mercredi 18 avril 2007

Les conseillers de César et Cléopâtre (le retour)


A lire sur le site du Monde, un entretien réalisé avec Philippe Aghion et Olivier Blanchard à propos du programme économique du (de la) candidat(e) qu'ils soutiennent respectivement : Ségolène Royal pour le premier, Nicolas Sarkozy pour le second. Tout en reconnaissant la difficulté de l'exercice, il nous semble que cette interview illustre parfaitement l'incapacité des économistes à se faire entendre au cours de cette campagne présidentielle, parce que l'affichage de leur soutien politique a pour effet de masquer le consensus pourtant réel qu'ils partagent sur les réformes économiques nécessaires (et dont rien ne prouve qu'il soit partagé par leurs poulains respectifs).

Grosso modo, cet entretien révèle que Blanchard et Aghion sont, comme la plupart de leurs collègues, d'accord sur les points suivants :
1/ il faut réformer le marché du travail en introduisant une dose de flexibilité ;
2/ compte tenu du niveau de la dette, il n'est pas opportun de baisser les prélèvements obligatoires ;
3/ il faut maintenir le principe de la redistribution.

Au-delà de ces trois points, il est hautement probable qu'Aghion et Blanchard soient également d'accord pour dire :
1/ qu'il faut introduire davantage de concurrence sur le marché des biens et services (suppression des lois Galland, Royer et Raffarin, en particulier) ;
2/ qu'il faut réformer en profondeur l'enseignement supérieur pour le rendre compétitif sur le plan international.

Au total, l'interview produit un malaise évident : on sent bien que l'un et l'autre sont d'accord sur l'essentiel, mais qu'ils cherchent à tout prix à justifier la cohérence de leurs prises de position respectives, à coup :
  • d'interprétations pour le moins « héroïques » des propositions économiques de leur candidat(e) préféré(e) : où dans le programme de Ségolène est-il écrit qu'elle s'inspirera de la flexicurité danoise ? où dans le programme de Sarkozy est-il écrit qu'il maintiendra le même niveau de redistribution ? Le comble étant atteint lorsque, à la question du journaliste qui lui rappelle que le programme de Sarkozy ne mentionne nulle part l'idée d'une taxe sur les licenciements, Blanchard répond presque candidement : « c'est vrai, mais je sais qu'il n'y est pas hostile ». Et le citoyen lambda ? Est-il censé le savoir également ?
  • d'omissions volontaires sur les aspects positifs des propositions du candidat adverse et, a fortiori, sur les aspects potentiellement « gênants » du programme du candidat soutenu : Aghion ne dit rien sur le contrat unique ; Blanchard est vraiment en position délicate lorsqu'il faut parler du programme fiscal de Sarkozy.
A tout prendre, on aurait préféré qu'Aghion et Blanchard disent vraiment ce qu'ils pensent et interpellent les candidats sur leur propositions de réformes économiques (en matière de retraites, de logement, d'éducation, etc.) pour les inciter à en préciser le contenu, plutôt que de se faire les interprètes plutôt maladroits et peu convaincants de la pensée-Ségolène-Royal et de la pensée-Nicolas-Sarkozy.
_Julien_

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bien vu. On dirait du Econoclastes. Mais vous êtes les premiers gaulois sur le sujet : la lutte pour le premier coup, beau sujet de billet...

Antoine a dit…

Prendre Econoclaste de vitesse demande de l'entraînement. D'un côté on est plus nombreux, mais de l'autre le vote à main levée et la démocratie interne a un coût en terme de temps. ;)

Anonyme a dit…

Très bon article. J'ai eu le même sentiment en lisant le tout récent cahier d'Aghion dans En Temps Réel: http://en.temps.reel.free.fr/cahiers/cahier28.pdf
Il dessine un programme économique ambitieux, mais il ne ressemble à celui de la candidate qu'il soutient que d'assez loin.

En même temps il y a des contre-exemples: il me semble que quelqu'un comme Thomas Philippon arrive à allier une réelle influence sur le programme de SR et une réflexion économique reconnue par ses pairs.

La Thilde a dit…

Beh en même temps, quand les économistes acceptent de servir de caution intellectuelle... ils n'ont pas une grande marge de manoeuvre. Servir le prince est un jeu qui comporte ses règles.

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