La semaine dernière, le parlement a voté la loi sur la réforme des retraites. Cet épilogue législatif arrive après des semaines de grèves, de protestations et d’émeutes urbaines qui ont permis de remettre la France sur son piédestal, à la une des média étrangers, après l’affaire Bettencourt et l’épisode de l’expulsion des Roms de cet été. Le niveau du débat sur la question des retraites s’est enfin élevé : les réactions ont ainsi oscillé entre la dénonciation d’une « réforme injuste et inefficace » et les louanges envers une « réforme juste et efficace ». On peut trouver sur le site du gouvernement le document qui décrit les « 16 fiches » de la réforme. Voici ma « fiche de lecture », qui vient en complément au court billet publié sur Telos et Lavoce, et à paraître sur Vox, Ökonomenstimme et Me Judice.
I/ Les mesures
Les modifications du barème des retraites
La mesure phare de la réforme est bien sûr l’augmentation de l’âge minimum de liquidation de 60 à 62 ans. L’augmentation sera progressive, mais rapide, à raison de 4 mois supplémentaire par génération, c’est-à-dire l’augmentation de 2 ans aura lieu en moins de 6 ans. Cette augmentation touche les salariés du secteur privé mais aussi les salariés du secteur public : les fonctionnaires en catégorie « sédentaire » (fonctionnaires en administration, cadres en catégorie A, enseignants etc.) verront l’âge d’ouverture des droits se déplacer au même rythme de 60 à 62 ans, ceux en catégorie « active (infirmières, instituteurs, agents d’entretien etc.) de 55 à 57 ans, enfin ceux qui bénéficient d’une ouverture des droits dès 50 ans (police, pompier, contrôleurs aériens etc.) devront partir à 52 ans. Dans les régimes spéciaux, l’âge minimum n’augmentera qu’à partir de 2017.
La seconde mesure est l’augmentation de l’âge du taux plein de 65 à 67 ans. Cette augmentation sera aussi progressive et rapide, mais décalée dans le temps. La hausse ne commencera qu’en 2016, lorsque l’augmentation de l’âge minimum de liquidation sera réalisé et se poursuivra jusqu’en 2023. La durée requise de cotisation nécessaire pour obtenir le taux plein, prévu à 41 ans en 2012 va passer progressivement à 41,5 ans en 2020, selon le rythme prévu par la réforme Fillon de 2003. La réforme confirme l’augmentation à 41,25 ans pour les générations nées en 1953 et 1954.
Le dispositif des carrières longues est maintenu et élargi : les salariés ayant commencé à travailler à 14/15 ans (16/17 ans) et justifiant de 43 ans (41+2) de cotisation pourront continuer de partir à 58/59 ans (60 ans). L’augmentation de l’âge minimum sera aussi appliquée progressivement pour ces salariés mais dans la limite de 60 ans.
Les augmentations de ressources
Les augmentations de ressources annoncées concernent les hauts revenus, les revenus du travail et une modification du dispositif d’abaissement des charges sociales.
Les ménages imposés au taux marginal supérieur (revenus imposables supérieurs à 70,000 euros annuel) verront leur taux marginal passer de 40 à 41%. Cette augmentation est exclue du dispositif du bouclier fiscal. Par ailleurs les stock-options et les retraites chapeau verront leur fiscalité alourdie.
Les revenus de l’épargne verront leur prélèvement augmenter d’un point (dividendes, intérêts etc.) et les exonérations pour les plus-values (mises en place par le gouvernement après l’élection de N. Sarkozy) seront supprimées. Le crédit d’impôt pour les dividendes – qui visait à éviter la double imposition des dividendes – sera supprimé.
La plus grosse source de revenus viendra d’une modification du calcul des baisses ciblées de charges sociales. Avec un calcul basé sur les salaires annuels (et non mensuels), le gouvernement espère récupérer 2 milliards d’euros. Au total l’augmentation des prélèvements obligatoires se monte, selon le gouvernement, à 3,7 milliards d’euros en 2011.
II/ Une réforme juste ou injuste?
Avant de pouvoir qualifier une mesure de « juste » ou « d’injuste », il faut d’abord se mettre d’accord sur ce qu’on entend par « justice » dans le cas des retraites.
