lundi 22 octobre 2007

Qui connait Hartz ? (1/3)


Depuis quelques mois, la Gaule a redécouvert l’existence de ses voisins germains. Alexandre d’Econoclaste avait lancé la discussion a propos des commentaires de Munchau dans le Financial Times et les économistes gaulois restent divisés sur l’opportunité de réformer le marché du travail. Pendant ce temps, les Goths accumulent les sesterces depuis que leurs chars de luxe se vendent comme des petits pains aux quatre coins de l’Empire. Certains bardes à Lutèce prétendent que la réorganisation du travail chez les Goths est à l’origine de leur récent essor, d’autres au contraire y voient une politique de Barbares que la Gaule civilisée devrait éviter a tout prix, qu’en est-il exactement?

Les réformes du marché du travail en Allemagne surnommées Hartz, du nom de leur promoteur, ont donné lieu à quatre lois mises en œuvre entre 2003 et 2005, qui rassemblent une dizaine de mesures différentes (voir ici pour un bon papier récapitulatif en anglais). Stricto-sensu, les réformes Hartz ne concernent que les « services sur le marché du travail » i.e. toutes les mesures d’aide au retour à l’emploi. La limitation en 2004 de la durée des allocations à 12 mois (18 pour les plus de 55 ans à partir de 2006) ne fait par exemple pas partie de ces lois, mais relève de la même philosophie. En effet, les lois Hartz ne constituent qu'un aspect de l' « Agenda 2010 », nom de la stratégie mise en place par le gouvernement rouge-vert pour redresser l'économie allemande. Il est intéressant au passage de noter que le nom de la stratégie indiquait dès le départ le fait que ses promoteurs étaient lucides sur le fait que de telles réformes ne portent leurs fruits qu'à moyen terme (ses détracteurs prétendent avec humour que 2010 est la date de péremption du concept…). L' « Agenda 2010 » comprenait notamment la plus grande réforme fiscale réalisée en Allemagne depuis la guerre, ce qui n'a pas facilité la tâche des évaluateurs. Les réformes Hartz sont adossées à la philosophie du « fördern und fordern » (littéralement, encourager et exiger, approche connue en anglais sous le nom welfare to work). L'idée était d' « activer » les bénéficiaires de prestations sociales : de les aider à retrouver un emploi sans les conforter dans leur éloignement du marché du travail. Ces politiques s’opposent aux politiques de l’emploi dites passives (compensation des chômeurs, préretraites, partage du temps de travail) qui ont dominé en Europe pendant les décennies 70 et 80.

Les réformes ont constitué principalement à réorganiser de fond en comble les méthodes d'accueil, de placement et de contrôle des chômeurs, suivant l'idée que les chômeurs, en échange d'un contrôle plus strict, seraient mieux aiguillés, se verraient proposer des formations mieux adaptées et retrouveraient finalement plus rapidement un emploi. Parallèlement à cette réorganisation profonde des ANPE allemandes, un certain nombre de mesures nouvelles ont été introduites, notamment l'Ich-AG (littéralement « société anonyme à moi tout seul »), subvention à la création d'entreprise par les chômeurs.

Ces réformes du marché du travail ont constitué la substance des lois Hartz I à III. Il est à noter que les contrats de travail (notamment la période d’essai) et le système de financement de la protection sociale (le coin socialo-fiscal) n’ont pas été massivement modifiés par ces lois, qui ont finalement remodelé le monde du chômage plus que celui du travail. Une exception importante cependant : les conditions de recours au travail intérimaire ont été largement assouplies. La dernière étape (Hartz IV) de la réforme a, quant à elle, engagé une refonte des minima sociaux en Allemagne. Elle consisté à fusionner le RMI allemand de l'époque (Sozialhilfe) et l'allocation chômage de solidarité (Arbeitslosenhilfe) que les chômeurs de longue durée recevaient après avoir épuisé leurs droits dans le régime assuranciel : cette mesure visait à rassembler en une unique catégorie toutes les personnes éloignées durablement du marché du travail (« second » voir « troisième » marché du travail).

