Même s’il a un peu quitté l’actualité ces dernier temps, le Revenu de Solidarité Active (RSA) revient en force et sera sans nul doute un des animateurs de notre été politique. Ecopublix se propose donc de faire le point, en plusieurs étapes, sur les fondements de ce dispositif et sur ses conséquences potentielles. Ce premier post est consacré à la présentation du RSA, aux raisons qui ont motivé sa création et aux difficultés de sa mise en place. D’autres post suivront qui discuteront plus en détails les orientations à prendre ou à éviter.
Le livre vert sur le RSA présentait au début de l’année les buts et les moyens de ce nouvel outil. Les objectifs sont au nombre de trois : éviter le « retour au travail non rémunérateur », lutter contre la « pauvreté au travail » et diminuer la « complexité du système d’aides ». Il existe en effet en France un foisonnement d’aides et d’allocations qui visent à aider les ménages aux revenus les plus modestes. Seuls les individus disposant de très faibles revenus peuvent en bénéficier. Dès lors, si un individu retrouve un emploi, il perd son allocation : le gain financier du retour à l’emploi est donc très faible. L’objectif premier du RSA est ainsi d’unifier le système de solidarité avec les dispositifs d’incitation au travail, en particulier la Prime pour l’emploi (PPE) et le Revenu minimal d’insertion (RMI). Au départ, de nombreuses autres prestations devaient intégrer le RSA, comme l’AAH (allocation adulte handicapé) ou l’API (allocation parent isolé).
Parmi les questions soulevées par un tel dispositif, il en est trois qui méritent une discussion approfondie : comment concevoir une politique d’aide qui incite au retour à l’emploi ? Quelles prestations peut-on réellement intégrer dans le futur RSA ? Quel organisme de l’Etat doit gérer cette allocation ?
I/ L’incitation au retour à l’emploi
Lorsqu’ils s’intéressent aux incitations financières au travail, les économistes considèrent souvent le salaire marginal net, c’est-à-dire le supplément de revenu net qui est engendré par une faible augmentation de la quantité de travail (sur la notion de taux marginal, on se reportera à ce précédent post de Manix). Dans cette perspective, on s’intéresse essentiellement au calcul économique qui pousse un individu à travailler une heure de plus ou de moins, mais pas au choix plus général entre travailler et ne pas travailler. La rémunération d’une heure de travail supplémentaire est alors d’autant plus importante que le salaire est élevé, et d’autant plus faible que les taux d’imposition sont élevés ou que cette heure fait perdre d’autres types de prestations. Prenons un exemple simple : si vous décidez de travailler une heure de plus et que cette heure vous permet d’augmenter votre salaire de un euro, de combien augmente votre revenu disponible ? Si vous êtes taxé sur cette heure en plus ou que vous perdez des avantages monétaires, alors votre revenu augmentera de moins d’un euro. Supposons qu’il n’augmente que de x euros, alors on dira que le taux marginal de taxation est égal à t=1-x. Plus ce taux marginal est élevé, moins on est incité à fournir une unité de travail supplémentaire.
De quelle manière le système socio-fiscal français influence-t-il la décision de travailler un peu plus ou un peu moins ? Ce système étant extraordinairement complexe, il est difficile de connaître avec précision les taux marginaux effectifs qui s’appliquent aux individus. On sait cependant que la superposition de très nombreux dispositifs particuliers à pour effet de créer pour les revenus les plus faibles des taux marginaux de taxation très élevés, parfois proches de 100%. Autrement dit, certains individus n’ont aucune incitation à travailler une heure de plus, dans la mesure où ce qu’ils gagneraient d’un côté, ils le perdraient immédiatement de l’autre.
