush, soutient modérément John McCain (on remarquera au passage qu’économiste keynésien ne rime pas nécessairement avec économiste de gauche ni économiste néoclassique avec économiste de droite…). Son collègue Ed Glaeser, de l'université de Harvard, le fait plus directement.

La participation active des universitaires américains à la campagne présidentielle comme conseillers ou soutiens des candidats n’est donc pas sans faire penser au rôle qu’ont joué les économistes français en avril dernier. Une des grandes différences vient du fait que leur rôle militant est de fait limité par l’auto-contrôle que s’impose la profession : la crédibilité des économistes vient de leur travaux, publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture où une grande attention est mise à séparer l’analyse qui fait consensus des points qui relèvent des choix politiques et donc des préférences personnelles. Un universitaire qui viendrait proclamer sur les plateaux que « la science économique » prouve que telle politique est supérieure ou qu’elle invite à préférer un candidat à un autre se verrait immédiatement remis en place par ses confrères et perdrait une certaine crédibilité. On peut d'ailleurs constater que les prises de position très partisanes d’un Stiglitz ou d’un Krugman leur ont fait perdre, en partie, la crédibilité qu’ils avaient accumulée au sein du milieu académique. C’est peut-être pour cette raison que les engagements partisans des économistes américains se traduisent rarement par des prises de positions militantes et encore moins par une différence dans l’approche ou l’analyse économique elle-même. Jeffrey Liebmann coécrit avec Martin Feldstein le chapitre du Handbook sur les retraites. Feldstein et Cutler partagent le cours d’économie publique à Harvard sans qu’il n’y ait rien à redire. Cela ne les empêche pas d’en tirer des conclusions politiques très différentes, mais la démarche scientifique consistant à établir des faits, à établir des causalités et à réfléchir au fonctionnement sous-jacent n’est pas de l’ordre politique et n’est remise en question par personne. Les universités américaines abritent des économistes qui sont sélectionnés sur leurs travaux de recherche et se trouvent souvent avoir des avis politique assez divergents. Certes, ils sont en moyenne plus démocrates que républicains (mais moins que les autres universitaires), certes le MIT est un peu plus à gauche que Chicago, mais grosso modo, les différences politiques ne créent pas de chapelles scientifiques. La conséquence est que personne ne confond son rôle d’expert (de conseiller) avec son rôle académique.

L’exemple du Royaume-Uni offre peut-être un troisième modèle. Les économistes britanniques, s’ils participent activement au débat public, le font de façon plus collective, par le biais de think-tanks ou de centres de recherche où doit dominer un consensus académique. Le soutien partisan est rare et, s’il existe, de nombreuses précautions sont prises pour éviter de confondre le rôle d’expert (qui doit souligner les zones d’ombre, les incertitudes et les résultats parfois contradictoires) du rôle de conseiller ou de partisan qui fait des choix politiques (et exprime ainsi des préférences personnelles) qui ne sont pas le produit de son expertise. Pour donner un exemple (pas forcément représentatif de tous les économistes britanniques), l’institut où je travaille (Institute for Fiscal Studies) avait organisé une réunion des chercheurs en novembre dernier au moment où les bruits courraient d’une élection anticipée au Royaume-Uni. La première règle à respecter pendant cette période de campagne était de bien dissocier le rôle de chacun au sein de l’institution (rôle d’expertise, non partisan) de ses préférences personnelles (soutien partisan). Les chercheurs de l’institut se sont donc mis d’accord sur un code de conduite pour protéger la crédibilité de l’institution tout en laissant la liberté à chacun de jouer son rôle de citoyen (sans donc citer son titre d’expert ou faire référence à l’institut). Les recommandations portaient aussi bien sur la façon de répondre aux journalistes (ne parler que des faits, éviter de se faire piéger, de critiquer ou louer un parti/candidat, oser dire que l’on ne sait pas…) que sur les précautions à prendre pour éviter qu’un rôle partisan (tout à fait admis à titre personnel) puisse être perçu comme une expression de l’institut.