Cette dernière réforme, décidée en 2004 et mise en place début 2005 a conduit à de nombreuses manifestations à l'Est, à une désorganisation massive des ANPE début 2005, à une augmentation vertigineuse des chômeurs inscrits à l'hiver 2005 (et pour cause il fallait s'inscrire au chômage pour bénéficier de la nouvelle allocation unique) et à une dérive brutale des comptes publics, la réforme ayant coûté plus de 10 milliards d'euros de plus que prévu. Finalement, le SPD de Schröder perdit les élections régionales de Rhénanie au printemps (la Rhénanie, dont le PIB est comparable à celui de la Hollande, est le premier Land allemand et un bastion traditionnel du parti social démocrate), ce qui précipita la chute du gouvernement rouge-vert. Au total les lois Hartz se caractérisent, même avant évaluation, par un certain nombre de traits qui méritent d’être médités quand on voit ce que nous avons l’habitude de faire en France : les réformes Hartz ont constitué une étape décisive dans la modernisation des politiques publiques en Allemagne : vision globale, simplification, évaluation :
  • il s’agit d’un véritable train de mesures, qui s’appuie sur un diagnostic simple (le problème du chômage est un problème d’offre de travail) et met en œuvre une série de mesure cohérentes avec ce diagnostic, dans un champ très large puisque finalement même les minima sociaux sont touchés (ils constituent en effet, qui plus est dans un pays sans salaire minimum, un paramètre important sur le segment des bas salaires, qui est évidemment le segment cible des réformes);

  • l’ensemble des mesures ont pour objectif annexe une simplification de l’ensemble des dispositifs et une réduction des coûts ;

  • l’évaluation de la réforme est prévue ex ante (sinon le design, du moins le financement).
Au total, l’approche qui a sous-tendu la conception et la mise en œuvre des réformes Hartz devrait nous inspirer. Nous verrons dans le prochain post qu’elles se sont avérées pour partie inefficaces voire nuisibles, pour partie réussies ; nous verrons aussi que pour certains dispositifs, il est trop tôt pour véritablement porter un jugement. Mais elles ont inauguré une nouvelle manière d’envisager les politiques publiques de l’emploi en Allemagne, que les hommes politiques et le grand public, via une presse de qualité, se sont appropriée et constituent, à ce titre, un progrès indéniable.
_Fabien_

4 commentaires:

PAC a dit…

Je n'ai pas étudié la question de très près mais ce qui est moins moderne c'est "l'économie politique de la réforme Hartz" qui a semble-t'il été possible grâce à la corruption des leaders syndicaux. Si tu as des éléments là dessus ça peut être intéressant.

Fabien a dit…

@PAC: je n'ai pas étudié cette partie de la question en détail mais il me semble qu'il s'agit de deux problèmes assez distinctd.

Ledit Peter Hartz, ancien responsable du personnel chez Volkswagen, et qui a donné au train de réforme son nom, a en effet été mêlé à de sombres affaires d'abus de biens sociaux au sein de l'entreprise. Mais je ne crois pas que celà ait eu quoi que ce soit à voir avec l'implémentation des réformes elles-mêmes. Je n'ai pas connaissance de corruption à grande échelle des leaders syndicaux qui ait permi les réformes, qui au passage ne concernent qu'assez peu les syndicats (in) puisqu'elle s'adresse en priorité aux chômeurs (out).

Au total, ce qui est intéressant dans l'économie politique des réformes Hartz, c'est plutôt la manière dont le SPD s'est tiré une balle dans le pied électoralement en promouvant des réformes dont tout le monde aujourd'hui tend à penser que malgré leurs limites (cf. post suivant sur l'évaluation) elles ont été globalement positives.

Cette économie politique est d'une actualité brulante aujourd'hui alors que le congrès du SPD de Hambourg vient de consacrer une remise en cause marginale des réformes pour tenter de contenir la baisse du parti dans les sondages.

Le SPD a fait la démonstration qu'il savait réformer "contre" son électorat... l'avenir (et les évaluations...) diront s'il faut lui en être gré... mais l'on ne peut que regretter qu'il fasse volte-face (très partiel il est vrai) sans avoir le recul suffisant... mais le calendrier électoral n'attend pas les enquêtes statistiques !