Pour comprendre les mécanismes en jeu, le plus simple est de ne considérer que les revenus salariaux, l’impôt sur le revenu (IR), la prime pour l’emploi (PPE) et le RMI (revenu minimum d’insertion). Le graphique suivant indique le profil des taux marginaux auquel fait face un célibataire sans enfant :
Même si l’on peut douter de l’influence cruciale de la taxation marginale – le choix, surtout pour les faibles salaires, se résumant plutôt à celui de travailler ou pas, plutôt que de travailler un peu plus ou un peu moins – il est difficile de ne pas remarquer que pour les revenus les plus faibles, la taxation est proche de 100 %. Il s’agit de toute la phase où l’on perd le bénéfice du RMI, qui prend la forme d’une allocation différentielle (consistant en un complément de rémunération qui couvre la différence entre la rémunération perçue et le montant du RMI). Si des dispositifs d’intéressement ont déjà été prévus pour permettre aux anciens RMIstes de cumuler leur RMI et leur salaire pendant le début de leur reprise d’emploi, il ne s’agit que d’un cumul temporaire : ainsi, à long terme, reprendre par exemple un emploi au Smic à quart temps ne rapporte rien du tout et à mi-temps rapporte moins de 115 euros par mois. On appelle « trappe à inactivité » ce type de taxation très élevée pour les bas revenus, qui a pour effet de les éloigner durablement de l’emploi
À mesure qu’on progresse dans l’échelle des revenus, la « bosse » des taux marginaux de taxation à 100% disparaît et laisse place à une plage de revenus bénéficiant de taux marginaux négatifs. Ce phénomène est lié à la montée en puissance de la Prime pour l’emploi, qui est un impôt négatif dont bénéficient les salariés qui occupent un travail à faible salaire. Lorsqu’on est situé dans cette tranche, l’accroissement de revenu engendré par l’augmentation de ses heures travaillés n’est pas taxé, mais subventionné : si je gagne un euro de plus en travaillant une heure de plus, je ramènerai chez moi non pas un euro, mais quelque chose comme un euros et cinq centimes, grâce au complément de revenu que me verse l’État.
Mais attention ! Dès qu’on atteint un Smic environ, c’est le retour de bâton, car on perd progressivement le bénéfice de la PPE, ce qui se traduit par un taux marginal de taxation de plus de 38 %. Ensuite, l’évolution des taux marginaux est déterminée uniquement par l’impôt sur le revenu progressif : jusqu'à 1,9 Smic, on est taxé au taux marginal de 12,6 %, puis 27 % au-delà.
Dans ces conditions, le principe initialement fixé par le RSA pour améliorer les incitations au travail était à l’origine relativement simple et clair, comme le montre le décret d’expérimentation du RSA. Le taux marginal d’imposition des revenus du travail ne devait pas être de plus de 30 %. Il en résulte, comme le montre la figure suivante, un lissage de la courbe de revenu disponible à partir de son ordonnée à l’origine, avec une pente toujours au moins égale à 0,7.
Grâce à ce dispositif, on aurait donc un profil beaucoup plus simple, avec un taux marginal de 30 % jusqu’à environ 1,6 Smic pour un célibataire sans enfant, puis les taux habituels de l’impôt sur le revenu : 12,6 % puis 27 %, etc.
À la lecture de ce graphique, on comprend également que l’augmentation du pouvoir d’achat individus à bas revenu n’a rien d’un « repas gratuit ». L’aire coloriée en bleu foncé, qui représente le montant de RSA qu’il faudra débourser en plus par rapport à la situation actuelle indique que cette mesure sera très coûteuse pour les finances publiques. Ce n’est qu’au prix de cette dépense supplémentaire que l’on pourra augmenter substantiellement le revenu disponible de tous les célibataires qui ont une rémunération salariale inférieure à 1,9 Smic, soit une grande proportion des célibataires français.
À ce stade de l’analyse, le RSA semble donc pouvoir atteindre effectivement deux de ses objectifs : réduire la pauvreté des travailleurs à bas salaire (si l’on fait abstraction des pressions à la baisse que cela pourrait créer sur les salaires juste en dessous du Smic, sujet qui sera développé dans un post à venir) et favoriser
II/ Qui sont les perdants ?