Par exemple, le gouvernement explique dans sa présentation de la réforme pourquoi l’augmentation de l’âge minimum a été préférée à l’augmentation de la durée requise de cotisation : « augmenter à nouveau la durée de cotisation requise pour les 10 ans qui viennent aurait conduit à concentrer l’effort sur les salariés qui sont entrés plus tard que les autres sur le marché du travail, c’est-à-dire sur ceux qui ont fait des études et sur les salariés qui ont eu plus de mal à s’insérer sur le marché du travail. Concentrer l’effort sur ces salariés ne serait pas équitable. » L’argument du gouvernement est que les salariés qui ont fait des études sont plus touchés par la durée requise de cotisation et devraient donc être protégés de la réforme 2010. Danièle Karniewicz (CFE-CGC, syndicat des cadres), l’actuelle président de la Cnav, ne dit pas autre chose et Henri Sterdyniak (Professeur à Paris Dauphine) trouve aussi juste de récompenser ceux qui ont fait des études et qui ont bénéficié de carrières ascendantes par des retraites plus élevées.
Le problème de cette approche est qu’elle repose sur un jugement de valeur. Le jugement d’une réforme juste ou injuste devient alors simplement la conformité à ces jugements de valeur, mais est complètement inutile d’un point de vue informatif. Les économistes préfèrent alors une approche descriptive de la régressivité ou progressivité d’une mesure (c’est-à-dire est-ce que les gains sont croissants ou décroissant), vis-à-vis de différentes variables (le revenu, le niveau de consommation, le niveau d’étude etc.). Cela n’empêche pas de faire par la suite tous les jugements de valeur que l’on veut, mais cela permet au moins de clarifier les effets distributifs d’une mesure.
L’exercice n’est pas forcément facile au vu de la complexité du système de retraite. On peut néanmoins remarquer que l’augmentation des bornes d’âge va toucher une partie seulement des salariés : les salariés qui ont commencé à travailler tôt (avant 21 ans) mais pas trop tôt (ceux qui ont commencé avant 17 ans bénéficient en partie des mesures d’exceptions) et les salariés qui ont commencé à cotiser tard (après 25 ans) ou qui ont eu de longues interruptions de carrières (le plus souvent des femmes). Ces derniers sont touchés par l’augmentation de l’âge du taux plein. Au final les « gagnants relatifs » de la réforme sont les salariés qui ont fait des études supérieures et commencé à accumuler des trimestres de cotisations entre 21 et 25 ans : ils ne sont pas touchés par la réforme 2010. En général, ces salariés appartiennent à la partie supérieure de la distribution des revenus, et on peut ainsi dire que la réforme 2010 sera régressive.
Le gouvernement aurait très bien pu augmenter la durée requise de cotisation proportionnellement aux bornes d’âge. Le barème aurait été simplement déplacé de 2 ans pour tout le monde, sans avantager relativement un groupe par rapport à un autre. Le fait d’augmenter le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu de 1% hors bouclier fiscal ne fait pas grand sens dans ce contexte. Non seulement une telle mesure est particulièrement compliquée (c’est de la grande tuyauterie !), mais si l’on souhaite faire contribuer les hauts revenus, pourquoi vouloir les protéger en partie de l’augmentation de l’âge de départ en retraite ? Quelles raisons peuvent justifier de ne pas inciter les plus qualifiés à poursuivre leur activité, quand ils sont souvent les plus à même de poursuivre après 60 ans une telle activité ?
III/ L’introuvable débat public
Le plus décevant finalement dans cette réforme 2010 est la dégradation du débat public sur la question des retraites.
En choisissant de focaliser le débat sur l’augmentation de l’âge minimum de liquidation, le président de la République a su « cliver » le débat et pousser la gauche à s’arcbouter sur la défense de « la retraite à 60 ans ». Ce faisant, et le gouvernement et l’opposition, ont joué sur les mots de « l’âge de la retraite ». Le gouvernement a annoncé qu’il était évident d’augmenter « l’âge de la retraite » lorsque l’espérance de vie augmente. C’est parfaitement légitime. Mais ce qu’on entend par l’âge de la retraite dans ce cas, c’est l’âge effectif de la retraite, ou le taux d’emploi des seniors. Un moyen de parvenir à cette augmentation est de renforcer les incitations au report d’activité. Cela ne doit pas être confondu avec l’âge minimum de départ en retraite. Il est ainsi possible d’avoir un âge de départ effectif élevé et un âge minimum faible. La Suède par exemple, permet aux salariés de partir dès 61 ans, mais parvient à maintenir en emploi 72% des 55-64 ans contre 39% en France. L’opposition n’a pas tellement mieux contribué à clarifier le débat. Le PS a affirmé haut et fort qu’il allait revenir « à la retraite à 60 ans » et puis on a entendu – de façon moins claire – qu’il s’agissait de l’âge minimum de liquidation mais non pas de « la retraite pour tous à taux plein dès 60 ans ». Combien dans les cortèges de manifestants ont compris le message ?
