Affichage des articles triés par pertinence pour la requête _Clement_. Trier par date Afficher tous les articles
Affichage des articles triés par pertinence pour la requête _Clement_. Trier par date Afficher tous les articles

dimanche 1 juin 2008

Décryptage du RSA (1/3) : présentation des enjeux


Même s’il a un peu quitté l’actualité ces dernier temps, le Revenu de Solidarité Active (RSA) revient en force et sera sans nul doute un des animateurs de notre été politique. Ecopublix se propose donc de faire le point, en plusieurs étapes, sur les fondements de ce dispositif et sur ses conséquences potentielles. Ce premier post est consacré à la présentation du RSA, aux raisons qui ont motivé sa création et aux difficultés de sa mise en place. D’autres post suivront qui discuteront plus en détails les orientations à prendre ou à éviter.

Le livre vert sur le RSA présentait au début de l’année les buts et les moyens de ce nouvel outil. Les objectifs sont au nombre de trois : éviter le « retour au travail non rémunérateur », lutter contre la « pauvreté au travail » et diminuer la « complexité du système d’aides ». Il existe en effet en France un foisonnement d’aides et d’allocations qui visent à aider les ménages aux revenus les plus modestes. Seuls les individus disposant de très faibles revenus peuvent en bénéficier. Dès lors, si un individu retrouve un emploi, il perd son allocation : le gain financier du retour à l’emploi est donc très faible. L’objectif premier du RSA est ainsi d’unifier le système de solidarité avec les dispositifs d’incitation au travail, en particulier la Prime pour l’emploi (PPE) et le Revenu minimal d’insertion (RMI). Au départ, de nombreuses autres prestations devaient intégrer le RSA, comme l’AAH (allocation adulte handicapé) ou l’API (allocation parent isolé).

Parmi les questions soulevées par un tel dispositif, il en est trois qui méritent une discussion approfondie : comment concevoir une politique d’aide qui incite au retour à l’emploi ? Quelles prestations peut-on réellement intégrer dans le futur RSA ? Quel organisme de l’Etat doit gérer cette allocation ?

I/ L’incitation au retour à l’emploi

Lorsqu’ils s’intéressent aux incitations financières au travail, les économistes considèrent souvent le salaire marginal net, c’est-à-dire le supplément de revenu net qui est engendré par une faible augmentation de la quantité de travail (sur la notion de taux marginal, on se reportera à ce précédent post de Manix). Dans cette perspective, on s’intéresse essentiellement au calcul économique qui pousse un individu à travailler une heure de plus ou de moins, mais pas au choix plus général entre travailler et ne pas travailler. La rémunération d’une heure de travail supplémentaire est alors d’autant plus importante que le salaire est élevé, et d’autant plus faible que les taux d’imposition sont élevés ou que cette heure fait perdre d’autres types de prestations. Prenons un exemple simple : si vous décidez de travailler une heure de plus et que cette heure vous permet d’augmenter votre salaire de un euro, de combien augmente votre revenu disponible ? Si vous êtes taxé sur cette heure en plus ou que vous perdez des avantages monétaires, alors votre revenu augmentera de moins d’un euro. Supposons qu’il n’augmente que de x euros, alors on dira que le taux marginal de taxation est égal à t=1-x. Plus ce taux marginal est élevé, moins on est incité à fournir une unité de travail supplémentaire.

De quelle manière le système socio-fiscal français influence-t-il la décision de travailler un peu plus ou un peu moins ? Ce système étant extraordinairement complexe, il est difficile de connaître avec précision les taux marginaux effectifs qui s’appliquent aux individus. On sait cependant que la superposition de très nombreux dispositifs particuliers à pour effet de créer pour les revenus les plus faibles des taux marginaux de taxation très élevés, parfois proches de 100%. Autrement dit, certains individus n’ont aucune incitation à travailler une heure de plus, dans la mesure où ce qu’ils gagneraient d’un côté, ils le perdraient immédiatement de l’autre.

Pour comprendre les mécanismes en jeu, le plus simple est de ne considérer que les revenus salariaux, l’impôt sur le revenu (IR), la prime pour l’emploi (PPE) et le RMI (revenu minimum d’insertion). Le graphique suivant indique le profil des taux marginaux auquel fait face un célibataire sans enfant :


Même si l’on peut douter de l’influence cruciale de la taxation marginale – le choix, surtout pour les faibles salaires, se résumant plutôt à celui de travailler ou pas, plutôt que de travailler un peu plus ou un peu moins – il est difficile de ne pas remarquer que pour les revenus les plus faibles, la taxation est proche de 100 %. Il s’agit de toute la phase où l’on perd le bénéfice du RMI, qui prend la forme d’une allocation différentielle (consistant en un complément de rémunération qui couvre la différence entre la rémunération perçue et le montant du RMI). Si des dispositifs d’intéressement ont déjà été prévus pour permettre aux anciens RMIstes de cumuler leur RMI et leur salaire pendant le début de leur reprise d’emploi, il ne s’agit que d’un cumul temporaire : ainsi, à long terme, reprendre par exemple un emploi au Smic à quart temps ne rapporte rien du tout et à mi-temps rapporte moins de 115 euros par mois. On appelle « trappe à inactivité » ce type de taxation très élevée pour les bas revenus, qui a pour effet de les éloigner durablement de l’emploi

À mesure qu’on progresse dans l’échelle des revenus, la « bosse » des taux marginaux de taxation à 100% disparaît et laisse place à une plage de revenus bénéficiant de taux marginaux négatifs. Ce phénomène est lié à la montée en puissance de la Prime pour l’emploi, qui est un impôt négatif dont bénéficient les salariés qui occupent un travail à faible salaire. Lorsqu’on est situé dans cette tranche, l’accroissement de revenu engendré par l’augmentation de ses heures travaillés n’est pas taxé, mais subventionné : si je gagne un euro de plus en travaillant une heure de plus, je ramènerai chez moi non pas un euro, mais quelque chose comme un euros et cinq centimes, grâce au complément de revenu que me verse l’État.

