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mardi 9 novembre 2010

Le problème des retraites (13/41) : la réforme Woerth



La semaine dernière, le parlement a voté la loi sur la réforme des retraites. Cet épilogue législatif arrive après des semaines de grèves, de protestations et d’émeutes urbaines qui ont permis de remettre la France sur son piédestal, à la une des média étrangers, après l’affaire Bettencourt et l’épisode de l’expulsion des Roms de cet été. Le niveau du débat sur la question des retraites s’est enfin élevé : les réactions ont ainsi oscillé entre la dénonciation d’une « réforme injuste et inefficace » et les louanges envers une « réforme juste et efficace ». On peut trouver sur le site du gouvernement le document qui décrit les « 16 fiches » de la réforme. Voici ma « fiche de lecture », qui vient en complément au court billet publié sur Telos et Lavoce, et à paraître sur Vox, Ökonomenstimme et Me Judice.

I/ Les mesures
Les modifications du barème des retraites
La mesure phare de la réforme est bien sûr l’augmentation de l’âge minimum de liquidation de 60 à 62 ans. L’augmentation sera progressive, mais rapide, à raison de 4 mois supplémentaire par génération, c’est-à-dire l’augmentation de 2 ans aura lieu en moins de 6 ans. Cette augmentation touche les salariés du secteur privé mais aussi les salariés du secteur public : les fonctionnaires en catégorie « sédentaire » (fonctionnaires en administration, cadres en catégorie A, enseignants etc.) verront l’âge d’ouverture des droits se déplacer au même rythme de 60 à 62 ans, ceux en catégorie « active (infirmières, instituteurs, agents d’entretien etc.) de 55 à 57 ans, enfin ceux qui bénéficient d’une ouverture des droits dès 50 ans (police, pompier, contrôleurs aériens etc.) devront partir à 52 ans. Dans les régimes spéciaux, l’âge minimum n’augmentera qu’à partir de 2017.
La seconde mesure est l’augmentation de l’âge du taux plein de 65 à 67 ans. Cette augmentation sera aussi progressive et rapide, mais décalée dans le temps. La hausse ne commencera qu’en 2016, lorsque l’augmentation de l’âge minimum de liquidation sera réalisé et se poursuivra jusqu’en 2023. La durée requise de cotisation nécessaire pour obtenir le taux plein, prévu à 41 ans en 2012 va passer progressivement à 41,5 ans en 2020, selon le rythme prévu par la réforme Fillon de 2003. La réforme confirme l’augmentation à 41,25 ans pour les générations nées en 1953 et 1954.
Le dispositif des carrières longues est maintenu et élargi : les salariés ayant commencé à travailler à 14/15 ans (16/17 ans) et justifiant de 43 ans (41+2) de cotisation pourront continuer de partir à 58/59 ans (60 ans). L’augmentation de l’âge minimum sera aussi appliquée progressivement pour ces salariés mais dans la limite de 60 ans.

Les augmentations de ressources
Les augmentations de ressources annoncées concernent les hauts revenus, les revenus du travail et une modification du dispositif d’abaissement des charges sociales.
Les ménages imposés au taux marginal supérieur (revenus imposables supérieurs à 70,000 euros annuel) verront leur taux marginal passer de 40 à 41%. Cette augmentation est exclue du dispositif du bouclier fiscal. Par ailleurs les stock-options et les retraites chapeau verront leur fiscalité alourdie.
Les revenus de l’épargne verront leur prélèvement augmenter d’un point (dividendes, intérêts etc.) et les exonérations pour les plus-values (mises en place par le gouvernement après l’élection de N. Sarkozy) seront supprimées. Le crédit d’impôt pour les dividendes – qui visait à éviter la double imposition des dividendes – sera supprimé.
La plus grosse source de revenus viendra d’une modification du calcul des baisses ciblées de charges sociales. Avec un calcul basé sur les salaires annuels (et non mensuels), le gouvernement espère récupérer 2 milliards d’euros. Au total l’augmentation des prélèvements obligatoires se monte, selon le gouvernement, à 3,7 milliards d’euros en 2011.

II/ Une réforme juste ou injuste?
Avant de pouvoir qualifier une mesure de « juste » ou « d’injuste », il faut d’abord se mettre d’accord sur ce qu’on entend par « justice » dans le cas des retraites.
Par exemple, le gouvernement explique dans sa présentation de la réforme pourquoi l’augmentation de l’âge minimum a été préférée à l’augmentation de la durée requise de cotisation : « augmenter à nouveau la durée de cotisation requise pour les 10 ans qui viennent aurait conduit à concentrer l’effort sur les salariés qui sont entrés plus tard que les autres sur le marché du travail, c’est-à-dire sur ceux qui ont fait des études et sur les salariés qui ont eu plus de mal à s’insérer sur le marché du travail. Concentrer l’effort sur ces salariés ne serait pas équitable. » L’argument du gouvernement est que les salariés qui ont fait des études sont plus touchés par la durée requise de cotisation et devraient donc être protégés de la réforme 2010. Danièle Karniewicz (CFE-CGC, syndicat des cadres), l’actuelle président de la Cnav, ne dit pas autre chose et Henri Sterdyniak (Professeur à Paris Dauphine) trouve aussi juste de récompenser ceux qui ont fait des études et qui ont bénéficié de carrières ascendantes par des retraites plus élevées.
Le problème de cette approche est qu’elle repose sur un jugement de valeur. Le jugement d’une réforme juste ou injuste devient alors simplement la conformité à ces jugements de valeur, mais est complètement inutile d’un point de vue informatif. Les économistes préfèrent alors une approche descriptive de la régressivité ou progressivité d’une mesure (c’est-à-dire est-ce que les gains sont croissants ou décroissant), vis-à-vis de différentes variables (le revenu, le niveau de consommation, le niveau d’étude etc.). Cela n’empêche pas de faire par la suite tous les jugements de valeur que l’on veut, mais cela permet au moins de clarifier les effets distributifs d’une mesure.

L’exercice n’est pas forcément facile au vu de la complexité du système de retraite. On peut néanmoins remarquer que l’augmentation des bornes d’âge va toucher une partie seulement des salariés : les salariés qui ont commencé à travailler tôt (avant 21 ans) mais pas trop tôt (ceux qui ont commencé avant 17 ans bénéficient en partie des mesures d’exceptions) et les salariés qui ont commencé à cotiser tard (après 25 ans) ou qui ont eu de longues interruptions de carrières (le plus souvent des femmes). Ces derniers sont touchés par l’augmentation de l’âge du taux plein. Au final les « gagnants relatifs » de la réforme sont les salariés qui ont fait des études supérieures et commencé à accumuler des trimestres de cotisations entre 21 et 25 ans : ils ne sont pas touchés par la réforme 2010. En général, ces salariés appartiennent à la partie supérieure de la distribution des revenus, et on peut ainsi dire que la réforme 2010 sera régressive.
Le gouvernement aurait très bien pu augmenter la durée requise de cotisation proportionnellement aux bornes d’âge. Le barème aurait été simplement déplacé de 2 ans pour tout le monde, sans avantager relativement un groupe par rapport à un autre. Le fait d’augmenter le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu de 1% hors bouclier fiscal ne fait pas grand sens dans ce contexte. Non seulement une telle mesure est particulièrement compliquée (c’est de la grande tuyauterie !), mais si l’on souhaite faire contribuer les hauts revenus, pourquoi vouloir les protéger en partie de l’augmentation de l’âge de départ en retraite ? Quelles raisons peuvent justifier de ne pas inciter les plus qualifiés à poursuivre leur activité, quand ils sont souvent les plus à même de poursuivre après 60 ans une telle activité ?

III/ L’introuvable débat public
Le plus décevant finalement dans cette réforme 2010 est la dégradation du débat public sur la question des retraites.
En choisissant de focaliser le débat sur l’augmentation de l’âge minimum de liquidation, le président de la République a su « cliver » le débat et pousser la gauche à s’arcbouter sur la défense de « la retraite à 60 ans ». Ce faisant, et le gouvernement et l’opposition, ont joué sur les mots de « l’âge de la retraite ». Le gouvernement a annoncé qu’il était évident d’augmenter « l’âge de la retraite » lorsque l’espérance de vie augmente. C’est parfaitement légitime. Mais ce qu’on entend par l’âge de la retraite dans ce cas, c’est l’âge effectif de la retraite, ou le taux d’emploi des seniors. Un moyen de parvenir à cette augmentation est de renforcer les incitations au report d’activité. Cela ne doit pas être confondu avec l’âge minimum de départ en retraite. Il est ainsi possible d’avoir un âge de départ effectif élevé et un âge minimum faible. La Suède par exemple, permet aux salariés de partir dès 61 ans, mais parvient à maintenir en emploi 72% des 55-64 ans contre 39% en France. L’opposition n’a pas tellement mieux contribué à clarifier le débat. Le PS a affirmé haut et fort qu’il allait revenir « à la retraite à 60 ans » et puis on a entendu – de façon moins claire – qu’il s’agissait de l’âge minimum de liquidation mais non pas de « la retraite pour tous à taux plein dès 60 ans ». Combien dans les cortèges de manifestants ont compris le message ?
Dans les cortèges de manifestants, on a aussi beaucoup entendu – de la part des plus jeunes – l’idée que l’augmentation de l’âge de départ en retraite allait augmenter le chômage des jeunes. Dans Le monde, de jeunes étudiants sont venus expliquer ce « fait économique évident ». L’association ATTAC est aujourd’hui le fer de lance de la défense de cette lecture malthusienne du marché du travail : un retraité qui continue à travailler est un chômeur de plus, augmenter le taux d’emploi des seniors se fera nécessairement au détriment des plus jeunes… Cela mériterait un post en soi (lire par exemple Econoclaste ou David Mourey), mais on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il s’agit d’un retour en arrière, au temps où l’on pensait qu’en subventionnant les entreprises pour se débarrasser des seniors, on parviendrait à régler le problème du chômage.
Au final, après ces quelques semaines de « débat », on n’a parlé ni de notre système de retraite dans le long terme, ni de sa complexité, ni des inégalités en son sein, ni de la façon de favoriser l’emploi des seniors, ni des choix collectifs sur les prélèvements obligatoires. Heureusement un amendement du texte de loi prévoit qu’on commence à réfléchir à partir de 2013 – pas avant – à l’unification de notre système de retraite. Nous voilà rassurés !
Auteur: Antoine
_Antoine_

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lundi 31 mai 2010

Retraites (12/41) : l’abaque des retraites


Une des remarques les plus répandues à propos des propositions de réforme du système de retraite via des comptes individuels de cotisation ou comptes notionnels est que ces réformes « ne résolvent pas la question de l’équilibre financier » des régimes. On entend alors souvent, en référence à l’abaque du Conseil d'orientation des retraites (Cor), que seuls le taux de cotisation, le niveau des retraites et l’âge de la retraite peuvent « résoudre le problème ». Qu’en penser ?

