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vendredi 29 février 2008

La peur de la vente à perte : des mugs à la crise immobilière


Un vaste champ de l’économie a émergé durant les vingt dernières années, inspiré par la psychologie et motivé par des expériences remettant en cause certains fondements de la théorie économique. L’économie comportementale traque les anomalies, observations difficiles à rationaliser dans le cadre de l’économie traditionnelle et tente d’y apporter des réponses dans un cadre rénové.

I/ Une anomalie célèbre: l’effet dotation

Comme l’expliquent dans un article de 1991 le psychologue Kahneman et les économistes Ketsch et Thaler, trois acteurs majeurs de l’économie comportementale, l’économie fait l’hypothèse que les individus sont caractérisés par des préférences stables, bien définies et des comportements rationnels. Ces auteurs ont multiplié les expériences qui mettent à mal cette hypothèse et ont proposé une nouvelle théorie permettant de pallier ces déficiences. Une des plus célèbres expériences met à jour l’effet dotation (endowment effect), difficilement compréhensible avec les outils de l’économie classique.

L’expérience est simple. Les auteurs donnent de manière aléatoire des tasses (mugs) à des étudiants choisis au hasard. Chaque tasse a une valeur de cinq dollars et ce prix est connu de tous. Ils demandent ensuite à ces étudiants dotés d’une tasse le prix minimal auquel ils seraient prêts à vendre leur tasse. Ils posent une question similaire à un autre groupe d’étudiants qui lui n’a pas reçu de tasse : ils doivent indiquer la somme minimale d’argent qu’ils préféreraient accepter plutôt que la tasse. Les deux groupes font face au même choix entre une somme d’argent et la tasse. Chaque individu, ayant ses préférences propres, évalue de manière différente la tasse mais comme les tasses ont été distribuées au hasard, le groupe « avec tasse » ne diffère pas de celui « sans tasse ». Par conséquent les moyennes des évaluations dans chaque groupe ne devraient pas différer. Or un individu du premier groupe déclare être prêt à vendre sa tasse en moyenne pour 7 dollars, tandis qu’un individu du second groupe préfère toute somme d’argent supérieure à 3,50 dollars à la tasse. La seule différence entre les deux groupes est la possession de l’objet. Il y a donc un effet dotation : le simple fait de posséder la tasse modifie les préférences.

L’explication fait appel à deux notions. La première stipule que les individus évaluent leurs choix par rapport à un point de référence. Nous évaluons notre situation en termes relatifs plutôt qu’absolus. La perspective d’un revenu annuel de 20 000 euros est réjouissante pour quelqu’un avec un revenu de 10 000 euros, mais terrible pour celui avec un revenu de 100 000 euros. La deuxième notion est l’aversion aux pertes : la perte que nous ressentons face à une perte d’argent est beaucoup plus grande que le plaisir que nous avons face à un gain de même taille. Reprenons l’exemple de nos étudiants propriétaires de tasse. La situation « propriétaire de tasse » constitue le point de référence d’un individu du groupe « avec tasse ». Il doit évaluer la perte de cette tasse en termes monétaires. Dans l’autre groupe le point de référence est simplement l’état « sans tasse ». Il doit évaluer le gain de la tasse. L’aversion aux pertes implique que le propriétaire ressent plus durement la perte que l’autre ne ressent le gain. Il va donc réclamer un prix supérieur pour s’en séparer qu’un non-propriétaire n’est prêt à payer pour l’acquérir.

Ce genre d’expérience a été répliqué dans de nombreux environnements, avec des modalités variées et l’effet dotation a toujours été observé. Pour être complet et honnête il faut aussi mentionner ce récent article qui a semé le doute. Un résumé complet peut en être lu sur le blog du journal The Economist, mais en gros les auteurs montrent que les résultats tiennent à la manière dont les expériences sont menées et donc que leur lien avec la théorie n'est pas si évident.
Notons cependant que la théorie du point de référence et de l’aversion aux pertes repose sur bien plus que les expériences mesurant l’effet dotation. L’émergence de l’économie comportementale a engendré des discussions passionnées, avec des défenseurs zélés, un prix Nobel, et des adversaires acharnés. Nous n’entrerons pas ici dans ce débat pour mieux expliquer un champ d’application de la théorie.