Mais attention ! Dès qu’on atteint un Smic environ, c’est le retour de bâton, car on perd progressivement le bénéfice de la PPE, ce qui se traduit par un taux marginal de taxation de plus de 38 %. Ensuite, l’évolution des taux marginaux est déterminée uniquement par l’impôt sur le revenu progressif : jusqu'à 1,9 Smic, on est taxé au taux marginal de 12,6 %, puis 27 % au-delà.

Dans ces conditions, le principe initialement fixé par le RSA pour améliorer les incitations au travail était à l’origine relativement simple et clair, comme le montre le décret d’expérimentation du RSA. Le taux marginal d’imposition des revenus du travail ne devait pas être de plus de 30 %. Il en résulte, comme le montre la figure suivante, un lissage de la courbe de revenu disponible à partir de son ordonnée à l’origine, avec une pente toujours au moins égale à 0,7.


Grâce à ce dispositif, on aurait donc un profil beaucoup plus simple, avec un taux marginal de 30 % jusqu’à environ 1,6 Smic pour un célibataire sans enfant, puis les taux habituels de l’impôt sur le revenu : 12,6 % puis 27 %, etc.

À la lecture de ce graphique, on comprend également que l’augmentation du pouvoir d’achat individus à bas revenu n’a rien d’un « repas gratuit ». L’aire coloriée en bleu foncé, qui représente le montant de RSA qu’il faudra débourser en plus par rapport à la situation actuelle indique que cette mesure sera très coûteuse pour les finances publiques. Ce n’est qu’au prix de cette dépense supplémentaire que l’on pourra augmenter substantiellement le revenu disponible de tous les célibataires qui ont une rémunération salariale inférieure à 1,9 Smic, soit une grande proportion des célibataires français.

À ce stade de l’analyse, le RSA semble donc pouvoir atteindre effectivement deux de ses objectifs : réduire la pauvreté des travailleurs à bas salaire (si l’on fait abstraction des pressions à la baisse que cela pourrait créer sur les salaires juste en dessous du Smic, sujet qui sera développé dans un post à venir) et favoriser

II/ Qui sont les perdants ?

Le système se complexifie pourtant lorsqu’on s’intéresse non pas au célibataires, mais aux familles. Le montant du RSA dépend en effet de la situation familiale (comme le RMI) alors que certaines prestations que le RSA est supposé remplacer n’en dépendent pas. Cela créera immanquablement des perdants. Qui sont-ils ?

Les principaux perdants du RSA sont à chercher parmi les couples dont les deux membres sont actifs. Dans le système actuel, pour que l’un des deux membres puisse toucher la PPE, il faut que les revenus du foyer soit inférieur à deux Smic s’ils n’ont pas d’enfant, plus un tiers de Smic en plus pour chacun des deux premiers enfants et deux tiers de Smic supplémentaire par enfant à partir du troisième (ce qui porte le plafond pour un couple avec 3 enfants à 3,3 Smic environ). Ainsi, un individu au Smic, membre d’un couple ayant quatre enfants, a aujourd’hui droit à la PPE tant que son partenaire touchera moins de trois fois le Smic. Mais dans le nouveau système, cet individu ne bénéficiera pas du RSA. Il fera donc partie des perdants de la réforme du RSA.

Ce phénomène n’était pas considéré comme un problème dans les premiers temps de l’élaboration du RSA, et le livre vert sur le RSA rappelait même que la PPE n’atteint pas ses objectifs parce qu’elle est trop dispersée et bénéficie à des foyers qui ne sont pas vraiment dans le besoin. Cependant, pour des raisons en partie électorales, il semble que le gouvernement ait été contraint de faire marche arrière sur ce point, puisqu’il semble que la principale préoccupation des concepteurs du RSA consiste aujourd’hui à minimiser le nombre de perdants engendrés par le nouveau système, quitte à dénaturer le principe même du RSA. En effet, en raisonnant à budget constant, une limitation des perdants au RSA entraîne mécaniquement une limitation des gagnants du RSA, tout en transformant une idée initialement simple en effroyable usine à gaz. Le barème définitif n’est pas encore connu : il ne faut donc pas préjuger des intentions du gouvernement, mais l’arbitrage entre le coût de la mesure, son effet sur la pauvreté et les incitations au travail est inéluctable.

La question du ciblage du RSA est bien plus qu’un enjeu électoral. Car comme il en avait déjà été question dans un précédent post sur les heures supplémentaires, et comme il en sera question plus en détails dans un prochain post, l’imposition des couples pose certaines questions, notamment en ce qui concerne l’incitation au travail des femmes. Le système français d’imposition commune des couples génère bien souvent des taux marginaux très élevés pour les femmes en couple, ce qui les incite à ne pas participer au marché du travail (cf. ce document de travail). Or de nombreuses études récentes (dont ce document de travail d’Alesina et al., que nous avons déjà eu l’occasion de discuter ici) militent plutôt pour une réduction des taux marginaux d’imposition pour les femmes. Ainsi, priver de PPE les femmes qui font partie de ménages relativement aisés, même si cela ne constitue pas un recul social, pourrait avoir des conséquences néfastes sur leur participation au marché du travail.

III/ Fusionner les allocations et les services administratifs ?

Après la question de l’incitation au travail et des difficultés soulevées par le choix des prestations à intégrer dans le RSA, je termine ce petit tour d’horizon par la question de la gestion administrative du RSA, qui est loin d’être anecdotique. Comment les allocations seront-elles fusionnées et qui les gérera ? L’un des objectifs du RSA est en effet de simplifier le système social français. Mais celui-ci est tellement complexe qu’on parle déjà de ne pas exclure certaines allocations du RSA et de les maintenir à côté comme dans le système actuel. Et quand bien même le RSA n’intègrerait que la PPE et au RMI, la question reste posée de l’organisme qui aura la charge de le gérer. Car il faut savoir que dans le système actuel, ce sont les services fiscaux centraux qui gèrent la PPE et les départements qui gèrent le RMI, en vertu de la loi de décentralisation de 2004. Vu à quel point la décentralisation de la gestion du RMI a été un parcours du combattant, on voit mal le gouvernement décider de le ramener du jour au lendemain dans le giron de l’Etat.