I/ Un graphique pédagogique

L’abaque est probablement la plus jolie expression dans le débat sur la réforme des retraites. Le mot vient du grec abax et désigne un instrument de calcul antique où l’on représentait le calcul par des petits galets empilés en différentes colonnes et qui permettaient l’addition, la soustraction ou la division etc. Il est devenu progressivement synonyme d’un graphique qui facilite le calcul de différents problèmes. En architecture, le mot désigne aussi la partie supérieure d’une colonne, au point d’être parfois utilisé pour nommer le soubassement des grandes structures : on parle par exemple de «l'abaque de la voute céleste ». En un sens, l’abaque peut donc être considéré comme le véritable « soubassement » du système de retraites.

L’abaque est le graphique le plus populaire du Cor. Il représente le triangle qui lie dans l’équilibre comptable des régimes, la hausse des prélèvements, la hausse de l’âge effectif de départ en retraite et le niveau des pensions. L’équation comptable s’écrit :

On a reproduit ci-dessous un exemple d’abaque, issu du 8e rapport du Cor. Le graphique se lit de la façon suivante : en abscisse est représenté le taux de remplacement, qui est le ratio de la pension moyenne au revenu moyen ; en ordonnée est représentée la hausse du taux de cotisation en points de cotisation ; chaque ligne représente un âge moyen de départ en retraite effectif.

Le graphique ci-dessous correspond aux arbitrages possibles entre ces trois variables à l’horizon 2050. Le point A représente les conditions de l’équilibre du système de retraite en 2050, compte tenu de l’âge effectif moyen de départ à la retraite et du niveau des pensions atteints en 2050 dans les projections du Cor : l’équilibre financier du système de retraites supposerait ainsi une hausse du taux de prélèvement de 3,7 points en 2050, pour un recul de l’âge effectif moyen de départ de 2 ans et une baisse de 23 % du rapport entre la pension moyenne nette et le revenu moyen net d’activité. La droite BC représente les autres combinaisons possibles entre hausse des prélèvements et baisse du niveau relatif des pensions, toujours pour un décalage de l’âge effectif moyen de départ de 2 ans en 2030 : en B, tout l’ajustement porte sur le niveau relatif des pensions ; en C, tout l’ajustement se fait par le taux de prélèvement.

Le point D correspond à la situation dans laquelle l’équilibre est atteint en maintenant à la fois le taux de prélèvement et le niveau relatif des pensions inchangés par rapport à 2008 : tout l’ajustement se ferait alors par le décalage de l’âge effectif moyen de départ, qui devrait être de près de 10 ans. Le point E montre que si l’âge effectif moyen de départ se décalait de 4 ans au lieu de 2 ans en 2050, la hausse du taux de prélèvement permettant d’équilibrer le système serait de 1,5 point (pour une même baisse du niveau relatif des pensions).

L’abaque permet donc de faire un travail pédagogique très utile pour donner les ordres de grandeur des réformes nécessaires d’ici à 2050 et les arbitrages à envisager.

II/ Une interprétation parfois erronée : la question des « leviers »

Le succès de l’abaque dans le grand public a été tel qu’il est répété aujourd’hui à longueur d’articles et dans les débats familiaux. Le problème est que cette pédagogie de l’équilibre comptable nourrit quelques interprétations erronées. Dans les rapports du Cor, on parle ainsi des « trois leviers » pour réussir à obtenir l’équilibre financier : soit on augmente les cotisations, soit on baisse les retraites, soit on augmente l’âge de départ.

Le problème du mot « levier » est qu’il fait référence à une action, une décision de politique publique. Mais seule l’augmentation des cotisations est un véritable « levier », au sens d’un paramètre d’action que peuvent contrôler les pouvoirs publics : l’âge effectif de départ en retraite et le niveau effectif des pensions sont en effet les résultats de choix individuels de départ en retraite et de la demande des entreprises pour ces salariés âgés et ne peuvent être directement « contrôlés » par la puissance publique

Une grande partie de la confusion vient de l’expression « âge de la retraite » qui signifie des choses bien différentes, selon qu’on entend par là« l’âge effectif de cessation d’activité », qui détermine le taux d’emploi des seniors, « l’âge légal de cessation d’activité » , (où « âge minimum de liquidation »), c’est-à-dire l’âge à partir duquel il est possible de liquider une pension, «l’âge du taux plein », ou encore « l’âge à partir duquel les employeurs peuvent mettre leurs salariés à la retraite d’office ».

L’âge minimum de liquidation a toujours été de 60 ans dans le secteur privé en France. Lors de la réforme dite de « l’abaissement de l’âge de la retraite », le législateur n’a pas modifié ce paramètre, il a simplement offert un taux de remplacement au taux plein dès 60 ans sous condition d’une durée de cotisation de 37,5 années. Lorsqu’on parle en Allemagne de l’âge de la retraite à 67 ans à l’horizon 2028, on ne parle pas de l’âge minimum de liquidation, mais de l’âge du taux plein. En Suède, où le taux d’emploi des seniors atteint 70%, l’âge minimum de liquidation est de 61 ans. En Grèce, on l’on entend parler d’un âge de la retraite de 53 ans, l’âge légal est de 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes, mais il est possible de partir sans condition d’âge pourvu que le salarié justifie de 37 ans de cotisation.

Si le graphique de l’abaque amène naturellement à considérer l’âge effectif de départ en retraite comme la variable d’ajustement la plus évidente, il est erroné d’en conclure que l’âge minimum de liquidation devrait être le levier d’action principal : il s’agit d’un paramètre particulier du barème, mais en aucun cas le paramètre unique pour jouer sur « l’âge effectif ».

Ce qui détermine en réalité l’âge effectif de départ en retraite, c’est l'interaction entre l’offre de travail des salariés âgés (est-ce qu’ils souhaitent repousser ou pas leur cessation d’activité ?) et la demande de travail des entreprises pour ces salariés (est-ce qu’elles souhaitent ou pas embaucher ou maintenir en emploi des salariés âgés ?). L’offre de travail dépend du barème des pensions (quel niveau de pension à quel âge) et la demande de travail dépend de multiples facteurs (dont l’activité macroéconomique, l’importance du salaire à l’ancienneté, l’adaptation des seniors, les gains de l’expérience, etc.).

Tout barème de pension correspond en fait à l’expression d’un taux de remplacement à un âge donné et à une variation de ce taux en cas de report de la liquidation. Selon le paramètre que l’on choisit de modifier, différentes personnes seront plus ou moins touchées par l’incitation au report:

  • Si on augmente la durée requise de cotisation, on touche plus fortement ceux qui ont commencé plus tard à cotiser (qui ont moins de trimestres de cotisation).
  • Si on augmente l’âge minimum de liquidation, on touche plus fortement ceux qui ont commencé tôt à travailler (car ils ont la durée requise de cotisation et que les autres auraient de toute façon repoussé leur départ)
  • Si on utilise une réforme comme les comptes notionnels, les incitations au report sont fortes pour tout le monde, augmentent progressivement au fil des générations et ceux qui ont eu des carrières longues et plates sont moins pénalisés que dans le système actuel.

Au final, si le système de comptes notionnels ne permet pas d’éviter l’arbitrage entre niveau des pensions, taux de cotisation et report de la cessation d’activité, il permet bien d’inciter au recul de l’âge effectif de départ en retraite, et ce de façon plus juste qu'avec une augmentation de l’âge minimum de liquidation. Contrairement à ce qui a été répété après la publication du rapport du Cor, une réforme systémique selon les lignes d’un système en comptes notionnels permet bien de répondre à la question de l’équilibre financier de long terme du système de retraite. Au lieu de poser le déficit des régimes de retraite comme la solution par défaut, les comptes notionnels ajustent les barèmes à l’augmentation de l’espérance de vie : si l'on souhaite consacrer une part plus importante de notre revenu à la retraite, il suffit alors d’augmenter les cotisations.

_Antoine_

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lundi 17 mai 2010

Retraites (11/41) : le rapport du Cor et son faible écho


Lors du non-débat sur les retraites de 2008, un intérêt vif pour une remise à plat du système de avait vu le jour. Il avait conduit les parlementaires à demander un rapport au Conseil d’orientation des retraites (Cor) sur la faisabilité d’une unification de nos régimes de retraite avec un fonctionnement en annuité, en points ou comptes notionnels. Le rapport du Cor a été publié en février de cette année. Il est suffisamment intéressant pour mériter une lecture approfondie, d’autant plus qu’il n’a eu qu’un faible écho dans la presse au moment de sa parution.

I/ Le 7e rapport du Cor

En février 2010, le Cor a publié un rapport, commandé par le Parlement, sur la faisabilité d’une réforme systémique (en annuités, en points ou en comptes notionnels). Le rapport est disponible en ligne et on ne peut qu’en recommander la lecture. Suivant sa tradition de pédagogie non partisane, le Cor détaille le fonctionnement du système actuel, ses composantes et ses effets redistributifs, et effectue une comparaison minutieuse avec le fonctionnement en points ou en comptes notionnels. Quels sont les principaux éléments que l’on peut retenir de ce rapport ?