II/Application au marché du logement

Le lecteur peu soucieux des discussions sur les fondements de la théorie économique trouvera en effet peut-être qu’une expérience avec des tasses à 5 dollars a une portée plutôt limitée. Cependant remplaçons la tasse par une maison et essayons de comprendre les conséquences du point de référence et de l’aversion aux pertes sur le marché du logement. Tout d’abord on se convaincra aisément que le point de référence pour un vendeur est fortement influencé par le prix auquel il a acheté son bien. L’aversion aux pertes nous apprend que le vendeur sera fortement réticent à vendre sa maison en dessous de son prix d’achat. En période de prix immobiliers faibles, on observera donc moins de ventes, alors que « rationnellement » il n’y a pas de raisons à cela. Si les prix étaient déterminés uniquement par les caractéristiques du bien et l’état du marché alors un individu devrait accepter de vendre sa maison à un prix plus bas que le prix d’achat puisqu’il pourra racheter une maison de même qualité à ce prix de vente. L’aversion aux pertes introduit une dimension supplémentaire qui pousse les propriétaires à ne pas vendre leur bien à perte. David Genesove et Christopher Mayer ont confirmé cet effet dans un article. Ils observent que les vendeurs qui ont acheté au-dessus du prix de marché actuel demandent des prix de vente plus élevés, vendent en effet à des prix plus élevés mais au prix d’une attente plus longue. Ceci explique la forte corrélation entre volume de ventes et prix du marché immobilier. L’aversion aux pertes influence donc considérablement le marché et réduit la mobilité des personnes. Elle implique qu’en période de crise immobilière le marché du logement ne fonctionne pas très bien et que les acheteurs auront sûrement du mal à trouver des propriétaires prêts à vendre à perte, quand bien même ils pourraient racheter un bien similaire. De quoi limiter l’enthousiasme de ceux qui parient sur une crise immobilière pour acheter.
_Emmanuel_

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jeudi 6 décembre 2007

Contrôle des loyers et pouvoir d'achat


Parmi les mesures annoncées par le chef Sarkozix pour augmenter le pouvoir d’achat des Gaulois, le logement occupe une place de choix, avec la proposition de supprimer la caution et de changer l’indice de référence pour l’indexation des loyers. En effet, si les loyers en Gaule sont fixés librement lors d’un changement de locataire, leur hausse, une fois le bail signé, est limitée par la croissance d’un indice défini par l’Etat. La proposition du chef consiste à remplacer l’indice actuel, appelé l’indice de référence des loyers, par l’indice des prix à la consommation (hors loyers et tabac). Cette substitution des indices va-t-elle augmenter le pouvoir d’achat des Gaulois ? Pour faire court, la réponse est peut-être oui pour certains d’entre eux au détriment d’autres catégories dans le court terme, mais certainement non à plus long terme. Pour bien comprendre pourquoi, il est utile de replacer cette mesure un peu technique dans le contexte plus général des politiques de contrôle des loyers, et de la discussion des économistes sur leur efficacité.

I/ Les consequences néfastes du controle des loyers

La régulation des loyers est apparue en Europe à l'occasion de la Première guerre mondiale, pour aider les locataires, (et en premier lieu les familles de soldats) à faire face à cette situation exceptionnelle, dans un contexte général de contrôle des prix. Cette régulation a généralement été prolongée jusqu’à la Seconde guerre mondiale, au cours de laquelle les loyers furent de nouveau gelés, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis (1). En 1970, de nombreuses villes européennes maintenaient un contrôle des loyers plus ou moins strict et parfois réservé aux anciennes habitations, héritage direct des programmes mis en place pendant la guerre. Dans un contexte de forte inflation, le contrôle des loyers a connu un renouveau à cette période, sous diverses formes dont nous reparlerons plus loin.

