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dimanche 1 juin 2008

Décryptage du RSA (1/3) : présentation des enjeux


Même s’il a un peu quitté l’actualité ces dernier temps, le Revenu de Solidarité Active (RSA) revient en force et sera sans nul doute un des animateurs de notre été politique. Ecopublix se propose donc de faire le point, en plusieurs étapes, sur les fondements de ce dispositif et sur ses conséquences potentielles. Ce premier post est consacré à la présentation du RSA, aux raisons qui ont motivé sa création et aux difficultés de sa mise en place. D’autres post suivront qui discuteront plus en détails les orientations à prendre ou à éviter.

Le livre vert sur le RSA présentait au début de l’année les buts et les moyens de ce nouvel outil. Les objectifs sont au nombre de trois : éviter le « retour au travail non rémunérateur », lutter contre la « pauvreté au travail » et diminuer la « complexité du système d’aides ». Il existe en effet en France un foisonnement d’aides et d’allocations qui visent à aider les ménages aux revenus les plus modestes. Seuls les individus disposant de très faibles revenus peuvent en bénéficier. Dès lors, si un individu retrouve un emploi, il perd son allocation : le gain financier du retour à l’emploi est donc très faible. L’objectif premier du RSA est ainsi d’unifier le système de solidarité avec les dispositifs d’incitation au travail, en particulier la Prime pour l’emploi (PPE) et le Revenu minimal d’insertion (RMI). Au départ, de nombreuses autres prestations devaient intégrer le RSA, comme l’AAH (allocation adulte handicapé) ou l’API (allocation parent isolé).

Parmi les questions soulevées par un tel dispositif, il en est trois qui méritent une discussion approfondie : comment concevoir une politique d’aide qui incite au retour à l’emploi ? Quelles prestations peut-on réellement intégrer dans le futur RSA ? Quel organisme de l’Etat doit gérer cette allocation ?

I/ L’incitation au retour à l’emploi

Lorsqu’ils s’intéressent aux incitations financières au travail, les économistes considèrent souvent le salaire marginal net, c’est-à-dire le supplément de revenu net qui est engendré par une faible augmentation de la quantité de travail (sur la notion de taux marginal, on se reportera à ce précédent post de Manix). Dans cette perspective, on s’intéresse essentiellement au calcul économique qui pousse un individu à travailler une heure de plus ou de moins, mais pas au choix plus général entre travailler et ne pas travailler. La rémunération d’une heure de travail supplémentaire est alors d’autant plus importante que le salaire est élevé, et d’autant plus faible que les taux d’imposition sont élevés ou que cette heure fait perdre d’autres types de prestations. Prenons un exemple simple : si vous décidez de travailler une heure de plus et que cette heure vous permet d’augmenter votre salaire de un euro, de combien augmente votre revenu disponible ? Si vous êtes taxé sur cette heure en plus ou que vous perdez des avantages monétaires, alors votre revenu augmentera de moins d’un euro. Supposons qu’il n’augmente que de x euros, alors on dira que le taux marginal de taxation est égal à t=1-x. Plus ce taux marginal est élevé, moins on est incité à fournir une unité de travail supplémentaire.

De quelle manière le système socio-fiscal français influence-t-il la décision de travailler un peu plus ou un peu moins ? Ce système étant extraordinairement complexe, il est difficile de connaître avec précision les taux marginaux effectifs qui s’appliquent aux individus. On sait cependant que la superposition de très nombreux dispositifs particuliers à pour effet de créer pour les revenus les plus faibles des taux marginaux de taxation très élevés, parfois proches de 100%. Autrement dit, certains individus n’ont aucune incitation à travailler une heure de plus, dans la mesure où ce qu’ils gagneraient d’un côté, ils le perdraient immédiatement de l’autre.

Pour comprendre les mécanismes en jeu, le plus simple est de ne considérer que les revenus salariaux, l’impôt sur le revenu (IR), la prime pour l’emploi (PPE) et le RMI (revenu minimum d’insertion). Le graphique suivant indique le profil des taux marginaux auquel fait face un célibataire sans enfant :


Même si l’on peut douter de l’influence cruciale de la taxation marginale – le choix, surtout pour les faibles salaires, se résumant plutôt à celui de travailler ou pas, plutôt que de travailler un peu plus ou un peu moins – il est difficile de ne pas remarquer que pour les revenus les plus faibles, la taxation est proche de 100 %. Il s’agit de toute la phase où l’on perd le bénéfice du RMI, qui prend la forme d’une allocation différentielle (consistant en un complément de rémunération qui couvre la différence entre la rémunération perçue et le montant du RMI). Si des dispositifs d’intéressement ont déjà été prévus pour permettre aux anciens RMIstes de cumuler leur RMI et leur salaire pendant le début de leur reprise d’emploi, il ne s’agit que d’un cumul temporaire : ainsi, à long terme, reprendre par exemple un emploi au Smic à quart temps ne rapporte rien du tout et à mi-temps rapporte moins de 115 euros par mois. On appelle « trappe à inactivité » ce type de taxation très élevée pour les bas revenus, qui a pour effet de les éloigner durablement de l’emploi

À mesure qu’on progresse dans l’échelle des revenus, la « bosse » des taux marginaux de taxation à 100% disparaît et laisse place à une plage de revenus bénéficiant de taux marginaux négatifs. Ce phénomène est lié à la montée en puissance de la Prime pour l’emploi, qui est un impôt négatif dont bénéficient les salariés qui occupent un travail à faible salaire. Lorsqu’on est situé dans cette tranche, l’accroissement de revenu engendré par l’augmentation de ses heures travaillés n’est pas taxé, mais subventionné : si je gagne un euro de plus en travaillant une heure de plus, je ramènerai chez moi non pas un euro, mais quelque chose comme un euros et cinq centimes, grâce au complément de revenu que me verse l’État.

Mais attention ! Dès qu’on atteint un Smic environ, c’est le retour de bâton, car on perd progressivement le bénéfice de la PPE, ce qui se traduit par un taux marginal de taxation de plus de 38 %. Ensuite, l’évolution des taux marginaux est déterminée uniquement par l’impôt sur le revenu progressif : jusqu'à 1,9 Smic, on est taxé au taux marginal de 12,6 %, puis 27 % au-delà.

Dans ces conditions, le principe initialement fixé par le RSA pour améliorer les incitations au travail était à l’origine relativement simple et clair, comme le montre le décret d’expérimentation du RSA. Le taux marginal d’imposition des revenus du travail ne devait pas être de plus de 30 %. Il en résulte, comme le montre la figure suivante, un lissage de la courbe de revenu disponible à partir de son ordonnée à l’origine, avec une pente toujours au moins égale à 0,7.


Grâce à ce dispositif, on aurait donc un profil beaucoup plus simple, avec un taux marginal de 30 % jusqu’à environ 1,6 Smic pour un célibataire sans enfant, puis les taux habituels de l’impôt sur le revenu : 12,6 % puis 27 %, etc.

À la lecture de ce graphique, on comprend également que l’augmentation du pouvoir d’achat individus à bas revenu n’a rien d’un « repas gratuit ». L’aire coloriée en bleu foncé, qui représente le montant de RSA qu’il faudra débourser en plus par rapport à la situation actuelle indique que cette mesure sera très coûteuse pour les finances publiques. Ce n’est qu’au prix de cette dépense supplémentaire que l’on pourra augmenter substantiellement le revenu disponible de tous les célibataires qui ont une rémunération salariale inférieure à 1,9 Smic, soit une grande proportion des célibataires français.

À ce stade de l’analyse, le RSA semble donc pouvoir atteindre effectivement deux de ses objectifs : réduire la pauvreté des travailleurs à bas salaire (si l’on fait abstraction des pressions à la baisse que cela pourrait créer sur les salaires juste en dessous du Smic, sujet qui sera développé dans un post à venir) et favoriser

II/ Qui sont les perdants ?

Le système se complexifie pourtant lorsqu’on s’intéresse non pas au célibataires, mais aux familles. Le montant du RSA dépend en effet de la situation familiale (comme le RMI) alors que certaines prestations que le RSA est supposé remplacer n’en dépendent pas. Cela créera immanquablement des perdants. Qui sont-ils ?

Les principaux perdants du RSA sont à chercher parmi les couples dont les deux membres sont actifs. Dans le système actuel, pour que l’un des deux membres puisse toucher la PPE, il faut que les revenus du foyer soit inférieur à deux Smic s’ils n’ont pas d’enfant, plus un tiers de Smic en plus pour chacun des deux premiers enfants et deux tiers de Smic supplémentaire par enfant à partir du troisième (ce qui porte le plafond pour un couple avec 3 enfants à 3,3 Smic environ). Ainsi, un individu au Smic, membre d’un couple ayant quatre enfants, a aujourd’hui droit à la PPE tant que son partenaire touchera moins de trois fois le Smic. Mais dans le nouveau système, cet individu ne bénéficiera pas du RSA. Il fera donc partie des perdants de la réforme du RSA.

Ce phénomène n’était pas considéré comme un problème dans les premiers temps de l’élaboration du RSA, et le livre vert sur le RSA rappelait même que la PPE n’atteint pas ses objectifs parce qu’elle est trop dispersée et bénéficie à des foyers qui ne sont pas vraiment dans le besoin. Cependant, pour des raisons en partie électorales, il semble que le gouvernement ait été contraint de faire marche arrière sur ce point, puisqu’il semble que la principale préoccupation des concepteurs du RSA consiste aujourd’hui à minimiser le nombre de perdants engendrés par le nouveau système, quitte à dénaturer le principe même du RSA. En effet, en raisonnant à budget constant, une limitation des perdants au RSA entraîne mécaniquement une limitation des gagnants du RSA, tout en transformant une idée initialement simple en effroyable usine à gaz. Le barème définitif n’est pas encore connu : il ne faut donc pas préjuger des intentions du gouvernement, mais l’arbitrage entre le coût de la mesure, son effet sur la pauvreté et les incitations au travail est inéluctable.