1/ Le système actuel est morcelé et peu transparent : la multiplicité des régimes et des règles rend le système de retraite français particulièrement complexe.

2/ Le pilotage du système : le pilotage actuel est réalisé dans un horizon plus court que chez la plupart de nos voisins. Les règles ne sont définies qu’avec quelques années d’avance, ne donnant que peu de lisibilité aux jeunes générations.

3/ La redistribution : le système actuel est globalement redistributif, même si les effets redistributifs du cœur du système (les règles de la formule de base des pensions) sont peu transparents et cachent des effets anti-redistributifs. Par exemple, si le système redistribue des hommes vers les femmes, les hommes non cadres aux carrières longues sont défavorisés par le système actuel. Les effets nettement redistributifs du système viennent très largement des avantages non-contributifs.

4/ Faisabilité des réformes systémiques : techniquement et légalement, une unification des régimes de retraite français est possible, mais demande du temps pour être mise en place (on ne peut pas faire une réforme systémique en deux mois avant l’été).

5/ Options de convergence : Le rapport offre d’autres perspectives de convergence des régimes de retraite, mais sans unification globale, avec par exemple une unification des régimes du secteur privé uniquement ou une unification de tous les régimes avec le maintient de la division entre régime de base et régimes complémentaires.

6/ Un choix politique : le choix d’une réforme systémique, selon les points ou les comptes notionnels, n’est pas un choix technique, c’est un choix politique, dont la réalisation peut prendre des formes différentes selon les choix politiques faits au moment de l’unification.

II/ Des travaux complémentaires

Le rapport du Cor a largement utilisé des travaux réalisés depuis 2008 avec en tête la question d’une réforme systémique. Deux de ces travaux méritent qu’on les regarde de près.

Le premier est une étude de la Drees par Patrick Aubert et Cindy Duc (disponible ici). Ces deux chercheurs ont utilisé la base administrative de l’Échantillon interrégimes des cotisants, qui réunit des informations sur les cotisants de tous les régimes de retraite français. Ils ont cherché à mesurer l’effet redistributif des « 25 meilleures années » pour calculer le salaire de référence dans le calcul de la pension du régime général.

La plupart des détracteurs des comptes notionnels défendent un système qui offre une retraite calculée sur la base du dernier salaire. L’argument intuitif qui justifie cette position est qu’une retraite calculée sur la base du dernier salaire semble plus redistributive car on elle ne prend pas en compte les aléas de la carrière du salarié. Avec les 25 meilleures années, le système resterait en partie redistributif car « on ne prend pas en compte les mauvaises années ».

Le problème de cette approche est qu’elle ne prend pas en compte le bouclage du système : les retraites sont payées par les salariés, si bien qu’on ne peut donner relativement plus à certains sans donner moins à d’autres. Savoir de qui et vers qui la redistribution est réalisée est donc essentiel.

Le problème d’une règle comme le dernier salaire ou les 25 meilleures années de salaire est qu’elle avantage ceux qui ont un ratio (25 meilleures années de salaire / cotisations versées au cours de leur vie) plus élevé que les autres. Les cadres qui commencent en général plus tard à travailler et qui bénéficient de carrières croissantes sont susceptibles d’être les gagnants, tandis que ceux qui ont des carrières plates (ouvriers et employés) et qui ont commencé plus tôt à travailler sont au contraire ceux qui auront le plus mauvais ratio. En effet, ceux qui profitent d’une carrière croissante vont bénéficier d’un ratio de leurs 25 meilleurs salaires par rapport sur leurs cotisations moyennes plus élevé : le dernier salaire d’un cadre est nettement plus élevé par rapport à son premier salaire que le dernier salaire d’un ouvrier.

Fig. Gain lié à la règle des 25 meilleures années en fonction du niveau de salaire

Sources : Cor (2010), page 27, issu de Aubert et Duc (2009)

La figure ci-dessus, tirée de Aubert et Duc (2009), représente le gain associé à la règle des 25 meilleures années en fonction du décile de salaire à 40 ans : la population est classée des plus pauvres aux plus riches et groupée par cellules de 10% (D1 représente les 10% les plus pauvres et D10 les 10% les plus riches). Les auteurs calculent le ratio entre la retraite calculée en appliquant la règle des 25 meilleures années et la retraite calculée en utilisant comme salaire de référence le salaire moyen sur toute la carrière.

La courbe bleue est calculée en imaginant que l’on supprime le minimum contributif et la courbe verte en le maintenant. Ainsi, avec le système en l’état, les 20% les plus pauvres ne gagnent rien à la règle des 25 meilleures années, alors que les 10% les plus riches gagnent 12% de pension supplémentaire. Cette composante du système français de retraite opère par conséquent une redistribution « à l’envers ».

Un autre point intéressant à remarquer est le rôle important joué par le montant maximal de salaire qui est soumis à cotisations, qui porte le nom de « plafond de la sécurité sociale ». Les cotisations et les pensions du régime général sont en effet plafonnées au niveau du salaire moyen. Au-dessus du plafond, le système fonctionne en points via les régimes complémentaires. Le plafond a pour rôle de limiter les effets anti-redistributifs de la règle des 25 meilleures années : au-dessus du plafond, les salariés sont soumis au système à points qui prend en compte l’ensemble de la carrière. Ceci explique que le gain de la règle des 25 meilleures années soit plus important pour les déciles 7 et 8 que pour le décile supérieur : ceux qui font partie des 30% des plus hauts revenus, mais qui ne font pas partie des 10% les plus riches bénéficient davantage de cette règle que les 10% des plus hauts revenus. Il s’agit d’une règle qui bénéficie donc avant tout aux « classes moyennes » et aux « classes moyennes supérieures » plutôt qu’aux très hauts salaires. Elle pénalise principalement les salariés qui gagnent moins que le revenu médian

Le deuxième travail qui mérite d’être cité est celui réalisé par Christophe Albert et Jean-Baptistre Oliveau (2010). Ces chercheurs à la Caisse national d’assurance vieillesse (Cnav) ont essayé de simuler un système en comptes notionnels avec les mêmes caractéristiques que le système actuel. L’exercice est particulièrement difficile du fait que les deux systèmes ont des équilibres financiers différents et qu’il faut pouvoir estimer l’effet redistributif comparé des deux systèmes. Albert et Oliveau ont fait l’hypothèse (réaliste) que l’on conserve tous les avantages non contributifs. Même s’il faut rester prudent quant à l'interprétation des résultats de cette étude, on notera néanmoins qu’elle conclut que le passage aux comptes notionnels aboutiraient à un « resserrement des pensions », autrement dit une réduction des inégalités de pensions.

D’autres travaux sont certainement à entreprendre pour confirmer et affiner ces premiers résultats, mais pour tous ceux qui voient dans les comptes notionnels un système injuste, individualiste et inégalitaire, ces travaux devraient amener au moins à réfléchir.

Alors pourquoi le rapport n’a-t-il pas eu beaucoup d’écho ? Sans doute parce que la plupart des observateurs ont pris pour argent comptant la conclusion du gouvernement et de nombreux experts à propos des propositions de réforme systémique : cela ne résout pas le problème de l’équilibre financier…

Discussion de l’argument dans le prochain post.

Auteur: Antoine
_Antoine_

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mercredi 12 mai 2010

Retraites (10/41) : le débat 2010


La grande question qui structure le débat public sur les retraites concerne la nature de la réforme et oppose les partisans d’une réforme dite « systémique » (qui consiste à remettre à plat le système sur le long terme) aux partisans de réformes dites « paramétriques » (qui consistent à modifier périodiquement les paramètres du système). Au sein des partisans de chacune de ces grandes « voies de réforme », on peut distinguer deux approches qui donnent plus ou moins de poids aux garanties à donner aux salariés. On a donc au final quatre visions, assez différentes, de la direction vers laquelle notre système de retraite doit aller.

I/ L’option « remise à plat du système »

La motivation première d’une remise à plat du système français est la nécessité d’unifier les régimes de retraite : nous disposons de 36 régimes de retraite publics, obligatoires et financés en répartition, mais dont les règles sont différentes, la coordination malaisée et la gestion coûteuse. On notera d’ailleurs que le seul réel élément de consensus sur le système actuel est qu’il constitue un véritable casse-tête pour les salariés et pour les gestionnaires. Les avis sont en revanche partagés sur l’opportunité d’une réforme globale. Les pessimistes pensent que ce n’est pas possible, soit parce qu’ils considèrent que la complexité est naturelle à tout système de retraite, soit parce qu’à leurs yeux, l’esprit de consensus n’est pas suffisamment développé en France pour rendre possible une telle réforme (on préfère se taper dessus avec du poisson pourri…). Les optimistes pensent au contraire qu’une telle remise à plat est non seulement possible mais à terme plus efficace. Unifier un système de retraite n’est pas beaucoup plus compliqué et finalement bien moins coûteux que de construire une nouvelle ligne TGV. Ils soulignent par ailleurs les risques de l’approche actuelle : en annonçant des mesures partielles périodiquement, suivies d’autres projections catastrophistes, la confiance dans le système s’effrite, les jeunes générations en viennent à imaginer qu’elles ne toucheront pas de retraite et que leurs cotisations s’apparentent surtout à des impôts sans contrepartie. Au lieu de renforcer la solidarité entre générations, la situation actuelle mine les fondements du système en répartition.

Parmi ceux qui défendent une réforme globale du système de retraite, le consensus n’est pas vraiment de mise non plus. Jacques Bichot (Université Lyon II) défend une réforme systémique sur le modèle d’un système à points, tandis que Thomas Piketty et moi-même avons mis en avant une réforme suivant le modèle des comptes individuels de cotisation ou comptes « notionnels ».

1/ L’unification avec des comptes individuels en cotisation est défendue par Thomas Piketty et votre serviteur dans un opuscule du Cepremap (disponible gratuitement ici, reproduit dans un livre en vente ici, et discuté sur Ecopublix).