J’entends déjà ricaner ceux qui pensent qu’il ne peut exister d’analyse économique indépendante, non partisane, et qui pensent que celui qui a bien appris ses cours de sciences sociales sait que tout est politique. L’objet de ce post n’est pas de commencer une controverse sur la nature de la démarche scientifique ou sur le statut de la connaissance, mais simplement de souligner qu’il y a de la part des chercheurs, et en particulier des économistes, un choix à faire dans leur démarche vis-à-vis du public et de la politique. Faire de l’économie publique sans s’intéresser aux conséquences de ses recherches sur les choix des politiques publiques est totalement absurde : il y a donc un impératif très fort (scientifique tout autant que démocratique) à participer au débat public. La question reste néanmoins celle du comment. Est-ce que la distinction entre expertise et choix partisan est hypocrite ? Les économistes français ont-ils eu raison de passer sous silence les critiques qu’ils faisaient en privé au programme de leur candidat favori ? Que penser de l’exemple américain ? Et puis, finalement, n'est-ce pas la qualité du débat politique qui détermine en partie le mode d’intervention des économistes plutôt que l’inverse ? Corrélation n’est pas causalité…
_Antoine_

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lundi 10 décembre 2007

Jean Tirole sur l'autonomie des universités


A lire : cette tribune dans le Monde, signée Jean Tirole. Ici à Ecopublix, on applaudit des deux mains.
_Ecopublix_

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mercredi 4 juillet 2007

Retour vers le futur : Autisme économie revisited


Dans Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, Marx écrivait que « l’histoire se répète toujours deux fois. La première comme une tragédie, la seconde comme une farce ». Ces derniers jours ont vu paraître une pétition de jeunes étudiants en économie, évoquée par Etienne Wasmer (à gauche sur la photo), discutée par Mathieu P. (à droite sur la photo), exaspérant SM et suscitant une belle et longue lettre d'Alexandre Delaigue. Cette pétition reprend les termes d’un débat très vif ayant eu lieu il y a 7 ans, au même endroit, dans les murs de la future Ecole d’Economie de Paris, entre jeunes étudiants et professeurs. C’était une époque, que nos jeunes lecteurs n’ont pas connue, où les auteurs d’Econoclaste bataillaient pour se distinguer des Econoclastes (le blog n’existait pas encore) et enrageaient d’être pris pour ceux là…
Il se trouve que l’auteur de ces lignes avait participé à l’époque à ce « mouvement », baptisé « Autisme-économie », qui dénonçait pêle-mêle l’enseignement abstrait de la science économique, son manque de pluralisme et l’absence de relation à la vie économique réelle. Ce post vous propose un petit retour en arrière sur les causes de cette réaction épidermique des étudiants en économie, les raisons pour lesquelles je me suis détaché de cette contestation et les leçons que j'en tire, pour les étudiants comme pour les professeurs.

I/ Souvenirs, souvenirs....

Nous sommes en l’an 2000 après J.-C. et toute la Gaule se croit occupée par la pensée néoclassique néolibérale. Un petit village d’irréductibles normaliens, troublés par l’enseignement qu’ils reçoivent, décide de faire part publiquement de son scepticisme sur l'enseignement de cette discipline, la science économique. Ils rédigent une pétition, la font publier dans la presse et boum, un débat national est suscité. Les professeurs s’inquiètent, le gouvernement mandate une commission, un rapport est rédigé (voir par exemple le compte-rendu d'E. Wasmer ici)… A l’époque, le jeune provincial que j’étais (que je suis encore d’ailleurs), était fasciné par cette ambiance parisienne : on discute un jour à midi de nos cours, de l’économie telle qu’elle est enseignée, et deux jours plus tard, Le Monde accepte de publier nos réflexions et les hautes sphères de l’Etat de s’en inquiéter. Il y avait pour moi un parfum balzacien de « à nous deux Paris », qui était particulièrement excitant. Ce que nos professeurs de l’époque n’avaient peut-être pas saisi, c’est l’état d’excitation intellectuelle que ce mouvement avait suscité : des réunions, des conférences, des discussions à n’en plus finir sur ce qu’était la science économique, sur ce qu’elle pourrait être, sur ses présupposés, ses méthodes, la manière dont elle était enseignée…

Il ne s’agissait pas cependant uniquement d’un débat intellectuel : c’était également un engagement dans un mouvement à caractère politique, avec toutes les ambiguïtés que cela comporte : des motivations diverses avaient rassemblé un petit groupe d’étudiants autour d’un texte commun, avant que la contestation ne prenne de l’ampleur et que sa nature ne change au point de me mettre complètement en porte-à-faux avec elle. Quelles étaient à l’époque les motivations des participants ?