La question du ciblage du RSA est bien plus qu’un enjeu électoral. Car comme il en avait déjà été question dans un précédent post sur les heures supplémentaires, et comme il en sera question plus en détails dans un prochain post, l’imposition des couples pose certaines questions, notamment en ce qui concerne l’incitation au travail des femmes. Le système français d’imposition commune des couples génère bien souvent des taux marginaux très élevés pour les femmes en couple, ce qui les incite à ne pas participer au marché du travail (cf. ce document de travail). Or de nombreuses études récentes (dont ce document de travail d’Alesina et al., que nous avons déjà eu l’occasion de discuter ici) militent plutôt pour une réduction des taux marginaux d’imposition pour les femmes. Ainsi, priver de PPE les femmes qui font partie de ménages relativement aisés, même si cela ne constitue pas un recul social, pourrait avoir des conséquences néfastes sur leur participation au marché du travail.

III/ Fusionner les allocations et les services administratifs ?

Après la question de l’incitation au travail et des difficultés soulevées par le choix des prestations à intégrer dans le RSA, je termine ce petit tour d’horizon par la question de la gestion administrative du RSA, qui est loin d’être anecdotique. Comment les allocations seront-elles fusionnées et qui les gérera ? L’un des objectifs du RSA est en effet de simplifier le système social français. Mais celui-ci est tellement complexe qu’on parle déjà de ne pas exclure certaines allocations du RSA et de les maintenir à côté comme dans le système actuel. Et quand bien même le RSA n’intègrerait que la PPE et au RMI, la question reste posée de l’organisme qui aura la charge de le gérer. Car il faut savoir que dans le système actuel, ce sont les services fiscaux centraux qui gèrent la PPE et les départements qui gèrent le RMI, en vertu de la loi de décentralisation de 2004. Vu à quel point la décentralisation de la gestion du RMI a été un parcours du combattant, on voit mal le gouvernement décider de le ramener du jour au lendemain dans le giron de l’Etat.

Mais la formule inverse, qui consisterait en une décentralisation de la PPE (incluse dans le RSA) a aussi ses inconvénients. Tout d’abord, la PPE représente aujourd’hui plus de 4,5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter le milliard et demi supplémentaire promis par le président. Cela fait une somme très importante à décentraliser, et nécessiterait d’important transferts de ressources vers les départements. De plus, et même si cela peut paraître futile, un autre phénomène pourrait jouer également contre cette solution : décentraliser la PPE, qui est aujourd’hui une dépense fiscale, reviendrait à la transformer en dépense budgétaire. Même si cela ne change rien dans le fond, cela rajouterait dans les rapports plus de 4 milliards d’euros de dépenses et plus de 4,5 milliards d’euros de recettes fiscales. C'est-à-dire que gloablement, le taux de prélèvement obligatoire affiché par la France augmenterait mécaniquement d’environ 0,3 %, ce qui n’est pas négligeable étant donné les obligations européennes qui pèsent sur les finances publiques françaises.

Encore une fois, ne préjugeons pas de la solution qui sera finalement adoptée. Mais si le dispositif retenu est une allocation officiellement unique mais en fait gérée conjointement par les services fiscaux centraux, les départements (et pourquoi pas les Assedics ou les caisses d’allocations familiales), avec des formules compliqués pour savoir qui paie quelle partie de l’allocation, il n’est pas sûr que le système social français y gagne en transparence et en simplicité…
_Clement_

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mardi 4 décembre 2007

Qui comprend Hartz (2/3) ?


Il y a quelques semaines de cela, nous avions entrepris d’éclairer ce en quoi que les fameuses réformes Hartz mises en place en Allemagne entre 2003 et 2005 avaient véritablement consisté. Nous avions rappelé qu’elles s’étaient entre autres accompagnées d’un programme complet d’évaluation empirique, dont le coût était prévu dès la mise en place de la réforme et avions souligné que nous autres Gaulois devrions nous inspirer de telles pratiques, histoire de savoir à quoi nous dépensons nos deniers publix.

L’évaluation des réformes Hartz montre à quel point même avec la volonté politique, l’évaluation, et le fait d’en tirer les conséquences qui s’imposent n’est pas une tâche aisée.

Lorsqu’on demande à un économiste qui s’intéresse à l’Allemagne (là par exemple) ce qu’il pense de la guérison rapide de l’économie allemande au cours des trois à cinq dernières années, il répondra inlassablement quelque chose du style « les réformes structurelles, au premier rang desquelles celles entreprises depuis 2003 sur le marché du travail, ont joué un rôle majeur dans la baisse du chômage et le retour de la croissance ». Qu’en est-il exactement ?

En l’état actuel de nos connaissances, la seule chose qu'on puisse affirmer avec quelque certitude est que « certaines des mesures instituées dans le cadre des réformes Hartz ont sans doute contribué à une baisse accélérée du chômage alors que le contexte économique était favorable pour toute une série de raisons relativement indépendantes des réformes Hartz, et que cette baisse du chômage a pu en retour soutenir la croissance ». Toute proposition plus affirmative serait téméraire, et ce car l’évaluation des politiques publiques est malheureusement une activité nécessairement lente et partielle.

Lente car au temps de la mise en place de la réforme ou du nouveau dispositif s’ajoute celui de la collecte des données, et même si les chercheurs travaillent jour et nuit une fois les données disponibles, les premiers résultats raisonnablement robustes sur l’évaluation d’un dispositif peuvent n’arriver que plusieurs années après la réforme. Partielle car on peut rarement répondre à une question du type « les réformes ont-elles conduit au retour de la croissance ?»

I/ Aider les chômeurs à créer leur entreprise : l'exemple du dispositif Ich-AG

L’exemple du dispositif « Société anonyme à moi tout seul » (Ich-AG), mis en place dans le cadre de la loi Hartz II est à cet égard édifiant et vaut à mon avis la peine d’être détaillé tant il illustre certains problèmes auxquels l’évaluation, même bien faite, peut se heurter. Nous brosserons dans un prochain post un panorama plus complet des résultats de l’évaluation des autres mesures.

Lorsqu'il fut mis en place, le dispositif Ich-AG n'était pas tout à fait inédit : les aides à la création d’entreprise pour les chômeurs existaient depuis 1986 en République fédérale d’Allemagne. Mais ces aides ont été considérablement accrues, selon deux dispositifs distincts :
1/ le premier constituait une nouveauté : l’aide à la création d’entreprise individuelle (Existenzgründungszuschüsse dits « Ich AG ») introduite par la loi Hartz II et entrées en vigueur début 2003.
2/ l’autre qui existait déjà auparavant : l’allocation de transition (Überbrückungsgeld qui a été réformée depuis début 2004 dans le cadre de la loi Hartz III).

Les principes des deux dispositifs étaient les suivants :
  • l’allocation de transition devait permettre à des chômeurs de continuer à recevoir leurs allocations pendant une durée de 6 mois s’ils s’établissaient en tant qu’entreprise individuelle, et ce quel que soit le revenu perçu grâce à leur nouvelles activité ;
  • l’aide à la création d’entreprise individuelle visait quant à elle à autoriser les chômeurs qui décideraient de fonder leur entreprise de recevoir pendant trois ans une allocation dégressive (de 600€/mois la première année à 240€/mois la dernière) ;
Le choix pour un chômeur entre les deux systèmes dépend du dernier revenu perçu avant l’épisode de chômage, des perspectives de revenu de l’entreprise individuelle ainsi que de la durée de chômage anticipée. En gros un chômeur certain de son affaire et ayant touché des revenus élevés avant son épisode de chômage optera pour la première solution, alors qu’un chômeur prévoyant des débuts difficiles et n’ayant de toutes les manières pas de fortes allocations chômage préfèrera la deuxième solution.

II/ Les difficultés de l'évaluation

En quoi a consisté l’évaluation des ces nouvelles mesures ? Les chercheurs qui ont été recrutés à cette fin par le ministère allemand de l’emploi ont tenté de répondre à la question suivante : ceux qui ont bénéficié de cette mesure ont-ils vu leur probabilité de rester au chômage diminuer et si oui, de combien ?

Cette question est relativement ardue, pour au moins deux raisons :

1/ la première est que ces mesures ont eu tendance à faire augmenter initialement le taux de chômage des individus qui ont bénéficié, puisqu'il s'agissait par définition de chômeurs tout occupés à la fondation de leur entreprise, et par conséquent peu occupés à rechercher un emploi. Comparer naïvement le taux de retour à l’emploi des participants à celui des non participants conduirait ainsi de façon indue à considérer la mesure comme inefficace voir nuisible : il faut donc du recul pour s’abstraire de cet « enfermement » des chômeurs dans la mesure qu’on leur propose, et qui est destinée à les faire sortir plus vite du chômage ensuite (ce phénomène est encore plus évident avec les formations). Il faut donc attendre que le dispositif ait terminé de fonctionner pour pouvoir en mesurer l’effet réel sur les chances de sortie du chômage des bénéficiaires. Mais Ich-AG était prévue pour durer trois années ! Il faut donc s’armer de patience… ce qui n’est pas forcément aisé pour un homme politique qui attend qu’on lui dise avant les élections si l’argent qu’il a dépensé a été utilisé efficacement ou non…

2/ La deuxième raison pour laquelle l’évaluation est ardue, même lorsqu’on peut observer des individus qui ne sont plus touchés par l’aide, est que les bénéficiaires de cette aide ne sont pas comparables à ceux qui n’y ont pas eu recours (en fait et parfoit même en droit). On pourrait penser par exemple que ce sont en moyenne les chômeurs les plus débrouillards qui ont décisé de postuler pour l’aide à la création d’entreprise. Si tel est le cas, peut-on déduire de l'observation que ces individus sont moins souvent au chômage que leurs congénères après quelques années que l’aide a joué son rôle ? A priori non, parce que même en l'absence de cette mesure, il est probable que ces chômeurs plus débrouillards aient de toute manière retrouvé un emploi salarié plus facilement que les autres… Ce problème dit de « sélection endogène » des participants nécessite d’avoir recours à des techniques d’estimation plus sophistiquées que la simple comparaison brutale de deux groupes. Ces techniques sophistiquées sont gourmandes en données détaillées et donc en enquêtes coûteuses et qui prennent du temps.