Le système fonctionne sur deux piliers intégrés : le premier pilier est purement contributif et le second est purement redistributif. La partie contributive fonctionne avec des comptes individuels sur lesquels les cotisations retraite versées chaque année sont enregistrées. Ces cotisations sont revalorisées chaque année par la croissance des salaires. Il s’agit d’un système en répartition car les cotisations ne sont pas placées sur les marchés financiers mais servent, comme aujourd’hui, à financer les retraites actuelles. Au moment de la liquidation, les salariés disposent ainsi d’une mesure de leurs droits à la retraite. Ces « droits retraite » sont convertis en pension mensuelle selon l’espérance de vie en retraite de chaque génération : plus le salarié reporte son départ en retraite, plus la pension est élevée ; les conditions de liquidation évoluent parallèlement à l’espérance de vie au fil des générations. Au lieu de réformes brutales, le principe est celui d’une adaptation lente et progressive des conditions de liquidation. Le seul paramètre de pilotage du système devient alors le taux de cotisation : si l’on souhaite augmenter le niveau des retraites ou consacrer une part plus importante du revenu national à passer plus de temps en retraite, il suffit d’augmenter le taux de cotisation. Automatiquement les droits à la retraite seront augmentés.

Le second pilier est redistributif : il s’agit de l’expression de la solidarité nationale envers ceux qui ont eu de faibles revenus, des carrières heurtées par le chômage, la maladie ou autre. Ces avantages non-contributifs sont crédités sur les comptes de la même façon que les cotisations, mais ils sont financés par l’impôt.

2/ L’unification des régimes avec un système à points est défendue par Jacques Bichot dans un document de l’Institut Montaigne (disponible ici). Cette proposition vise à étendre le mode de fonctionnement des régimes complémentaires en points à l’ensemble du système de retraite. Les salariés achètent des points en cotisant, points qu’ils vendent pour obtenir une pension. Comme les comptes notionnels, le système en points fonctionne en répartition et permet de prendre en compte l’ensemble de la carrière des salariés.

L’avantage du système à points, d’après ses défenseurs, est qu’il permet un pilotage « au fil de l’eau » : en effet, l’équilibre financier du régime peut être obtenu chaque année par ajustement du rendement du système, c’est-à-dire que l’on peut jouer sur la valeur du point pour équilibrer les finances du régime.

Pour ses critiques (dont l’auteur de ces lignes), le système à points ne permet pas de garantir les droits de retraite autant qu’un système en comptes notionnels peut le faire : en se donnant la marge de liberté de faire modifier la valeur du point, on n’offre pas les mêmes garanties qu’un taux de rendement indexé sur la croissance de l’économie. En effet, contrairement aux comptes notionnels, le rendement du régime à points n’est pas fixé : il s’agit d’un paramètre du régime. Comme le système fonctionne en points et non en euros, il est possible de faire de « l’inflation du point », c’est-à-dire de baisser le rendement du régime pour réduire les promesses passées. La philosophie des comptes notionnels est, au contraire, de ne faire que des promesses que l’on peut honorer, mais d’être extrêmement stricte sur le fait qu’elles seront honorées.

II/ L’option paramétrique

Les partisans d’une réforme paramétrique rejettent les propositions d’unification, les considérant comme des chimères ou de vaines constructions intellectuelles...

Le premier point mis en avant est le fait que modifier des paramètres du système existant est beaucoup plus simple techniquement, donc peut être mis en place beaucoup plus rapidement. Le président de la République a annoncé qu’il souhaitait une réforme avant la rentrée prochaine et seule une réforme paramétrique peut être réalisée dans un temps aussi court. Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer ce choix : pressions pour annoncer un redressement à long terme des finances publiques, choix stratégique de communiquer sur des mesures symboliques du système de retraite (« la retraite à 60 ans ») ou craintes d’un scénario à la Juppé en cas de réforme globale. Parmi les partisans d’une réforme paramétrique, on trouve aussi des syndicalistes et des universitaires. Jean-Christophe Le Duigou (CGT), Danièle Karniewicz (CFE-CGC, syndicat des cadres) ou Henri Sterdyniak (OCFE) ont ainsi pris parti contre toute réforme systémique et défendu une modification des paramètres du système actuel.

Ils ont tous défendu l’idée d’un âge pivot, « âge norme », qui pourrait évoluer avec le temps, mais qui doit continuer à faire référence. Leurs positions se distinguent donc essentiellement par le calendrier et l’ampleur de la hausse de paramètres comme la durée requise de cotisation ou l’âge minimum de liquidation.

3/ Le gouvernement, le Medef et la confédération des cadres défendent une hausse de l’âge minimum de départ en retraite couplée avec la hausse prévue de la durée requise de cotisation. Le Medef a suggéré une augmentation de l’âge minimal à 63 ans. Les modalités exactes de la proposition du gouvernement ne sont pas encore connues : hausse progressive de l’âge minimum ? hausse en parallèle de l’âge du taux plein, actuellement à 65 ans ? augmentation des âges minimums dans la fonction publique et dans le secteur privé ? Les paramètres qui peuvent être modifiés sont le calcul du salaire de référence dans la fonction publique (6 derniers mois au lieu des 25 meilleures années dans le secteur privé, intégration ou non des primes…).

Pour la droite, s’attaquer au symbole de la « retraite à 60 ans » permet de galvaniser les troupes de l’UMP, et de ringardiser la gauche comme incapable de proposer une réforme permettant de rendre soutenable l’équilibre des retraites.

Pour le gouvernement, il s’agit aussi de donner des gages symboliques à Bruxelles, Berlin et aux marchés financiers. Quand les Français ont fait pression sur la chancelière Merkel pour contribuer à l’aide financière à la Grèce, quand les Allemands ont annoncé une augmentation de l’âge du taux plein à 67 ans à l’horizon 2028 et au moment où l’on demande aux Grecs de repousser leur départ en retraite à 67 ans, on peut imaginer que le gouvernement français souhaite envoyer un signal fort sur la réforme des retraites.

Le problème de cette analyse, c’est qu’elle néglige complètement la perspective de long terme du système de retraite et de l'équilibre des finances publiques. La crise financière n’a pas mis considérablement en péril l'équilibre financier des retraites : ce qui reste la raison majeure des déséquilibres à long terme est l’augmentation de l’espérance de vie. Chercher à rééquilibrer le système à court terme en complexifiant encore notre système fait courir le risque d’accroître un peu plus la confusion et l'incertitude sur le pilotage à long terme. Croire qu’une réforme paramétrique, « symbolique » permettrait de rassurer les marchés financiers sur la soutenabilité à long terme des finances publiques est quelque peu déconcertant.

Par ailleurs, une augmentation seule de l’âge minimum de liquidation toucherait avant tout ceux qui ont commencé tôt à cotiser, les carrières longues, qui sont les grandes perdantes du système de retraite français. Il est difficile de ne pas y voir une proposition de réforme particulièrement injuste.

4/ Une partie de la gauche et du monde syndical s’accorde avec le gouvernement pour refuser toute réforme globale, mais s’oppose à celui-ci sur la façon d’équilibrer le système. A l’appel d’Attac et de la fondation Copernic, une pétition en ligne, signée par beaucoup de monde, des universitaires (André Orléan, Henri Sterdyniak, Pierre Concialdi, Jacques Généreux, Olivier Favereau) et des politiques (Olivier Besancenot, Noël Mamère, Marie-George Buffet, Jean-Luc Mélenchon) résume le diagnostic de cette position : les réformes déjà mises en place et envisagées appauvrissent les retraités et il est inenvisageable de reporter l’âge de départ en retraite lorsque les plus jeunes font face à un taux de chômage élevé. La pétition attaque aussi les propositions d’unification du système (en points ou en comptes notionnels) comme des mesures qui visent à paupériser les salariés et à inciter ceux qui occupent des professions à grande pénibilité physique à travailler toujours plus longtemps. La pétition propose une solution simple (certains diraient une « solution miracle »…) pour financer l’augmentation de la durée de la retraite : augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée (c’est-à-dire augmenter les salaires) et taxer les profits.

Que penser de cette analyse ? Davantage qu’une position politique particulière (au sens d’une préférence particulière pour la redistribution, par exemple), les personnes qui défendent cette position ont en commun de partager un certain nombre de croyances contestables.

La première croyance est que le marché du travail fonctionne de manière « malthusienne » : il est impossible de repousser l’âge de retraite effectif car il existe du chômage des jeunes ; si les seniors poursuivent leur carrière, cela va se traduire par plus de chômage pour les plus jeunes. Cette idée de substitution entre jeunes et vieux est le fondement des politiques de préretraites mises en place en France pendant une vingtaine d’années : on a subventionné les entreprises françaises avec de l’argent public pour se débarrasser des seniors, et ce de plus en plus tôt. Cette politique a été redoutablement « efficace » : le taux d’emploi des seniors a chuté avec une rapidité extraordinaire pour atteindre un des plus bas niveaux des pays développés (accompagné en cela par d’autres pays européens comme la Belgique). Le taux de chômage des jeunes, lui, n’a pas bougé. Les pays, comme la Suède, qui ont dépensé beaucoup d’argent pour faciliter le maintien en emploi des seniors, ont un taux d’emploi considérablement plus élevé non seulement pour les jeunes, mais également pour les seniors, . Sans surprise, on compte parmi les signataires de cette pétition un grand nombre d’anciens défenseurs des préretraites.

La seconde croyance des pétitionnaires est que les salariés ne paient pas in fine les retraites et qu’il n’y donc aucune raison qu’ils paient la durée supplémentaire en retraite qu’engendre l’augmentation de l’espérance de vie. Dans cette perspective, il ne faut surtout pas que les salariés soient responsables et organisent la soutenabilité à long terme de leur système de retraite. Il faut « lutter », il faut « augmenter les salaires ». La proposition principale de la pétition est donc tout simplement d’augmenter la part du PIB consacrée aux salaires. Cette position est cohérente avec la vision que les cotisations sont payées par les employeurs et ainsi s’oppose avec l’analyse standard de l’incidence fiscale.