Le contrôle des loyers représente un cas d’étude standard en économie. On peut illustrer le problème avec un simple graphique d’offre et de demande de logements locatifs. On porte sur l’axe horizontal la quantité d’appartements sur le marché (Q), et sur l’axe vertical le loyer versé aux propriétaires (P).


Sans régulation, l’équilibre s'établit au point E. Supposons qu'on décide d'instaurer un plafonnement des loyers, qui ne peuvent légalement excéder le niveau PR. Le nouvel équilibre s'établit au point R. Quelles en sont les caractéristiques ?

1/ L'effet sur les prix : le loyer régulé (PR) est plus faible que le loyer de l’équilibre non réglementé (PE).

2/ L'effet sur les quantités : pour ce niveau de loyer, la demande de logements locatifs excède le nombre de logements effectivement loués à l'équilibre. Sur le graphique, on constate que pour le loyer PR, la demande est plus élevée que la quantité disponible QR. En présence d'un excès de demande de ce type, l'allocation des logements aux locataires désireux de louer un logement s'organise selon le principe du rationnement : l'ensemble des demandeurs solvables ne pouvant être servis, le tri s'effectue selon d'autres critères que le prix (position dans la file d'attente, garanties de paiement, discrimination, etc.)

3/ Une baisse de la qualité des logements : La perte de profitabilité de la location décourage l’entretien des immeubles, ainsi que la construction de nouveaux logements, si bien que la mise en place d'un contrôle des loyers entraîne une diminution de la qualité du parc locatif.

4/ Une perte d'efficacité : le rationnement induit par le contrôle des loyers constitue l’inefficacité majeure de la régulation : graphiquement, cette perte d'efficacité ( baptisée « perte sèche » par les économistes) correspond à l'aire coloriée en jaune. En présence d'un plafonnement des loyers, les consommateurs sont prêts à payer plus que ce que les propriétaires demanderaient pour un accroissement du nombre de logements sur le marché, car la demande se situe au-dessus de l’offre entre les points R et E. Le contrôle des loyers empêche ces transactions d'avoir lieu, alors qu'elles augmenteraient le bien être global. Cette inefficacité prend plusieurs formes, qui peuvent s’observer actuellement en Suède, un pays Barbare qui a ceci de singulier que les loyers y sont encore complètement contrôlés : les files d’attente pour obtenir un appartement situés au cœur des grandes ville s'y étalent sur plusieurs dizaines d’années (on parle de 30 à 50 ans). Les locataires en place conservent leur logement le plus longtemps possible puisqu’ils bénéficient de bas loyers, préférant sous-louer (souvent illégalement) leur appartement avec des baux de courte durée plutôt que de le perdre, même s’ils ne comptent pas l’habiter dans un futur proche. Du coup, les nouveaux arrivants sur le marché du logement, par exemple les jeunes et les étrangers, éprouvent de grandes difficultés à se loger. Les propriétaires (et les agences de location) exploitent cette pénurie en demandant aux locataires des versements annexes, souvent illégaux, et sélectionnent leurs locataires. Enfin, les très nombreux locataires qui ne parviennent pas à mettre la main sur un bail de longue durée se voient obligés de multiplier les sous-locations et les déménagements, et n’ont souvent d’autre choix que d’acheter un logement pour surmonter cette pénurie.

5/ Une réduction de la mobilité des individus : en incitant les propriétaires à mettre en vente leurs appartements auparavant mis en location (cette dernière formule rapportant moins d’argent), le contrôle des loyers fait chuter le nombre de logements disponibles sur le marché locatif. Cela pénalise fortement les jeunes, les personnes mobiles géographiquement et plus généralement tous ceux qui ne souhaitent ou ne peuvent investir dans l'achat d'une maison ou d'un appartement. Le marché du travail pâtit indirectement de cette réduction de la mobilité des locataires, puisque les individus vont limiter leurs recherches d’emploi à un secteur géographique qui ne les force pas à déménager. Ces deux effets ont été confirmés au Danemark : les locataires jouissant d’un appartement à loyer régulé restent plus longtemps dans leur logement et les chômeurs acceptent plus souvent une offre d’emploi proche de leur habitation que ceux qui occupent des appartements à loyer non contrôlé.

