I/ L’aide française au développement : quantités
Les attaques d’Oxfam reposent sur les récentes données publiées par la Direction de la Coopération pour le Développement de l’OCDE (que nous appellerons ici DAC, par anglophilie et convention). La DAC publia au début du mois d’avril les chiffres de l’aide au développement pour l’année 2007. Il y apparaît que la France a réduit le montant total de son aide au développement, qui est passée de 0,47% de son revenu national brut à 0,39%. Cela représente une chute de 1,68 milliard de dollars (en dollars constants), ou encore une chute de 15,9%, ce qui n’est pas rien. Le PS, par la voix de son secrétaire national à l’égalité Faouzi LAMDAOUI, déclara que « cette augmentation de l'aide alimentaire [était] annoncée pour masquer la chute libre de l'aide publique au développement sous la droite ».
Mettons ces chiffres en perspective. Commençons par préciser le montant exact de l’aide française au développement. Peu de gens ont en effet une idée, même vague, de la quantité déboursée chaque année par la France. En 2006, cette aide s’élevait à 8,92 milliards de dollars. Le graphique suivant montre comment elle a évolué au cours des 48 dernières années, en dollars constants et en pourcentage du revenu national brut (1).
Qu’en apprend-on? De 1981 à 1993, donc sous une présidence de gauche, l’aide a beaucoup augmenté en volume, mais l’effort national en termes de revenu est resté constant autour de 0,6%, après une significative augmentation de 1981 à 1984. Jacques Chirac est élu en 1995 et l’aide chute fortement. Le gouvernement Jospin ne freine pas cette tendance. Il faut attendre 2002, et la réélection de Jacques Chirac pour voir l’aide augmenter de nouveau, mais sans jamais retrouver les niveaux précédents atteints au début des années 90. 2007 est la première année depuis 2002 où l’aide diminue.
En second lieu, on peut s’étonner des variations observées depuis le pic de 1993. Que s’est-il passé au cours de cette période ? Il faut savoir que l’aide française suit assez fidèlement les évolutions mondiales, et donc que le cas de la France est assez représentatif du reste du monde. L’aide mondiale a en effet chuté dans les années 90, peut-être à cause de la fin de la guerre froide, mais aussi peut-être d’une certaine lassitude à l’époque face aux maigres résultats de l’aide. A la fin des années 1990, le moteur de la générosité se remet en marche. Les pays développés décident en effet de faire un effort significatif, signent des traités, s’accordent sur les objectifs du millénaire, Bono fait la tournée des dirigeants des pays développés, l’économiste Jeffrey Sachs promet la fin de la pauvreté dans le monde et Angelina Jolie est envoyée en Afrique. Une part importante de la dette des pays pauvres est alors effacée. Or cela gonfle les chiffres de l’aide au développement car il s’agit bien de ressources supplémentaires pour le pays pauvre, même si une annulation de dette ne s’accompagne pas d’un transfert direct d’argent. Par ailleurs cette augmentation soudaine ne peut se reproduire car on n’annule qu’une fois une dette. Le pays développé apparaît donc très généreux au moment de l’annulation mais avare ensuite. Ainsi, la DAC ne s’est pas étonnée que l’aide totale de ses pays membres ait chuté en 2007 de 8,4% « avec la fin des opérations exceptionnelles d’allégement de la dette de ces dernières années ». Qu’en est-il de la France ? Répétons le graphique précédent en n’incluant plus les remises de dettes dans les chiffres de l’aide au développement :
Les deux graphiques sont assez similaires : pic au début des années 90 avant une chute marquée puis un nouvel accroissement. Cette augmentation est cependant moins marquée quand on considère l’aide nette des allègements de dettes. L’aide incluant les annulations de dette a augmentée de 40% entre 2000 (point le plus bas) et 2006 (le plus haut). Mais sans ces annulations, elle n’a augmenté « que » de 32%. De plus, observez bien le dernier point de la courbe. Alors que l’aide incluant les remises de dettes a diminué en 2007, l’aide nette de ces annulation a augmenté au cours de cette année, passant de 0,31% en 2006 à 0,39% du revenu national brut en 2007. Ces chiffres n’ont rien de secret, ils sont bien précisés dans le communiqué de la DAC. Là encore il ne s’agit pas de dire que la France fait preuve d’une générosité sans faille (beaucoup de pays, malgré la fin des annulations de dettes, ont augmenté leur aide au développement), mais de présenter de manière plus honnête les données. Finalement, l’effet « deuxième présidence Chirac » est absent avec cette nouvelle mesure. Il n’est peut-être pas inutile pour savourer pleinement ce résultat de rappeler combien Jacques Chirac s’est souvent placé en champion de l’aide au développement.