II/ Les motivations

Parmi les tous premiers signataires de la pétition, je me suis aperçu assez vite que les motivations des uns et des autres étaient très hétérogènes. J'en distinguerais quatre, se recoupant plus ou moins, et dont l’importance respective a varié au cours de l’évolution du mouvement. Pour une vision alternative de la part d’un des membres actifs du mouvement, voir ici.

1/ Une critique de l’enseignement des sciences économiques

C’était la raison profonde de la contestation : nous avions l’impression de ne pas apprendre grand-chose pendant les cours d’économie, qui semblaient à des années-lumière de l’économie réelle. Pendant un cours d’un semestre de macroéconomie, pas une seule référence au PIB, à l’inflation, à la balance commerciale. Une anecdote que je raconte souvent est celle d’un professeur, se retournant au milieu de son cours (par ailleurs brillant) et, l’air visiblement gêné, s’excuse d’interrompre la description de son équation 73-b pour faire une remarque sur l’actualité : « c’est intéressant, la trappe à liquidité, c’est proche de la situation japonaise ! » et d’enchaîner assez vite sur l’équation 73-c pour ne pas tomber dans le vulgaire… la construction du cursus d’économie engendrait aussi un certain scepticisme : micro, macro, micro II, macro II, micro III, macro III (ce qui inspira du reste le titre d’une des feuilles du mouvement : « Micro, Macro, Mes crocs »). L’impression générale était celle d’une construction intellectuelle brillante, mais dont la finalité n’apparaissait pas clairement : pas une seule fois la question du chômage n’était évoquée en cours, pas plus que les marchés financiers, le rôle des administrations, des entreprises, etc. Quel était donc l’objectif de ces enseignements ? La Sorbonne avait-elle de nouveau cédé à ses vieux démons, dénoncés en son temps par Rabelais qui raillait les doctes savants discutant du sexe des anges ?

Cette insatisfaction nourrie par les défauts inhérents à l’enseignement de l’économie à l’université résulte de la conjonction de plusieurs facteurs. Le premier est le privilège donné dans l’enseignement français à la théorie, avec pour corolaire un mépris souverain pour tout ce qui touche aux applications (sous-entendu, de second rang, pas pour les Brahmanes). Cette vision de la science économique conduit à dédaigner toute approche empirique, tout travail sur les données et érige en modèle les mathématiques comme discipline reine vers laquelle l’économie devrait tendre : théorèmes, démonstrations, lemmes, scolies… Le second facteur explicatif est la situation dégradée des universités françaises et le contraste qu’elles offrent avec le milieu des classes préparatoires et des Grandes écoles. La contestation était en partie celle de jeunes normaliens, passés par un système ultra-sélectif et qui se retrouvaient soudain confrontés à l’ampleur de la paupérisation des universités françaises. L’état de démotivation des enseignants, le manque d’incitation à s’investir dans l’enseignement, considéré le plus souvent comme une corvée nécessaire dans la carrière d’un enseignant-chercheur, combinés à l’absence d’évaluation par les étudiants produisaient un enseignement souvent de piètre qualité. Le succès de la pétition s’explique aussi par un troisième facteur : l’écart entre les objectifs que se fixe l’université (former des chercheurs) et les attentes de la majorité des étudiants (obtenir une formation pour trouver un emploi qualifié et bien payé). Les étudiants qui choisissent la filière économie le font souvent parce elle est un gage de sérieux sur un CV, mais très peu sont intéressés par la recherche en tant que telle. Ils subissent pour la plupart sans broncher le cursus économique, avec l’espoir d’atteindre le DESS ou ils pourront enfin apprendre quelque chose de concret. A l’inverse, la majorité des enseignants ne vise qu’à former le 1% des étudiants qui se destinent à la recherche. Les cours de licence sont donc souvent formatés pour cette minorité. D’une façon assez paradoxale, le succès de la pétition parmi les étudiants s'explique pour des raisons diamétralement opposées à celles des signataires issus des Grandes écoles .