6/ Les effet redistributifs du contrôle des loyers : a priori, les gagnants et les perdants de la réglementation des loyers sont relativement aisés à identifier. La baisse des loyers profite aux locataires, alors que les propriétaires gagnent moins d’argent. Le contrôle des loyers opère donc une redistribution des propriétaires vers les locataires. Sur le graphique, cette redistribution est représentée par le rectangle vert dont l’aire est égale à la différence entre le montant total des loyers payés par les locataires (loyer multiplié par quantité de logement) et ce qu’ils paieraient en l'absence de plafond. Il faut néanmoins ajouter un bémol à ce bilan redistributif : certes, la législation opère un transfert de revenu des propriétaires vers les locataires, mais uniquement en faveur de ceux qui ont conservé leur logement à la suite du plafonnement des loyers, c'est-à-dire sans prendre en compte tous ceux qui ont été lourdement pénalisé par la perte de leur logement (
QE-QR), provoquée par le rationnement du marché. Au total, le bien-être global diminue : graphiquement, cette perte est mesurée par le triangle jaune situé entre les courbes d'offre et de demande de logement.

II/ Quelle marge pour la régulation du marché ?

L'inefficacité du contrôle des loyers signifie-t-elle qu'il n'y ait aucune place pour l'intervention publique en matière de régulation du marché locatif ? Non, car il existe un certain nombre d'imperfections sur le marché du logement qui peuvent justifier dans certains cas la mise en place d'une régulation de la progression des loyers. Le système aujourd'hui en vigueur en Gaule comme dans beaucoup d’autres pays ne consiste d'ailleurs pas en un contrôle total du niveau des loyers, mais en une limitation de la croissance du loyer, une fois le bail signé, ce qui modifie les effets de la régulation.

Le marché du logement est en effet loin d’être un marché « parfait » où l’information circule librement et où le coût de trouver un bien est nul : les locataires supportent des coûts de recherche élevés et accepteront probablement le premier logement qui correspond à leurs critères sans savoir s’il en existe un autre similaire pour un prix moins élevé. Ceci confère aux propriétaires un pouvoir de marché qui leur permet d’extraire une rente au détriment des locataires : dans cette situation, une régulation pourrait être bénéfique afin d’éviter que les propriétaires ne fixent les loyers à un niveau supérieur à celui qui prévaudrait si le marché du logement était parfaitement fluide.

Par ailleurs, la régulation des loyers telle qu’elle fonctionne actuellement en France et dans d’autres pays d’Europe ne correspond pas à un côntrôle pur et simple des prix : elle ne fixe plus le niveau des loyers mais régule son évolution. Ce type de mesure s’est développé dans les années 1970, en accompagnement de réglementations visant à protéger les locataires contre le risque d'exclusion de leur logement, tout en poursuivant initialement l’objectif de limiter la hausse des prix dans une période d’inflation galopante. Cette forme de régulation a moins d’effets négatifs que le contrôle pur et simple des loyers, puisque le niveau des loyers peut s’ajuster à chaque fois que le bail d'un logement mis en location expire. Elle génère donc moins d’inefficacités, tout en assurant les ménages contre de fortes variations imprévues du niveau des loyers. Elle réduit aussi le pouvoir de monopole des propriétaires qui s'exerce en particulier au moment du renouvellement du bail. Le loueur va profiter du coût élevé d'un déménagement pour son locataire pour augmenter fortement le loyer. Le contrôle limite ces comportements.

Sans parler de monopole, d'autres arguments laissent penser que le marché souffre de problèmes d'information. D'un côté les propriétaires ne connaissent pas les caractéristiques des différents locataires, c'est-à-dire s'ils vont payer leur loyer, respecter les règles de copropriété, dégrader le logement, etc. Ce problème de sélection adverse va faire monter les prix. De l'autre les locataires ne connaissent pas non plus les caractéristiques du propriétaire: va-t-il entretenir le logement, a-t-il l'intention de vendre dans un futur proche? Les deux parties prennent en compte ces risques lorsqu'ils négocient le contrat et la loi peut fournir un contrat type pour éviter qu'une des deux parties ne soit clairement désavantagée.