Au-delà du fait qu’on ne sait pas expliquer le partage de valeur ajoutée, imaginons qu’il soit possible d’augmenter les salaires (avec la croissance de la productivité, c’est possible). On peut certes financer plus de temps en retraite, mais cela implique forcément que la part des salaires consacrée à la consommation de biens et services publics et privés sera réduite. Ce seront bien les salariés qui auront payé leur retraite, in fine. Ces biens et services, publics et privés, vont dépendre aussi du niveau des salaires (pensez aux heures d’infirmières dont vous aurez besoin à la fin de votre vie). Si on choisit d’augmenter les cotisations pour financer des retraites plus longues, la consommation de services privés ou publics devra baisser. On peut donc opposer à Henri Sterdyniak sa propre formule : « méfions nous des recettes miracles »…

Bon, ayant perdu la moitié des lecteurs, je vais arrêter là pour aujourd’hui. La prochain post sera consacré au rapport du COR de février 2010 sur la faisabilité des comptes notionnels.

_Antoine_

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dimanche 9 mai 2010

Retraites (9/41) : Etat des lieux


Avec une actualité si chargée sur la question des retraites, Ecopublix ne pouvait pas rester silencieux plus longtemps : rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) en février 2010, annonce du président de la République d’une réforme en mai-juin 2010, nouvelles projection du COR il y a quelques semaines et des prises de position multiples sur le sujet : unification ou pas, annuités, points ou comptes notionnels, âge de la retraite, financement, pénibilité... Où en est-on ? Où va-t-on ?


I/ Le système de retraite français

Avant de débattre d’une possible réforme du système de retraite français, encore faudrait-il savoir comment il fonctionne actuellement.

Le problème est que notre système de retraite actuel est le fruit d’une longue histoire : il est constitué de couches successives de législations, qui, au fil du temps, se sont consolidées en un patchwork de règles complexes à déchiffrer. Pour faire simple, on peut dire que le système de retraite français est :

1/ Morcellé : Il existe 36 régimes de retraites et en moyenne, un retraité français touche 2,3 pensions. On distingue les régimes de base (privé, fonction publique, régimes spéciaux) et les régimes complémentaires. La Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) est le régime de base des salariés du secteur privé, l’Arcco est le régime complémentaire des salariés non-cadres, l’Agirc celui des cadres, l’Ircantec celui des non-titulaires de la Fonction publique etc.

2/ En répartition : Cela veut dire que les cotisations des actifs servent à financer les retraites actuelles. Les cotisations ne sont pas placées sur les marchés financiers et il n’y a généralement pas de provisionnement (c’est-à-dire qu’il n’y a pas de « provisions », d’avoirs financiers en réserve pour honorer les pensions à venir). Il y a plusieurs exceptions à cette règle : la première est le Fonds de réserve des retraites (FRR), un fonds public en capitalisation, créé en 1999 par le gouvernement Jospin mais qui n’a été que peu alimenté ; la seconde correspond aux réserves des régimes complémentaires et en particulier de l’Agirc ; enfin la troisième correspond aux fonds du Régime additionnel de la fonction publique (RAFP), régime en capitalisation créé en 2003 pour prendre en compte les primes dans la fonction publique.

3/ Contributif : Les pensions versées sont fonctions des cotisations versées ; plus vous avez eu des salaires élevés, plus la pension que vous toucherez sera importante. Le caractère contributif dépend de la formule exacte de pension, qui varie selon les régimes.

Dans le secteur public, le régime est dit en annuité, avec un taux de remplacement appliqué au traitement indiciaire des derniers 6 mois. Par exemple, un fonctionnaire qui partirait à la retraite en 2012 avec 41 ans de cotisation et dont le traitement serait de 3000 euros obtiendrait une pension de 2250 euros mensuel, celui avec un traitement de 1500 euros, obtiendrait 1125 euros. On appelle le système en « annuité » car chaque année de cotisation rapporte un pourcentage du taux de remplacement. Par exemple, dans notre exemple, chaque année vaut 1,829 %. Notre même fonctionnaire qui parviendrait à l’âge de la retraite avec 40 de cotisation, obtiendrait un taux de remplacement de 73,17% (ou 40/41*0,75).

Pour les salariés du secteur privé, on distingue le régime de base qui porte sur les salaires sous le plafond de la Sécurité sociale et les régimes complémentaires qui fonctionnent « en points » sur les salaires au-dessus du plafond. Dans le régime général, la pension dépend du salaire de référence, calculé comme la moyenne pondérée par l’inflation des 25 meilleures années de salaire sous plafond. La pension dépend aussi de l’âge de départ et de la durée de cotisation. Le taux plein de 50% est atteint sous condition d’avoir, soit atteint 65 ans, soit d’avoir la durée requise du taux plein, qui a été portée à 41 ans. Pour chaque trimestre manquant par rapport au minimum de 65 ans ou de 41 ans de cotisation, une décote est appliquée de 5% par trimestre manquant. Tout trimestre contribué au-delà de ces conditions requises permet d’obtenir une surcote venant bonifier la pension. L’âge de 60 ans est l’âge minimum de liquidation, mais il ne s’agit pas de l’âge du taux plein qui dépend de la durée de cotisation ou d’avoir atteint 65 ans.

Par exemple, un salarié qui aurait 41 ans de cotisation et 60 ans en 2012 pourrait obtenir une pension au taux plein, soit 50% de son salaire de référence. Si sa carrière a été doucement croissante, 1% de croissance chaque année de façon linéaire, avec un début de carrière à 1000 euros et en fin de carrière à 1500 euros, cela donnerait un salaire de référence à 1318 euros et une pension mensuelle de 660 euros.

La pension du régime générale est bien souvent insuffisante pour obtenir une pension décente : les salariés du secteur privé comptent alors sur les régimes complémentaires, qui eux fonctionnent en points. Le principe du fonctionnement en point est que les cotisations donnent droit à des points selon la valeur du « salaire de référence », qui est le prix d’achat du point (il convertit les cotisations en points). Les salariés accumulent des points, qui permettent la liquidation d’une pension dont le montant est déterminé par la valeur du point au moment de l’âge de liquidation (prix de vente du point).

Par exemple pour notre salarié du secteur privé en fin de carrière à 1500 euros, il cotise aussi à l’Arrco sur la base du salaire sous plafond. Il cotise 7,5% de son salaire pour la retraite complémentaire qui lui donne droit à des points. On calcule le nombre de points en divisant la valeur des cotisations (0,075*1500*12=1350 euros) par la valeur du points (en 2010 14 euros), ce qui donne quelque chose comme 96 points cette année là. En imaginant que ces paramètres ont été valides tout au long de sa carrière, il pourrait faire valoir 3200 points. Au moment de son départ en retraite le salarié va convertir ces points en pensions. En Avril 2010, le point Arrco vaut 1,884 euros, donc le salarié peut obtenir une pension complémentaire de l’ordre de 500 euros mensuel (3200*1,884/12). Tout cela est bien sûr extrêmement simplifié.

4/ Redistributif : Le système de retraite français consiste aussi dans de nombreux avantages dits non-contributifs, au sens où ils ne sont pas conditionnés à des cotisations passées. Ces avantages non-contributifs incluent le minimum vieillesse, les bonifications pour enfants, les trimestres gratuits pour maladie, chômage, préretraite, invalidité, etc. Ces droits non contributifs représentent environ 30% des dépenses totales de retraite et sont très importants pour la redistribution globale du système.

A l’inverse, il existe des effets anti-redistributifs (qui transfèrent des ressources des plus pauvres vers les plus riches) moins apparents dans le système. Les inégalités d’espérance de vie en sont un exemple classique : tout système de retraite redistribue de ceux qui meurent jeunes vers ceux qui meurent vieux. Le problème est que ceux qui ont une faible espérance de vie sont aussi souvent ceux qui ont de faibles revenus, et ainsi le système de retraite redistribue aussi des hommes vers les femmes, des plus pauvres vers les plus riches.

5/ Complexe : le système français décrit ici en quelques lignes est pourtant bien plus complexe ; vous ne pourrez pas calculer votre pension exacte avec cette brève description !

II/ Le décor de la réforme de 2010

Deux éléments forment le décor de fond de la réforme des retraites annoncée pour 2010 : la réforme de 2003 et la crise financière de 2008.

La réforme de 2003, dite réforme Fillon, avait posé les perspectives du pilotage à long terme du système de retraite français : augmentation de la durée requise de cotisation proportionnellement à l’augmentation de l’espérance de vie et augmentation des cotisations retraite (sous condition de la baisse du chômage et des cotisations de l’assurance chômage). Après cette réforme, M. Fillon avait jugé que le problème des retraites était réglé une fois pour toutes. La loi de 2003 prévoyait des « rendez-vous » tous les quatre ans (2008, 2012, 2016) pour ajuster le scénario de base et confirmer la hausse de la durée requise de cotisation. En 2007, un rapport du COR visait à préparer la discussion pour le « rendez-vous 2008 » en détaillant les nouvelles projections financières des régimes, mais en 2008 le rendez-vous prévu n’a pas eu lieu.

La crise financière arrive alors et touche non seulement les systèmes en capitalisation (dont les avoirs sont réduits considérablement) mais aussi les systèmes en répartition avec la baisse des ressources (du fait de la baisse de l’emploi et des salaires). Les finances publiques de tous les États se détériorent très rapidement, avec l’augmentation des déficits et l’explosion de la dette publique. En intervenant pour stabiliser l’économie et éviter le spectre d’une grande dépression, les États ont pris à leur charge une part importante de la dette, fragilisant ceux qui se trouvaient déjà dans une situation critique (Grèce, Japon, etc.). Pour convaincre les détenteurs de dette qu’ils ne vont pas recourir à l’inflation ou faire défaut, les États doivent alors démontrer qu’ils ont la capacité de gérer leurs engagements sur le long terme. Et c’est là que revient la question des retraites : une grande partie de la soutenabilité des finances publiques sur long terme dépend de la crédibilité des États à financer leurs engagements de retraite face au vieillissement de leur population.