Dernier point, comparons la France et les autres pays de la DAC. La France se définit comme le plus généreux donateur des grands pays industrialisés, ce qui est certes vrai si cela doit être pris dans le sens « pays du G8 ». Cependant le graphique suivant montre, pour l’année 2007, qu’elle est aussi en dessous de la moyenne des pays de la DAC et bien loin des pays nordiques.
II/ L’aide alimentaire et la France
L’aide alimentaire se décompose en plusieurs parties. Les pays développés fournissent une aide d’urgence dans le cadre de l’aide humanitaire. L’aide alimentaire ne répond cependant pas uniquement à des besoins urgents et inattendus, il existe donc aussi une aide alimentaire plannifiée. Ne prendre en compte que ces deux composantes sous-estimerait cependant les montant alloués. Une grande partie de l’aide alimentaire est fournie par le Programme Alimentaire mondial ( PAM), qui est une agence de l’ONU. D’autres organisations multilatérales et l’Europe y participent aussi et la France contribue financièrement à ces organisations. Les données de la DAC sont très incomplètes sur ces contributions. En revanche, le site du PAM indique les contributions respectives des gouvernements au financement de cette agence. On pourrait additionner les données bilatérales de la DAC avec les dons au PAM pour obtenir les flux totaux d’aide alimentaire. J’y suis réticent car un don au PAM ne se traduit pas directement par de l’aide alimentaire, mais aussi par des coûts divers et variés, entre autres administratifs. Je retiens donc les deux dimensions mais je en maintenant la distinction.
1/ L’aide alimentaire bilatérale (hors PAM)
Sous cette dénomination, j’inclus l’aide alimentaire payée directement par la France, que cette aide soit humanitaire ou non. Elle exclut donc le financement au PAM. Sur la période 1990-2006, l’aide alimentaire a représenté en moyenne 1% de l’aide bilatérale française. On ne peut donc pas dire qu’elle soit un élément majeur de la politique d’aide au développement ! Cette moyenne masque de larges variations. Ainsi, si en 2000-2001 l’aide alimentaire représentait un peu plus 2% du total bilatéral, elle n’a cessé de baisser depuis, aussi bien en pourcentage du revenu alloué (sauf en 2007) qu’en quantités. Elle est passée de 93 millions de dollars en 2001 à 37 millions en 2007. L’annonce de notre président prend donc une toute autre perspective. Il a promis de doubler l’aide alimentaire, en la portant à 60 millions de dollars. Voilà un geste généreux ! Deux fois plus ce n’est pas rien… En fait, il ne propose « que » de revenir au montant de 2002.
Mais comment la France se compare-t-elle aux autres pays donateurs d’aide alimentaire ? Si on considère tous les pays membres de la DAC sur la période 1990-2007, l’aide alimentaire représente en moyenne 2,8% de leur aide bilatérale. Le graphique suivante indique les contribution de chacun des 22 pays.