Le système se complexifie pourtant lorsqu’on s’intéresse non pas au célibataires, mais aux familles. Le montant du RSA dépend en effet de la situation familiale (comme le RMI) alors que certaines prestations que le RSA est supposé remplacer n’en dépendent pas. Cela créera immanquablement des perdants. Qui sont-ils ?
Les principaux perdants du RSA sont à chercher parmi les couples dont les deux membres sont actifs. Dans le système actuel, pour que l’un des deux membres puisse toucher la PPE, il faut que les revenus du foyer soit inférieur à deux Smic s’ils n’ont pas d’enfant, plus un tiers de Smic en plus pour chacun des deux premiers enfants et deux tiers de Smic supplémentaire par enfant à partir du troisième (ce qui porte le plafond pour un couple avec 3 enfants à 3,3 Smic environ). Ainsi, un individu au Smic, membre d’un couple ayant quatre enfants, a aujourd’hui droit à la PPE tant que son partenaire touchera moins de trois fois le Smic. Mais dans le nouveau système, cet individu ne bénéficiera pas du RSA. Il fera donc partie des perdants de la réforme du RSA.
Ce phénomène n’était pas considéré comme un problème dans les premiers temps de l’élaboration du RSA, et le livre vert sur le RSA rappelait même que la PPE n’atteint pas ses objectifs parce qu’elle est trop dispersée et bénéficie à des foyers qui ne sont pas vraiment dans le besoin. Cependant, pour des raisons en partie électorales, il semble que le gouvernement ait été contraint de faire marche arrière sur ce point, puisqu’il semble que la principale préoccupation des concepteurs du RSA consiste aujourd’hui à minimiser le nombre de perdants engendrés par le nouveau système, quitte à dénaturer le principe même du RSA. En effet, en raisonnant à budget constant, une limitation des perdants au RSA entraîne mécaniquement une limitation des gagnants du RSA, tout en transformant une idée initialement simple en effroyable usine à gaz. Le barème définitif n’est pas encore connu : il ne faut donc pas préjuger des intentions du gouvernement, mais l’arbitrage entre le coût de la mesure, son effet sur la pauvreté et les incitations au travail est inéluctable.
La question du ciblage du RSA est bien plus qu’un enjeu électoral. Car comme il en avait déjà été question dans un précédent post sur les heures supplémentaires, et comme il en sera question plus en détails dans un prochain post, l’imposition des couples pose certaines questions, notamment en ce qui concerne l’incitation au travail des femmes. Le système français d’imposition commune des couples génère bien souvent des taux marginaux très élevés pour les femmes en couple, ce qui les incite à ne pas participer au marché du travail (cf. ce document de travail). Or de nombreuses études récentes (dont ce document de travail d’Alesina et al., que nous avons déjà eu l’occasion de discuter ici) militent plutôt pour une réduction des taux marginaux d’imposition pour les femmes. Ainsi, priver de PPE les femmes qui font partie de ménages relativement aisés, même si cela ne constitue pas un recul social, pourrait avoir des conséquences néfastes sur leur participation au marché du travail.
III/ Fusionner les allocations et les services administratifs ?
Après la question de l’incitation au travail et des difficultés soulevées par le choix des prestations à intégrer dans le RSA, je termine ce petit tour d’horizon par la question de la gestion administrative du RSA, qui est loin d’être anecdotique. Comment les allocations seront-elles fusionnées et qui les gérera ? L’un des objectifs du RSA est en effet de simplifier le système social français. Mais celui-ci est tellement complexe qu’on parle déjà de ne pas exclure certaines allocations du RSA et de les maintenir à côté comme dans le système actuel. Et quand bien même le RSA n’intègrerait que la PPE et au RMI, la question reste posée de l’organisme qui aura la charge de le gérer. Car il faut savoir que dans le système actuel, ce sont les services fiscaux centraux qui gèrent la PPE et les départements qui gèrent le RMI, en vertu de la loi de décentralisation de 2004. Vu à quel point la décentralisation de la gestion du RMI a été un parcours du combattant, on voit mal le gouvernement décider de le ramener du jour au lendemain dans le giron de l’Etat.