Mais la formule inverse, qui consisterait en une décentralisation de la PPE (incluse dans le RSA) a aussi ses inconvénients. Tout d’abord, la PPE représente aujourd’hui plus de 4,5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter le milliard et demi supplémentaire promis par le président. Cela fait une somme très importante à décentraliser, et nécessiterait d’important transferts de ressources vers les départements. De plus, et même si cela peut paraître futile, un autre phénomène pourrait jouer également contre cette solution : décentraliser la PPE, qui est aujourd’hui une dépense fiscale, reviendrait à la transformer en dépense budgétaire. Même si cela ne change rien dans le fond, cela rajouterait dans les rapports plus de 4 milliards d’euros de dépenses et plus de 4,5 milliards d’euros de recettes fiscales. C'est-à-dire que gloablement, le taux de prélèvement obligatoire affiché par la France augmenterait mécaniquement d’environ 0,3 %, ce qui n’est pas négligeable étant donné les obligations européennes qui pèsent sur les finances publiques françaises.

Encore une fois, ne préjugeons pas de la solution qui sera finalement adoptée. Mais si le dispositif retenu est une allocation officiellement unique mais en fait gérée conjointement par les services fiscaux centraux, les départements (et pourquoi pas les Assedics ou les caisses d’allocations familiales), avec des formules compliqués pour savoir qui paie quelle partie de l’allocation, il n’est pas sûr que le système social français y gagne en transparence et en simplicité…
_Clement_

Lire la suite...

vendredi 11 avril 2008

Pourquoi les impôts locaux augmentent-ils ?


Au soir du premier tour des municipales, Jean-François Copé préparait la campagne du second tour de son parti en accusant le parti socialiste de préparer une TVA locale, c'est-à-dire de prévoir d’augmenter les impôts locaux. Il prenait l’exemple des régions presque toutes passées à gauche en 2003 et la hausse des impôts locaux qui s'en est suivie. S’il est vrai que les impôts locaux ont fortement augmenté ces dernières années, plusieurs raisons pourrait potentiellement expliquer ce phénomène : la couleur politique des collectivités, les transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités locales ou encore le développement de l’intercommunalité. Laquelle de ces explications est la plus convaincante ?

I/ Principes de la fiscalité directe locale

La décentralisation en France repose sur de multiples échelons administratifs. Il existe des niveaux obligatoires : l'Etat, la région, le département et la commune, et un niveau optionnel, intermédiaire entre la commune et le département.

Ce niveau intercommunal peut prendre différentes formes juridiques d'EPCI (Etablissement Public de Coopération Intercommunale). La loi de 1999 en prévoit trois sortes : les communautés de communes, les communautés d'agglomérations et les communatués urbaines, les deux dernières étant définies en fonction de leur taille (50 000 habitants avec une ville de plus de 15 000 habitants pour les communautés d'agglomérations et plus de 500 000 habitants pour les communautés urbaines). Ces EPCI ont a leur charge l'aménagement du territoire, le développement économique, l'environnement, le cadre de vie ainsi que les équipements culturels et sportifs. De plus, les communautés d'agglomérations et les communautés urbaines doivent s'occuper de la politique de la ville, de l'équilibre social du logement ainsi que de l'assainissement des eaux. les communautés urbaines sont par ailleurs chargées de l'urbanisme, du logement, des transports, des zones d'activités et du développement culturel et social. Enfin, les communautés d'agglomérations et les communautés urbaines peuvent s'occuper de l'aide sociale.

La fiscalité locale comprend quatre impôts directs locaux : la taxe d'habitation, la taxe sur le foncier bâti ou non bâti et la taxe professionnelle. Pour chacune de ces taxes, une base est calculée par les services centraux. Cette base reflète peu ou prou la valeur de l'immobilier pour les taxes d'habitation et foncières, et le capital fixe investi pour la taxe professionnelle. Ensuite, chaque échelon local peut librement (sous certaines contraintes) fixer un taux pour chacune des taxes. Les taxes sont ensuite prélevées au niveau national en multipliant la base par la somme des taux des différents échelons et le produit de ces taxes est reversé à chaque échelon à proportion de la part qui lui est due.

Si on considère, au niveau global, la somme de toutes ces taxes locales, on observe que les recettes fiscales ont effectivement augmenté fortement depuis 2003, comme on peut le constater sur le graphique suivant :


Mais ce graphique permet aussi de voir que replacée dans une perspective de long terme, cette incontestable augmentation n'apparaît pas aussi « phénomènale» que le clamèrent en 2005 les membres de la commission d'enquête sur l'évolution de la fisaclité locale. D'une certaine manière, cette augmentation ne fait que poursuivre la tendance observée depuis une vingtaine d'année, après une parenthèse baissière de 4 ans (1998-2002).

Quelles sont les raisons de cette augmentation tendancielle des impôts locaux en général et de l'augmentation intervenue depuis 2003 en particulier ? Trois explications peuvent être avancées. La première renvoie aux préférences politiques des élus locaux ; la deuxième au transfert de compétences de l'Etat vers les collectivités locales (et notamment les EPCI, du fait de l'ampleur des prérogatives qui leur ont été dévolues) qui a nécessité un surplus de recettes locales parce qu'insuffisamment compensés ; enfin, le développement de l'intercommunalité pourrait expliquer directement la hausse des taxes directes locales.

II/ La couleur politique ?

En ce qui concerne l'explication partisane, il est évident que l’exemple avancé par Jean-François Copé n'a aucune pertinence du point de vue statistique. Etant donné que toutes les régions (sauf une qui possède bon nombre de particularités législatives et historiques) sont passées à gauche en 2004, il est difficile d’assurer que des régions restées à droite n’auraient pas augmenté leurs taux également. Par ailleurs, le graphique précédent permet de constater que le retournement de tendance date de 2003, c'est-à-dire un an avant les élections régionales de 2004, alors que droite et gauche se partageaient à peu près équitablement la présidence des conseils régionaux. Enfin, dans le détail, ce ne sont pas les taux régionaux qui ont le plus augmenté, mais plutôt les taux des échelons locaux inférieurs.

La question de l'influence de la couleur politique sur les variations de la fiscalité locale (à la hausse ou à la baisse) reste néanmoins posée. A ce sujet, les études empiriques indiquent que la composante partisane des impôts locaux est faible et rarement significative du point de vue statistique. Cette étude de deux chercheurs néerlandais conclut à l'absence d'impact significatif de la couleur politique sur le niveau des taux des taxes locales. Dans les études similaires menées en France, la couleur politique s'est révélée avoir une influence, mais très secondaire, et uniquement en ce qui concerne la taxe professionnelle (qui ne porte pas sur les ménages).