III/ Des résultats plutôt encourageants

Finalement, que disent les études qui ont cherché à évaluer le dispositif Ich-AG (voir les papiers ici et là) ?

Pour l’allocation de transition, qui n’est payée que durant 6 mois, elles concluent que la probabilité d’être en emploi est, « grâce à l’allocation » de 32% plus élevée 10 mois après la fin du soutien, et entre 8% (Ouest) et 13% (Est) plus élevée 42 mois après la fin du soutien.

Pour l’aide à la création d’entreprise individuelle, l’évaluation est moins aisée dans la mesure où le recul ne permettait pas d’observer d’individus qui avaient bénéficié mais ne profitaient plus de l’aide. Les probabilités de ne plus être au chômage sont, en fonction de l’âge et de la zone géographique, entre 30 et 50% plus élevées 16 mois après le début de la mesure (alors que le soutien n’est plus de que 360€ mensuels). Les auteurs en concluaient, en l’attente de résultats plus robustes avec plus de recul temporel, que la mesure avait sans doute elle aussi eu un effet positif et significatif.

Ces résultats appellent deux remarques :

1/ D’une part on voit à quel point pour produire des connaissances précises et solides, il faut limiter les ambitions des conclusions : les chercheurs n’évaluent pas l’effet de la Ich-AG sur le PIB ou sur l’emploi dans cinq ans, mais seulement sur la probabilité pour un chômeur de retrouver un emploi, dans un contexte macroéconomique donné. Il n’est pas évident que mise en place ailleurs, à une autre époque, ces dispositifs fonctionneraient aussi bien. Toutefois, si la communauté des économistes n’a pas découvert le saint Graal avec Ich-AG, elle est sortie enrichie de cette évaluation : désormais, on sait que ce type de dispositif peut vraiment marcher dans un contexte comme celui de l’Allemagne des années 2000 et pas seulement parce qu’un bel esprit a écrit un modèle théorique cohérent où ça marche (ce qui est utile, mais pas suffisant pour justifier de dépenser les précieux deniers publics).

2/ D’autre part, il se trouve que les deux dispositifs, dont la différenciation semblait être une qualité puisque chacun s’adressait (efficacement visiblement) à un profil de chômeurs différent, ont été fusionnés par le ministère du Travail avant même qu'on ait le recul suffisant pour terminer l’évaluation ! Vouloir évaluer c’est bien, mais encore faut-il en tirer les conséquences qui s’imposent, au premier rang desquelles la nécessité d'une dose de patience et d'un soupçon de modestie.

Les Goths sont en avance sur les Gaulois, mais il semble bien qu’il leur reste aussi du chemin à faire...
_Fabien_

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vendredi 23 novembre 2007

Des grèves partout, sauf dans les statistiques ?


En cette période de grèves, un certain nombre d'articles de journaux, de blogs et même d'émissions télévisées ont tenté de remettre en perspective les journées que nous vivons en comparant le nombre de journées non travaillées en France à la fois dans le temps et dans l'espace. Et là, quelle surprise ! D'une part, les conflits du travail seraient moins nombreux en France qu'ailleurs en Europe et d'autre part, les Français auraient de moins en moins recours à la grève. Nous autres Gaulois serions moins grévistes que nos voisins et de plus en plus gagnés par la « zen attitude » ? Ça par exemple ! ça vaut bien une rasade de potion magique !

Hélas, cher lecteur ! Nous avons le regret de t'annoncer que ce paradoxe est un peu trop beau pour être vrai et qu'une petite plongée dans le monde merveilleux des statistiques des conflits du travail te convaincra aisément de son inanité...

Bien qu'initialement séduits par les attaques lancées contre le « mythe d'une France gréviste », nous avons rapidement été intrigués par certaines incohérences contenues dans l'article de François Doutriaux : ce dernier nous explique qu'il y avait environ 1,2 million de journées non travaillées en 2005 pour l'ensemble des salariés français (année très pauvre en grèves par ailleurs) ce qui, en divisant ce chiffre par la population salariée (environ 22 millions d'individus) nous donne un chiffre de 0,05 journée « grevée » par salarié et par an ; or quelques lignes plus loin, le même soutient qu'en France, le nombre de journées grevées par salarié par an ne dépasse pas... 0,03, soit un chiffre bien inférieur à la moyenne européenne (qui se situe autour de 0,04). Pour en avoir le coeur net, nous nous sommes livrés pour vous à une petite généalogie des statistiques utilisées. Autant le dire tout de suite : vous ne serez pas déçus du voyage !

CHAPITRE I : Où l'on découvre que tout le monde puise à la même source

Les chiffres cités par les blogs et les journaux renvoient tous à une seule et même source : cet article de Ian Eschstruth intitulé « La France, pays des grèves ? » et publié sur le site d'Acrimed (on notera au passage que l'intro de l'article de François Doutriaux en reprend l'incipit presque mot pour mot...), cette contribution étant elle-même la synthèse d'un mémoire devoir de M1 de sociologie rédigé par Eschstruth, disponible ici et publié là.

Le papier n'exploite pas directement de bases de données sur les grèves mais cite des travaux de recherche qui eux-mêmes renvoient à d'autres études statistiques : les sources de Erschtrut sont donc des sources secondaires et non pas des sources primaires. En allant consulter les articles cités, nous avons finalement pu mettre la main sur la seule et unique source primaire des chiffres donnés sur la France, à savoir les statistiques portant sur les conflits du travail produites par la Dares, le service d'études statistique du ministère du Travail. La généalogie des sources utilisées dans les articles sur lesquels s'appuie le travail de Ian Eschstruth est résumée dans le tableau suivant :


CHAPITRE II : Où l'on s'aperçoit qu'en se limitant à cette source très lacunaire, on risque de prendre des vessies pour des lanternes

Si nous vous disions que les chiffres utilisés dans les études précitées ne comprennent que les journées de grèves (très imparfaitement) comptabilisées par les inspecteurs du travail (dont ce n'est pas le métier), qu'ils ne prennent en compte ni les grèves dans la fonction publique (sic), ni dans le secteur agricole, ni à France Telecom, vous nous traiteriez sans doute d'aimables plaisantins ! Vous auriez tort, car la réalité est pire encore : c'est un peu comme si on cherchait à quantifier les échanges commerciaux dans le monde en oubliant d'inclure la Chine et les pays de l'OCDE...

Le tableau qui suit indique la manière dont est calculée la statistique qui fait tant parler d'elle en ce moment : 37 journées individuelles non travaillées (JINT) (1) en moyenne pour 1000 salariés en France au cours de la période 1998-2004, ce qui nous placerait par ordre décroissant de conflictualité en 11e position parmi les pays de l'Union européenne, loin derrière le Danemark ou l'Espagne (respectivement 218 et 166 JINT pour 1000 salariés). Cocorico !


Le lecteur familier des chiffres de l'emploi aura constaté avec effroi que le nombre total de journées de grèves est ici divisé par 15 millions de salariés alors que le nombre total de salariés en France est de 22 millions. Où sont donc passés les 7 millions de salariés qui manquent ? Et surtout, qui sont-ils ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est l'intégralité du secteur public hors transports qui est passée aux oubliettes, alors qu'on on a de sérieuses raisons de penser que le recours à la grève y est plus fréquent que dans le reste de l'économie (on y reviendra plus loin). Le chiffre utilisé par Eschstruth et consorts ne couvre donc que le secteur privé, ce qui est un comble lorsqu'on sait que les jours de grèves comptabilisés dans les pays avec laquelle la France est comparée incluent tous le secteur public, à l'exception du Portugal et de la Slovénie (voir ici pour plus de détails). Cette remarque s'applique à l'ensemble certains des graphiques présentés dans son article (en particulier celui qu'utilise Doutriaux). En statistique, on appelle cela un biais de sélection.

Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Car il faut savoir que les données collectées par la Dares ne couvrent que la moitié environ du nombre réel de jours de grèves dans le secteur privé. Les économistes du ministère du Travail reconnaissent eux-mêmes que la nature administrative des données utilisées est responsable de cette forte sous-estimation, de la même manière que les chiffres du chômage fournis par l'Unedic sous-estiment systématiquement le nombre réel de chômeurs (au sens du BIT).

Consciente de ce problème, la Dares a récemment cherché à comparer les données administratives dont elle dispose avec les chiffres d'une enquête statistique beaucoup plus fiable : l'enquête REPONSE, qui porte sur les relations professionnelles dans les entreprises de plus de 20 salariés. Ce travail, réalisé par Delphine Brochard au mois de novembre 2003, montre que l'ampleur de la sous-évaluation des conflits du travail est considérable : en effet, sur près de 1000 établissements déclarés comme « conflictuels » (c’est-à-dire comme ayant connu au moins un arrêt de travail dans l'année) par le représentant de la direction interrogé dans le cadre de l’enquête REPONSE réalisée en 1994, 84% n’ont fait l’objet d’aucune fiche de début et de fin de conflit au cours de la période considérée. Pour la seule année 1992, le nombre de journées non travaillées estimé par l’enquête est égal à plus du double de celui livré par les chiffres officiels (1160295 contre 490500). La conclusion de l'étude est sans appel : « ce résultat permet de conclure que le nombre des arrêts de travail pour fait de grève est très largement minoré par les statistiques officielles et conséquemment l’indicateur principal que nourrit le dispositif administratif, à savoir le nombre de journées individuelles non travaillées ».

