mardi 4 décembre 2007

Qui comprend Hartz (2/3) ?


Il y a quelques semaines de cela, nous avions entrepris d’éclairer ce en quoi que les fameuses réformes Hartz mises en place en Allemagne entre 2003 et 2005 avaient véritablement consisté. Nous avions rappelé qu’elles s’étaient entre autres accompagnées d’un programme complet d’évaluation empirique, dont le coût était prévu dès la mise en place de la réforme et avions souligné que nous autres Gaulois devrions nous inspirer de telles pratiques, histoire de savoir à quoi nous dépensons nos deniers publix.

L’évaluation des réformes Hartz montre à quel point même avec la volonté politique, l’évaluation, et le fait d’en tirer les conséquences qui s’imposent n’est pas une tâche aisée.

Lorsqu’on demande à un économiste qui s’intéresse à l’Allemagne (là par exemple) ce qu’il pense de la guérison rapide de l’économie allemande au cours des trois à cinq dernières années, il répondra inlassablement quelque chose du style « les réformes structurelles, au premier rang desquelles celles entreprises depuis 2003 sur le marché du travail, ont joué un rôle majeur dans la baisse du chômage et le retour de la croissance ». Qu’en est-il exactement ?

En l’état actuel de nos connaissances, la seule chose qu'on puisse affirmer avec quelque certitude est que « certaines des mesures instituées dans le cadre des réformes Hartz ont sans doute contribué à une baisse accélérée du chômage alors que le contexte économique était favorable pour toute une série de raisons relativement indépendantes des réformes Hartz, et que cette baisse du chômage a pu en retour soutenir la croissance ». Toute proposition plus affirmative serait téméraire, et ce car l’évaluation des politiques publiques est malheureusement une activité nécessairement lente et partielle.

Lente car au temps de la mise en place de la réforme ou du nouveau dispositif s’ajoute celui de la collecte des données, et même si les chercheurs travaillent jour et nuit une fois les données disponibles, les premiers résultats raisonnablement robustes sur l’évaluation d’un dispositif peuvent n’arriver que plusieurs années après la réforme. Partielle car on peut rarement répondre à une question du type « les réformes ont-elles conduit au retour de la croissance ?»

I/ Aider les chômeurs à créer leur entreprise : l'exemple du dispositif Ich-AG

L’exemple du dispositif « Société anonyme à moi tout seul » (Ich-AG), mis en place dans le cadre de la loi Hartz II est à cet égard édifiant et vaut à mon avis la peine d’être détaillé tant il illustre certains problèmes auxquels l’évaluation, même bien faite, peut se heurter. Nous brosserons dans un prochain post un panorama plus complet des résultats de l’évaluation des autres mesures.

Lorsqu'il fut mis en place, le dispositif Ich-AG n'était pas tout à fait inédit : les aides à la création d’entreprise pour les chômeurs existaient depuis 1986 en République fédérale d’Allemagne. Mais ces aides ont été considérablement accrues, selon deux dispositifs distincts :
1/ le premier constituait une nouveauté : l’aide à la création d’entreprise individuelle (Existenzgründungszuschüsse dits « Ich AG ») introduite par la loi Hartz II et entrées en vigueur début 2003.
2/ l’autre qui existait déjà auparavant : l’allocation de transition (Überbrückungsgeld qui a été réformée depuis début 2004 dans le cadre de la loi Hartz III).

Les principes des deux dispositifs étaient les suivants :
  • l’allocation de transition devait permettre à des chômeurs de continuer à recevoir leurs allocations pendant une durée de 6 mois s’ils s’établissaient en tant qu’entreprise individuelle, et ce quel que soit le revenu perçu grâce à leur nouvelles activité ;
  • l’aide à la création d’entreprise individuelle visait quant à elle à autoriser les chômeurs qui décideraient de fonder leur entreprise de recevoir pendant trois ans une allocation dégressive (de 600€/mois la première année à 240€/mois la dernière) ;
Le choix pour un chômeur entre les deux systèmes dépend du dernier revenu perçu avant l’épisode de chômage, des perspectives de revenu de l’entreprise individuelle ainsi que de la durée de chômage anticipée. En gros un chômeur certain de son affaire et ayant touché des revenus élevés avant son épisode de chômage optera pour la première solution, alors qu’un chômeur prévoyant des débuts difficiles et n’ayant de toutes les manières pas de fortes allocations chômage préfèrera la deuxième solution.