Dans les cortèges de manifestants, on a aussi beaucoup entendu – de la part des plus jeunes – l’idée que l’augmentation de l’âge de départ en retraite allait augmenter le chômage des jeunes. Dans Le monde, de jeunes étudiants sont venus expliquer ce « fait économique évident ». L’association ATTAC est aujourd’hui le fer de lance de la défense de cette lecture malthusienne du marché du travail : un retraité qui continue à travailler est un chômeur de plus, augmenter le taux d’emploi des seniors se fera nécessairement au détriment des plus jeunes… Cela mériterait un post en soi (lire par exemple Econoclaste ou David Mourey), mais on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il s’agit d’un retour en arrière, au temps où l’on pensait qu’en subventionnant les entreprises pour se débarrasser des seniors, on parviendrait à régler le problème du chômage.
Au final, après ces quelques semaines de « débat », on n’a parlé ni de notre système de retraite dans le long terme, ni de sa complexité, ni des inégalités en son sein, ni de la façon de favoriser l’emploi des seniors, ni des choix collectifs sur les prélèvements obligatoires. Heureusement un amendement du texte de loi prévoit qu’on commence à réfléchir à partir de 2013 – pas avant – à l’unification de notre système de retraite. Nous voilà rassurés !
Le plus décevant finalement dans cette réforme 2010 est la dégradation du débat public sur la question des retraites.
En choisissant de focaliser le débat sur l’augmentation de l’âge minimum de liquidation, le président de la République a su « cliver » le débat et pousser la gauche à s’arcbouter sur la défense de « la retraite à 60 ans ». Ce faisant, et le gouvernement et l’opposition, ont joué sur les mots de « l’âge de la retraite ». Le gouvernement a annoncé qu’il était évident d’augmenter « l’âge de la retraite » lorsque l’espérance de vie augmente. C’est parfaitement légitime. Mais ce qu’on entend par l’âge de la retraite dans ce cas, c’est l’âge effectif de la retraite, ou le taux d’emploi des seniors. Un moyen de parvenir à cette augmentation est de renforcer les incitations au report d’activité. Cela ne doit pas être confondu avec l’âge minimum de départ en retraite. Il est ainsi possible d’avoir un âge de départ effectif élevé et un âge minimum faible. La Suède par exemple, permet aux salariés de partir dès 61 ans, mais parvient à maintenir en emploi 72% des 55-64 ans contre 39% en France. L’opposition n’a pas tellement mieux contribué à clarifier le débat. Le PS a affirmé haut et fort qu’il allait revenir « à la retraite à 60 ans » et puis on a entendu – de façon moins claire – qu’il s’agissait de l’âge minimum de liquidation mais non pas de « la retraite pour tous à taux plein dès 60 ans ». Combien dans les cortèges de manifestants ont compris le message ?
Dans les cortèges de manifestants, on a aussi beaucoup entendu – de la part des plus jeunes – l’idée que l’augmentation de l’âge de départ en retraite allait augmenter le chômage des jeunes. Dans Le monde, de jeunes étudiants sont venus expliquer ce « fait économique évident ». L’association ATTAC est aujourd’hui le fer de lance de la défense de cette lecture malthusienne du marché du travail : un retraité qui continue à travailler est un chômeur de plus, augmenter le taux d’emploi des seniors se fera nécessairement au détriment des plus jeunes… Cela mériterait un post en soi (lire par exemple Econoclaste ou David Mourey), mais on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il s’agit d’un retour en arrière, au temps où l’on pensait qu’en subventionnant les entreprises pour se débarrasser des seniors, on parviendrait à régler le problème du chômage.
Au final, après ces quelques semaines de « débat », on n’a parlé ni de notre système de retraite dans le long terme, ni de sa complexité, ni des inégalités en son sein, ni de la façon de favoriser l’emploi des seniors, ni des choix collectifs sur les prélèvements obligatoires. Heureusement un amendement du texte de loi prévoit qu’on commence à réfléchir à partir de 2013 – pas avant – à l’unification de notre système de retraite. Nous voilà rassurés !
10 commentaires:
Toujours très bien. Merci M. Bozio.
The ""lump of labour fallacy" fallacy" mériterait effectivement un article : et notamment, un examen de la pertinence du raisonnement top-down au cas particulier de la France : une économie de services de personnes à des personnes, et donc, une économie dans laquelle le stock d'emplois est bien plus constant (ou plutôt, plafonné) qu'on ne l'aimerait.
Dans le deuxième point, listant les gagnants-perdants, n'apparaît pas la tranche de population la plus âgée à savoir celle qui est déjà à la retraite.