Mais la formule inverse, qui consisterait en une décentralisation de la PPE (incluse dans le RSA) a aussi ses inconvénients. Tout d’abord, la PPE représente aujourd’hui plus de 4,5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter le milliard et demi supplémentaire promis par le président. Cela fait une somme très importante à décentraliser, et nécessiterait d’important transferts de ressources vers les départements. De plus, et même si cela peut paraître futile, un autre phénomène pourrait jouer également contre cette solution : décentraliser la PPE, qui est aujourd’hui une dépense fiscale, reviendrait à la transformer en dépense budgétaire. Même si cela ne change rien dans le fond, cela rajouterait dans les rapports plus de 4 milliards d’euros de dépenses et plus de 4,5 milliards d’euros de recettes fiscales. C'est-à-dire que gloablement, le taux de prélèvement obligatoire affiché par la France augmenterait mécaniquement d’environ 0,3 %, ce qui n’est pas négligeable étant donné les obligations européennes qui pèsent sur les finances publiques françaises.
Encore une fois, ne préjugeons pas de la solution qui sera finalement adoptée. Mais si le dispositif retenu est une allocation officiellement unique mais en fait gérée conjointement par les services fiscaux centraux, les départements (et pourquoi pas les Assedics ou les caisses d’allocations familiales), avec des formules compliqués pour savoir qui paie quelle partie de l’allocation, il n’est pas sûr que le système social français y gagne en transparence et en simplicité…
Le livre vert sur le RSA présentait au début de l’année les buts et les moyens de ce nouvel outil. Les objectifs sont au nombre de trois : éviter le « retour au travail non rémunérateur », lutter contre la « pauvreté au travail » et diminuer la « complexité du système d’aides ». Il existe en effet en France un foisonnement d’aides et d’allocations qui visent à aider les ménages aux revenus les plus modestes. Seuls les individus disposant de très faibles revenus peuvent en bénéficier. Dès lors, si un individu retrouve un emploi, il perd son allocation : le gain financier du retour à l’emploi est donc très faible. L’objectif premier du RSA est ainsi d’unifier le système de solidarité avec les dispositifs d’incitation au travail, en particulier la Prime pour l’emploi (PPE) et le Revenu minimal d’insertion (RMI). Au départ, de nombreuses autres prestations devaient intégrer le RSA, comme l’AAH (allocation adulte handicapé) ou l’API (allocation parent isolé).
Parmi les questions soulevées par un tel dispositif, il en est trois qui méritent une discussion approfondie : comment concevoir une politique d’aide qui incite au retour à l’emploi ? Quelles prestations peut-on réellement intégrer dans le futur RSA ? Quel organisme de l’Etat doit gérer cette allocation ?
I/ L’incitation au retour à l’emploi
Lorsqu’ils s’intéressent aux incitations financières au travail, les économistes considèrent souvent le salaire marginal net, c’est-à-dire le supplément de revenu net qui est engendré par une faible augmentation de la quantité de travail (sur la notion de taux marginal, on se reportera à ce précédent post de Manix). Dans cette perspective, on s’intéresse essentiellement au calcul économique qui pousse un individu à travailler une heure de plus ou de moins, mais pas au choix plus général entre travailler et ne pas travailler. La rémunération d’une heure de travail supplémentaire est alors d’autant plus importante que le salaire est élevé, et d’autant plus faible que les taux d’imposition sont élevés ou que cette heure fait perdre d’autres types de prestations. Prenons un exemple simple : si vous décidez de travailler une heure de plus et que cette heure vous permet d’augmenter votre salaire de un euro, de combien augmente votre revenu disponible ? Si vous êtes taxé sur cette heure en plus ou que vous perdez des avantages monétaires, alors votre revenu augmentera de moins d’un euro. Supposons qu’il n’augmente que de x euros, alors on dira que le taux marginal de taxation est égal à t=1-x. Plus ce taux marginal est élevé, moins on est incité à fournir une unité de travail supplémentaire.