CHAPITRE III : Où l'on s'efforce de construire des données plus fiables

A partir de là, il n'y a guère d'autre option que de mettre les mains dans le cambouis statistique afin d'essayer d'y voir plus clair et de quantifier de la manière la moins imprécise possible le nombre annuel de jours non travaillés en France et son évolution dans le temps. Pour cela, nous avons mobilisé deux séries de sources statistiques :

1/ Bien qu'incomplètes (comme on l'a expliqué plus haut), les données collectées par le ministère du Travail permettent de reconstituer l'évolution du nombre de grèves dans le secteur privé et dans les entreprises nationalisées (hormis la Poste et France Télécom), sur l'ensemble de la période 1982-2005. Les statistiques sur les conflits du travail au niveau national et régional sont publiées chaque mois dans le Bulletin Mensuel de Statistiques du Travail édité par la Dares et dont nous avons consulté les exemplaires parus depuis le milieu des années 1980. Ces recueils statistiques distinguent les « conflits localisés », résultant de mots d’ordre propres à l’entreprise ou à l’établissement et les « conflits généralisés » qui peuvent affecter plusieurs établissements au niveau national, régional ou local, dans un ou plusieurs secteurs d’activités. Cette dernière catégorie, qui n'a jamais concerné qu'un nombre assez limité de conflits, a presque totalement disparu depuis la fin des années 1990. Il est à noter que les conflits à la SNCF, à la RATP, à Air France ou chez Renault sont inclus dans les statistiques du ministère du Travail, avec un trou en 1996 (les grèves à la RATP et à Air France n'ayant pas été comptabilisées cette année-là, pour une raison qui demeure obscure).

2/ Les statistiques sur les grèves dans la fonction publique d'Etat sont quant à elles publiées depuis 1982 par la Direction Générale de l'Administration et de la Fonction publique (DGAFP). Ces données comportent deux séries de lacunes : la première est l'absence d'informations concernant la fonction publique territoriale et hospitalière, qui représente la moitié environ des effectifs de la fonction publique ; la seconde lacune concerne les grèves des personnels de France Telecom et de la Poste : à l'occasion du changement de statut qui a affecté ces deux entreprises publiques au milieu des années 1990, les grèves de leurs personnels ont cessé d'être comptabilisées depuis 1996 pour France Telecom et entre 1996 et 1997 pour la Poste.

Muni de ces donnés, et en gardant à l'esprit les diverses lacunes que nous avons mentionnées, on peut tenter de répondre aux deux questions qui agitent en ce moment la presse et la blogosphère gauloises : 1/ Y a-t-il plutôt moins de grèves en France qu'ailleurs ? 2/ Y a-t-il de moins en moins de grèves en France ?

CHAPITRE IV : Où l'on tente de répondre à quelques questions

1/ Y a-t-il plutôt moins de grèves en France qu'ailleurs ?

On se souvient que dans la comparaison effectuée par Ian Eschstruth du nombre de journées individuelles non travaillées pour 1000 salariés en Europe au cours de la période 1998-2004, les données sur la France ne couvraient que le secteur privé alors que les grèves dans le secteur public étaient comptabilisées pour la quasi totalité des autres pays.

Que se passe-t-il si l'on ajoute aux chiffres du secteur les grèves dans la fonction publique d'Etat ? La réponse est donnée dans le graphique suivant, qui rectifie le nombre de JINT pour 1000 salariés de la France et exclut les pays dont les grèves du secteur public ne sont pas comptabilisées (Portugal et Slovénie) :


Par Toutatis ! Cette simple correction suffit à faire remonter notre pays de la 11e à la 3e position dans l'échelle des conflits du travail : avec 99 JINT en moyenne pour 1000 salariés au cours de la période 1998-2004, la France est classée troisième, derrière l'Espagne et juste au-dessus de l'Italie. Et encore, ce chiffre reste fortement sous-évalué puisque, outre la non comptabilisation des grèves à France Telecom et dans la fonction publique territoriale et hospitalière, la sous-estimation structurelle du nombre de jours de grèves dans les données administratives n'est pas prise en compte. En supposant que la moitié des grèves dans le privé ne sont pas comptabilisées dans les statistiques du ministère du Travail et en ignorant les autres sources de biais, le nombre de JINT pour 1000 salariés en France serait alors de l'ordre de 137 (2).

Quelle est la portée de ce résultat ? Certains feront observer à juste titre qu'en l'absence de données standardisées à l'échelle européenne sur les conflits du travail, la validité de ce genre de comparaisons est très contestable. Au minimum, l'hétérogénéité des définitions et l'inégale qualité des sources statistiques nationales mobilisables sur le sujet devrait inciter à la plus extrême prudence en la matière. Et ils auront raison ! Le petit exercice auquel nous venons de nous livrer ne visait pas tant à déterminer avec précision la place occupée par la France dans l'échelle de la conflictualité au travail, qu'à montrer que l'utilisation de ce genre de comparaisons internationales à l'appui de la thèse selon laquelle il y aurait plutôt moins de grèves en France qu'ailleurs est pour le moins douteuse.

Si les données ne nous permettent pas de dire grand chose sur la manière dont le nombre de grèves varie dans l'espace, elles apportent néanmoins des éléments de réponse intéressants à la question de l'évolution du nombre de journées non travaillées au cours des 20 dernières années.

2/ Y a-t-il de moins en moins de grèves en France ?

En utilisant les données que nous avons collectées sur le nombre de grèves dans le secteur privé et dans la fonction publique d'Etat, on peut retracer l'évolution du nombre total de journées individuelles non travaillées en France entre 1984 et 2005 :


Plusieurs enseignements peuvent être tirés de la lecture de ce graphique :
1/ D'abord, on constate que l'évolution du nombre total de JINT est très irrégulière et se caractérise par la présence de pics très marqués en 1989 (grève générale du ministère des Finances), en 1995 (contre les réformes Juppé) et en 2003 (contre la loi Fillon). On notera que ces pics sont beaucoup plus marqués que sur les séries longues téléchargeables sur le site de la Dares et que tout le monde utilise sans remarquer qu'elles sont inexploitables en l'état : en effet, ces séries longues n'intègrent ni les grèves dans la fonction publique d'Etat, ni les conflits généralisés (qui sont pourtant responsables d'une partie importante du pic de 1995) ; surtout, elles ne comptabilisent pas les grèves dans les transports à partir de 1996.
2/ On remarque ensuite que la fonction publique d'Etat compte pour une part très importante du total du nombre de journées individuelles non travaillées (50% en moyenne sur l'ensemble de la période). En oubliant de l'inclure dans les calculs, on se condamne à une mauvaise interprétation des évolutions d'ensemble des conflits du travail.
3/ Enfin, le principal enseignement de ce graphique est que contrairement à ce qu'affirment certains, on ne constate aucune baisse tendancielle du nombre de journées de grève en France au cours des 20 dernières années. A tout prendre, la courbe a plutôt un profil en « U » qu'un profil décroissant.

Certes, que le nombre de journées de grève n'ait pas diminué n'implique pas nécessairement qu'il en soit de même pour le taux de grève (c'est à dire le nombre total de journées de grèves rapportées au nombre de salariés), la seule statistique qui nous intéresse vraiment. En effet, dans la mesure où le nombre de salariés a augmenté en France entre 1982 et 2005, le nombre de journées de grève pour 1000 salariés peut très bien avoir diminué même si le nombre absolu de journées non travaillées est resté stable. En utilisant les données sur l'évolution du nombre de salariés dans les transports, le secteur privé et la fonction publique d'Etat (3), nous avons reconstitué l'évolution du nombre de journées individuelles non travaillées pour 1000 salariés de 1982 à 2005 :


Ce graphique permet de constater qu'en dépit de l'accroissement du nombre de salariés entre 1982 et 2005, le taux de grève n'a pas spécialement décru pendant la même période.

Cette relative stabilité du taux de grève masque-t-elle des évolutions divergentes dans le secteur des transports, dans le secteur privé (hors transports) et dans la fonction publique d'Etat ? Pour répondre à cette question, nous avons calculé l'évolution du nombre de journées individuelles non travaillées dans ces trois secteurs entre 1984 et 2005.

Dans la fonction publique :



Dans le secteur privé hors transports :



Dans les transports :


Ce qui frappe d'abord à la lecture de ces graphiques, c'est l'importance de l'écart entre le taux de grève dans la fonction publique et le taux de grève dans le privé : de 1984 à 2005, on compte en moyenne 385 journées individuelles non travaillées pour 1000 salariés dans la fonction publique d'Etat, contre seulement 54 dans le secteur privé, ce qui signifie que le recours à la grève est 7 fois plus important chez les fonctionnaires que chez les salariés du privé au cours de cette période ! Le recours à la grève dans les transports n'est quant à lui que 2,6 fois plus important que dans le secteur privé.

Enfin, ces graphiques indiquent que la relative stabilité du taux global de grève est le résultat de deux dynamiques opposées : une augmentation tendancielle du taux de grève dans les transports et la fonction publique d'Etat, contrebalancée par une légère diminution du taux de grève dans le secteur privé hors transports. Ainsi, s'il est inexact de dire qu'on fait de moins en moins grève en France, il semble bien qu'on fasse de moins en moins grève dans le secteur privé. L'interprétation d'une telle évolution n'est toutefois pas aisée : nous y reviendrons dans un prochain post.

Bon, il est tard et les métros sont bondés. Il y a des jours où on se prend à rêver que les statistiques ne soient pas le seul endroit où les grèves disparaissent d'un coup de baguette magique...

Add. : Ian Eschstruth nous a écrit pour nous signaler la publication d'un rectificatif sur le site d'Acrimed.