III/ Le rôle des transferts de compétences ?

D'importants transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités locales ont eu lieu avec la seconde vague de décentralisation amorcée en 2002. En principe, ces transferts devaient s'accompagner d'une juste compensation financière de l'Etat, sous la forme d'une augmentation des dotations aux collectivités. Ces transferts de compétences pourraient expliquer l'augmentation des impôts locaux si la compensation n'a pas été totale. C'est en tout cas l'explication la plus souvent adressée par les élus socialistes pour répondre aux critiques de la droite.

Disons-le d'emblée : cette question est difficile à trancher, principalement en raison de la difficulté à obtenir des données fiables sur l'évolution comparée des compensations financières accordées par l'Etat aux collectivités locales et des charges financières que ces compensations sont censées couvrir.

On se contentera donc de quelques éléments descriptifs. La première question qui se pose est évidemment de savoir dans quelle mesure ces transferts de compétences peuvent être détectés dans les comptes des collectivités locales. Le graphique suivant indique l'évolution des dépenses de l'Etat et des collectivités locales depuis le début des années 1980:


Il apparaît clairement que les dépenses des collectivités, en proportion du PIB, ont beaucoup augmenté depuis les premières lois de décentralisation votées au début des années 1980 avec une forte accélération depuis le lancement de l'acte II de la décentralisation en 2002. Les dépenses de l'Etat ont quant à elles évolué de manière plus cyclique, sous l'effet de la conjoncture économique et des alternances politiques. On notera au passage que les phases d'augmentation/diminution des dépenses de l'Etat ne sont pas associées à une couleur politique donnée : les dépenses ont fortement augmenté sous la gauche au début du premier septennat de François Mitterrand (1981-1986) avant de diminuer sous la droite lors de la première cohabitation (1986-1988) ; après 1997, c'est plutôt l'inverse qui s'est produit, les dépenses ayant fortement diminué sous le gouvernement Jospin avant de repartir légèrement à la hausse sous les gouvernements Raffarin et Villepin (hors année 2006).

Si cette comparaison nous permet de constater qu'il y a bien eu transfert de compétences de l'Etat vers les collectivités locales, elle ne permet pas de conclure quant au degré de compensation par l'état du coût financier associé à ces transferts.

Une manière, certes très indirecte mais néanmoins instructive, d'examiner cette question est de comparer l'évolution des recettes de l'Etat à celle des recettes fiscales des collectivités territoriales depuis le début des années 1980 :


Même s'il existe un certain décalage dans le temps (de l'ordre de deux années), les évolutions de ces deux courbes paraissent assez nettement opposées : autrement dit, lorsque les recettes de l'Etat ont diminué, les collectivités locales ont accru leurs recettes fiscales (1980-1997) ; inversement, elles ont plutôt eu tendance à les diminuer lorsque les recettes de l'Etat étaient en augmentattaion (1997-2002). Ce graphique pourrait donc accréditer l'idée selon laquelle l'Etat se serait « défaussé » sur les colelctivités locales lorsque ses recettes diminuaient en ne compensant pas intégralement les transferts de compétences, obligeant ces dernières à relever la fiscalité locale. Dans cette perspective, l'augmentation de la fiscalité depuis 2002 serait une conséquence de la diminution des recettes de l'Etat depuis 2000 qui aurait fait « payer » une partie du déficit public aux collectivités dans ce qui ressemblerait à un jeu non coopératif.

Cette explication, si elle n'est pas incompatible avec les tendances observées, ne peut cependant être réellement validée qu'à partir d'une analyse fine de l'évolution comparée des charges transférées aux collectivités et des compensations financières accordées par l'Etat, un travail qui nécessiterait l'utilisation de données auxquelles il est difficile d'accéder aujourd'hui. Il faudrait également pouvoir évaluer l'impact spécifique de certains transferts de charges, tels que la dévolution de la compétence sur le RMI aux départements en 2003, pour lesquels les collectivités locales pourraient ne pas avoir été suffisamment compensées.

IV/ Le développement de l'intercommunalité ?

Pour expliquer l'évolution récente de la fiscalité locales, on peut invoquer une troisième hypothèse : l'augmentation des taux des taxes pourrait être lié au développement de l'intercommunalité. Deux séries d'arguments peuvent alors être avancées pour expliquer que l'intercommunalité ait pu favorisé une augmentation des impôts locaux.

Une première explication renvoie au fait que la création des EPCI, qui s'est traduit par la création d'un nouveau taux de taxe, a pu alourdir la fiscalité globale si les autres échelons locaux n'ont pas diminué leur propres taux alors même que l'intercommunalité prenait à sa charge une partie des dépenses qui leur incombaient auparavant. Bien que séduisante, cette hypothèse ne tient pas entièrement la route, car elle n'est pas vraiment compatible avec ce qu'on a pu observer au sujet des EPCI qui ont choisi d'adopter le régime de la taxe professionnelle unique. Ce régime consiste pour des communes à intégrer totalement la fiscalité locale des entreprises au niveau de l'échelon intercommunal. Dans les communes participant à des EPCI qui ont opté pour la taxe professionnelle unique, il n'existe qu'un seul taux de taxe professionnelle. Or, on constate que ce taux est bien plus important que n'était la somme des taux des différents échelons avant la création de l’EPCI. Le mécanisme évoqué précédemment ne peut donc invoqué dans ce cas.

Reste une autre explication de l'impact de l'intercommunalité sur l'augmentation des impôts locaux : la concurrence fiscale entre communes. Les communes sont en effet en compétition les unes avec les autres pour attirer des habitants et des entreprises. La logique du moins-disant fiscal aboutit à réduire les taux de taxe à des niveaux inférieurs à ceux qui prévaudraient l'absence de concurrence fiscale. le développement de l'intercommunalité permet de sortir en partie de ce piège, en favorisant la coopération entre les communes membres d'un même EPCI, ce qui peut conduire à augmenter les taux d'imposition locaux.