2/ Le rôle des mathématiques

L’impression que j’avais à l’époque en signant la pétition, c’était que les mathématiques fonctionnaient avant tout comme un instrument de sélection au sein des cursus universitaires d’économie, mais qu’elles n’étaient pas utilisées comme un outil au service de la compréhension des mécanismes économiques. Bien des fois, j’avais le sentiment que sans avoir RIEN compris à l’économie, je pouvais obtenir une bonne note en dérivant correctement telle fonction ou en inversant telle matrice sans me planter. Néanmoins, d’autres étudiants qui avaient rallié le mouvement se sont mis à défendre l’idée qu’il fallait s’opposer par principe à l’usage des mathématiques en économie et leur préférer la dissertation et l’analyse littéraire. Ce n’était le cas d’aucun des rédacteurs de la pétition d’origine. Ce que nous souhaitions en dénonçant le rôle excessif des mathématiques dans l’enseignement de l’économie, c’était rappeler que l’usage des mathématiques ne dispense pas de comprendre le mécanisme économique que le modèle est censé décrire. Je dois avouer que j’ai mis des années avant de comprendre une grande partie des intuitions que j’aurais aimé qu’on m’explique lors de ces premiers cours. Le mouvement ayant acquis une certaine autonomie, j’ai commencé à ne plus me sentir en phase avec lui lorsque la presse a repris la pétition en la présentant comme une opposition pure et simple à l’usage des mathématiques en économie : dès la publication de cet article dans Le Monde, le message auquel je souscrivais était déjà dévoyé.

3/ Questions épistémologiques

Plus profondément, ce qui nous tracassait dans la façon dont on nous présentait la science économique, c’était l’usage plus ou moins rigoureux de la modélisation, indépendamment du débat portant sur l’usage des mathématiques dans l’enseignement. Ce que nous avions retenu de nos cours, c’était que l’économiste rédigeait des modèles, avec un certain nombre d’hypothèses, et finissait par une conclusion de politique économique. Ce qui nous frappait dans ce type de démarche, c’était son caractère éminemment non scientifique : on change les hypothèses, on obtient d’autres résultats, donc d’autres politiques. Aujourd’hui, alors que je suis plus que jamais conscient de l’intérêt de la modélisation, je reste très critique vis-à-vis d’un certain mésusage de celle-ci : sans test empirique sérieux, sans une compréhension des mécanismes institutionnels, elle manque souvent de pertinence. A l’époque, moins convaincu par la démarche, je me demandais si la science économique n’était pas un simple déguisement destiné à donner du crédit à une idéologie particulière.

4/ Pluralisme et place de l’idéologie

Ce que j’entendais par le dernier paragraphe de la pétition d’origine, c’était justement le refus de se limiter à une seule explication, à un seul modèle : si il y a plusieurs modèles concurrents, alors il faut essayer de comprendre pourquoi ils donnent des conclusions différentes et voir si on peut les confronter, les tester.

Mais pour nombre des participants au mouvement, il s’agissait en fait d’une réaction idéologique : les conclusions de la science économique apparaissaient en France proche de l’idéologie libérale, donc ces étudiants souhaitaient qu’on leur enseigne d’autres idéologies concurrentes. Ce n’était pas mon cas et c’est ce qui m’a finalement poussé à me retirer de cette contestation : ce que je critiquais, c’était justement l’approche idéologique, non scientifique, de l’enseignement. Remplacer une idéologie par une autre n’avait à mes yeux aucun sens.

III/ La dérive idéologique et le choix de la recherche

A partir de là, le mouvement a dérivé vers une contestation idéologique, plus ou moins marquée à l’extrême gauche : si la science économique ne visait qu’à remettre en question les fondements de la lutte anticapitaliste, antilibérale et antifasciste, alors il fallait saper les fondements-mêmes de cette discipline. Très vite, dans les réunions du mouvement, j’ai pu entendre des réflexes sectaires du type « eux et nous » ou « t’es dans quel camp ? ». J’ai fait là mon premier apprentissage du sectarisme d’extrême gauche : « si tu n’es pas d’accord avec moi, t’es un facho ». Il n’était plus question de discuter de méthode, d’épistémologie ou d’enseignement, mais de lutte à mener contre un ennemi puissant, ayant infiltré tous les pouvoirs.

Le Bréviaire des idées reçues en économie, ouvrage publié au Seuil par une partie des étudiants du mouvement, et qui a été un formidable succès de librairie, n’est guère autre chose qu’une succession de petits essais présentant des idées reçues d’un autre type que celles que l’ouvrage prétend dénoncer. Ayant de nombreux amis parmi les auteurs, je ne voudrais pas les blesser, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que l’ouvrage se situe aux antipodes d’une démarche honnête et de qualité. Les principes de base de l’économie ne sont pas critiqués, ils ne sont tout simplement pas compris. Un chapitre qui discute des charges patronales n’a visiblement pas saisi l’incidence fiscale (contrairement aux plus jeunes générations), un chapitre sur les retraites par répartition confond mode de financement, redistribution et caractère public ou privé du système. Ironie de l’histoire, le chapitre sur la protection des salariés et les coûts de licenciement se retrouve remis en cause par les recherches de l’auteur-même de ce chapitre, aujourd’hui maître de conférences à l’Université de Chicago. Les analyses empiriques sont totalement absentes et aucun mécanisme économique n’est mis en avant : il y a beaucoup de préjugés, beaucoup de réponses et fort peu de questions.