Ces deux éléments ont, semble-t-il, convaincu le gouvernement qu’une réforme des retraites était devenue un impératif en 2010 : rattraper le rendez-vous manqué de 2008 et donner des signes concrets aux marchés financiers et à nos partenaires européens (notamment l’Allemagne) d’un engagement à maîtriser les finances publiques sur le long terme.

Le décor étant posé, j’attaquerai le débat 2010 dans un prochain post.

_Antoine_

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mardi 3 février 2009

Deaton et les instruments de developpement


Juste un mot pour revenir sur le débat sur les expérimentations et les méthodes d'évaluation des politiques d'aide au développement. Angus Deaton vient de mettre en ligne le papier qui décrit précisement l'analyse qu'il avait présentée à la British Academy à Londres en novembre dernier. Un document à lire absolument pour tous ceux qui sont intéressés par ce débat.
_Antoine_

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mercredi 14 janvier 2009

Esther Duflo en live



Pour ceux qui n'ont pas eu de places pour suivre les leçons d'Esther Duflo au Collège de France, il est possible de regarder la vidéo et d'obtenir la description de l'ensemble des leçons avec leur bibliographie sur le site du Collège de France. Comme quoi on peut dater de 1530 et être à la page...
_Antoine_

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samedi 10 janvier 2009

La révolution des « randomistas »


Esther Duflo vient d’inaugurer sa leçon au Collège de France et elle a les honneurs mérités de The Economist, du Monde et bien sûr d’Ecopublix. C’est l’occasion de revenir sur une controverse qui anime le petit monde des économistes du développement, avec à son cœur l’approche empirique défendue par notre petite Française. On n’y parle pas des milliards de dollars des banques, mais de la meilleure façon d’améliorer l’aide en faveur des milliards de personnes qui vivent avec quelques dollars par jour. Le débat se concentre sur la pertinence des « expériences contrôlées » pour accroître l’efficacité des politiques d’aide au développement initiées par les organismes tels que la Banque Mondiale ou les ONG. Alors que l’expérimentation est devenue une méthode de référence en économie empirique, des voix s’élèvent pour mettre en garde contre les espoirs que ce type de méthodes suscite. Qu’en penser ?

I. La révolution des expériences contrôlées

Pour comprendre l’enthousiasme récent des économistes pour les expériences contrôlées, il est nécessaire de faire un (rapide) survol des méthodes utilisées par les économistes dans le passé. Dans les années 1980, la méthode reine est la régression en coupe internationale : on rassemble des données sur 100 pays et on regarde les corrélations entre différentes variables. Par exemple, on constate que le montant de l’aide au développement est négativement associé à la croissance du pays. Il est alors évident que l’on ne peut en tirer aucune conclusion en termes de causalité : l’aide au développement cause–t-elle une faible croissance, ou l’inverse ?

James Heckman, prix Nobel d’économie et grand monsieur de l’économétrie, a inventé (après d’autres) une solution statistique au problème : il suffit de trouver un « instrument », c’est-à-dire une variable qui permette d’expliquer le niveau de l’aide versée mais qui soit indépendante de la croissance. L’instrument ainsi trouvé permettra d’approcher l’effet causal de l’aide sur la croissance : il s’agit de la méthode des variables instrumentales.

Cette méthode a été reprise puis adaptée aux cas des « expériences naturelles ». Celles-ci reposent sur l’idée que si l’on peut identifier deux groupes identiques et si l’un de ces groupes bénéficie de – ou subit – un « traitement » (une politique, un choc économique), il est possible de tirer des conclusions sur l’effet net moyen de ce « traitement » sur différentes variables (le revenu, la probabilité d’emploi, la santé, etc.). Si les conditions sont réalisées on pourra alors parler de causalité.

Toute une école d’économistes s’est lancée dans ces nouvelles méthodes, en particulier à Harvard et au MIT (Orley Ashenfelter, Josh Angrist ou plus récemment Steven Levitt sont des exemples parmi beaucoup d’autres). Les expériences naturelles ont fleuri et avec elles de multiples techniques (double différence, matching, regression dicscontinuity, etc). Avec la prolifération de ce type d’études, la qualité des travaux s’est néanmoins détériorée. Les multiples vérifications, pour s’assurer que les groupes de contrôle et groupes tests ne sont pas touchés par la réforme étudiée, étaient plus rarement mises en pratique. Le stock de « bonnes expériences naturelles » ou de « bons instruments » est vite apparu comme limité. Quelques chercheurs, particulièrement conscients des difficultés qu’il y avait à réaliser ces bonnes expériences naturelles, ne souhaitaient pas en rester là. Si les expériences naturelles étaient rares, ne fallait-il pas créer ce que la « nature » n’avait pas produit et passer à l’expérimentation « contrôlée » ?

L’expérimentation en économie s’est développée dans deux domaines en particulier : l’évaluation des politiques publiques et l’économie du développement. Dans les deux cas, l’évaluation avait pour objectif d’optimiser l’utilisation de ressources rares (l’argent des contribuables ou l’aide au développement) afin de maximiser l’efficacité pour les bénéficiaires.

En économie du développement, les chercheurs qui ont le plus œuvré dans cette direction sont deux brillants économistes du MIT, Esther Duflo et Abhijit  Banerjee. Ils ont créé une fondation « Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab » dédiée entièrement au financement d’expérimentation de différentes politiques d’aide aux pays en voie de développement. L’objectif était de sortir des contraintes des expériences naturelles (où l’on est dépendant de l’expérience que l’on trouve) afin de se concentrer sur les questions pour lesquelles on cherchait des réponses. Le choix de l’expérimentation repose sur l’avantage considérable du tirage aléatoire (randomization) pour mesurer les effets d’une politique (ou d’une aide spécifique). Les résultats sont précis et robustes. De multiples études ont été réalisées qui nous ont appris beaucoup sur la façon de bien conduire de l’aide au développement (voir cet article récent qui liste les résultats surprenants d’expérimentations récentes). De plus en plus d’ONG calquent leur pratique sur les enseignements de ces études et travaillent avec des chercheurs pour améliorer l’efficacité de leurs actions. A l’opposé de la caricature d’économistes loin de la réalité en train de manipuler de grandes théories, ces chercheurs ouvrent la boite noire de la production des politiques publiques. Par exemple comment améliorer l’éducation dans les pays en voie de développement ? Faut-il embaucher plus de professeurs, payer des livres, subventionner les cantines scolaires ou vérifier la présence des professeurs. Banerjee et Duflo expliquent que les expérimentations ont pu mettre en lumière  l’efficacité sensiblement différente des politiques pour obtenir le même niveau d’éducation. L’enthousiasme, légitime, de ces jeunes chercheurs les a amené à considérer l’expérimentation comme l’idéal méthodologique (le « gold standard ») de l’économie empirique mais aussi comme l’espoir d’un renouveau de l’engagement citoyen et la promesse d’un monde meilleur...

II. Les critiques des sceptiques

Ces nouvelles méthodes n’ont pourtant pas convaincu tout le monde. Elles suscitent même de sérieuses controverses parmi les économistes (relatées en partie par The Economist). Récemment, à l’occasion de la publication d’un livre au MIT Press par Abhijit  Banerjee, Making Aid Work, puis d’une conférence organisée par le Brookings Institute, le très respecté Angus Deaton (Princeton) et le non moins écouté Dani Rodrik (Harvard) ont chacun fait part de leurs inquiétudes devant le développement de ces méthodes (ou les attentes que l’on peut en avoir). Deaton raille ainsi ces « randomistas » qui ont développé une passion pour les expérimentations et dénonce les expérimentations comme la dernière lubie à la mode. Deux types de critique sont mises en avant.

1. L’éthique en question

Le premier problème de l’expérimentation est un problème éthique. L’identification d’un groupe de contrôle et d’un groupe test suppose que l’on choisit consciemment de ne pas « traiter » tout le monde. Comme le « traitement » est généralement une politique ou de l’aide que l’on juge a priori bénéfique, il est difficile de ne pas voir une injustice à ne pas offrir cette aide à tout le monde. L’argument des chercheurs a été de pointer le fait qu’on ne connaît pas l’efficacité des différentes aides possibles. Les ressources étant rares, chaque ONG est finalement contrainte à faire un choix d’un pays et même d’une petite région où opérer. En testant les différentes aides possibles par expérimentation, les ONG peuvent non seulement lever plus de ressources mais également privilégier les méthodes les plus efficaces, aidant ainsi un nombre bien plus large d’individus.

Mais cette justification apparaît parfois difficile à tenir. Si personne ne réagit fortement lorsque l’on évalue l’aide à l’éducation en comparant l’achat de livres par rapport à l’achat de l’uniforme ou l’effet de la présence des enseignants, lorsqu’on parle de l’effet de traitement médicaux sur les performances scolaires, de légitimes questions doivent être posées. Edward Miguel et Michael Kremer ont ainsi étudié l’effet d’un traitement contre les vers intestinaux sur l’absentéisme à l’école afin de mesurer les effets d’externalité des politiques de santé sur l’accumulation de capital humain. Cet article, qui est par ailleurs un article « phare » de cette école de recherche, a causé des discussions animées sur la justification éthique de telles recherches. Le processus expérimental a consisté à tirer au hasard des enfants kenyans en administrant à seulement la moitié d’entre eux le traitement contre les vers pour mesurer l’effet du traitement sur les performances scolaires (on connaît l’efficacité directe du traitement en terme de santé et le coût du traitement est très faible). Les chercheurs pointent que cette étude a permis de mettre en évidence qu’un traitement qui coûte 30 centimes permet d’obtenir un supplément d’éducation aussi tangible que de couteuses politiques à plus de 6000 $. Au lieu de financer des livres pour chaque enfant, il est possible – pour le même coût – d’être vingt mille fois plus efficace en offrant un traitement contre les vers à tous les enfants africains.