NOTES

(1) Les Journées individuelles non travaillées (JINT) correspondent à l'ensemble du temps de travail non effectué par les salariés impliqués dans des grèves. Exprimé en jours, cet indicateur est établi à partir du recensement des arrêts de travail effectué par l'Inspection du travail.
(2) Pour corriger les chiffres de la faible couverture des statistiques collectées par les inspecteurs du travail, nous avons utilisé les estimations réalisées par Delphine Brochard de la manière suivante : chaque année, nous avons multiplié par deux le nombre de jours non travaillés dans le privé et les transports tels que mesurés par l’Inspection du Travail et les services du Ministère de l’Equipement.
(3) Pour calculer les taux de grève d’une catégorie donnée de salariés, nous avons divisé le nombre de journées « grevées » au sein de cette catégorie par les effectifs de cette même catégorie. Un exemple : en 2005, dans le secteur de la fonction publique d’Etat y compris la Poste, on a compté 1337036 journées individuelles non travaillées ; les effectifs de la fonction publique d’Etat et de la Poste étaient alors de 2 780 000 salariés, si bien le taux de grève pour cette catégorie est de 481 journées individuelles non travaillées (JINT) pour 1000 salariés. Pour obtenir les effectifs de ces catégories, nous nous sommes servi des séries longues du site de l’INSEE sur l’emploi salarié ainsi que de cet article de Philippe Raynaud.
_Julien_ _Laurent_

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lundi 22 octobre 2007

Qui connait Hartz ? (1/3)


Depuis quelques mois, la Gaule a redécouvert l’existence de ses voisins germains. Alexandre d’Econoclaste avait lancé la discussion a propos des commentaires de Munchau dans le Financial Times et les économistes gaulois restent divisés sur l’opportunité de réformer le marché du travail. Pendant ce temps, les Goths accumulent les sesterces depuis que leurs chars de luxe se vendent comme des petits pains aux quatre coins de l’Empire. Certains bardes à Lutèce prétendent que la réorganisation du travail chez les Goths est à l’origine de leur récent essor, d’autres au contraire y voient une politique de Barbares que la Gaule civilisée devrait éviter a tout prix, qu’en est-il exactement?

Les réformes du marché du travail en Allemagne surnommées Hartz, du nom de leur promoteur, ont donné lieu à quatre lois mises en œuvre entre 2003 et 2005, qui rassemblent une dizaine de mesures différentes (voir ici pour un bon papier récapitulatif en anglais). Stricto-sensu, les réformes Hartz ne concernent que les « services sur le marché du travail » i.e. toutes les mesures d’aide au retour à l’emploi. La limitation en 2004 de la durée des allocations à 12 mois (18 pour les plus de 55 ans à partir de 2006) ne fait par exemple pas partie de ces lois, mais relève de la même philosophie. En effet, les lois Hartz ne constituent qu'un aspect de l' « Agenda 2010 », nom de la stratégie mise en place par le gouvernement rouge-vert pour redresser l'économie allemande. Il est intéressant au passage de noter que le nom de la stratégie indiquait dès le départ le fait que ses promoteurs étaient lucides sur le fait que de telles réformes ne portent leurs fruits qu'à moyen terme (ses détracteurs prétendent avec humour que 2010 est la date de péremption du concept…). L' « Agenda 2010 » comprenait notamment la plus grande réforme fiscale réalisée en Allemagne depuis la guerre, ce qui n'a pas facilité la tâche des évaluateurs. Les réformes Hartz sont adossées à la philosophie du « fördern und fordern » (littéralement, encourager et exiger, approche connue en anglais sous le nom welfare to work). L'idée était d' « activer » les bénéficiaires de prestations sociales : de les aider à retrouver un emploi sans les conforter dans leur éloignement du marché du travail. Ces politiques s’opposent aux politiques de l’emploi dites passives (compensation des chômeurs, préretraites, partage du temps de travail) qui ont dominé en Europe pendant les décennies 70 et 80.

Les réformes ont constitué principalement à réorganiser de fond en comble les méthodes d'accueil, de placement et de contrôle des chômeurs, suivant l'idée que les chômeurs, en échange d'un contrôle plus strict, seraient mieux aiguillés, se verraient proposer des formations mieux adaptées et retrouveraient finalement plus rapidement un emploi. Parallèlement à cette réorganisation profonde des ANPE allemandes, un certain nombre de mesures nouvelles ont été introduites, notamment l'Ich-AG (littéralement « société anonyme à moi tout seul »), subvention à la création d'entreprise par les chômeurs.

Ces réformes du marché du travail ont constitué la substance des lois Hartz I à III. Il est à noter que les contrats de travail (notamment la période d’essai) et le système de financement de la protection sociale (le coin socialo-fiscal) n’ont pas été massivement modifiés par ces lois, qui ont finalement remodelé le monde du chômage plus que celui du travail. Une exception importante cependant : les conditions de recours au travail intérimaire ont été largement assouplies. La dernière étape (Hartz IV) de la réforme a, quant à elle, engagé une refonte des minima sociaux en Allemagne. Elle consisté à fusionner le RMI allemand de l'époque (Sozialhilfe) et l'allocation chômage de solidarité (Arbeitslosenhilfe) que les chômeurs de longue durée recevaient après avoir épuisé leurs droits dans le régime assuranciel : cette mesure visait à rassembler en une unique catégorie toutes les personnes éloignées durablement du marché du travail (« second » voir « troisième » marché du travail).

Cette dernière réforme, décidée en 2004 et mise en place début 2005 a conduit à de nombreuses manifestations à l'Est, à une désorganisation massive des ANPE début 2005, à une augmentation vertigineuse des chômeurs inscrits à l'hiver 2005 (et pour cause il fallait s'inscrire au chômage pour bénéficier de la nouvelle allocation unique) et à une dérive brutale des comptes publics, la réforme ayant coûté plus de 10 milliards d'euros de plus que prévu. Finalement, le SPD de Schröder perdit les élections régionales de Rhénanie au printemps (la Rhénanie, dont le PIB est comparable à celui de la Hollande, est le premier Land allemand et un bastion traditionnel du parti social démocrate), ce qui précipita la chute du gouvernement rouge-vert. Au total les lois Hartz se caractérisent, même avant évaluation, par un certain nombre de traits qui méritent d’être médités quand on voit ce que nous avons l’habitude de faire en France : les réformes Hartz ont constitué une étape décisive dans la modernisation des politiques publiques en Allemagne : vision globale, simplification, évaluation :
  • il s’agit d’un véritable train de mesures, qui s’appuie sur un diagnostic simple (le problème du chômage est un problème d’offre de travail) et met en œuvre une série de mesure cohérentes avec ce diagnostic, dans un champ très large puisque finalement même les minima sociaux sont touchés (ils constituent en effet, qui plus est dans un pays sans salaire minimum, un paramètre important sur le segment des bas salaires, qui est évidemment le segment cible des réformes);

  • l’ensemble des mesures ont pour objectif annexe une simplification de l’ensemble des dispositifs et une réduction des coûts ;

  • l’évaluation de la réforme est prévue ex ante (sinon le design, du moins le financement).
Au total, l’approche qui a sous-tendu la conception et la mise en œuvre des réformes Hartz devrait nous inspirer. Nous verrons dans le prochain post qu’elles se sont avérées pour partie inefficaces voire nuisibles, pour partie réussies ; nous verrons aussi que pour certains dispositifs, il est trop tôt pour véritablement porter un jugement. Mais elles ont inauguré une nouvelle manière d’envisager les politiques publiques de l’emploi en Allemagne, que les hommes politiques et le grand public, via une presse de qualité, se sont appropriée et constituent, à ce titre, un progrès indéniable.
_Fabien_

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vendredi 21 septembre 2007

Tous des fainéants ?


La semaine dernière, une controverse s’est emparée du village d’ordinaire paisible des Gaulois d’Ecopublix. En réaction à un post qu’Olivier Bouba-Olga a consacré à la question de l’effet des allocations chômage sur l’emploi, il nous avait paru nécessaire de nuancer un peu les conclusions de l’étude empirique citée par notre collègue blogueur : celle-ci tendait à discréditer l’argument selon lequel la générosité des allocations chômage était en partie responsable du niveau de chômage élevé rencontré dans certains pays de l’OCDE, à commencer par le nôtre. Un grand banquet ayant permis d’apaiser les esprits et de faire converger les points de vue, le temps est venu pour nous de revenir sur quelques-uns des problèmes posés par l’assurance chômage.

En Gaule, il est devenu quasiment impossible de discuter de l’avenir des dispositifs d’indemnisation du chômage sans susciter cris d'orfraie et prises de positions tranchées : à un extrême, on trouve les croisés de l’antifraude qui réclament à grands cris l’organisation d’une grande battue nationale pour débusquer les faux chômeurs ; à l’autre extrême, les défenseurs autoproclamés des droits des chômeurs qui ne voient de salut que dans l’abrogation des mesures de contrôle de la recherche d'emploi et le versement à tous les chômeurs d’un revenu inconditionnel égal au Smic. À l’image du débat sur le salaire minimum, les réactions épidermiques qui accompagnent les propositions de réforme de l’assurance chômage laissent le champ libre aux idéologues de tout poil, trop heureux de confisquer le débat en jetant l’anathème sur quiconque ose émettre une opinion divergente. Et ne venez pas leur parler de statistiques et d’études empiriques ! Ils vous les jetteront à la figure en vous rappelant, au cas où vous l’auriez oublié, qu’ « on peut tout faire dire aux chiffres »…

Force est pourtant de reconnaître que les chiffres sont têtus et qu’ils cadrent mal avec la réalité tantôt apocalyptique, tantôt angélique, que décrivent les principaux acteurs du débat sur l’assurance chômage : les cas de fraude avérée aux Assédic (on se souvient de la fameuse escroquerie aux « kits Assédic ») restent ultra-minoritaires et d’un coût limité pour les finances publiques ; quant à penser qu’on atteindra le plein emploi en abolissant le contrôle des chômeurs et en rendant les allocations chômage encore plus généreuses, c’est oublier un peu vite que les chômeurs, comme tous les autres acteurs économiques, répondent aux incitations.

Imaginons un instant qu’on décide de sortir de ce schéma binaire et qu’on accepte d’examiner froidement et sans parti pris idéologique les enjeux soulevés par l’assurance-chômage. Quels enseignements peut-on tirer de l’analyse théorique et des études empiriques consacrées à ce sujet ?