Si le blocage des prix apparaît comme une mesure particulièrement néfaste, on peut donc envisager des arguments en faveur de formes plus sophistiquées de contrôle, sur les prix ou sur la nature des contrats. Il faut cependant souligner que ces justifications théoriques ne permettent pas de conclure sur l’optimalité des formes actuelles de régulation, parce que les études empiriques mesurant les imperfections sur le marché du logement et calculant les bénéfices attendus de telles mesures n’existent pas encore à notre connaissance. En revanche, et comme nous l'avons déjà souligné dans la première partie, les conséquences négatives sont connues, obervées, et parfois précisément mesurées. On ne peut en dire autant des effets positifs.

III/ Quel sera l’effet du changement d’indice sur le pouvoir d’achat ?

Après cette petite mise en perspective du contrôle des loyers, revenons à nos sangliers : quel sera l’effet du changement d’indice de référence de revalorisation des loyers proposé par le chef des Gaulois ? S’il est difficile de prévoir l’évolution future des différents indices, une analyse de leur évolution passée permet de tirer quelques enseignements.

Il faut d’abord souligner que l’indice historique de référence utilisé pour les révisions de loyer en cours de bail était l’indice du coût de la construction (ICC, qui mesure comme son nom l’indique l’évolution du coût de la construction de nouveaux bâtiments) mais il a été remplacé depuis le 1er janvier 2006 par l’indice de référence des loyers (IRL). Quel était l'objectif poursuivi ? L’indice de référence des loyers a été conçu à la fois pour lisser les évolutions de l’ICC (très sensible à l’évolution du coût des matières premières) et pour limiter les hausses de ce dernier : il est composé à 60% de l’indice des prix à la consommation (IPC) hors loyers et tabac, à 20 % de l’ICC et à 20 % de l’indice des prix des travaux d’entretien et d’amélioration du logement. Etant donné la faiblesse de l’inflation actuelle, le graphique suivant montre que l’IPC hors loyers et tabac a évolué beaucoup moins vite entre 2000 et 2006 que les deux autres indices.


Si la tendance actuelle devait se poursuivre, l’utilisation de l’IPC hors loyers et tabac pourrait permettre aux ménages locataires qui ne déménagent pas de bénéficier de plus faibles hausses de loyer à court terme. Mais ceci n'est pas du tout garanti à moyen terme, car ce changement d’indice devrait aussi affecter en retour le niveau des loyers à chaque fois qu'un bail sera signé, puisque les propriétaires s’attendront à être contraints jusqu'à la signature du prochain bail de limiter les hausses de loyer à un niveau qui ne reflètera pas forcément le coût d’entretien du logement : l’effet attendu d’une telle mesure sera donc une hausse plus forte des loyers lors du changement de locataire, un allongement de la durée d’occupation des logements par les locataires actuels, une baisse des efforts d’entretien des propriétaires et la mise en vente de certains appartements.

Ainsi, s'il est possible que ces mesures bénéficient à court terme aux ménages locataires bien installés dans leur logement, cet effet s’estompera à long terme à mesure que ces ménages seront obligés de déménager. En outre, les ménages les plus mobiles vont être directement touchés par la hausse des loyers, puisqu'ils seront les premières victimes de la réévaluation des loyers qui interviendront à l'occasion de la signature des nouveaux baux de location. La mesure va donc avoir des effets redistributifs assez peu désirables, puisqu'elle va favoriser les ménages les moins mobiles (en général les plus âgés) au détriment des ménages les plus mobiles (c’est-à-dire les jeunes et les célibataires), ces catégories ne recoupant pas forcément celles qui ont connu la plus forte baisse de leur pouvoir d’achat. Enfin, comme nous l’avons déjà souligné dans la première partie, cette mesure peut avoir un effet pervers pour l’emploi, en décourageant les chômeurs de déménager pour trouver un nouvel emploi.