Après avoir définitivement quitté l’aventure, j’ai longuement hésité à continuer à faire de l’économie. Ni les uns ni les autres ne m’avaient convaincus et j’ai commencé à regretter de n’avoir pas choisi de m’être orienté plus tôt vers les sciences « dures ». Pour autant, je n’arrivais pas à me convaincre que la voie de l’économie était sans issue. J’ai donc continué le cursus en DEA et là, avec l’aide de professeurs extrêmement stimulants, j’ai commencé à comprendre quelque chose et à percevoir la richesse de la discipline. Le véritable tournant intellectuel n’est pourtant pas venu en France, mais aux Etats-Unis ou j’étais parti pour un séjour d’un an. C’est là-bas que j’ai entrevu ce que pouvaient être des cours de qualité, une démarche scientifique sans a priori, la critique féroce des hypothèses utilisées et un recours systématique à l’analyse empirique. Pour donner une idée aux jeunes générations, jusqu’en DEA, je n’avais jamais utilisé réellement un logiciel d’économétrie ! J’ai eu l’impression d’apprendre en un an davantage qu’au cours des trois années passées précédemment en France.

De retour à Paris pour une thèse, je n’ai eu de cesse de me féliciter d’avoir choisi la voie de la recherche. J’ai tous les jours l’impression de comprendre des choses fondamentales de la vie économique, alors que nombre de mes concitoyens semble passer à côté (y compris des ministres, des journalistes et tout un tas d’experts) et j’ai le sentiment d’avoir acquis des compétences en termes d’analyse quantitative que mes camarades qui ont choisi la voie de la haute administration ne pourront jamais rattraper. Le plaisir de faire un métier utile, honnêtement, où la recherche de la vérité n’est pas tributaire des idéologies des uns et des autres reste pour moi le principe fondamental de mon choix pour le métier de chercheur. Je ne le regrette pas une minute, malgré le caractère peu attractif des perspectives de carrières en France.

IV/ L’économie et son enseignement

Quelles leçons peut-on tirer de ces contestations périodiques de l’enseignement des sciences économiques ? J’en retiens essentiellement trois :
1/ L’université française a besoin d’une réforme profonde qui vise à clarifier sa finalité : recherche ou formation pour des emplois qualifiés. Les professeurs doivent recevoir des incitations à faire des cours de qualité, qui répondent aux attentes de leur public. Ils doivent être évalués. Des moyens supplémentaires doivent être débloqués pour financer un minimum d’équipements indispensables à la production d’un enseignement de qualité : salles informatiques, logiciels économétriques disponibles, site web systématique…
2/ L’économie doit être enseignée comme une discipline appliquée : cela impose plus de travail pour les enseignants mais c’est indispensable.
3/ Un travail de fond doit être entrepris par les économistes pour convaincre que la discipline n’est pas affaire d’idéologie. A ce titre, la démarche d’Ecopublix, qui milite pour le développement d’une culture de l’évaluation des politiques publiques, correspond à une défense de la légitimité de la discipline. A l’inverse, les prises de position militantes de nos aînés pendant la campagne présidentielle me paraissent totalement contre-productives et finalement néfastes pour la crédibilité de la recherche. Selon moi, les économistes n'ont pas à utiliser leur expertise pour leurs propres préférences politiques. La science économique ne dit pas pour qui il faut voter, mais donne des indications sur les politiques publiques à mettre en place pour atteindre tel ou tel objectif. Le role des économistes est d'aider leurs concitoyens à faire un choix informé, pas d'être les nouveaux philosophes-rois. Ils doivent se contenter d’essayer de se mettre d’accord sur des faits et des causalités. En suivant cette voie, je pense qu'ils seront aussi plus écoutés. L’objectif de la politique économique appartient aux citoyens, pas aux scientifiques. Toute entorse à cette position d'honneteté scientifique est susceptible de renforcer ceux qui croient que l'économie n'est qu'idéologie.