On peut commencer par se demander ce qui justifie l’intervention publique en matière d’indemnisation du chômage. Cette indemnisation répond à une fonction d’assurance contre l’amputation de revenu qui résulte de la perte d'emploi, afin de permettre aux individus de lisser leur consommation tout au long du cycle de vie, où alternent périodes d’emploi et de chômage. Cette fonction d’assurance aurait pu être prise en charge par le marché si le risque de chômage ne présentait pas un certain nombre de caractéristiques qui limitent l’efficacité des mécanismes d’assurance privée : d’une part, le risque de chômage se prête mal à un calcul statistique et prévisible à long terme, dans la mesure où il est intimement lié à une conjoncture macroéconomique très incertaine ; d’autre part, la couverture privée du risque de chômage engendrerait immanquablement des phénomènes de sélection adverse qui obligerait les assureurs à exiger des primes de risque très élevées de la part individus présentant les « moins bons » risques (en l'occurrence les individus les moins qualifiés), voire à les exclure purement et simplement de la couverture, ce qui irait à l’encontre de l'objectif d’équité et de redistribution entre classes de risques qu'on fixe à la protection sociale.

Si les particularités du risque de chômage expliquent que tous les pays développés aient opté pour l’intervention publique en matière d’assurance chômage, les modalités de cette intervention varient beaucoup d’un pays à l’autre. En France, le système de protection contre le risque de chômage, créé en 1958, combine deux régimes : le régime d’assurance chômage d’une part, financé par les cotisations salariales et patronales, géré par l’Unedic et mis en œuvre par les Assédic qui versent les allocations ; le régime de solidarité d’autre part, financé par le budget de l’Etat, qui prend le relais du régime d’assurance pour les chômeurs qui ont épuisé leurs droits.

Le hic, c’est qu’il existe de bonnes raisons de penser que la fonction d’assurance contre le risque de chômage entre en conflit avec le second objectif poursuivi par le système d’indemnisation du chômage : inciter les chômeurs à retrouver un emploi le plus rapidement possible. Ce phénomène est un exemple classique d’aléa moral. En effet, sous la triple hypothèse que le montant des allocations influence l’effort de recherche d’emploi, qu’un effort de recherche accru augmente la probabilité de retrouver un emploi et que cet effort est difficilement observable, une indemnisation plus généreuse du chômage aura tendance à retarder le retour en emploi, poussant mécaniquement le taux de chômage à la hausse. Cette prédiction est celle de la plupart des modèles dits de « search » : une allocation plus généreuse diminue l’attractivité relative de la situation d’emploi par rapport à la situation de chômage, ce qui augmente le salaire minimum qu’un chômeur est prêt à accepter pour reprendre un emploi et par conséquent allonge la durée au cours de laquelle il va rester au chômage.

L’idée selon laquelle la générosité des allocations chômage tendrait à ralentir le retour en emploi des chômeurs repose donc sur des arguments théoriques solides. Mais étrangement, les études empiriques réalisées sur données individuelles ne sont parvenues au mieux qu’à mettre en évidence un effet relativement modeste du montant des allocations sur les flux de retour en emploi.

Comment expliquer ce paradoxe ? Une analyse théorique plus attentive révèle qu'en réalité, l’impact des allocations chômage sur les flux de retour vers l’emploi est sans doute ambigu. Une caractéristique institutionnelle des allocations chômage longtemps négligée par les économistes est qu’elles ne sont versées que pour une durée limitée. Or cet aspect a priori anodin modifie substantiellement l’analyse, comme le montrèrent les économistes Dale Mortensen et Kenneth Burdett à la fin des années 1970 : dans ce cas en effet, une indemnisation du chômage plus généreuse tend certes à augmenter l’utilité associée au chômage, mais contribue également à accroître l’utilité de la reprise d’un emploi, dans la mesure où cet emploi donnera droit plus tard à des allocations plus généreuses en cas de licenciement. Le bénéfice qu’un individu retire de la reprise d’un emploi ne se limite donc pas au salaire associé à cet emploi, mais comprend également l’éligibilité aux allocations chômage. En amputant l’utilité associée à un emploi de cette seconde composante, la réduction des allocations chômage diminue les incitations à reprendre un emploi. Ce phénomène, baptisé entitlement effect (effet d’éligibilité) vient contrebalancer l’effet « désincitatif » traditionnellement attribué aux allocations chômage. Lequel de ces deux effets domine l’autre dépend du temps qui sépare un chômeur de l’extinction de ses indemnités. Pour comprendre cet argument, comparons la situation d’un salarié qui vient de perdre son emploi à celle d’un chômeur en fin de droits. Comment une diminution des allocations chômage modifiera-t-elle les comportements de ces deux individus ? Dans le cas du salarié récemment licencié, elle va réduire le flux de revenu associé à l’état de chômeur et le pousser à accroître son effort pour retrouver un emploi, cet effet dominant la réduction de l’attractivité d’un emploi futur (liée à la diminution des allocations auquel cet emploi donnera droit en cas de licenciement) ; dans le cas du chômeur en fin de droits, la situation est tout à fait différente : n’étant plus éligible pour les allocations, la réduction du flux de revenu associé au chômage ne modifiera pas son utilité présente, mais diminuera son incitation à reprendre un emploi (car celui-ci donnera droit à des allocations moins généreuses en cas de licenciement). L’existence de cet « effet d’éligibilité » est un des éléments permettant de comprendre pourquoi le taux de retour en emploi ne paraît pas empiriquement très sensible au montant (ou à la durée) des allocations chômage.

Il ne faudrait pas conclure hâtivement de ce qui précède que les allocations chômage constituent un levier d’action inefficace dans la lutte contre le chômage. L’analyse économique montre en effet que l’organisation concrète des dispositifs d’indemnisation du chômage est susceptible d’accélérer la reprise d’un emploi. Un certain nombre de réformes pourraient même permettre d’améliorer l’efficacité d’assurance chômage tout en le rendant plus équitable.

Le principal enseignement qu’on peut tirer des études empiriques réalisées en France et à l’étranger est que les systèmes d’assurance chômage les plus efficaces sont ceux qui savent adapter la structure des incitations à l’hétérogénéité de la population des chômeurs : incitations financières fortes, contrôle et sanctions pour les plus qualifiés, « profilage » et accompagnement et pour les moins qualifiés.

Commençons par nous intéresser au cas des chômeurs les plus qualifiés (les cadres en particulier). En ce qui les concerne, le système français d’indemnisation du chômage paraît franchement inadapté : les allocations chômage auxquelles ils peuvent prétendre leur procurent un revenu compris entre 60 et 70% de leur salaire antérieur et sont versées pendant une durée comprise entre 7 et 23 mois. Or un certain nombre d’indices tendent à montrer que ce système ralentit sensiblement le retour en emploi de ces chômeurs. Une comparaison rapide avec les systèmes d’assurance chômage en vigueur chez nos voisins européens montre que l’indemnisation du chômage est en France particulièrement généreuse à l’égard des salariés les plus qualifiés, parce que le montant mensuel maximum de l’allocation y est le plus élevé parmi les pays européens. Le graphique suivant indique le pafond de l'allocation chômage mensuelle dans 12 pays européens au 1er juillet 2007 (source) :


On constate que la France occupe la première place avec un montant maximal égal à 5467 euros, loin devant des pays comme le Danemark (1985 euros), l’Italie (985 euros) ou encore la Grande-Bretagne (386 euros).

Dans ces conditions, quoi de plus normal pour un chômeur qualifié que de retarder le moment où il va reprendre un emploi ? La générosité des allocations dont il bénéficie, couplée à la relative facilité avec laquelle il peut retrouver un emploi, explique que nombre d’entre eux attendent d’avoir épuisé leurs droits pour reprendre un emploi. Ce phénomène est particulièrement accentué pour les chômeurs dont le dernier salaire est supérieur à 2000 euros par mois, comme on peut le constater sur le graphique suivant, extrait d’un article de Brigitte Dormont, Denis Fougère et Ana Prieto. Ce graphique indique pour la période 1986-1992 l’évolution taux de reprise d’emploi pour différentes tranches de salaires en fonction de la durée d’indemnisation du chômage :


De manière particulièrement frappante, il apparaît que le taux de retour à l'emploi des individus à hauts salaires de référence croît de manière spectaculaire juste avant le 14e mois d’indemnisation, date qui correspondait à cette époque à la chute de l'indemnisation et au passage en allocation de fin de droits. Autrement dit, un grand nombre de chômeurs qualifiés attendent jusqu’au dernier moment avant de reprendre un emploi alors qu’ils auraient pu le faire plus tôt.

Une telle situation apparaît à la fois inefficace et inéquitable : elle prolonge inutilement l’indemnisation de certains chômeurs et coûte très cher à l’assurance chômage. Dans le rapport qu'il consacra à l'aide au retour à l'emploi, le Cerc indiquait qu'une réduction du plafond maximal de l'allocation à 1500 euros (c'est-à-dire pratiquement comme en Allemagne) concernerait 14,6% des allocataires et entraînerait un gain pour l'Unedic de 2,75 milliards d'euros par an. Or une telle somme pourrait permettre d'améliorer considérablement l'accompagnement des chômeurs les moins qualifiés, ceux-là mêmes qui éprouvent de réelles difficultés à retrouver un emploi. De nombreuses études empiriques montrent que le suivi personnalisé des chômeurs constitue une méthode efficace pour favoriser leur réinsertion durable sur le marché du travail, à condition d'aller de pair avec un système de contrôle assorti de sanctions. Les systèmes suisse et britannique ont de ce point de vue fait l’objet d’évaluations positives : les sorties de chômage sont d’autant plus élevées que la crédibilité des sanctions est forte.

En matière de réforme de l’assurance chômage, il semblerait donc que l’avenir soit aux solutions différenciées : plafonnement du montant des allocations chômage, dégressivité importante, définition précise d’un emploi convenable et sanctions immédiates (suspension des allocations pour une période déterminée) en cas de refus injustifié pour les chômeurs qualifiés, mise en place d’un accompagnement personnalisé (autrement plus ambitieux que ce qui en tient lieu aujourd'hui) combinant bilan de compétences et aides à la recherche d’emploi pour les chômeurs les moins qualifiés, pour lesquels les sanctions et réductions d’allocations ne sont que d’une efficacité limitée. Inutile de dire qu’une telle réforme n’a aucune chance d’aboutir tant que l’Unedic (qui verse les allocations chômage) et l’ANPE (qui contrôle la recherche d’emploi) continueront à fonctionner comme deux entités séparées.