Conclusion

Au total, si la hausse de la fiscalité locale est bien réelle, elle ne constitue pas un phénomène nouveau (elle s'apparenterait plutôt à une tendance de long terme) et ne semble pas pouvoir être imputée à la couleur politique des élus locaux. Il s'agit bien plutôt d'une conséquence de la dynamique de décentralisation engagée depuis plus de deux décennies et qui a été accéléré avec le développement de l'intercommunalité.

La question qui se pose alors est de savoir quel est l'échelon optimal de décision pour la fiscalité locale. L'échelon communal est sans doute trop décentralisé car bien que les communes soient sans doute les mieux placées pour répondre aux besoins spécifiques de leurs administrés, elles ont tendance à se livrer une concurrence fisacle qui appauvrit leurs ressources financières. En ce sens, le développement de l'intercommunalité constitue sans doute un pas dans la bonne direction, dans la mesure où il permet de limiter la concurrence fiscale locale pour mieux péréniser les ressources des collectivités. Cependant, cette évolution n'est pas sans créer de nouvelles difficultés : quid de la répartition des pouvoirs au sein du conseil intercommunal ? quid de la redistribution des ressources entres communes ? Autant de questions qui pourront faire l'objet de prochains posts...
_Clement_

Lire la suite...

mardi 26 février 2008

Qui paie la TVA ?


Même si la question de la TVA sociale n'occupe plus le devant de l'actualité, les variations des taux de TVA sont encore à l'ordre du jour. Qu'il s'agisse d'en augmenter le taux normal (TVA sociale) ou d'en diminuer le taux réduit (sur les biens de première nécessité), les commentateurs partent généralement du principe que ce sont les consommateurs qui paient l'intégralité de la taxe. Les posts qu'Ecopublix a consacré à l'incidence fiscale ont dû leur échapper... sinon, ils sauraient que la TVA est aussi payée par les entreprises. Au sujet de la TVA, deux idées fausses s'affrontent selon le côté du marché où l'on se situe : du côté de la demande, les consommateurs pensent qu'ils paient l'intégralité des taxes sur la consommation, l'expression "taxe indirecte" étant à cet égard trompeuse ; à l'opposé, si vous demandez à un patron de PME qui paie la TVA, il vous répondra invariablement que c'est lui, parce qu'il envoie un chèque au fisc le 15 de chaque mois. Or le plus souvent, la charge de la TVA est partagée entre les consommateurs et les producteurs.

I/ Quelques rappels sur la TVA

La Taxe sur la valeur ajoutée est un impôt qui pèse sur la quasi totalité des biens et services consommés ou utilisés en France. Avec près de 179 milliards d'euros prévus en 2008, c'est la première recette budgétaire de l'Etat (environ 50% des recettes fiscales), loin devant l'impôt sur le revenu (60 milliards, soit 17% des recettes fiscales).

D'après l'article 266 du Code général des impôts, l'assiette de la TVA est est composée de « toutes les sommes, valeurs, reçues ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire de services en contrepartie de la livraison ou de la prestation ». Pour dire les choses simplement, la TVA est calculée sur l'ensemble du prix de vente des biens et services. Formellement, elle est acquitée par les organismes «assujettis » à la TVA, c'est-à-dire essentiellement les entreprises. Chaque entreprise paie la TVA sur ses produits ou services, en déduisant le montant de la TVA qu'elle a elle-même supporté sur les acquisitions de biens et services utilisés dans le cadre de son activité : c'est le mécanisme dit de «récupération de la TVA sur les achats ». Les agents « non assujettis » (les administrations et les ménages) ne peuvent quant à eux déduire la TVA sur leurs achats.

Le montant de la taxe est proportionnel au prix de vente hors taxe et les taux de TVA sont fixés par l'Etat. A l'heure actuelle, il existe en France trois taux de TVA :
1/ Le taux normal, fixé à19,6% ;
2/Le taux réduit, fixé à 5,5%, pour les produits de première nécessité et de consommation courante ;
3/ Le taux «super-réduit», fixé à 2,1%, qui ne concerne qu'un très petit nombre de biens (les publications de presse, par exemple).

II/ Comment définir la part de TVA qui est payée par le consommateur ?

Pour savoir qui paie la TVA, il faudrait pouvoir comparer le prix que l'on observerait en l'absence de TVA au prix en présence de TVA. Si les deux prix sont égaux, cela signifie que le consommateur paie l'intégralité de la taxe. En général cependant, le prix sans TVA sera plus élevé que le prix hors taxes avec TVA car lors de la mise en place de la taxe, la hausse des prix fait baisser la demande, ce qui fait à son tour pression sur l'offre et conduit à une diminution des prix. Ainsi, la TVA est partagée entre les consommateurs, qui paient comptablement la taxe, et les producteurs qui doivent baisser leurs prix pour limiter la baisse de la demande.

Le meilleur moyen de comprendre l’ajustement des prix aux variations de la TVA est de regarder se qui se passe sur l'un des graphiques les plus élémentaires de la microéconomie : le graphique d'offre et de demande.


Sur ce graphique, la courbe de demande est beaucoup plus pentue que la courbe d'offre, ce qui signifie que les quantités demandées varient peu lors de grandes variations de prix. Dans cette configuration, on voit que la variation de prix est très proche de la variation de TVA. Le consommateur étant moins élastique (sa consommation change peu après des variations de prix) que le producteur, il paie la plus grande partie de la taxe.

Dans le second graphique ci-dessous, c'est l'inverse qui se produit : la demande varie fortement avec le niveau des prix et la hausse des prix est faible par rapport à la variation de TVA. Le producteur étant beaucoup moins élastique que le consommateur, c'est lui qui paie la plus grande partie de la taxe.


Il existe pourtant un problème : on ne peut pas observer en même temps les prix en vigueur avec la TVA et ceux qui qui prévaudraient s'il n'y avait pas de TVA. De ce fait, il peut paraître difficile de mesurer précisément la part de la TVA payée qui est payée par les consommateurs. Toutefois, il est possible de l'estimer en utilisant les réformes qui ont modifié les taux de TVA au cours du temps. Supposons que le taux de TVA soit passé dans un pays donné de 10 à 20% : si à la suite de cette réforme, le prix TTC des biens a augmenté de moins de (0,2-0,1)/1,1 = 9%, alors cela signifie que l'augmentation de la taxe n'a pas été payée intégralement par les consommateurs.