La France fait plutôt figure de mauvais élève, même si d’autres accordent encore moins d’importance à l’aide alimentaire, notamment la Suède et le Danemark, pourtant généralement champions toutes catégories en termes d’aide au développement. Notez aussi que les Etats-Unis sont largement en-dessus des autres pays. Notons enfin que même si la France double son aide alimentaire en 2008, elle restera toujours en dessous de sa propre moyenne sur la période 1990-2007.
2/ Aide au Programme Alimentaire Mondial
Le site du PAM nous apprend que la France a donné 33,7 millions de dollars en 2006 à cette organisation. C’est le 16e plus gros montant, très très loin derrière les Etats-Unis qui se situent à plus d’un milliard de dollars. La comparaison est cependant injuste. Il est plus raisonnable de comparer la France à l’Allemangne ou au Royaume-Uni qui allouent des montants d’aide similaires à la France. Ces deux pays donnent deux fois plus que la France. La Suède (environ 1/4 de l’aide française) donne aussi deux fois plus que la France, et le Danemark (environ 1/6) donne 30% de plus. Mais 2007 est peut-être une mauvaise année. Examinons 2006 : le Royaume-Uni a donné 4 fois plus, l’Allemagne 2,3 fois plus, la Suède aussi, le Danemark 1,7 fois plus. On comprend donc pourquoi ces deux pays nordiques donnent peu d’aide alimentaire : ils concentrent leurs efforts sur le PAM . La France fait donc piètre figure dans ce classement. Il n’y a là rien d’étonnant, les contributions de la France aux agences de l’ONU étant très en-dessous de la moyenne des pays développés. Ce sentiment est confirmé par la porte-parole du PAM dans cet article de Libération. Notre pays est donc clairement loin derrière les autres donateurs pour l’aide alimentaire, qu’il s’agisse de l’aide bilatérale ou du PAM.
III/ Conclusion
Concernant l’aide au développement, nous avons vu que l’aide française en 2007 a certes chuté mais pas si l’on exclut les annulations de dette. Je serais donc un peu plus prudent quant aux conclusions à tirer des chiffres de l’année 2007 que ne le sont les membres d’Oxfam France dans cet article.
Cependant, Oxfam a raison de reprocher à la France de ne pas respecter du tout son engagement de porter le montant de son aide au développement à 0,7% du revenu national brut (nous avons vu qu’elle s’en est même éloignée depuis les années 1980). Notre pays avait promis d’atteindre ce montant d’ici 2012, avant de repousser récemment cet objectif à 2015. Il avait aussi indiqué qu’il allouerait 0,5% de son revenu à l’aide en 2007. La politique française contraste donc fortement avec son discours et ses promesses. Elle n’est d’ailleurs pas la seule. D’après la DAC, il y a très peu de chances qu’aucun des pays qui ne satisfont pas aujourd’hui le critère de 0,7% ne l’atteigne d’ici la date promise de 2015.
Enfin, de manière plus générale, on assiste à une obsession du chiffre magique de 0,7% sans vraiment se poser la question de sa validité. Les annonces tonitruantes n’arrangent rien, donnant l’impression qu’il « suffit » d’allouer des fonds pour résoudre le problème de la pauvreté. Les preuves permettant d’étayer cette hypothèse sont pourtant bien maigres. Un débat plus riche s’interrogerait sur l’importance de l’aide dans le processus de développement et sur les pratiques qui réduisent la pauvreté. La quantité est très loin d’être le seul critère utile et la manière dont l’aide est utilisée, ainsi que l’évaluation de ses résultats, devrait être davantage mises en avant.
Note :
(1) Nous utilisons la définition de l’aide de la DAC, c’est-à-dire les dons et les prêts, à la condition qu’ils soient composés d’au moins 25% de dons, faits par des acteurs officiels (les prêts des organisations privées sont donc exclus) et qui visent à promouvoir le développement (les aides militaires sont donc exclues). Les contributions aux organisations multilatérales sont inclues. Le graphique présente donc le total de l’aide française officielle.