II/ Les difficultés de l'évaluation

En quoi a consisté l’évaluation des ces nouvelles mesures ? Les chercheurs qui ont été recrutés à cette fin par le ministère allemand de l’emploi ont tenté de répondre à la question suivante : ceux qui ont bénéficié de cette mesure ont-ils vu leur probabilité de rester au chômage diminuer et si oui, de combien ?

Cette question est relativement ardue, pour au moins deux raisons :

1/ la première est que ces mesures ont eu tendance à faire augmenter initialement le taux de chômage des individus qui ont bénéficié, puisqu'il s'agissait par définition de chômeurs tout occupés à la fondation de leur entreprise, et par conséquent peu occupés à rechercher un emploi. Comparer naïvement le taux de retour à l’emploi des participants à celui des non participants conduirait ainsi de façon indue à considérer la mesure comme inefficace voir nuisible : il faut donc du recul pour s’abstraire de cet « enfermement » des chômeurs dans la mesure qu’on leur propose, et qui est destinée à les faire sortir plus vite du chômage ensuite (ce phénomène est encore plus évident avec les formations). Il faut donc attendre que le dispositif ait terminé de fonctionner pour pouvoir en mesurer l’effet réel sur les chances de sortie du chômage des bénéficiaires. Mais Ich-AG était prévue pour durer trois années ! Il faut donc s’armer de patience… ce qui n’est pas forcément aisé pour un homme politique qui attend qu’on lui dise avant les élections si l’argent qu’il a dépensé a été utilisé efficacement ou non…

2/ La deuxième raison pour laquelle l’évaluation est ardue, même lorsqu’on peut observer des individus qui ne sont plus touchés par l’aide, est que les bénéficiaires de cette aide ne sont pas comparables à ceux qui n’y ont pas eu recours (en fait et parfoit même en droit). On pourrait penser par exemple que ce sont en moyenne les chômeurs les plus débrouillards qui ont décisé de postuler pour l’aide à la création d’entreprise. Si tel est le cas, peut-on déduire de l'observation que ces individus sont moins souvent au chômage que leurs congénères après quelques années que l’aide a joué son rôle ? A priori non, parce que même en l'absence de cette mesure, il est probable que ces chômeurs plus débrouillards aient de toute manière retrouvé un emploi salarié plus facilement que les autres… Ce problème dit de « sélection endogène » des participants nécessite d’avoir recours à des techniques d’estimation plus sophistiquées que la simple comparaison brutale de deux groupes. Ces techniques sophistiquées sont gourmandes en données détaillées et donc en enquêtes coûteuses et qui prennent du temps.

III/ Des résultats plutôt encourageants

Finalement, que disent les études qui ont cherché à évaluer le dispositif Ich-AG (voir les papiers ici et là) ?

Pour l’allocation de transition, qui n’est payée que durant 6 mois, elles concluent que la probabilité d’être en emploi est, « grâce à l’allocation » de 32% plus élevée 10 mois après la fin du soutien, et entre 8% (Ouest) et 13% (Est) plus élevée 42 mois après la fin du soutien.

Pour l’aide à la création d’entreprise individuelle, l’évaluation est moins aisée dans la mesure où le recul ne permettait pas d’observer d’individus qui avaient bénéficié mais ne profitaient plus de l’aide. Les probabilités de ne plus être au chômage sont, en fonction de l’âge et de la zone géographique, entre 30 et 50% plus élevées 16 mois après le début de la mesure (alors que le soutien n’est plus de que 360€ mensuels). Les auteurs en concluaient, en l’attente de résultats plus robustes avec plus de recul temporel, que la mesure avait sans doute elle aussi eu un effet positif et significatif.

Ces résultats appellent deux remarques :

1/ D’une part on voit à quel point pour produire des connaissances précises et solides, il faut limiter les ambitions des conclusions : les chercheurs n’évaluent pas l’effet de la Ich-AG sur le PIB ou sur l’emploi dans cinq ans, mais seulement sur la probabilité pour un chômeur de retrouver un emploi, dans un contexte macroéconomique donné. Il n’est pas évident que mise en place ailleurs, à une autre époque, ces dispositifs fonctionneraient aussi bien. Toutefois, si la communauté des économistes n’a pas découvert le saint Graal avec Ich-AG, elle est sortie enrichie de cette évaluation : désormais, on sait que ce type de dispositif peut vraiment marcher dans un contexte comme celui de l’Allemagne des années 2000 et pas seulement parce qu’un bel esprit a écrit un modèle théorique cohérent où ça marche (ce qui est utile, mais pas suffisant pour justifier de dépenser les précieux deniers publics).