De multiples petites variations des taux locaux peuvent être exploitées aux Etats-Unis mais les réformes sont plus rares en Europe. Cependant, la réforme de 1999 sur les services de réparations courantes dans les logements, ainsi que les faibles variations de taux plein de 1995 et 2000 ont été étudiées, et la réforme allemande de l'année dernière devrait l'être prochainement.

III/ Alors, qui paie quoi ?

Que nous apprennent ces études ? Eh bien, que les variations de prix sont très variables suivant les marchés.

Globalement, ce sont les consommateurs qui paient la plus grosse part de la TVA, mais leur participation peut varier de la moitié jusqu'à la quasi totalité de la taxe. Dans le détail, on observe que la TVA sur les biens qui nécessitent une quantité importante d'investissement en capital fixe (la production de voitures, par exemple) est payée en plus faible proportion par les consommateurs que la TVA sur les services. Une des interprétations de ce phénomène pourrait être que l'offre varie moins facilement quand il y a beaucoup de capital fixe, et donc que l'offre des industries intensives en capital ressemble à celle du second graphique, alors que l'offre de services ressemble davantage à celle du premier graphique.

Pour ce qui est de savoir ce qui se passerait si on baissait la TVA sur les biens de première nécessité (le pain, par exemple), aucune étude empirique n'est disponible. On en est donc réduit à des conjectures sur la forme des courbe d'offre et de demande pour ce type de biens. Si peu d'informations existent sur l'élasticité de l'offre des biens de première nécessité (qui doit beaucoup varier d'un bien à l'autre) on peut raisonnablement supposer que l'élasticité de la demande de biens de première nécessité est particulièrement faible. En effet, dans la mesure où ces biens sont de première nécessité, leur consommation ne peut pas baisser fortement lorsque leur prix augmente et n'a pas de raison de s'envoler quand leur prix baisse. Au contraire, une baisse du prix des biens de première nécessité permet d'augmenter la consommation des autres biens alors qu'une augmentation de leur prix oblige les consommateurs à se priver de ces autres biens. Ainsi, il est probable qu'une baisse de la TVA sur les biens de première nécessité se traduirait par une baisse sensible du prix de ces biens. Il faut cependant noter que le taux de taxe applicable aux biens de première nécessité est déjà faible en France, si bien qu'une annulation complète de ce taux ne pourrait engendrer qu'une baisse maximale de 5,5%.

IV/ Des cas particuliers

Il existe des exceptions aux règles décrites plus haut, en particulier pour les biens importés et pour les biens issus de marchés particulièrement peu concurrentiels.

Pour les biens importés, la variation de la demande sur le territoire national n'a que peu d'influence sur la production mondiale du produit, et donc sur l'offre. Par conséquent, l'offre de biens importés se comporte comme si elle était totalement élastique et la TVA est intégralement payée par les consommateurs nationaux.

La concurrence imparfaite a quant à elle des effets ambigus sur l'incidence fiscale. Pour certains biens, il est possible que l'ajustement des prix soit particulièrement faible : ce sera notamment le cas lorsque la marge des producteurs et déjà très forte en situtation de concurrence imparfaite, si bien qu'un surplus de taxe ne pourra pas être payé par le consommateur mais sera en partie financé par le producteur. A l'inverse, sur des marchés comportant peu d'entreprises, une hausse de la taxe peut, en réduisant la taille totale du marché, faire diminuer le nombre de concurrents, donc accroître le pouvoir de marchés des entreprises et ainsi engendrer ainsi une hausse encore plus importante des prix. Dans ce dernier cas, on peut même assister à des hausses (ou baisses) de prix supérieures aux hausses (ou baisses) de TVA.
_Clement_

Lire la suite...

jeudi 24 janvier 2008

« Travailler plus pour gagner plus » ?


Une des mesures phare de la politique de l’emploi de l'année 2007 est la fameuse loi TEPA, en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat. Cette loi a fait l'objet de nombreuses analyses, portant essentiellement sur son impact sur la demande de travail des entreprises et sur les comportements d'optimisation fiscale qu'elle risque de provoquer. Les effets de la défiscalisation des heures supplémentaires sur l'offre de travail des salariés ont a quant à eux été relativement négligés. Or on a de bonnes raisons de penser que l'impact de la loi TEPA sur le volume d'heures travaillées sera faible et que son principal effet sera d'organiser un transfert de revenu des classes moyennes vers les classes aisées.

I/ Quelles sont les principales mesures de la loi TEPA ?

L'article 1 de la loi contient une disposition fiscale dont l'objectif déclaré est de permettre aux salariés d'augmenter leur pouvoir d'achat par l'allongement de leur temps de travail et d'inciter les entreprises à permettre ces allongements de temps de travail.

Pour encourager les salariés à faire plus d'heures (donc augmenter leur offre de travail), les revenus tirés des heures supplémentaires sont exonérés de l'impôt sur le revenu et de l'ensemble des charges salariales (chômage, assurance maladie, retraite de base et complémentaire, CSG et CRDS) : autrement dit, la rémunération des heures supplémentaires a été augmentée.

Pour inciter les entreprises à accorder plus d'heures supplémentaires (donc augmenter leur demande de travail), des réductions forfaitaires des cotisations patronales sont accordés : 0,50 € par heure supplémentaire pour les entreprises de plus de 20 salariés et 1,50 € par heure supplémentaire pour les entreprises de moins de 20 salariés. Pour ces dernières entreprises cependant, il faut noter que la diminution des charges patronales est compensée par une augmentation de la majoration du salaire des heures supplémentaires, celle-ci passant de 10 % à 25 %. Ainsi, le gain pour les petites entreprises n'existe que pour des salaires très proches du Smic, s'annule un peu avant 1,5 Smic et devient négatif au-delà.