De quelle manière le système socio-fiscal français influence-t-il la décision de travailler un peu plus ou un peu moins ? Ce système étant extraordinairement complexe, il est difficile de connaître avec précision les taux marginaux effectifs qui s’appliquent aux individus. On sait cependant que la superposition de très nombreux dispositifs particuliers à pour effet de créer pour les revenus les plus faibles des taux marginaux de taxation très élevés, parfois proches de 100%. Autrement dit, certains individus n’ont aucune incitation à travailler une heure de plus, dans la mesure où ce qu’ils gagneraient d’un côté, ils le perdraient immédiatement de l’autre.
Pour comprendre les mécanismes en jeu, le plus simple est de ne considérer que les revenus salariaux, l’impôt sur le revenu (IR), la prime pour l’emploi (PPE) et le RMI (revenu minimum d’insertion). Le graphique suivant indique le profil des taux marginaux auquel fait face un célibataire sans enfant :
Même si l’on peut douter de l’influence cruciale de la taxation marginale – le choix, surtout pour les faibles salaires, se résumant plutôt à celui de travailler ou pas, plutôt que de travailler un peu plus ou un peu moins – il est difficile de ne pas remarquer que pour les revenus les plus faibles, la taxation est proche de 100 %. Il s’agit de toute la phase où l’on perd le bénéfice du RMI, qui prend la forme d’une allocation différentielle (consistant en un complément de rémunération qui couvre la différence entre la rémunération perçue et le montant du RMI). Si des dispositifs d’intéressement ont déjà été prévus pour permettre aux anciens RMIstes de cumuler leur RMI et leur salaire pendant le début de leur reprise d’emploi, il ne s’agit que d’un cumul temporaire : ainsi, à long terme, reprendre par exemple un emploi au Smic à quart temps ne rapporte rien du tout et à mi-temps rapporte moins de 115 euros par mois. On appelle « trappe à inactivité » ce type de taxation très élevée pour les bas revenus, qui a pour effet de les éloigner durablement de l’emploi
À mesure qu’on progresse dans l’échelle des revenus, la « bosse » des taux marginaux de taxation à 100% disparaît et laisse place à une plage de revenus bénéficiant de taux marginaux négatifs. Ce phénomène est lié à la montée en puissance de la Prime pour l’emploi, qui est un impôt négatif dont bénéficient les salariés qui occupent un travail à faible salaire. Lorsqu’on est situé dans cette tranche, l’accroissement de revenu engendré par l’augmentation de ses heures travaillés n’est pas taxé, mais subventionné : si je gagne un euro de plus en travaillant une heure de plus, je ramènerai chez moi non pas un euro, mais quelque chose comme un euros et cinq centimes, grâce au complément de revenu que me verse l’État.
Mais attention ! Dès qu’on atteint un Smic environ, c’est le retour de bâton, car on perd progressivement le bénéfice de la PPE, ce qui se traduit par un taux marginal de taxation de plus de 38 %. Ensuite, l’évolution des taux marginaux est déterminée uniquement par l’impôt sur le revenu progressif : jusqu'à 1,9 Smic, on est taxé au taux marginal de 12,6 %, puis 27 % au-delà.
Dans ces conditions, le principe initialement fixé par le RSA pour améliorer les incitations au travail était à l’origine relativement simple et clair, comme le montre le décret d’expérimentation du RSA. Le taux marginal d’imposition des revenus du travail ne devait pas être de plus de 30 %. Il en résulte, comme le montre la figure suivante, un lissage de la courbe de revenu disponible à partir de son ordonnée à l’origine, avec une pente toujours au moins égale à 0,7.
Grâce à ce dispositif, on aurait donc un profil beaucoup plus simple, avec un taux marginal de 30 % jusqu’à environ 1,6 Smic pour un célibataire sans enfant, puis les taux habituels de l’impôt sur le revenu : 12,6 % puis 27 %, etc.