Quant à savoir si on pourra convaincre un jour ceux qui défendent bec et ongles l’assurance chômage à la française qu’un système qui taxe les pauvres pour financer les vacances des traders n’est pas forcément le plus juste qui soit, c’est une autre paire de manches.

Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.
_Julien_

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lundi 10 septembre 2007

Traductor traditor ?


Dans son dernier post, Olivier Bouba-Olga revient sur le débat autour de l'effet des allocations-chômage sur l'emploi, en relayant une critique récente des travaux empiriques consacrés à cette question. La critique peut se résumer en une phrase : ce n'est pas parce que les allocations-chômage sont importantes qu'il y a du chômage, c'est parce qu'il y a du chômage qu'elles sont importantes. A Ecopublix, nous avons trouvé cette présentation un peu rapide et partielle. C'est pourquoi il nous a paru utile d'effectuer un petit retour aux sources.

Le reproche que l’on peut adresser à Olivier Bouba-Olga est de n’avoir pas fait la traduction complète de la discussion que l’on trouve sur le post de Dani Rodrik. Celle-ci présente l’article au cœur de ce débat et un commentaire critique du prix Nobel d'économie James Heckman. Derrière ce débat, il y a pratiquement une cinquantaine d’articles de qualité qui ont été consacrés ces dernières années à cette question. La fin du post se termine par une phrase qui laisse à penser que la recherche la plus récente met en évidence une causalité inverse, ce qui est tout à fait faux à la lecture de l’article et de sa critique.

Ce qui nous a également gêné dans le post d’OBO est la traduction de l’expression « the OECD, the IMF and the conventional view among many academics » par « L’OCDE, le FMI, en France le Medef… ». N’est-ce pas disqualifier un peu facilement les analyses consacrées aux rigidités du marché du travail ? Ne peut-on parler de la manière dont fonctionne l’assurance chômage sans passer nécessairement pour un vilain-économiste-ultralibéral-agent-du-grand-capital ? La phrase de Heckman, citée par Rodrik, qui devrait figurer dans un post francophone est celle-ci: "This is not as much about dogmatism or conspiracy as it is about good science".

Le fond du débat – sur lequel Ecopublix reviendra plus tard – est le suivant : théoriquement, on a des raisons de penser que l'incitation des chômeurs à retrouver un emploi dépend négativement du niveau des allocations-chômage mais, en même temps, il existe des pays (Danemark, Pays-Bas, Suède) où une forte indemnisation du chômage va de pair avec un taux de chômage faible. Confrontées à ce paradoxe, les études empiriques ont contribué à faire évoluer le débat en montrant que ce qui compte n'est tant sur le niveau des allocations-chômage que la manière dont elles sont organisées (profil d'indemnisation, accompagnement des chômeurs, contrôle et sanctions…). Bref, tout cela est plus compliqué qu’il n’y paraît, mais n'enlève rien au talent de blogueur d'OBO !
_Ecopublix_

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vendredi 11 mai 2007

Que faire pour baisser le chômage en Gaule ?


La question du chômage n’a pas été au premier plan de l’élection du chef gaulois, mais les lecteurs de ce blog sont susceptibles de vouloir en savoir un peu plus sur ce que pensent les zeconomix sur ce sujet. Ce billet a pour ambition de faire le tour des positions des économistes gaulois sur la question. Car le fait est qu'ils ne sont pas d’accord ni sur le diagnostic, ni sur les solutions, ni même sur leur mise en pratique. Il vaut donc la peine de faire un rapide survol des différentes visions du marché du travail français. Mille excuses d’avance si je mélange des chercheurs reconnus avec d’autres qui ne participent pas vraiment à la démarche scientifique d’évaluation par leurs pairs. L’important est de pouvoir faire un tour d’horizon de tous ceux qui influencent le débat public français. Ce post vise à confronter ces différentes analyses (ce qui est encore trop rare dans la blogosphère gallo-romaine : la plupart des blogs/sites ayant tendance à mettre en avant l’explication qu’ils trouvent la plus plausible) pour faire émerger les points de consensus et les raisons qui expliquent les divergences.

Grosso modo, on peut distinguer quatre grands courants d'analyse du chômage parmi les économistes français : un courant d’origine marxiste en perte de vitesse, mais longtemps dominant, un courant néo-keynésien bien établi, un courant favorisant le partage du travail et un ensemble que l’on qualifiera d’académique, au sens où il est représenté par des universitaires qui publient dans des revues internationales. Ce dernier groupe est lui-même traversé par des visions assez différentes sur les causes majeures du chômage en Europe. A ces quatre grands « courants », il faut rajouter un autre, plutôt minoritaire, dans la mesure où il conteste l’existence-même d’un problème de chômage dans notre pays.

1/ La contestation du problème du chômage : il existe un courant (très minoritaire) qui conteste l’existence d’un problème de chômage en France, ou au moins l’existence d’un problème spécifiquement Français du chômage. Un exemple peut être trouvé sur ce site ou dans certaines publications d’Attac. Le message est en substance celui-ci : tous les pays du monde ont du chômage et les pays qui en ont moins officiellement (US, UK, Pays-Bas et Pays Scandinaves) masquent leur vrai taux de chômage avec un taux d’emprisonnement élevé, du travail à temps partiel surdimensionné, ou des systèmes d’indemnisation de l'invalidité très généreux. Au final, le message est plutôt qu’il n’y a pas vraiment de problème d’emploi en France et que parler du problème du chômage constitue avant tout un moyen d'opprimer les salariés et de revenirs sur un certains nombre d'acquis sociaux.

2/ L’analyse néo-marxiste : c’est la vision défendue par de nombreux membres de la Fondation Copernic et certains chercheurs à l’IRES, à commencer par le plus prolixe d’entre eux : Michel Husson. D'après cette cette vision, l’économie n'est rien d'autre que le combat fondamental entre deux forces antagonistes - les salariés d'un côté et les patrons de l'autre - autour du partage de la valeur ajoutée. C'est en se mobilisant et en parvenant à faire pression par la grève sur les patrons oppresseurs que les salariés peuvent espérer obtenir un partage plus favorable et donc obtenir davantage d’emploi et de meilleurs salaires. Dans cette perspective, la faiblesse des syndicats, la puissance de la finance, l’Union européenne sont autant d'entraves à ces revendications. Pour changer le partage de la valeur ajoutée, il faut taxer les patrons, augmenter les charges patronales, augmenter l’impôt sur les sociétés, voire interdire les licenciements. Les syndicats français, en grande partie, se réclament ouvertement de cette tendance et perçoivent leur objectif prioritaire comme la "lutte" contre les patrons-employeurs.

3/ La vision macroéconomique néo-keynésienne : ce courant, probablement dominant dans la gauche française et représenté institutionnellement par l’OFCE (Jean-Paul Fitoussi, Henri Sterdyniak) défend l’idée que le chômage est avant tout un problème macroéconomique : il n’y a pas assez de croissance en Europe, et en France en particulier. L'une des causes essentielles de cette « croissance molle » est à chercher du côté de la politique la BCE et des sacrifices consentis au cours du processus qui a conduit à l’unification monétaire européenne (politique monétaire trop stricte, restrictions imposées au déficit public). Ce courant considère les réformes sur le marché du travail comme totalement inefficaces, ou négligeables par rapport aux leviers traditionnels de la politique économique : les politiques monétaire et budgétaire. D'après cette vision, le salut pourrait provenir d’une modification des statuts de la BCE (une antienne abondamment reprise par Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy lors de discours récents), qui autoriserait une politique monétaire plus laxiste et de plus grandes marges de manoeuvre budgétaires.

4/ La vision malthusienne du marché du travail: Un large courant considère que le problème essentiel du chômage est avant tout un problème de répartition de l’emploi. Certains travaillent trop, trop longtemps, alors que d’autres cherchent du travail. Il suffit donc de baisser les heures travaillées, d’abaisser l’âge de la retraite, de mettre en place des préretraites pour lutter contre le chômage : en somme, partager le travail. Ce courant a été dominant en France depuis une trentaine d’année, à droite comme à gauche : la droite préfère inciter les femmes à retourner à leurs foyers et renvoyer les immigrés « chez eux » ; la gauche plaide quant à elle pour une baisse du temps de travail hebdomadaire et la mise en place de préretraites. Cette vision est également partagée de manière caricaturale par l'extrême droite française («3 millions d’immigrés, 3 millions de chômeurs »). L'idée fondamentale qui sous-tend cette vision est que l'emploi est un gâteau dont la taille est donnée et qu'il faut partager équitablement, ce qui donne des raisons d'être optimiste à moyen terme : avec les départs en retraite des générations du baby-boom, nous devrions assister à la disparition progressive du chômage, nous disent les économistes de ce courant de pensée, à l'image du mensuel Alternatives Economiques, qui consacra la une du numéro n°243 du mois de janvier 2006 au thème « Chômage : pourquoi il va encore baisser »


L'argument défendu par les journalistes d'Alter eco est que le vieillissement démographique va mécaniquement faire baisser la part de la population active (pourvu que l’on ne mette pas en place de réformes des retraites incitant à repousser l'âge de départ en retraite).

5/ La vision "académique" : a côté de ces trois ou quatre grands courants du discours économique en France, il existe le monde de la recherche universitaire. Il est intéressant de noter que les 4 courants que je viens d'évoquer sont dominants en France, tant dans la formation des élites administratives et journalistiques que des dirigeants syndicaux. Le discours universitaire, à l’image des universités françaises, est marginal dans le débat public. Pour autant, existe-t-il un consensus sur les causes du chômage en France au sein-même du monde académique ? Au vu des positions variées des universitaires pendant la campagne présidentielle, force est de reconnaître que non. On peut distinguer un certain nombre de visions différentes, pas forcément opposées, mais qui impliquent des priorités de réformes différentes. Sans surprises, ces différentes explications du chômage privilégient tantôt les facteurs affectant l'offre de travail (du côté des salariés), tantôt les facteurs affectant la demande (du côté des entreprises), tantôt des facteurs qu'on peut qualifier de "structurels".