2/ D’autre part, il se trouve que les deux dispositifs, dont la différenciation semblait être une qualité puisque chacun s’adressait (efficacement visiblement) à un profil de chômeurs différent, ont été fusionnés par le ministère du Travail avant même qu'on ait le recul suffisant pour terminer l’évaluation ! Vouloir évaluer c’est bien, mais encore faut-il en tirer les conséquences qui s’imposent, au premier rang desquelles la nécessité d'une dose de patience et d'un soupçon de modestie.

Les Goths sont en avance sur les Gaulois, mais il semble bien qu’il leur reste aussi du chemin à faire...
_Fabien_

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour et merci pour ces précisions,

En France nous avons un dispositif similaire proposant, au choix, le maitien partiel de droits assedic ou le versement en 2 fois (à 6 mois d'interval) d'un capital représentant la moitié des droits au chomage restant.
L'évaluation de cette mesure passe d'un coté par la prise en compte du nombre de demandeurs d'emplois en ayant bénéficié mais est ce qu'il n'est pas pertinent d'y adjoindre le taux de survie des entreprises ainsi créées à 3 ans, ce qui est la durée d'évaluation standard dans le domaine de la création d'entreprise?
Bien sur il y a des biais, notamment les demandeurs d'emplois qui sont au chomage justement pour préparer leur création/reprise et pour qui le programme ne constitue pas forcément un accelerateur, et puis il y a aussi le probleme des chomeurs non indemnisés, etc... mais le vrai impact n'est il pas, dans un pays ou culturellement la sécurité de l'emploi et l'idolatrerie du CDI sont rois, d'évaluer l'impact de ces mesures d'aides à la création à l'aune de la pérennité de l'activité qu'elles permettent? Après tout si l'entreprise ainsi crée ferme ses portes au bout de 12 mois c'est plus assimilable à un long CDD qu'autre chose et ce sans compter l'endettement final de l'ancien créateur redevenu chomeur et caution des investissements initiaux de son projet.
Sans attendre les 3 ans ont peut évaluer la mortalité de ces entreprises au regard de la moyen locale et en connaitre un des effet les plus important (si 70% des entreprises ferment à 18 mois il faut revoir l'accompagnement, sachant la moyenne nationale à 3 ans autour des 50%, toutes causes confondues, y compris la reprise d'emploi en CDI...).

Anonyme a dit…

Merci de ces précisions, il est difficile de trouver des infos concrètes sur l'expérience des germains dans notre petit village gaulois. En particulier, les Assurancetourix divers et variés se sont beaucoup étendu sur le caractère moderne ou rétrograde de la partie "bâton" des lois hartz, tandis que les politiques d'activation n'intéressent pas grand'monde. Elles ont l'air un peu efficace, ça doit être pour ça :-)

Fabien a dit…

@Tonio: le manque de connaissance que nous avons en Gaule des lois Hartz est en grande partie lié au fait qu'elles constituent une jungle assez inexpugnable et que les Goths eux-mêmes ne n'y retrouvent que difficilement leurs marcassins. L'idée d'"activer" les chômeurs constitue la philosophie de la réforme et consiste à allier justement carotte et bâton... si "modernité" il y a c'est justement à mon avis dans l'idée de ne pas miser 100% du côté carotte ou 100% du côté bâton. Est-ce que le dosage de la potion a été efficace? comme j'ai commencé de l'illustrer, on ne sait pas vraiment...

@mangon: remarque très juste; en fait j'avais pour faire concis et illustrer en détail les problèmes d'évaluation du dispositif, laissé de côté les deux critères subsidiaires sur lesquels la réforme a été évaluée: durée de vie de l'entreprise et nombre d'emplois induits (puisque dans un monde parfait le chômeur entrepreneur qui réussit peut en plus de lui même aider d'autres chômeurs moins entreprenant en leur fournissant un emploi salarié dans sa nouvelle entreprise si celle-ci s'avère viable). En fait les résultats se sont averrés assez satisfaisant dans ces deux dimensions également, ce qui a conduit l'Ich AG àêtre considérée comme un fleuron des réformes Hartz.

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