À la lecture de ce graphique, on comprend également que l’augmentation du pouvoir d’achat individus à bas revenu n’a rien d’un « repas gratuit ». L’aire coloriée en bleu foncé, qui représente le montant de RSA qu’il faudra débourser en plus par rapport à la situation actuelle indique que cette mesure sera très coûteuse pour les finances publiques. Ce n’est qu’au prix de cette dépense supplémentaire que l’on pourra augmenter substantiellement le revenu disponible de tous les célibataires qui ont une rémunération salariale inférieure à 1,9 Smic, soit une grande proportion des célibataires français.
À ce stade de l’analyse, le RSA semble donc pouvoir atteindre effectivement deux de ses objectifs : réduire la pauvreté des travailleurs à bas salaire (si l’on fait abstraction des pressions à la baisse que cela pourrait créer sur les salaires juste en dessous du Smic, sujet qui sera développé dans un post à venir) et favoriser
II/ Qui sont les perdants ?
Le système se complexifie pourtant lorsqu’on s’intéresse non pas au célibataires, mais aux familles. Le montant du RSA dépend en effet de la situation familiale (comme le RMI) alors que certaines prestations que le RSA est supposé remplacer n’en dépendent pas. Cela créera immanquablement des perdants. Qui sont-ils ?
Les principaux perdants du RSA sont à chercher parmi les couples dont les deux membres sont actifs. Dans le système actuel, pour que l’un des deux membres puisse toucher la PPE, il faut que les revenus du foyer soit inférieur à deux Smic s’ils n’ont pas d’enfant, plus un tiers de Smic en plus pour chacun des deux premiers enfants et deux tiers de Smic supplémentaire par enfant à partir du troisième (ce qui porte le plafond pour un couple avec 3 enfants à 3,3 Smic environ). Ainsi, un individu au Smic, membre d’un couple ayant quatre enfants, a aujourd’hui droit à la PPE tant que son partenaire touchera moins de trois fois le Smic. Mais dans le nouveau système, cet individu ne bénéficiera pas du RSA. Il fera donc partie des perdants de la réforme du RSA.
Ce phénomène n’était pas considéré comme un problème dans les premiers temps de l’élaboration du RSA, et le livre vert sur le RSA rappelait même que la PPE n’atteint pas ses objectifs parce qu’elle est trop dispersée et bénéficie à des foyers qui ne sont pas vraiment dans le besoin. Cependant, pour des raisons en partie électorales, il semble que le gouvernement ait été contraint de faire marche arrière sur ce point, puisqu’il semble que la principale préoccupation des concepteurs du RSA consiste aujourd’hui à minimiser le nombre de perdants engendrés par le nouveau système, quitte à dénaturer le principe même du RSA. En effet, en raisonnant à budget constant, une limitation des perdants au RSA entraîne mécaniquement une limitation des gagnants du RSA, tout en transformant une idée initialement simple en effroyable usine à gaz. Le barème définitif n’est pas encore connu : il ne faut donc pas préjuger des intentions du gouvernement, mais l’arbitrage entre le coût de la mesure, son effet sur la pauvreté et les incitations au travail est inéluctable.
La question du ciblage du RSA est bien plus qu’un enjeu électoral. Car comme il en avait déjà été question dans un précédent post sur les heures supplémentaires, et comme il en sera question plus en détails dans un prochain post, l’imposition des couples pose certaines questions, notamment en ce qui concerne l’incitation au travail des femmes. Le système français d’imposition commune des couples génère bien souvent des taux marginaux très élevés pour les femmes en couple, ce qui les incite à ne pas participer au marché du travail (cf. ce document de travail). Or de nombreuses études récentes (dont ce document de travail d’Alesina et al., que nous avons déjà eu l’occasion de discuter ici) militent plutôt pour une réduction des taux marginaux d’imposition pour les femmes. Ainsi, priver de PPE les femmes qui font partie de ménages relativement aisés, même si cela ne constitue pas un recul social, pourrait avoir des conséquences néfastes sur leur participation au marché du travail.
III/ Fusionner les allocations et les services administratifs ?
