lundi 17 mai 2010

Retraites (11/41) : le rapport du Cor et son faible écho


Lors du non-débat sur les retraites de 2008, un intérêt vif pour une remise à plat du système de avait vu le jour. Il avait conduit les parlementaires à demander un rapport au Conseil d’orientation des retraites (Cor) sur la faisabilité d’une unification de nos régimes de retraite avec un fonctionnement en annuité, en points ou comptes notionnels. Le rapport du Cor a été publié en février de cette année. Il est suffisamment intéressant pour mériter une lecture approfondie, d’autant plus qu’il n’a eu qu’un faible écho dans la presse au moment de sa parution.

I/ Le 7e rapport du Cor

En février 2010, le Cor a publié un rapport, commandé par le Parlement, sur la faisabilité d’une réforme systémique (en annuités, en points ou en comptes notionnels). Le rapport est disponible en ligne et on ne peut qu’en recommander la lecture. Suivant sa tradition de pédagogie non partisane, le Cor détaille le fonctionnement du système actuel, ses composantes et ses effets redistributifs, et effectue une comparaison minutieuse avec le fonctionnement en points ou en comptes notionnels. Quels sont les principaux éléments que l’on peut retenir de ce rapport ?

1/ Le système actuel est morcelé et peu transparent : la multiplicité des régimes et des règles rend le système de retraite français particulièrement complexe.

2/ Le pilotage du système : le pilotage actuel est réalisé dans un horizon plus court que chez la plupart de nos voisins. Les règles ne sont définies qu’avec quelques années d’avance, ne donnant que peu de lisibilité aux jeunes générations.

3/ La redistribution : le système actuel est globalement redistributif, même si les effets redistributifs du cœur du système (les règles de la formule de base des pensions) sont peu transparents et cachent des effets anti-redistributifs. Par exemple, si le système redistribue des hommes vers les femmes, les hommes non cadres aux carrières longues sont défavorisés par le système actuel. Les effets nettement redistributifs du système viennent très largement des avantages non-contributifs.

4/ Faisabilité des réformes systémiques : techniquement et légalement, une unification des régimes de retraite français est possible, mais demande du temps pour être mise en place (on ne peut pas faire une réforme systémique en deux mois avant l’été).

5/ Options de convergence : Le rapport offre d’autres perspectives de convergence des régimes de retraite, mais sans unification globale, avec par exemple une unification des régimes du secteur privé uniquement ou une unification de tous les régimes avec le maintient de la division entre régime de base et régimes complémentaires.

6/ Un choix politique : le choix d’une réforme systémique, selon les points ou les comptes notionnels, n’est pas un choix technique, c’est un choix politique, dont la réalisation peut prendre des formes différentes selon les choix politiques faits au moment de l’unification.

II/ Des travaux complémentaires

Le rapport du Cor a largement utilisé des travaux réalisés depuis 2008 avec en tête la question d’une réforme systémique. Deux de ces travaux méritent qu’on les regarde de près.

Le premier est une étude de la Drees par Patrick Aubert et Cindy Duc (disponible ici). Ces deux chercheurs ont utilisé la base administrative de l’Échantillon interrégimes des cotisants, qui réunit des informations sur les cotisants de tous les régimes de retraite français. Ils ont cherché à mesurer l’effet redistributif des « 25 meilleures années » pour calculer le salaire de référence dans le calcul de la pension du régime général.

La plupart des détracteurs des comptes notionnels défendent un système qui offre une retraite calculée sur la base du dernier salaire. L’argument intuitif qui justifie cette position est qu’une retraite calculée sur la base du dernier salaire semble plus redistributive car on elle ne prend pas en compte les aléas de la carrière du salarié. Avec les 25 meilleures années, le système resterait en partie redistributif car « on ne prend pas en compte les mauvaises années ».

Le problème de cette approche est qu’elle ne prend pas en compte le bouclage du système : les retraites sont payées par les salariés, si bien qu’on ne peut donner relativement plus à certains sans donner moins à d’autres. Savoir de qui et vers qui la redistribution est réalisée est donc essentiel.

Le problème d’une règle comme le dernier salaire ou les 25 meilleures années de salaire est qu’elle avantage ceux qui ont un ratio (25 meilleures années de salaire / cotisations versées au cours de leur vie) plus élevé que les autres. Les cadres qui commencent en général plus tard à travailler et qui bénéficient de carrières croissantes sont susceptibles d’être les gagnants, tandis que ceux qui ont des carrières plates (ouvriers et employés) et qui ont commencé plus tôt à travailler sont au contraire ceux qui auront le plus mauvais ratio. En effet, ceux qui profitent d’une carrière croissante vont bénéficier d’un ratio de leurs 25 meilleurs salaires par rapport sur leurs cotisations moyennes plus élevé : le dernier salaire d’un cadre est nettement plus élevé par rapport à son premier salaire que le dernier salaire d’un ouvrier.