II/ Les effets sur la demande de travail

La loi TEPA a suscité un grand nombre de commentaires, y compris avant qu'elle soit réellement discutée au parlement. Le plus souvent, les débats ont porté sur la question de savoir si les employés ont réellement la possibilité de choisir combien d'heures supplémentaires ils souhaitent effectuer. Cela dépend bien évidemment du pouvoir de négociation du salarié qui varie selon le type d'emploi, mais surtout de l'incitation qu'ont les employeurs à demander à leurs salariés de faire plus d'heures supplémentaires. Sur ce dernier point, l'impact de loi TEPA est susceptible de varier sensiblement selon le type d'entreprise considéré : comme indiqué plus haut, la loi rend la fiscalité des heures supplémentaires plus avantageuse pour les grandes entreprises, mais pas pour les petites lorsqu'elles versent des salaires supérieurs à 1,5 Smic. Par conséquent, l'effet de la défiscalisation des heures supplémentaires sur la demande de travail va surtout concerner les grandes entreprises.

On peut craindre par ailleurs qu'une grande partie de l'augmentation des heures supplémentaires déclarées ne corresponde pas à une augmentation réelle de l'activité économique. La défiscalisation des heures supplémentaires comporte en effet un risque sérieux de favoriser des comportements d'optimisation fiscale, puisque les entreprises auront intérêt à faire passer en heures supplémentaires des heures auparavant effectuées dans le régime normal, afin de bénéficier d'une fiscalité avantageuse sans pour autant changer quoi que ce soit à la durée effective du travail.

II/ Les effets sur l'offre de travail

Intéressons-nous maintenant aux effets probables de la défiscalisation des heures supplémentaires sur l'offre de travail, c'est-à-dire sur le nombre d'heures de travail que souhaitent effectuer les salariés.

Taux marginal versus taux moyen

En théorie, l’impact de la fiscalité sur l’offre de travail est assez complexe, voire ambigu. La taxation des revenus du travail a en effet deux effets qui vont dans des sens opposés :
1/ L'effet du taux marginal : comme l'a expliqué Manix, le taux marginal correspond au taux de prélèvement applicable au dernier euro gagné. Une diminution du taux marginal a plutôt tendance à encourager l'augmentation de l'offre de travail, car le supplément de travail réalisé par le salarié est mieux rémunéré. « Travailler plus » vaut plus le coup.
2/ L'effet du taux moyen : le taux moyen correspond au taux de prélèvement applicable sur l'ensemble des euros gagnés. L'effet d'une diminution du taux moyen est opposé à celui d'une augmentation du taux marginal : en augmentant les revenus après impôt du salarié, une diminution du taux moyen de prélèvement incite à travailler moins car plus on gagne d'argent, plus on préfère consacrer du temps au loisir.

A priori, l'effet de la loi TEPA sur l'offre de travail devrait donc être ambigu : d'un côté, en diminuant le taux marginal de prélèvement sur les revenus du travail, la loi devrait inciter les salariés à travailler plus ; mais d'un autre côté, en diminuant le taux moyen de prélèvement, elle devrait les inciter à travailler moins.

En réalité, comme indiqué dans le post que j'avais consacré à l'impôt sur le revenu, le cas de la France est assez particulier : le système d’imposition du revenu français présente des taux marginaux assez élevés, du fait des barèmes, mais des taux moyens très faibles du fait des très nombreuses déductions fiscales, réductions et crédits d’impôt. Surtout, l'effet de la loi TEPA sur le taux moyen de prélèvement sera faible, puisque par définition, la défiscalisation des heures supplémentaires ne concernera qu'une fraction relativement faible du total des heures travaillées (heures normales et heures supplémentaires) par un salarié . Dans ces conditions, l'effet de la loi TEPA transitera surtout par la baisse du taux marginal de prélèvement sur les salaires.

Qui seront les gagnants et les perdans de la réforme ?

La défiscalisation des heures supplémentaires pourrait donc apparaître comme une réforme idyllique, puisqu'elle incitera les salariés a faire plus d'heures supplémentaires en réduisant le taux marginal de prélèvement, sans les désincter à travailler puisqu'elle aura très peu d'effet sur le taux moyen. Cependant, il convient de savoir si cette augmentation sera importante ou faible. En effet, si elle est faible, la mesure n'aura qu'un effet négligeable sur la production totale (le PIB) et aura un coût positif sur la collectivité (le supplément de recettes générés par un volume d'heures travaillées plus important n'étant pas suffisant pour compenser les pertes de recettes engendrées par les exonérations fiscales). Si tel est le cas, la loi TEPA consistera essentiellement en un transfert des agents qui ne font pas d'heures supplémentaires (et qui paieront d'autres prélèvements obligatoires pour équilibrer le budget national) vers ceux qui en font : les « gagnants » de la réforme se trouveront du côté des salariés qui vont faire beaucoup d'heures supplémentaires en plus, les « perdants » du côté de ceux qui ne vont pas en faire plus. Une vrai question d'équité se poserait alors.

Ce point a été relevé par les économistes Patrick Artus, Pierre Cahuc et André Zylberberg dans le rapport qu'ils ont rédigé pour le Conseil d'Analyse Economique en août dernier, intitulé Temps de travail, revenu et emploi. Ils montrent que la défiscalisation des heures supplémentaires aura des effets contrastés sur le pouvoir d'achat des salariés : d'un côté, les salariés qui font déjà des heures supplémentaires devraient en faire plus, ce qui va augmenter leur pouvoir d'achat ; mais d'un autre côté, la réforme risque de diminuer le pouvoir d'achat des salariés qui ne font pas aujourd'hui d'heures supplémentaires, ainsi que celui des inactifs et des chômeurs, puisque la défiscalisation aura nécessairement pour effet de une diminuer les recettes publiques, qui devront être compensées par la hausse d'autres formes de prélèvements obligatoires.