Enfin, il serait temps qu’on pense aux effets néfastes du système des Grandes Écoles : on produit de jeunes arrogants de 20 ans qui croient avoir tout compris et passent leur temps à se regarder le nombril. Peu disposés à se remettre en question, peu disposés à douter, au seul motif qu’ils ont ingurgités des connaissances prémâchées en quantité astronomique, ils ont du mal à reconnaître qu’il leur arrive parfois de faire fausse route…
_Antoine_

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lundi 14 mai 2007

Les lauriers de César


Le prix du Meilleur jeune économiste, attribué par le Cercle des économistes, vient d'être décerné cette année à David Thesmar, Professeur associé à HEC et à l'école Polytechnique, qui étudie les comportements des entreprises et particulier leur organisation interne (et dont le livre co-écrit avec Augustin Landier a déjà fait l'objet d'un précédent post par Capitalrix). Les autres nominés cette année étaient Xavier Debrun, Pierre-Olivier Gourinchas et Valérie Mignon.

Et, comme cela a déjà signalé par Econoclaste, rappelons que du côté des Etats-Unis, la médaille John Bates Clark a été attribuée à Susan Athey. Elle est ainsi devenue la première femme a recevoir cette distinction (ce qui n'est pas pour déplaire à Noblabla), attribuée par l'American Economic Association, et qui récompense le (ou la) meilleur(e) économiste de moins de 40 ans. Susan Athey a notamment travaillé sur les mécanismes d'enchères : ses contributions théoriques et empiriques ont par exemple permis de mettre en évidence l'existence de comportements de collusion entre les différentes compagnies lors de ventes aux enchères.
_Ecopublix_
_Ecopublix_

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mercredi 18 avril 2007

Les conseillers de César et Cléopâtre (le retour)


A lire sur le site du Monde, un entretien réalisé avec Philippe Aghion et Olivier Blanchard à propos du programme économique du (de la) candidat(e) qu'ils soutiennent respectivement : Ségolène Royal pour le premier, Nicolas Sarkozy pour le second. Tout en reconnaissant la difficulté de l'exercice, il nous semble que cette interview illustre parfaitement l'incapacité des économistes à se faire entendre au cours de cette campagne présidentielle, parce que l'affichage de leur soutien politique a pour effet de masquer le consensus pourtant réel qu'ils partagent sur les réformes économiques nécessaires (et dont rien ne prouve qu'il soit partagé par leurs poulains respectifs).

Grosso modo, cet entretien révèle que Blanchard et Aghion sont, comme la plupart de leurs collègues, d'accord sur les points suivants :
1/ il faut réformer le marché du travail en introduisant une dose de flexibilité ;
2/ compte tenu du niveau de la dette, il n'est pas opportun de baisser les prélèvements obligatoires ;
3/ il faut maintenir le principe de la redistribution.

Au-delà de ces trois points, il est hautement probable qu'Aghion et Blanchard soient également d'accord pour dire :
1/ qu'il faut introduire davantage de concurrence sur le marché des biens et services (suppression des lois Galland, Royer et Raffarin, en particulier) ;
2/ qu'il faut réformer en profondeur l'enseignement supérieur pour le rendre compétitif sur le plan international.

Au total, l'interview produit un malaise évident : on sent bien que l'un et l'autre sont d'accord sur l'essentiel, mais qu'ils cherchent à tout prix à justifier la cohérence de leurs prises de position respectives, à coup :
  • d'interprétations pour le moins « héroïques » des propositions économiques de leur candidat(e) préféré(e) : où dans le programme de Ségolène est-il écrit qu'elle s'inspirera de la flexicurité danoise ? où dans le programme de Sarkozy est-il écrit qu'il maintiendra le même niveau de redistribution ? Le comble étant atteint lorsque, à la question du journaliste qui lui rappelle que le programme de Sarkozy ne mentionne nulle part l'idée d'une taxe sur les licenciements, Blanchard répond presque candidement : « c'est vrai, mais je sais qu'il n'y est pas hostile ». Et le citoyen lambda ? Est-il censé le savoir également ?
  • d'omissions volontaires sur les aspects positifs des propositions du candidat adverse et, a fortiori, sur les aspects potentiellement « gênants » du programme du candidat soutenu : Aghion ne dit rien sur le contrat unique ; Blanchard est vraiment en position délicate lorsqu'il faut parler du programme fiscal de Sarkozy.
A tout prendre, on aurait préféré qu'Aghion et Blanchard disent vraiment ce qu'ils pensent et interpellent les candidats sur leur propositions de réformes économiques (en matière de retraites, de logement, d'éducation, etc.) pour les inciter à en préciser le contenu, plutôt que de se faire les interprètes plutôt maladroits et peu convaincants de la pensée-Ségolène-Royal et de la pensée-Nicolas-Sarkozy.
_Julien_

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vendredi 13 avril 2007

La propriété, c'est le vote ?