A/ Du côté de l'offre de travail :

Un ensemble de facteurs sont susceptibles d'expliquer que de nombreuses personnes soit de parviennent pas à trouver un emploi, soit préfèrent rester au chômage plutôt que de reprendre une activité salariée :
  • Dans la plupart des pays développés, on assiste depuis le début des années 1980 à une baisse tendancielle de la demande de travail non qualifié de la part des entreprises. Plusieurs facteurs sont fréquemment mis en avant : progrès technologique "biaisé" en faveur du travail qualifié, ouverture commerciale qui pénalise les travailleurs les moins diplômés ou encore changements organisationnels (décentralisation des tâches, travail en équipes) qui se font au détriment de la main-d'oeuvre peu qualifiée. Pour adapter la structure des qualifications à cette évolution de la demande, il faudrait investir massivement dans la formation professionnelle en direction des publics les plus fragiles, en s'inspirant de dispositifs mis en place dans certains pays scandinaves (en Suède en particulier). Plus généralement, les économistes qui partagent cette vision militent pour des réformes s'inspirant des exemples suédois ou britannique (à l'image des New deals mis en place par le gouvernement de Tony Blair : pour les jeunes, les vieux, les mères célibataires, etc.) et qui combinent aides à la recherche d’emploi (avec un savant dosage d'incitations et de sanctions), formation professionnelle et emplois subventionnés en direction de publics ciblés.
  • Parmi les facteurs susceptibles d'expliquer que certains individus préfèrent rester au chômage plutôt que reprendre un emploi, de nombreux économistes insistent sur l'existence de "trappes à chômage". Parce que la reprise d'un emploi est souvent associée à la perte de transferts sociaux (RMI, allocation parent isolé, CMU, etc.), le gain monétaire qui lui est associée peut être relativement faible et peu incitatif pour toute une frange de la population (les mères célibataires, en particulier). Pour y remédier, il faut mettre en place des politiques susceptibles de faire en sorte que le "travail paie", à l'aide d'outils tels que l'"impôt négatif", dont la Prime pour l'Emploi constitue une version miniature.
  • La réforme de l’assurance chômage : toujours du côté de l'offre de travail, de nombreux économistes ont longtemps considéré que la générosité des allocations chômage (qui consiste en un revenu de remplacement pour les chômeurs) pouvait nuire au retour à l'emploi des personnes au chômage, en retardant le moment où elles acceptent de reprendre un emploi. Initialement, ces économistes plaidaient pour la réduction pure et simple du montant de ces allocations. Le message s’est ensuite précisé lorsqu'un certain nombre d'études ont mis en évidence que la sensibilité du timing de la reprise d'emploi au montant des indemnités chômage était forte surtout pour les travailleurs qualifiés, touchant des revenus élevés, un tel résultat justifiant plutôt un abaissement du plafond des allocations chômage qu'une diminution généralisée de leur montant. Enfin, la comparaison avec les pays nordiques a encore modifié l'analyse, en montrant que le montant des allocations chômage n’avait aucun effet négatif sur la durée du chômage, pour autant que le contrôle de la recherche d’emploi était réalisé de façon efficace et que des sanctions financières étaient appliquées en cas de manquement. A partir de ce constat, les mesures proposées divergent: Jacques Attali et Vincent Champain suggèrent d'aller dans le sens du soutien aux chômeurs, Pierre Cahuc propose de réformer le service public de l'emploi en fusionnant l'ANPE et l'Unedic afin de favoriser simultanément l'aide et le contrôle de la recherche d'emploi.

B/ Du côté de la demande de travail :

A côté des facteurs d'offre de travail mis en avant pour expliquer l'importance du chômage en France, d'autres facteurs sont fréquement invoqués pour justifier la faiblesse de la demande de travail :
  • Le coût du Smic est fréquemment cité au banc des accusés : la hausse très forte du Smic entre 1968 et 1984, conjuguée à l'accroissement considérable des taux de cotisations sociales pour financer la protection sociale en a fait un suspect important dans l’explication de la hausse du chômage des travailleurs non qualifiés et des jeunes pendant la même période. Le débat s'est cristallisé en France autour de l'évaluation de l'impact sur le chômage des mesures d'allègement de charges mises en place par la droite et la gauche depuis le milieu des années 1990 pour réduire le coût du travail des salariés non qualifiés, c'est-à-dire ceux dont l'emploi est le plus sensible au coût. Parmi les économistes partisans de telles mesures, citons Bernard Salanié, Etienne Lehmann, Pierre Cahuc et Thomas Piketty. A l'inverse, certains sont farouchement opposés à ces mesures, à l'image d'un Michel Husson ou d'un Henri Sterdyniak. Certains économistes ont une position plus nuancée, tels Yannick L'Horty qui, tout en soulignant l'impact positif très net des politiques de baisse du coût du travail, en pointe aussi les fragilités (complexité du système, effets de substitution, annulation de l'impact positif des baisses de charges du fait de l'augmentation simultanée du Smic brut, etc.). Pour de plus amples détail, voir le court article de L'Horty dans la nouvelle revue Regards croisés sur l'économie.
  • Pour expliquer la faiblesse de la demande de travail dans certains secteurs, par comparaison avec la structure des emplois de nos voisins, certains économistes incriminent le manque de concurrence sur le marché des biens et services : cette vision repose sur des analyses assez robustes qui ont montré que les réglementations visant à protéger certaines professions (petit commerce, taxis…) se sont traduites par un déficit d’emploi (et de croissance) important. Un des économistes français qui insiste le plus sur cet aspect est Philippe Askenazy. Dans la même veine, citons également le rapport Cahuc-Kramarz.

C/ Autre facteurs structurels :
  • La flexibilité du marché du travail : le succès de pays comme les Pays-Bas, le Danemark ou la Suède dans la lutte contre le chômage a mis en lumière ces dernières années que le marché du travail dans ces pays fonctionnait de façon sensiblement différente du marché du travail français. On peut retenir deux faits majeurs : des contrats de travail plus flexibles, c’est-à-dire une plus grande facilité pour licencier des salariés et une assurance chômage généreuse, mais contrôlée. En parallèle, la vision théorique du marché du travail a été révolutionnée par le développement des modèles dits de search (le marché du travail est caractérisé par d'importantes frictions provenant du processus de création/destruction d'emplois). Ces théories ont souligné par exemple l'effet pervers des fortes entraves mises au processus licenciement des salariés, en montrant qu'elles ont pour effet de diminuer les embauches. Bien qu'une forte protectionde l'emploi ait un effet généralement indéterminé sur le taux de chômage, elle a tendance à entraîner un stock de chômeurs de longue durée qui reste durablement exclus du marché de l'emploi. Dans cette veine, certains économistes ont pu recommander de "libéraliser le marché du travail" (comme un Gilles Saint-Paul) pour le rapprocher d'un idéal anglo-saxon. Mais d'autres économistes avaient plutôt en tête le succès du modèle nordique en soutenant des politiques visant à favoriser la flexibilité du marché du travail en échange d'une couverture élevée. Pierre Cahuc ou Olivier Blanchard sont parmi les principaux défenseurs de telles politiques en France.
  • Le dialogue social: Une littérature macroéconomique maintenant un peu ancienne s'est consacrée à l'analayse les relations entre chômage et mode de négociation des salaires. La conclusion de ces chercheurs était qu'il fallait soit une négociation décentralisée (type pays anglo-saxons) soit une négociation centralisée (type pays nordiques) pour minimiser l'impact négatif des négociations salariales sur l'emploi, mais que le modèle continental mixte était néfaste pour l'emploi. Dans le même ordre d'idées, Thomas Philippon et son coauteur Olivier Blanchard (on notera au passage que ces deux économistes pas voté pas pour le même candidat !) ont produit des travaux tendant à montrer que la qualité du dialogue social avait une influence directe sur le taux de chômage.
  • Les contraintes de crédit : un certain nombre d'économistes soulignent que l'investissement industriel, et donc la croissance et la création d'emplois, est très dépendant de la capacité des entreprises à financer ces investissements. Or un certain nombre d'études empiriques montrent, par exemple, que certaines entreprises (notamment les PME) ne parviennent pas à obtenir les financements qu'elles souhaiteraient. Les politiques visant à remédier à ce problème vont de l'intensification de la concurrence sur le marché bancaire (telle qu'elle est préconisée par la Commission européenne), aux interventions de l'Etat pour améliorer le financement des PME (tel le Codevi en France), en passant par l'accélération du mouvement de financiarisation de l'écononomie ou encore la lutte contre les abus de position dominante. Un économiste comme Philippe Aghion a ainsi été très en pointe récemment pour souligner la nécessité d'une concurrence accrue sur le marché du crédit. Citons également cet article d'Etienne Wasmer.

Evidemment, cette tentative de classification a ses limites : la plupart des économistes ne considèrent pas que le chômage français ait une cause unique et peuvent souscrire à plusieurs des visions évoquées ci-dessus. Si l'on souhaitait proposer une classification plus large encore, on pourrait ranger les visions évoquées ci-dessus dans deux grandes catégories : ceux qui privilégient une vision macro (la faute à la BCE, à une politique budgétaire trop stricte...) et ceux qui pensent que ce sont les institutions - niveau micro - (Smic, contrat de travail, assurance chômage) qui ne sont pas adéquates.

Alors, me direz-vous : qui a raison ? Ce blog va proposer au fil de son existence de passer en revue les faits et les arguments qui sous-tendent chacune de ces visions. Au lecteur de juger celles qui passent le test. On vous promet la réponse avant l’élection présidentielle de… 2012 !
_Antoine_ _ Julien_
_Antoine_ _Julien_

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