Le résultat de cette étude valait-il le coût éthique de cette expérimentation ? Est-il mieux de pouvoir mesurer cette externalité ou faut-il savoir limiter les champs d’expérimentation ? En d’autres termes, la fin justifie-t-elle les moyens ? Même si l’objectif final est d’aider ces populations, on ne peut s’empêcher de penser que s’il est plus facile de réaliser ces expériences dans les pays en voie de développement c’est aussi parce que dans les pays développés, les citoyens ont leur mot à dire sur l’opportunité de ces études…

2. Les limites méthodologiques

Plus que le problème éthique, ce qui semble le plus agacer les sceptiques, ce sont les prétentions de supériorité méthodologique.

James Heckman rappelle que la validité des expérimentations n’est que conditionnelle. Les résultats ne sont valables que dans le contexte de l’expérimentation (dans le pays, sur l’échantillon traité, selon les conditions macroéconomiques, etc.) . Ainsi, si une expérience met en évidence que l’aide aux chômeurs en Suède pendant une forte période de croissance est positive sur le retour à l’emploi, cela ne permet pas d’en déduire l’effet d’une politique similaire en France pendant une période de récession. Selon les mots de Deaton, le risque est d’amasser des faits et non de la connaissance. Les défenseurs des expérimentations lui rétorque que c’est une raison supplémentaire de faire plus d’expériences et non moins !

Les sceptiques répliquent alors que la multiplication des expérimentations de résout pas le fait qu’elles ne mesurent pas tous les effets. Ainsi, une politique peut être efficace à dose homéopathique (lorsqu’elle n’a pas d’impact sur les coûts ou les marchés du travail) mais peut se révéler complètement inefficace une fois qu’on prend en compte ses impacts macroéconomiques. C’est pourquoi Deaton raille les espoirs mis dans les expérimentations car, selon lui, elles ne peuvent qu’évaluer des petites politiques mais deviennent obsolètes dès que l’aide versée est suffisamment importante pour faire une différence.

L’autre point du débat est l’opposition entre vision micro et macro. Si les méthodes empiriques des macroéconomistes ont été discréditées au profit d’analyses micro plus rigoureuses et plus ciblées, les analyses globales (institutions, ouverture commerciale, etc.) n’en restent pas moins pertinentes pour expliquer le développement économique. Comme Deaton et Rodrik le soulignent, les pays qui se sont développés récemment (et ont sorti de la pauvreté des millions d’individus) ne l’ont pas fait en s’appuyant sur une aide extérieure et encore moins sur des politiques de développement expérimentées au préalable, mais en s’ouvrant au commerce, en garantissant les droits de propriété et en luttant contre la corruption.

Au final, doit-on reprocher à l’expérimentation d’apporter des informations très précises certes mais sur des points somme toute négligeables ?

III. Qu’en conclure?

Ce débat peut laisser songeur. Lorsque l’on compare la défense des expérimentations par Duflo et Banerjee et les critiques qui leur sont faites, on ne peut s’empêcher de penser que tout le monde s’accorde en fait sur deux points essentiels : les expérimentations sont extrêmement utiles et correspondent à un progrès substantiel par rapport aux analyses passées. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire pour autant et d’autres méthodes, avec une meilleure compréhension des mécanismes, devront être développées. Une des voies d’avenir serait de parvenir à modéliser les comportements économiques en testant les hypothèses lors d’expériences : si le modèle est robuste à ces tests, il peut être utilisé pour juger d’autres politiques, hors du contexte de l’expérimentation ou pour évaluer des politiques qui ne peuvent pas être soumises à l’expérimentation.

L’opposition micro/macro est aussi stérile. Certes, les grands mouvements macroéconomiques (croissance, commerce) sont probablement plus importants pour la réduction de la pauvreté dans les pays pauvres, mais en rester à un niveau d’analyse macro n’a souvent aucun intérêt pratique : savoir si l’aide en soi est bonne ou pas pour la croissance n’est pas forcément la bonne question à poser au vu de l’hétérogénéité de l’aide possible. Essayer de comprendre quel type d’aide est efficace, ou est contreproductif, est probablement plus important. Pour ce faire, une combinaison d’expérimentations et de modélisation d’effets macroéconomiques sera déterminante.

Il est enfin difficile de reprocher aux partisans des expérimentations le souhait de voir ajouter au mur de la connaissance économique des petites mais solides pierres, quand on compte le nombre de grandes théories qui n’ont pas survécu à leur auteur. La modestie de ces approches est au contraire tout à l’honneur des chercheurs qui les poursuivent. Ceux qui en viennent à professer que les expérimentations sont la seule voie pour sauver le monde n’en ont simplement pas compris la philosophie.

_Antoine_

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mardi 2 décembre 2008

Willem Buiter : la politique monétaire sans complexe


Willem Buiter, professeur à la London School of Economics, ancien membre du Comité monétaire de la Banque centrale britannique et blogueur émérite sur le Financial Times, vient de signer un post extrêmement stimulant sur les options de la politique monétaire (pour poursuivre l'évocation de la politique macroeconomique en cas de récession): en deux mots, il suggère de baisser tout de suite les taux d'intérêt à zéro... Cela rejoint en partie des idées sur l'efficacité de la politique monétaire mises en avant par Christina Romer (qui vient de rejoindre l'équipe d'Obama).
Willem Buiter avait expliqué, il y a quelques temps qu'il ne bloguait pas pour son public mais pour mettre au clair ses idées et pour se soumettre à sa propre lecture critique (et à celle de ses lecteurs). Visiblement le blog aide certains à penser sans complexe...
_Antoine_

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lundi 24 novembre 2008

Le problème des retraites (8/40) : pédagogie écrite et orale


J’ai fait quelques essais de pédagogie du système de comptes notionnels hors des pages de ce blog : d’abord en répondant aux interrogations des lecteurs de Libération qui restaient dubitatifs sur le financement en répartition d’un tel système, ensuite en participant à l’émission de France Culture « L’économie en question » de Caroline Broué et Olivier Pastré lundi 24 novembre. J’étais l’invité de l’émission aux côtés de J-C Leduigou, secrétaire général de la CGT et responsable, entre autres, de la question des retraites. Récit d’une première fois en direct à la radio…

Comme toutes les premières fois, c’est à la fois stressant et un peu excitant. Peur de ne pas être à la hauteur, le trou blanc, la panne… et puis pris dans l’émission, on se laisse prendre par la conversation et le débat. Les journalistes et J-C. Leduigou ont été indulgents avec le petit jeune et au final l’expérience n’a pas été désagréable. Elle m’a surtout permis de rencontrer un responsable d’une grande centrale syndicale et d’essayer de le convaincre de considérer notre proposition.

Sur le fond, J-C. Leduigou n’a pas (encore) été convaincu par notre proposition même s’il semble acquis à la proposition de revoir complètement notre système de retraite. Il partage le diagnostic à l’origine de cette proposition : un système complexe, parsemé d’injustices et d’incertitude sur les droits à la retraite, dont la garantie financière n’est pas assurée et dont certains aspects (comme la revalorisation par les prix) ont des effets pervers encore peu visibles.

A l'inverse son opposition au système de comptes notionnels comme un retour à un « système d’assurance » et comme un système inégalitaire ne m’a pas vraiment convaincu. Son affirmation que nous sommes sorti du système d’assurance vieillesse (et dans un système de « salaire différé ») me semble reposer sur une vision étrange (ou que je ne comprends pas bien) des cotisations retraites : pas vraiment des cotisations (sinon il y a assurance), pas des impôts (elles ouvrent des droits à la retraite)…  Qu’est-ce alors qu’un système de « salaire différé » ? Un système où la retraite dépend du dernier salaire uniquement ? profitant ainsi aux salaires plus élevés et organisant la redistribution des plus pauvres vers les plus riches ?

Quant à l’accusation récurrente que le système de comptes notionnels est inégalitaire, il repose sur deux erreurs ou malentendus : la première est de croire que le système actuel est le parangon de la redistribution quand il organise de multiples redistributions à l’envers, qui restent cachées à l’oeil du citoyen. La seconde est d’oublier que le système de comptes notionnels repose sur un deuxième pilier de redistribution, financé par l’impôt, qui permet de créditer les comptes de tous ceux qui ont des aléas de carrière ou des salaires faibles tout au long de leur vie. Il n’y a pas de niveau de redistribution qu’on ne puisse répliquer (et a fortiori augmenter) dans un tel système. La seule condition requise est la transparence.

Pour poursuivre le débat, les lecteurs peuvent aller lire (ou relire) les posts consacrés la retraite sur Ecopublix.

_Antoine_

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lundi 17 novembre 2008

Prêts pour un stimulus budgétaire ?


La crise bancaire étant derrière nous (cuff, cuff…) et une récession devant nous, il est temps pour les économistes de se prononcer sur un diagnostic. Le malade demande que l’on fasse quelque chose et n’est qu’à moitié rassuré par le silence des spécialistes. Un court billet pour se remémorer les options qui ont été (ou auraient pu être) discutées au sommet du G20: faut-il tenter un stimulus budgétaire ? et si oui comment ?

Ce post est un court billet pour avoir en tête la question des modalités des politiques macro qui peuvent répondre (à défaut de résoudre) la crise économique actuelle/à venir. Je ne parlerais ici ni de la régulation du marché financier, ni du marché immobilier, mais simplement des politiques macroéconomiques à disposition. Je renvoie aux deux excellents billets (1 et 2) de Jean-Edouard de Ma femme est une économiste pour un débat sur les causes de la crise financière. Si on se concentre sur la bonne façon de répondre à la récession qui approche à grand pas, de nombreuses options sont en ce moment en discussion.