Anonyme a dit…

Aïvix a dit...
"Au total, l’approche qui a sous-tendu la conception et la mise en œuvre des réformes Hartz devrait nous inspirer. Nous verrons dans le prochain post qu’elles se sont avérées pour partie inefficaces voire nuisibles, pour partie réussies ; nous verrons aussi que pour certains dispositifs, il est trop tôt pour véritablement porter un jugement. Mais elles ont inauguré une nouvelle manière d’envisager les politiques publiques de l’emploi en Allemagne, que les hommes politiques et le grand public, via une presse de qualité, se sont appropriée et constituent, à ce titre, un progrès indéniable."

AMEN ! Même la "bonne presse de qualité" patronale est plus objective ! Ainsi Challenges du 23/11/06 :

" Les réformes de l'Agenda 2010 engagées sous le règne de Schröder ont coûté cher. En raccourcissant les délais de l'allocation de chômage, en réduisant au strict minimum (345 euros par mois) l'indemnité de chômage plancher, l'Allemagne a découvert ses nouveaux pauvres. Les premiers résultats d'un rapport qui sera publié en décembre par la fondation Friedrich Ebert ont laissé le pays sous le choc. « Aujourd'hui, 8% de la population, soit plus de 6 millions de personnes, font partie d'une nouvelle frange de la société que nous avons appelée les perdus de la précarité. Un groupe marqué par l'exclusion sociale, l'échec professionnel et les difficultés financières », explique Petra Wilke, la chercheuse qui a piloté l'étude. Depuis, les Unterschichten (classes sociales inférieures), le nouveau Lumpenproletariat allemand, hantent nos voisins d'outre-Rhin."

Et Schröder interrogé sur la question de répondre :
"C'est malheureusement le revers de la médaille des réformes sociales."
L'ex-chef du parti SOCIAL-démocrate ! Parce que promoteur des lois Hartz.

Pas de souci à se faire pour lui en revanche. Toujours dans cette "bonne presse de qualité" patronale, Challenges de cette semaine 27/03/08 :

"Schröder, un émissaire de luxe pour Rothschild
Il n'y a rien de plus difficile pour des banques d'affaires que d'attirer de nouveaux clients, et encore plus dans des pays que l'on connaît mal. Alors, comme ses homologues, la maison Rothschild a recours à ce qu'on appelle des senior advisors. Des conseillers seniors aux noms prestigieux, comme l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, très apprécié en Chine et dans les pays du Golfe, ou Thierry Breton, l'ancien ministre de l'Economie, très connu dans le secteur des télécoms, en Asie et aux Etats-Unis. [...] Avec Gerhard Schröder, la banque a fait une recrue de choix. «Il travaille très bien ses dossiers, et il épuise tout le staff lors de ses déplacements, raconte Marc-Olivier Laurent, associé chez Rothschild. Quand il arrive dans un hôtel, c'est un gain de temps incroyable. Comme il est toujours précédé des services secrets, il n'y a même pas de check in ! » Gerhard Schröder a assisté à l'inauguration des bureaux de Dubai. Son contrat prévoit qu'il fasse cinq ou six grands voyages par an pour la banque. S'il y a une réunion significative, il se déplace pour la journée. Sa rémunération est évidemment mieux gardée que le secret-défense."

Fabien a dit…

Je ne suis pas sûr de bien comprendre la fin du commentaire... je ne vois pas ce que Rotschild vient faire là-dedans. Pour la première partie, personne ne discute la dégradation nette qui a eu lieu au cours de dernières années en Allemagne sur le front des inégalités et de la pauvreté et je n'ignore pas l'étude de la FES. Toutefois, rendre les réformes Hartz directement responsables de ces évolutions est un peu rapide même si elles y ont sans doute contribué dans un premier temps au moins. Dans la phrase que vous incriminez de toute évidence, l'objet du "progrès indéniable" est la façon d'envisager une réforme avec évaluation etc. Comme la phrase précédente (que vous avez pourtant recopiée !!!) le dit clairement certains dispositifs ont été nuisibles...
Une "presse de qualité" préciserait par exemple que les 345€ de l'allocation Hartz IV ne contiennent pas le remboursement des frais de location d'un logement de 50m2 pour un célibataire, 60m2 pour un couple sans enfants etc.
Au total un allocataire munichois par exemple, célibataire, perçoit plus de 1000€ d'allocation: je ne dis pas que c'est beaucoup mais les 345€ qui font froid dans le dos même quand on les compare au RMI français ne sont pas comparables.

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