Finalement, si, cette avec cette mesure, le chef des Gaulois peut essayer de se faire barde et de calmer les esprits, il risque à plus long terme de les échauffer, car ce changement d'indice n'aura pas d’effet durable sur le pouvoir d’achat.


NOTES :

(1) La guerre imposait souvent de déplacer le travail (par exemple vers une nouvelle usine d’armement) et le gel évitait que ces déplacements ne s’accompagnent de hausses brutales des loyers. A la sortie de la guerre, ces restrictions empêchèrent les propriétaires de profiter de la hausse de la demande suscitée par le retour des soldats.
_Emmanuel_ _Gabrielle_

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vendredi 13 avril 2007

La propriété, c'est le vote ?


Pour répondre au problème du logement, qui s’est invité cette année de façon particulièrement insistante dans la campagne, les candidats proposent un grand choix de potions. Si certaines formules sont intéressantes, d’autres, comme la déductibilité fiscale des intérêts d’emprunts pour les ménages accédant à la propriété, une des priorités de Nicolas Sarkozy, mais aussi une des propositions de l’UDF, ne constituent certainement pas la recette de la potion magique en matière de logement, bien au contraire.

L’objectif affiché d’une telle mesure est de baisser le coût d’achat d’un logement pour inciter les ménages à accéder à la propriété, comme l’indique clairement le discours du 14 janvier de Nicolas Sarkozy qui propose « que l’on fasse de la France un pays de propriétaires, parce que lorsqu’on a accédé à la propriété on respecte son immeuble, son quartier, son environnement… et donc les autres ». Or, si l’objectif de faire de la Gaule un village de propriétaires est déjà discutable d’un point de vue économique, il a de toutes façons peu de chances d’être atteint avec l’instauration de la déductibilité fiscale des intérêts d’emprunts.

En effet, la mesure risque d’abord d’avoir un impact inflationniste sur les prix immobiliers (comme cela l’a déjà été expliqué ici par Etienne Wasmer). Si la déductibilité des intérêts d’emprunt fait dans un premier temps baisser le coût d’acquisition d’un logement, les ménages devraient logiquement être plus nombreux à vouloir acheter, ou chercher des logements plus grands. Mais si l’offre de logement n’augmente pas beaucoup suite à cette demande supplémentaire, alors la mesure aura surtout pour conséquence une hausse des prix immobiliers, selon le mécanisme expliqué sur le graphique suivant :


Déjà, en 1984, James Poterba soulevait ce problème pour les Etats-Unis, où la déductibilité des intérêts d’emprunt existe depuis longtemps. D’après ses calculs, l’effet inflationniste de ces déductions a pu représenter jusqu’à 30% de la hausse des prix immobiliers aux Etats-Unis dans les années 70 (1). Or, comme on peut supposer que l’offre de logement n’est pas moins réactive aux Etats-Unis qu’en France, la mise en place d’une telle disposition aura très probablement un fort effet inflationniste sur les prix immobiliers gaulois, qui réduira d’autant le montant réel de la subvention pour les accédants (tout en enrichissant les vendeurs…).
Et quand bien même cette mesure permettait effectivement de réduire un peu le coût d’achat d’un logement, il est néanmoins peu probable qu’elle entraîne une forte augmentation de l’accession à la propriété au sein des ménages modestes. En effet, il existe déjà pour ces catégories de ménages des prêts aidés (comme le prêt à l'accession sociale et le prêt à taux zéro), visant à favoriser l’accession à la propriété. De plus, ces prêts sont en partie garantis par l’Etat, pour inciter les banques à accorder des crédits immobiliers sur la base de critères moins restrictifs, et relâcher ainsi les contraintes d’emprunt qui pèsent sur les ménages modestes. Or, l’impact de ces aides sur la décision d’accéder à la propriété semble relativement faible. Une étude de Laurent Gobillon et David Le Blanc sur des données de la fin des années 1990 évalue que, même en négligeant l’effet inflationniste de la mesure, 85% des ménages bénéficiaires d’un prêt à taux zéro seraient tout de même devenus propriétaires sans cette subvention. Ils attribuent ce résultat à l’absence de ciblage précis de ce type de prêts vers les ménages les plus modestes, car 94% des locataires étaient alors éligibles pour un prêt à taux zéro. Dès lors, si l’objectif poursuivi était vraiment de permettre aux ménages modestes d’accéder à la propriété, il faudrait redéfinir des critères d’éligibilité qui ciblent vraiment les foyers à bas revenus, en élargissant le montant des prêts.