La première approche est d’utiliser la politique monétaire : les banques centrales peuvent baisser les taux d’intérêt et ainsi réduire considérablement l’effet d’une récession. La Fed américaine, dirigée par Ben Bernanke, a réduit ses taux directeurs sans le moindre état d’âme. Le taux officiel est aujourd’hui à 1% et va probablement encore baisser. La BOE (Bank of England), dirigée par Mervyn King, s’est départie de sa crainte habituelle des tensions inflationnistes au Royaume-Uni (taux généralement plus élevés que dans la zone Euro) a réduit son taux de base de 150 points de base (1,5%) pour passer à 3% en dessous du taux de la BCE (à 3,25%). D’autres baisses de taux sont à prévoir. L’inflation, forte ces dernières années avec la hausse des prix du pétrole et des produits alimentaires, est en chute libre partout. Le sceptre de la déflation (baisse des prix) est réel et avec elle la perspective d’une longue récession à la Japonaise : si les prix baissent, le taux d’intérêt réel augmente, et la banque centrale, ne pouvant baisser ses taux en dessous de zéro perd son instrument principal. L’autre problème actuel est que la politique monétaire est moins efficace actuellement du fait que les banques se prêtent entre elles à un taux bien supérieur au taux de la banque centrale (voir ici les explications d’Alexandre Delaigue sur les écarts entre le LIBOR et le taux directeur et ici pour une démonstration graphique par John Authers du Financial Times).


La seconde approche est donc d’utiliser le deuxième instrument classique en macroéconomie : la politique fiscale. C’est là qu’on voit renaître les politiques dites keynésiennes. Paul Krugman disait il y a quelques jours à la BBC : « dans le long terme, Keynes n’est pas mort… » et le prix Nobel de rajouter que ses calculs lui suggéraient un stimulus de l’ordre de 3% du PIB (600 milliards $)… Martin Feldstein, Larry Summers ou Mervyn King ont tous indiqué qu’un stimulus fiscal devait être sérieusement envisagé en plus des « stabilisateurs automatiques » (le fait que dans une récession les impôts reçus baissent avec l’activité, alors que les dépenses augmentent). De nombreux commentateurs voient dans ces prises de position un aveux d’échec du monétarisme ou du non interventionnisme néolibéral : Keynes n’était-il pas définitivement enterré ? Les économistes sont beaucoup moins surpris. Les enseignements de Keynes ont été complètement intégrés par la macroéconomie moderne : quand Keynes pestait dans les années 1930 contre la politique économique de l’époque (refus des banques centrales de baisser les taux d’intérêt, politiques de réduction du déficit, baisse des salaires et licenciement des fonctionnaires etc.), il pourrait voir avec une certaine satisfaction que les leçons de la crise de 29 ont été tirés. Ce que les économistes ont appris depuis, en particulier pendant les années 1960 et 1970, c’est que les politique de relance budgétaires ne peuvent pas avoir d’effet sur la croissance de long terme. Pour avoir un effet, un stimulus fiscal requière un certain nombre de conditions. Un article récent de deux économistes de la Brookings Institution, Douglas Elmendorf et Jason Furman, rappelle les trois recettes pour un stimulus bien réussi : « Timeley, targeted and temporary ».

Principe 1 : un stimulus doit être mis en place au bon moment. L’ambulance, pour être utile, doit arriver avant que le patient n’ait perdu trop de sang. C’est souvent le problème avec la politique budgétaire au sens où elle met du temps à se mettre en place et risque ainsi d’arriver après la bataille. Rien de pire par exemple de voter aujourd’hui des mesures fiscales pour le prochain budget qui va prendre effet avec une année de retard. En même temps, un des avantages de la politiques budgétaire sur la politique monétaire est d’avoir des effets plus immédiats. Ainsi, un stimulus budgétaire peut avoir un effet dès le premier trimestre de son introduction ce qui est rarement le cas d’une baisse des taux directeurs. Les économistes débattent alors de la bonne façon de décider quand déclencher une action budgétaire (si l’emploi baisse deux mois consécutifs par exemple) et quand l’arrêter.

Principe 2 : un stimulus budgétaire doit être ciblé sur ceux qui sont le plus touchés par la crise et les plus susceptibles de dépenser ce supplément de revenu. Faire des baisses d'impôts pour des individus qui vont épargner le supplément de revenu n’aura aucun effet. A ce titre cibler le stimulus sur les ménages les plus pauvres ou les plus touchés par la crise fait sens pour des raisons d’efficacité. Viser aussi les petites entreprises qui sont les plus susceptibles de faire face à des contraintes de crédit est aussi plus efficace. Engager des grands projets d’infrastructure par contre est beaucoup moins efficace : il faut du temps pour préparer des projets d’envergure, et le souhait de vouloir dépenser vite risque de conduire à des gaspillages et à l’inefficacité de la politique budgétaire. Si il est possible d’avancer dans le temps des dépenses ou repousser des prélèvements, ce sont des options à considérer.

Principe 3 : un stimulus doit être temporaire sinon il risque d’être complètement inefficace. En effet, si le stimulus est permanent, la position financière de l’Etat se détériore, conduisant à une action inverse de la banque centrale (forcée d’augmenter les taux d’intérêt). Toute baisse d’impôt (ou hausse des dépenses) permanente est donc à proscrire dans cet exercice. Dans le long terme (ce que reconnaissait Keynes), augmenter le déficit structurel ne permet d’augmenter la croissance, mais va au contraire conduire à des taux d’intérêt supérieurs (et réduire celle-ci). Les baisses d’impôts ou augmentation des dépenses doivent donc non seulement être temporaires mais il est préférable d’annoncer tout de suite qu’une fois la crise passée, il faudra augmenter les impôts plus fortement.

A ces trois conditions valables pour une grande économie comme les Etats-Unis, il faut en rajouter une quatrième pour les petites économies ouvertes comme le Royaume-Uni ou la France: un stimulus doit être réalisé en concertation avec ses partenaires commerciaux sinon il risque d’être complètement dilué par les importations. Pire il risque de conduire à une détérioration plus forte de la position relative de la monnaie du pays en question et ainsi conduire la banque centrale à ne pas baisser ses taux autant que nécessaire. Willem Buiter ajoute enfin sur son blog que la capacité à de faire une relance budgétaire dépend aussi de la position de départ des équilibres budgétaires, la France et la Grande-Bretagne sont plutôt mal placés pour le faire, l’Allemagne, ou la Chine beaucoup mieux. On comprend ainsi mieux les enjeux du G20, où Gordon Brown voulait convaincre ses collègues chinois de célébrer le prestigieux économiste de Cambridge.

Dans le long terme, Keynes n’est pas mort, mais il n’est vraiment vivant que dans le court terme…
_Antoine_

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lundi 20 octobre 2008

Réformes des retraites (7/40) : proposition... de lecture


Maintenant que vous avez lu le dernier Econoclaste, vous pouvez acheter dans toutes les bonnes librairies le dernier opuscule du Cepremap, consacré à la proposition faite par Thomas Piketty et votre serviteur pour une ambitieuse réforme des retraites. Il s’agit d’une version remaniée et révisée du document de travail esquissé en mars dans Le Monde, présenté sur Ecopublix et discuté par Emmanuel de Ceteris Paribus et Arthur Goldhammer de French politics. Un court article annonce la publication dans l’Express et l’opuscule sera présenté le 24 octobre à Paris et discuté par M. Charpin et M. Malys. Il y a peu de sexe et beaucoup de notes de bas de page, mais nous avons essayé d’être aussi pédagogique que possible sur ce sujet qui concerne chacun d’entre nous.

De nombreux autres travaux restent à faire, mais nous espérons que cette proposition suscitera suffisamment d’intérêt pour motiver d’autres études, plus poussées et plus précises. L’objectif n’est pas de proposer une solution miracle – l’équation fondamentale des retraites (cotisations, niveau des pensions et âge de la retraite) est incontournable – mais de clarifier les droits à la retraite sur le long terme et ainsi renforcer notre assurance vieillesse publique, obligatoire et en répartition.

Les points qui ont été clarifiés dans cette nouvelle version concernent en particulier la question de la revalorisation des pensions après la liquidation. La logique des comptes notionnels est d’offrir la même revalorisation que la croissance des salaires (et non pas une revalorisation, généralement plus faible, sur les prix). Ceci a l’avantage d’un système très simple en terme de mécanisme et aussi très clair : la croissance est partagée entre actifs et retraités et le niveau de vie des retraités est maintenu constant relativement au niveau de vie des actifs. Dans le système actuel, les retraites sont indexées sur les prix, entraînant en cas de croissance un décrochage progressif des pensions par rapport aux salaires, décrochage d’autant plus marqué que les retraités sont âgés ou sont partis tôt en retraite.

Bien évidemment, si l’on décide de passer à une revalorisation par les salaires et non les prix, cela a un coût qui se traduit par des taux de remplacement plus faible au début de la retraite, en échange de retraites qui sont revalorisées plus favorablement. Dans le système suédois actuel ainsi que dans le système italien, les pouvoirs publics ont décidé de maintenir l’indexation sur les prix et donc d’anticiper la croissance des salaires en offrant des taux de remplacement plus élevés en échange d’une revalorisation par les prix. C’est de là que vient le mécanisme de 1,6% de croissance (cas suédois) anticipé. Cela donne lieu à un mécanisme de correction automatique si la croissance se retrouve plus faible que le taux anticipé : les retraites peuvent ainsi croître plus faiblement que l’inflation si le taux de croissance passe en dessous des 1,6%.

Dans l’opuscule, nous avons proposé de considérer de revenir en arrière sur cette indexation sur les prix instituée par M. Balladur pour remettre en place une indexation sur les salaires. Non seulement le mécanisme d’ajustement est plus simple (tous les salariés et retraités profitent de la même croissance des salaires) mais aussi les choix de retraite sont plus transparents. Le succès de la réforme Balladur a été de réduire les pensions par un mécanisme d’indexation peu clair aux yeux des salariés (pas de baisse apparente du taux de remplacement) même si la réduction des taux de remplacement était bien réelle. La logique des comptes notionnels est de mettre au jour la soutenabilité du système et de clarifier les choix publics à faire.

Là encore vos commentaires sont les bienvenus.
_Antoine_

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