Fig. Gain lié à la règle des 25 meilleures années en fonction du niveau de salaire

Sources : Cor (2010), page 27, issu de Aubert et Duc (2009)

La figure ci-dessus, tirée de Aubert et Duc (2009), représente le gain associé à la règle des 25 meilleures années en fonction du décile de salaire à 40 ans : la population est classée des plus pauvres aux plus riches et groupée par cellules de 10% (D1 représente les 10% les plus pauvres et D10 les 10% les plus riches). Les auteurs calculent le ratio entre la retraite calculée en appliquant la règle des 25 meilleures années et la retraite calculée en utilisant comme salaire de référence le salaire moyen sur toute la carrière.

La courbe bleue est calculée en imaginant que l’on supprime le minimum contributif et la courbe verte en le maintenant. Ainsi, avec le système en l’état, les 20% les plus pauvres ne gagnent rien à la règle des 25 meilleures années, alors que les 10% les plus riches gagnent 12% de pension supplémentaire. Cette composante du système français de retraite opère par conséquent une redistribution « à l’envers ».

Un autre point intéressant à remarquer est le rôle important joué par le montant maximal de salaire qui est soumis à cotisations, qui porte le nom de « plafond de la sécurité sociale ». Les cotisations et les pensions du régime général sont en effet plafonnées au niveau du salaire moyen. Au-dessus du plafond, le système fonctionne en points via les régimes complémentaires. Le plafond a pour rôle de limiter les effets anti-redistributifs de la règle des 25 meilleures années : au-dessus du plafond, les salariés sont soumis au système à points qui prend en compte l’ensemble de la carrière. Ceci explique que le gain de la règle des 25 meilleures années soit plus important pour les déciles 7 et 8 que pour le décile supérieur : ceux qui font partie des 30% des plus hauts revenus, mais qui ne font pas partie des 10% les plus riches bénéficient davantage de cette règle que les 10% des plus hauts revenus. Il s’agit d’une règle qui bénéficie donc avant tout aux « classes moyennes » et aux « classes moyennes supérieures » plutôt qu’aux très hauts salaires. Elle pénalise principalement les salariés qui gagnent moins que le revenu médian

Le deuxième travail qui mérite d’être cité est celui réalisé par Christophe Albert et Jean-Baptistre Oliveau (2010). Ces chercheurs à la Caisse national d’assurance vieillesse (Cnav) ont essayé de simuler un système en comptes notionnels avec les mêmes caractéristiques que le système actuel. L’exercice est particulièrement difficile du fait que les deux systèmes ont des équilibres financiers différents et qu’il faut pouvoir estimer l’effet redistributif comparé des deux systèmes. Albert et Oliveau ont fait l’hypothèse (réaliste) que l’on conserve tous les avantages non contributifs. Même s’il faut rester prudent quant à l'interprétation des résultats de cette étude, on notera néanmoins qu’elle conclut que le passage aux comptes notionnels aboutiraient à un « resserrement des pensions », autrement dit une réduction des inégalités de pensions.

D’autres travaux sont certainement à entreprendre pour confirmer et affiner ces premiers résultats, mais pour tous ceux qui voient dans les comptes notionnels un système injuste, individualiste et inégalitaire, ces travaux devraient amener au moins à réfléchir.

Alors pourquoi le rapport n’a-t-il pas eu beaucoup d’écho ? Sans doute parce que la plupart des observateurs ont pris pour argent comptant la conclusion du gouvernement et de nombreux experts à propos des propositions de réforme systémique : cela ne résout pas le problème de l’équilibre financier…

Discussion de l’argument dans le prochain post.

Auteur: Antoine
_Antoine_

4 commentaires:

Seleucos a dit…

Votre dernier me commentaire me laisse perplexe.
Le passage a un système équilibré à long-terme par construction comme l'est votre proposition de retraites par comptes notionnels résoudra-t-il par lui-même l'impasse actuelle, qui est tout simplement celle de la durée moyenne de cotisation?

Le problème vient des prestations trop élevées de notre système au regard des cotisations perçues. Ce problème est effectivement résolu à long-terme (il peut subsister des problèmes conjoncturels de liquidité) par le système à comptes notionnels, mais c'est parce que l'espérance de vie y est le facteur d'ajustement : si celle-ci augmente alors que les travailleurs continuent à partir à la retraite vers le même âge, ils verront leur pension diminuer; dans les faits, la question est donc identique à celle qui se pose pour le régime actuel : la conservation du même niveau de pensions nécessite d'ajuster la durée de cotisation à l'accroissement de l'espérance de vie! La différence, c'est que votre système amènera les gens, qui peuvent faire valoir leur droit à liquidation quand ils veulent passé 60 ans, à changer leur comportement d'eux-mêmes, contraints par le niveau de la pension qu'ils découvriront sur leur relevé annuel...
Ne croyez donc pas que ça ne fera pas grincer des dents! Pire, la population aura l'impression d'avoir été flouée sournoisement, la question de l'âge moyen du départ à la retraite ayant probablement été passée sous silence avec le changement de système.

Ma conclusion est la suivante : le débat actuel sur la durée du travail n'est pas nécessairement une façon de laisser accroire que le changement "systémique" ne résoudra pas le problème de l'équilibre du système : c'est de toutes façons une nécessité pédagogique. En supposant qu'on ne change pas de système, cela revient à discuter de la durée de cotisation.
Par contre, braquer l'attention sur l'âge minimum de départ à la retraite est une sottise symbolique, sur laquelle la droite comme la gauche vont tenter de rassembler leur électorat, en évitant de mentionner le vrai problème...