Pour répondre au problème du logement, qui s’est invité cette année de façon particulièrement insistante dans la campagne, les candidats proposent un grand choix de potions. Si certaines formules sont intéressantes, d’autres, comme la déductibilité fiscale des intérêts d’emprunts pour les ménages accédant à la propriété, une des priorités de Nicolas Sarkozy, mais aussi une des propositions de l’UDF, ne constituent certainement pas la recette de la potion magique en matière de logement, bien au contraire.

L’objectif affiché d’une telle mesure est de baisser le coût d’achat d’un logement pour inciter les ménages à accéder à la propriété, comme l’indique clairement le discours du 14 janvier de Nicolas Sarkozy qui propose « que l’on fasse de la France un pays de propriétaires, parce que lorsqu’on a accédé à la propriété on respecte son immeuble, son quartier, son environnement… et donc les autres ». Or, si l’objectif de faire de la Gaule un village de propriétaires est déjà discutable d’un point de vue économique, il a de toutes façons peu de chances d’être atteint avec l’instauration de la déductibilité fiscale des intérêts d’emprunts.

En effet, la mesure risque d’abord d’avoir un impact inflationniste sur les prix immobiliers (comme cela l’a déjà été expliqué ici par Etienne Wasmer). Si la déductibilité des intérêts d’emprunt fait dans un premier temps baisser le coût d’acquisition d’un logement, les ménages devraient logiquement être plus nombreux à vouloir acheter, ou chercher des logements plus grands. Mais si l’offre de logement n’augmente pas beaucoup suite à cette demande supplémentaire, alors la mesure aura surtout pour conséquence une hausse des prix immobiliers, selon le mécanisme expliqué sur le graphique suivant :


Déjà, en 1984, James Poterba soulevait ce problème pour les Etats-Unis, où la déductibilité des intérêts d’emprunt existe depuis longtemps. D’après ses calculs, l’effet inflationniste de ces déductions a pu représenter jusqu’à 30% de la hausse des prix immobiliers aux Etats-Unis dans les années 70 (1). Or, comme on peut supposer que l’offre de logement n’est pas moins réactive aux Etats-Unis qu’en France, la mise en place d’une telle disposition aura très probablement un fort effet inflationniste sur les prix immobiliers gaulois, qui réduira d’autant le montant réel de la subvention pour les accédants (tout en enrichissant les vendeurs…).
Et quand bien même cette mesure permettait effectivement de réduire un peu le coût d’achat d’un logement, il est néanmoins peu probable qu’elle entraîne une forte augmentation de l’accession à la propriété au sein des ménages modestes. En effet, il existe déjà pour ces catégories de ménages des prêts aidés (comme le prêt à l'accession sociale et le prêt à taux zéro), visant à favoriser l’accession à la propriété. De plus, ces prêts sont en partie garantis par l’Etat, pour inciter les banques à accorder des crédits immobiliers sur la base de critères moins restrictifs, et relâcher ainsi les contraintes d’emprunt qui pèsent sur les ménages modestes. Or, l’impact de ces aides sur la décision d’accéder à la propriété semble relativement faible. Une étude de Laurent Gobillon et David Le Blanc sur des données de la fin des années 1990 évalue que, même en négligeant l’effet inflationniste de la mesure, 85% des ménages bénéficiaires d’un prêt à taux zéro seraient tout de même devenus propriétaires sans cette subvention. Ils attribuent ce résultat à l’absence de ciblage précis de ce type de prêts vers les ménages les plus modestes, car 94% des locataires étaient alors éligibles pour un prêt à taux zéro. Dès lors, si l’objectif poursuivi était vraiment de permettre aux ménages modestes d’accéder à la propriété, il faudrait redéfinir des critères d’éligibilité qui ciblent vraiment les foyers à bas revenus, en élargissant le montant des prêts.