Après la question de l’incitation au travail et des difficultés soulevées par le choix des prestations à intégrer dans le RSA, je termine ce petit tour d’horizon par la question de la gestion administrative du RSA, qui est loin d’être anecdotique. Comment les allocations seront-elles fusionnées et qui les gérera ? L’un des objectifs du RSA est en effet de simplifier le système social français. Mais celui-ci est tellement complexe qu’on parle déjà de ne pas exclure certaines allocations du RSA et de les maintenir à côté comme dans le système actuel. Et quand bien même le RSA n’intègrerait que la PPE et au RMI, la question reste posée de l’organisme qui aura la charge de le gérer. Car il faut savoir que dans le système actuel, ce sont les services fiscaux centraux qui gèrent la PPE et les départements qui gèrent le RMI, en vertu de la loi de décentralisation de 2004. Vu à quel point la décentralisation de la gestion du RMI a été un parcours du combattant, on voit mal le gouvernement décider de le ramener du jour au lendemain dans le giron de l’Etat.
Mais la formule inverse, qui consisterait en une décentralisation de la PPE (incluse dans le RSA) a aussi ses inconvénients. Tout d’abord, la PPE représente aujourd’hui plus de 4,5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter le milliard et demi supplémentaire promis par le président. Cela fait une somme très importante à décentraliser, et nécessiterait d’important transferts de ressources vers les départements. De plus, et même si cela peut paraître futile, un autre phénomène pourrait jouer également contre cette solution : décentraliser la PPE, qui est aujourd’hui une dépense fiscale, reviendrait à la transformer en dépense budgétaire. Même si cela ne change rien dans le fond, cela rajouterait dans les rapports plus de 4 milliards d’euros de dépenses et plus de 4,5 milliards d’euros de recettes fiscales. C'est-à-dire que gloablement, le taux de prélèvement obligatoire affiché par la France augmenterait mécaniquement d’environ 0,3 %, ce qui n’est pas négligeable étant donné les obligations européennes qui pèsent sur les finances publiques françaises.
Encore une fois, ne préjugeons pas de la solution qui sera finalement adoptée. Mais si le dispositif retenu est une allocation officiellement unique mais en fait gérée conjointement par les services fiscaux centraux, les départements (et pourquoi pas les Assedics ou les caisses d’allocations familiales), avec des formules compliqués pour savoir qui paie quelle partie de l’allocation, il n’est pas sûr que le système social français y gagne en transparence et en simplicité…
11 commentaires:
Les chapitres II et III sont les mêmes !
Notons que la typographie officielle est bizarrement "rSa".
Je m'interroge particulièrement sur les risques en terme d'organisation et de systèmes d'information, vu qu'il s'agit de faire travailler ensemble un certain nombre de services et de niveaux différents. En général ça ne se passe pas bien.
"L’aire coloriée en orange,"
L'aire est coloriée en bleu.
Un très intéressant post et une très interessante mesure.
Il me semble que l'accompagnement va jusqu'à 1,3 SMIC pour un célibataire (ou par unité de consommation) et non 1,6.
Je tiens juste à signaler que RSA, en informatique, désigne un algorithme de cryptage, ce qui génère une certaine confusion dans ma tête, vu le titre de l'article (oui je suis économiste ET informaticien, ça existe). Voir http://en.wikipedia.org/wiki/RSA
@skav : Faire travailler ensemble des administrations différentes est souvent un problème, et c'est en effet l'un des problèmes sérieux de la mise en place du RSA. Cela va évidemment de pair avec le côté très complexe du système socio fiscal français. Mais si cette difficulté empêchait cette (ou une autre) simplification de se faire, ce serait très décourageant car cela signifierait qu'on est arrivé à un point de non retour de la complexité.