Antoine a dit…

@Seleucos: Votre commentaire suppose que les salariés n'ajustent pas leur âge de départ lorsqu'ils font face à un barème incitant au report. Deux remarques à ce propos:
- Lorsqu'on augmente la durée requise de cotisation, on ne baisse pas la pension des salariés. Le barème donne une incitation au report en offrant un arbitrage entre repousser son départ et prendre une pension au taux réduit. Le système des comptes notionnels fait la même chose mais rend cette augmentation proportionnelle à l'augmentation de l'espérance de vie (qui est lente mais connue).
- En termes de pédagogie, je trouve que le système de comptes notionnels est au contraire très clair sur le fonctionnement réel du système: ce n'est pas la durée de cotisation qui compte tant que la masse des cotisations (faites à 30 ans ou à 61 ans) et la durée passée en retraite. En intégrant la contrainte budgétaire dans la définition des pensions, on facilite la compréhension - à mon sens - des choix individuels et collectifs à faire, et ce très longtemps en avance.
- Ce que je trouve problématique dans le débat actuel sur "l'age de départ en retraite", c'est qu'au lieu d'être pédagogique, il invite à toute sorte de confusion, où se mélange l'âge effectif de départ, l'âge minimum, l'âge du taux plein etc. et fait croire qu'il n'y a qu'un "âge" de départ en retraite (pour toutes les générations, et pour tous les salariés au sein d'une génération).

Je reviens dans un prochain post sur la question des "leviers" d'action.

Arthur Muller a dit…

Antoine,

Merci pour la poursuite de cette série sur les retraites, plus utile que jamais.
Est-ce que tu pourrais nous éclairer sur deux points (désolé si tu y as déjà répondu sur le blog ou dans l'ouvrage CEPREMAP, je n'ai pas trouvé) :
1) A quoi sert la notion d'âge légal de départ à la retraite ? C'est la durée de cotisation qui est pertinente, non ? (et encore, seulement indirectement, puisqu'en vérité c'est le montant total des cotisations qui importe, mais bon sans système de compte notionnels cette notion n'apparaît pas).

2) Si tu as le temps, ça serait génial d'inclure dans les prochains posts des remarques sur le système par capitalisation. Il y avait à au moins deux endroits sur le site ou dans l'ouvrage CEPREMAP des remarques intéressantes car contre-intuitives sur le fait que les systèmes par répartition et capitalisation étaient équivalents sous plusieurs dimensions :
a) le fait qu'un système par capitalisation ne réduit pas le problème du déséquilibre actifs / retraités car s'il n'y a pas assez d'actifs pour acheter les assets que les retraités liquident à leur retraite, la valeur de ces assets baissent. (A quoi on a envie d'objecter que ça n'est vrai que s'il est impossible aux retraités de vendre leurs actifs à l'étranger ou si le monde entier connaît les mêmes ratios actifs / retraités en même temps - ce qui est peut-être le cas des pays ayant une capacité d'épargne suffisante pour absorber les actifs de nos retraités).
b) tu viens de faire une remarque sur le fait qu'un système par répartition était équivalent à un système par capitalisation où les actifs sont en dette publique.

Bref, si jamais tu avais le temps faire une petite comparaison sur l'efficacité comparée des systèmes par répartition et capitalisation à résoudre les problèmes des retraites, ça serait merveilleux !

Merci encore pour tous les posts !

Arthur

Antoine a dit…

@Arthur Muller: Merci pour ces encouragements.

1) L'âge légal de départ en retraite est une expression ambiguë, car elle désigne parfois "l'âge minimum de liquidation" et "l'âge du taux plein". Il est donc tout à fait exact que ce qui compte pour l'équilibre du régime c'est bien plus "l'âge effectif de départ en retraite" que l'âge minimum de liquidation. A quoi sert donc cet âge minimum?

La réponse la plus commune est qu'un âge minimum est nécessaire pour éviter des comportements "myopes" du style "je pars dès que possible". Si une partie des salariés ne réalise pas qu'une pension trop faible va mettre en péril leur niveau de vie, imposer un minimum de liquidation permet d'éviter des départs trop précoces.

Dans le cas français actuel, l'âge minimum de liquidation est une contrainte pour beaucoup de salariés, et donc apparaît comme un âge de référence majeur, et donc comme un paramètre majeur du barème de pensions.

Dans un système de comptes notionnels, il n'y aucun besoin d'un âge minimum pour la définition du barème de pension. Le seul intérêt à garder un minimum est pour éviter des liquidations avec de trop faibles pensions. Au lieu d'un âge minimum, on peut imaginer une pension minimum, par exemple, qu'il soit impossible de liquider une pension inférieure à 120% du minimum vieillesse.

(2) Sur la capitalisation et la répartition, c'est une très bonne suggestion. Je ne manquerai pas de faire un post sur le sujet à l'occasion.

Enregistrer un commentaire