Or, ce n’est clairement pas le cas de la proposition de déductibilité fiscale des intérêts d’emprunt. Au pire, en l’absence de plafond, l’effet principal de la mesure sera de remplir de sesterces les poches des ménages aisés, qui auraient de toute façon accédé à la propriété en l'absence de cette mesure. En effet, les ménages les plus riches sont aussi ceux qui accèdent le plus à la propriété et empruntent le plus. Ainsi, d’après une étude sur l’endettement des ménages parue récemment dans Insee Première, 62,5% des ménages ayant un revenu annuel de plus de 50 000 euros avaient un prêt immobilier en 2004, pour un endettement (total) médian de 62 700 euros, alors que c’était le cas de seulement 21,4% des ménages ayant un revenu annuel compris entre 15 000 et 25 000 euros pour un endettement médian de 29 500 euros. De plus, comme les ménages locataires sont aussi les moins aisés, l’effet principal de la mesure serait une redistribution « à l’envers » en direction des ménages les plus aisés.

La déductibilité fiscale des intérêts d’emprunts sera aussi une mesure très coûteuse pour les finances publiques, puisque les ménages s’endetteront probablement plus pour financer l’achat d’un logement plus cher. Les charges d’intérêts payés par les propriétaires s’élevaient déjà à près de 17 milliards d’euros en 2004 d’après les Comptes du Logement, à comparer avec les 14 milliards d’euros distribués en aides personnelles au logement. Même s’il est question d’introduire un plafond de ressources pour limiter les effets d’aubaine, le coût de la subvention risque d’être fortement alourdi par les effets inflationnistes de l’aide, sans permettre aux ménages qui n’ont actuellement pas les moyens d’accéder à la propriété de le faire.

Enfin, on peut s’interroger sur l’idéal d’un village gaulois de propriétaires. Favoriser la propriété peut se justifier si les externalités liées à la propriété sont fortes, c’est-à-dire si la société entière bénéficie d’une augmentation du nombre de propriétaires. Or là encore, les arguments sont loin d’être convaincants. Certes, les propriétaires ont intérêt à entretenir la valeur de leur hutte, et des études sur données américaines et allemandes ont montré que les propriétaires s’occupent plus de leur maison, font du jardinage … ce qui peut bénéficier aux autres habitants du quartier (bien qu’il ne faille pas négliger les effets de la jalousie entre voisins !). Les propriétaires semblent aussi, toutes choses égales par ailleurs, avoir une vie sociale plus active, s’investir plus dans les associations de quartier et voter plus. D’un autre côté, la propriété peut entraîner des externalités négatives pour la société, car les propriétaires risquent de s’opposer à toute initiative publique (comme la construction d’Habitations Latines Mélangées par exemple) qui risque de diminuer la valeur de leur bien. L’existence d’un lien entre propriété et chômage a aussi été évoquée (et déjà développée ici), car les coûts de mobilité élevés des propriétaires peuvent avoir des effets négatifs sur l’emploi. Veut-on vraiment favoriser l'accession à la propriété des ménages modestes dans les zones industrielles sinistrées, au risque de les pénaliser fortement en cas de chômage, car un déménagement dans une autre région serait très couteux ? Finalement, rien ne permet de dire que les effets positifs de la propriété l’emportent sur les effets négatifs pour la société. Pour les candidats, c’est peut-être différent : en effet, les études ont montré qu’aux Etats-Unis, non seulement les propriétaires votent plus, mais qu’ils votent aussi plus républicain… La propriété, c’est le vote ?

(1) James Poterba « Tax Subsidy to Owner-Occupied Housing: An Asset Market Approach », Quaterly Journal of Economics, 1984.
_Gabrielle_

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