Cette extraordinaire capacité des spécialistes à toujours occulter les gagnants de toute réforme (ceux dont les avantages sont maintenus existants par le choix de faire la réforme) est toujours particulièrement troublante aux yeux du profane.
Ceteris Paribus aussi est un jugement de valeur.
Les seuils d'imposition pour les plus-values n'ont pas été instaurés par Sarkozy. C'est une vieille chose qui était déjà là dans les années 80. Par contre la loi de finances pour 2006 ou 2007 (je sais plus) a relevé le seuil à 25k€. L'année dernière, la loi de finances pour la sécu a supprimé ce seuil pour les prélèvements sociaux.
La dégressivité selon la durée de détention est aussi une mesure passée sous Chirac.
Merci pour cette explication très claire! Je regrette juste que les questions de justice soient réduites à des jugements de valeur supposés nébuleux et au fond indiscutables - même si je peux comprendre que l'économiste ne souhaite pas s'aventurer sur ce terrain.
Il est aussi connu que les gagnants d'une réforme sont ceux que l'on n'entend pas.
Typiquement, on n'a pas entendu les retraités.
Que pensez-vous d'une disposition dans le système de retraite qui imposerait que la retraite moyenne soit égale à 100% du salaire moyen des actifs.
Si j'ai bien compris, on est à 106%, pourquoi 106% serait "juste"? pourquoi 100% me direz-vous...
peu importe le chiffre (à évaluer et débattre)... mais que les retraités supportent aussi la conjoncture à la marge ne me parait pas choquant. En cas de crise, ce serait un recours pour ne pas accroitre les charges sur le coût du travail. Et réciproquement. Les actifs ne sont pas plus responsables d'une crise économique que les retraités.
Merci encore pour l'ensemble de votre œuvre et vivement la prochaine réforme des retraites ;-)
@Yves-Marie: merci!
@Anonyme1: un post est en gestation
@Anonyme2 et 3: on peut faire une analyse gagnants-perdants en incluant toutes les générations en vie; alors les retraités (qui ne voient pas leurs pensions réduites) et les jeunes actifs (qui ne voient pas leurs cotisations augmenter) sont les relatifs gagnants de toute réforme des retraites visant à augmenter l'âge de liquidation. Néanmoins, pour toute réforme, il est légitime (et plus intéressant) de regarder l'effet distributif au sein d'une même génération - celle directement touchée par la réforme.
@Proteos: je crois que j'ai loupé qqch...
@Martin d: Les questions de justices ne sont pas nébuleuses, mais demandent que l'on précise une fonction d'utilité sociale donnant des pondérations variées aux individus de la société. On peut certainement les discuter - tout débat démocratique doit le faire - mais l'économiste doit apporter des informations au débat public de façon indépendante au débat sur le choix des objectif de justice sociale.
@William: Comme l'objectif d'un système de retraite est de garantir un niveau de vie aux inactifs de façon proportionnelle à celui des actifs, je suis d'accord sur le principe que les retraites doivent évoluer parallèlement aux salaires. Actuellement, depuis la réforme Balladur, avec l'indexation des droits à la retraite sur les prix, il y a de fait un décalage entre les deux: en période de récession, les retraites croissent plus vite que les salaires, en période de croissance les retraites croissent moins vite que les salaires. L'idée est que si la croissance est suffisamment forte, l'indexation sur les prix va réduire - sans souffrance - le niveau des retraites par rapport aux salaires. Je suis d'accord pour dire que ce n'est pas une façon efficace d'équilibrer notre système de retraite.
"Néanmoins, pour toute réforme, il est légitime (et plus intéressant) de regarder l'effet distributif au sein d'une même génération - celle directement touchée par la réforme."
Un bémol : lorsqu'il s'agit d'une réforme d'un système de prélèvement, il impacte par définition la totalité de l'économie : c'est d'ailleurs son rôle.
Vous me direz qu'il en est de même pour tout les systèmes : mais le planificateur public répond, en théorie, en fonction de l'intérêt général, ce qui n'est pas le cas du simple entrepreneur et de ses travers qui justifient le travail du planificateur public, d'ailleurs.
Qu'y a-t-il de mal à avoir une vision malthusienne du marché du travail dans le contexte d'une crise mondiale, la pire depuis 1929 ?
Les plans d'austérité européens décidés sous la pression des marchés financiers, vont aggraver encore un peu plus la situation de l'emploi pour les années qui viennent.
L'objectif affiché du gouvernement, d'augmenter l'âge de départ à la retraite est irréaliste. Dans une économie en sous-emploi, la seule conséquence d'une telle mesure sera d'allonger la file d'attente des demandeurs d'emploi.
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