Or, ce n’est clairement pas le cas de la proposition de déductibilité fiscale des intérêts d’emprunt. Au pire, en l’absence de plafond, l’effet principal de la mesure sera de remplir de sesterces les poches des ménages aisés, qui auraient de toute façon accédé à la propriété en l'absence de cette mesure. En effet, les ménages les plus riches sont aussi ceux qui accèdent le plus à la propriété et empruntent le plus. Ainsi, d’après une étude sur l’endettement des ménages parue récemment dans Insee Première, 62,5% des ménages ayant un revenu annuel de plus de 50 000 euros avaient un prêt immobilier en 2004, pour un endettement (total) médian de 62 700 euros, alors que c’était le cas de seulement 21,4% des ménages ayant un revenu annuel compris entre 15 000 et 25 000 euros pour un endettement médian de 29 500 euros. De plus, comme les ménages locataires sont aussi les moins aisés, l’effet principal de la mesure serait une redistribution « à l’envers » en direction des ménages les plus aisés.

La déductibilité fiscale des intérêts d’emprunts sera aussi une mesure très coûteuse pour les finances publiques, puisque les ménages s’endetteront probablement plus pour financer l’achat d’un logement plus cher. Les charges d’intérêts payés par les propriétaires s’élevaient déjà à près de 17 milliards d’euros en 2004 d’après les Comptes du Logement, à comparer avec les 14 milliards d’euros distribués en aides personnelles au logement. Même s’il est question d’introduire un plafond de ressources pour limiter les effets d’aubaine, le coût de la subvention risque d’être fortement alourdi par les effets inflationnistes de l’aide, sans permettre aux ménages qui n’ont actuellement pas les moyens d’accéder à la propriété de le faire.

Enfin, on peut s’interroger sur l’idéal d’un village gaulois de propriétaires. Favoriser la propriété peut se justifier si les externalités liées à la propriété sont fortes, c’est-à-dire si la société entière bénéficie d’une augmentation du nombre de propriétaires. Or là encore, les arguments sont loin d’être convaincants. Certes, les propriétaires ont intérêt à entretenir la valeur de leur hutte, et des études sur données américaines et allemandes ont montré que les propriétaires s’occupent plus de leur maison, font du jardinage … ce qui peut bénéficier aux autres habitants du quartier (bien qu’il ne faille pas négliger les effets de la jalousie entre voisins !). Les propriétaires semblent aussi, toutes choses égales par ailleurs, avoir une vie sociale plus active, s’investir plus dans les associations de quartier et voter plus. D’un autre côté, la propriété peut entraîner des externalités négatives pour la société, car les propriétaires risquent de s’opposer à toute initiative publique (comme la construction d’Habitations Latines Mélangées par exemple) qui risque de diminuer la valeur de leur bien. L’existence d’un lien entre propriété et chômage a aussi été évoquée (et déjà développée ici), car les coûts de mobilité élevés des propriétaires peuvent avoir des effets négatifs sur l’emploi. Veut-on vraiment favoriser l'accession à la propriété des ménages modestes dans les zones industrielles sinistrées, au risque de les pénaliser fortement en cas de chômage, car un déménagement dans une autre région serait très couteux ? Finalement, rien ne permet de dire que les effets positifs de la propriété l’emportent sur les effets négatifs pour la société. Pour les candidats, c’est peut-être différent : en effet, les études ont montré qu’aux Etats-Unis, non seulement les propriétaires votent plus, mais qu’ils votent aussi plus républicain… La propriété, c’est le vote ?

(1) James Poterba « Tax Subsidy to Owner-Occupied Housing: An Asset Market Approach », Quaterly Journal of Economics, 1984.
_Gabrielle_

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jeudi 12 avril 2007

Les conseillers de César (et de Cléopâtre)


Les trois candidats en tête ont choisi chacun une personalité pour défendre leur programme économique. Christian Blanc pour Nicolas Sarkozy, Thomas Piketty pour Ségolène Royal et Christian Saint-Etienne pour Francois Bayrou. Voici le débat relaté par Les Echos. Le débat est plutôt décevant, avec des juxtapositions et peu d'arguments contradictoires. Il est difficile de savoir ce que les lecteurs auront retenu de ces interviews: l'offre contre la demande, le court terme versus le long terme ? Notre conseil pour la prochaine fois : une bonne rasade de potion avant l'entrée dans l'arène !
_Antoine_

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