Pour déterminer quels seront parmi les salariés les « gagnants » et les « perdants » de la réforme, on peut s'appuyer sur un petit schéma de l'équilibre du marché du travail. Le graphique suivant montre comment le nombre d'heures supplémentaires varie en fonction de la réactivité des salariés à la rémunération des heures supplémentaires :


Les courbes noires représentent la demande de travail payés en heures supplémentaires des entreprises en fonction du salaire qu'elles ont à payer. La courbe noire en traits pleins correspond à la situation initiale (avant la défiscalisation). Lorsque qu'on défiscalise les heures supplémentaires, le coût des heures supplémentaires pour l'employeur diminue : par conséquent, la demande de travail rémunéré en heures supplémentaires va s'accroître (la courbe en traits pleins se déplace vers la courbe en pointillés), c'est-à-dire que les entreprises vont augmenter le nombre d'heures supplémentaires qu'elles demandent à leurs salariés. L'effet de cet accroissement de la demande de travail sur le nombre d'heures supplémentaires réalisées va dépendre de la pente de la courbe d'offre de travail de salariés : si l'offre de travail des salariés est très sensible au salaire (courbe bleue), l'augmentation du nombre d'heures supplémentaires (H2) sera forte ; inversement, si la réactivité des salariés est faible (courbe rouge), l'augmentation du nombre d'heures supplémentaires (H1) sera faible. Les « gagnants » de la réforme sont ceux qui vont augmenter le plus leur volume d'heures supplémentaire : ils sont représentés par la courbe bleue. les « perdants » sont ceux qui vont augmenter le moins leur volume d'heures supplémentaires : ils sont représentés par la courbe rouge.

Qui sont les salariés correspondant à l'un et l'autre cas ? Il existe un relatif un consensus sur ce point parmi les économistes. Dans cet article, Jonathan Gruber et Emmanuel Saez résument résument les principaux résultats des différentes études empiriques menées sur le sujet : la principale conclusion est que les classes moyennes sont surtout sensibles aux taux moyens et peu aux taux marginaux, alors les salariés les plus riches réagissent plus fortement aux incitations liées aux taux marginaux d’imposition. Par ailleurs, il semblerait les femmes répondent globalement bien plus que les hommes aux incitations.

La défiscalisation des heures supplémentaires ne devrait donc avoir pratiquement aucun impact sur le volume d'heures supplémentaires réalisées par les salariés des classes moyennes, c'est-à-dire la très grande majorité, et augmenter la demande d'heures supplémentaires du très haut de la distribution des salaires. Les gagnants à la réforme sont donc à chercher du côté des salariés les mieux payés, les perdants du côté des moins bien payés. On poura toujours rétorquer que la loi pourrait quand même avoir un impact positif sur la demande de travail non qualifié si on suppose qu’il existe une complémentarité entre travail très qualifié et travail moins qualifié (si une entreprise fait travailler davantage ses ingénieurs, elle aura besoin de faire travailler davantage ses ouvriers) ; s'il existe, cet effet demeurera néanmoins faible.

L'effet « anti-redistributif » de la défiscalisation des heures supplémentaires ne s'arrête pas là : dans la mesure où les cotisations retraite existent jusqu'à un plafond assez élevé de salaire et que les hauts salaires sont ceux qui devraient le plus réagir à la loi, cette exonération des heures supplémentaires, qui touche en particulier les cotisations sociales, revient en partie à une subvention publique des retraites des plus riches.

L'effet sur l'offre de travail des femmes

Les arguments passés en revue jusqu'à présent semblent indiquer que la loi TEPA aura surtout pour effet d'organiser une redistribution « à l’envers », au détriment des classes moyennes et en faveur des salariés les mieux payés, pour un bénéfice relativement faible en termes d'activité économique. On pourrait néanmoins défendre la mesure en se concentrant sur le cas des femmes : la théorie économique suggère en effet qu'une telle exonération pourrait avoir un impact positif et significatif sur leur offre de travail.

En réalité, on constate empiriquement que les incitations fiscales jouent surtout sur la décision des femmes de participer ou non au marché du travail ou sur leur décision de travailler à temps plein ou à temps partiel, mais pas tellement sur le nombre d'heures travaillées. Or la défiscalisation des heures supplémentaires ne modifiera pas l'arbitrage entre travail et inactivité, pas plus qu'elle ne modifiera l'arbitrage entre temps partiel et temps plein. On peut donc penser que cette loi n’est n'aura pas particulièrement d'impact sur l'offre de travail des femmes.

Au total, l'analyse économique suggère que la loi TEPA n'a rien de la potion magique dont certains semblent rêver et que le « travailler plus » des uns risque surtout de se traduire par le « gagner moins » des autres.
_Clement_

Lire la suite...

mardi 17 avril 2007

Trop d'impôt tue l'impôt ! Certes, mais on en est loin


Trop d’impôt tue l’impôt ! L’impôt sur le revenu français fait fuir les contribuables productifs ! Après le délire paranoïaque et la lamentation sur le départ de Jonnhy, quelle est la réalité ? Elle se trouve bien loin de ces clichés. Si on compare à l’Allemagne et le Royaume-Uni, souvent cités en exemple en Europe, avec les Etats-Unis et le Canada, et plus généralement avec l’Union européenne et l’OCDE, on s’aperçoit que la France a l’impôt sur le revenu des personnes physique de très loin le plus faible, comme le montre le graphique ci-dessous:


On entend alors souvent que la France à certes un impôt faible, mais que l’impôt américain par exemple est beaucoup moins progressif que l’impôt français. C’est encore une idée reçue, le barème de l’impôt américain fédéral est tout à fait progressif, comme le montre le tableau ci-dessous:


Le barème français parait certes plus progressif encore. Il ne faut cependant pas oublier qu’il n’est calculé que pour 72 % des salaires (jusqu’à plus de 11 000 euros nets mensuels) et 50 % des revenus de capitaux mobiliers, sans parler du nombre très important de déductions et de réductions fiscales, et des quotients conjugaux et familiaux, qui réduisent encore considérablement l’impôt sur le revenu des familles les plus aisées.

Et ce n’est pas tout : si la France a le plus faible taux d’imposition sur le revenu des personnes physiques, l’IR proprement dit est minoritaire dans ces recettes fiscales. Il n’a rapporté en 2005 que 2,9 % du PIB, alors que la plus grande part des impôts sur le revenu est prélevée au travers de la CSG (4,2 % du PIB en 2005). Or la CSG n’est pas du tout progressive, elle est même régressive puisqu’une grande partie est déductible de l’impôt sur le revenu.

L’impôt sur le revenu est donc faible et finalement pas si progressif que cela en France. Et si la France a un taux de prélèvements obligatoires élevé, elle le doit surtout à des cotisations sociales et une TVA très importantes.
_Clement_

Lire la suite...