@Mangon : Je ne sais pas quels sont les tous derniers projets, jusqu'à 1,3 ou 1,6 SMIC. Il y a eu (et il y aura) tant de versions différentes. La version présentée dans ce post est la version la plus basique, en partant du RMI à son montant actuel, et en allant rejoindre le barème actuel de l'IR sans jamais dépasser 30 % d'imposition marginale. Avec ces conditions là, l'accompagnement doit aller au moins jusqu'à environ 1,6 SMIC. Pour n'accompagner que jusqu'à 1,3 SMIC, il faut soit imposer à plus de 30 %, soit baisser le RMI.
@houbaastef : Je connais en effet l'algorithme de cryptage, d'où le titre du post d'ailleurs. Comme quoi tu n’es pas le seul économiste à avoir des bases d'algorithmie.
Ce qui m'ennuie depuis le début dans cette histoire de RSA, et qui apparaît clairement dans ce post, c'est que les arbitrages entre types de pauvres aidés, types de trappe combattues, est masqué. Ce post montre bien que l'on va de fait réduire les incitations à travailler en augmentant le taux marginal d'imposition d'un grand nombre de personnes. Certes, on supprime la tranche d'imposition marginale à plus de 100% pour les très bas revenus, mais on la remplace par du 30% sur les faibles revenus. C'est un choix, mais trop rarement présenté comme tel.
Dans la serie des "Yaka", si on instaure un revenu d'existence, indexe sur les prix des biens de premiere necessite, et qu'on supprime toutes les aides, que se passe-t-il?
Dans le dispositif actuel, que se passe t-il au niveau des personnes qui se situent à 0,3 SMIC pour que le taux marginal d'imposition devienne subitement négatif et remonte aux alentours de 90% ?
Merci!
@ alexandre delaigue et Boulash : En effet, le monde est une affaire d'arbitrage. Et deux problèmes se chevauchent : l'incitation au travail d'une part et le niveau de vie de l'autre. Si on veut améliorer le niveau de vie des plus pauvres, on a deux solutions. La première est le revenu d'existence dont parle Boulash : tout le monde le touche et on commence une imposition progressive dès le premier euros de salaire. Cette solution, qui résoudrait l'arbitrage, existe depuis très longtemps dans la littérature économique, mais reste à l'état de littérature car c'est un euphémisme de dire qu'elle serait très coûteuse et le fait de donner une allocation aux milliardaires passerait sûrement mal dans l'opinion. La seconde solution est alors de donner une allocation aux plus pauvres, mais pas aux plus riches, et il faut bien donner une limite à partir de laquelle on ne donne plus l'allocation. Soit on la place brutalement (comme avant pour le RMI : taux de taxation de 100%), soit on essaie d'adoucir le retrait de l'allocation avec un taux de taxation de 30% seulement, mais forcément cela touche plus de gens.
@ MC Lunaar : La PPE n'est touchée qu'à partir de 0,3 SMIC, donc ce qui se passe à 0,3 SMIC, c'est l'entrée dans le barème de la PPE d'un coup, d'où un taux marginal très faible (- l'infini en fait). Ensuite la PPE monte progressivement en puissance et le taux marginal remonte au-dessus de 90% (100% de perte de RMI moins 7,7% de gain de PPE).
Un commentaire à retardement:
Que se passe-t-il en fait à partir du SMIC? En effet, à partir de là, le salaire horaire augmente, et la décroissance des allègements Fillon commence.
Ça n'a pas d'effet direct sur vos calculs, mais les cotisations patronales sont en général payées de fait par les salariés -- ce qui fait que comparé par rapport au salaire super brut, il y a une superbe "tranche" dont le taux marginal est de 75% entre le SMIC et la fin de la PPE.
Si on prend en compte les charges sociales (et dans ce cas effectivement aussi bien les salariales que les patronales), le barème est encore moins progressif car bon nombre de cotisations sont plafonnées. Cependant, le fait de les prendre en compte complique passablement l'analyse, car si une partie de celles-ci peut être interprétée comme un impôt, une autre partie n'est pas un impôt mais une sorte de prime d'assurance obligatoire (les cotisations retraites par exemple donnent droit à une pension en relation avec le montant des cotisations). D'où le parti pris de ce post de ne pas considérer les charges sociales.
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