I/ Quelles sont les principales mesures de la loi TEPA ?
L'article 1 de la loi contient une disposition fiscale dont l'objectif déclaré est de permettre aux salariés d'augmenter leur pouvoir d'achat par l'allongement de leur temps de travail et d'inciter les entreprises à permettre ces allongements de temps de travail.
Pour encourager les salariés à faire plus d'heures (donc augmenter leur offre de travail), les revenus tirés des heures supplémentaires sont exonérés de l'impôt sur le revenu et de l'ensemble des charges salariales (chômage, assurance maladie, retraite de base et complémentaire, CSG et CRDS) : autrement dit, la rémunération des heures supplémentaires a été augmentée.
Pour inciter les entreprises à accorder plus d'heures supplémentaires (donc augmenter leur demande de travail), des réductions forfaitaires des cotisations patronales sont accordés : 0,50 € par heure supplémentaire pour les entreprises de plus de 20 salariés et 1,50 € par heure supplémentaire pour les entreprises de moins de 20 salariés. Pour ces dernières entreprises cependant, il faut noter que la diminution des charges patronales est compensée par une augmentation de la majoration du salaire des heures supplémentaires, celle-ci passant de 10 % à 25 %. Ainsi, le gain pour les petites entreprises n'existe que pour des salaires très proches du Smic, s'annule un peu avant 1,5 Smic et devient négatif au-delà.
II/ Les effets sur la demande de travail
La loi TEPA a suscité un grand nombre de commentaires, y compris avant qu'elle soit réellement discutée au parlement. Le plus souvent, les débats ont porté sur la question de savoir si les employés ont réellement la possibilité de choisir combien d'heures supplémentaires ils souhaitent effectuer. Cela dépend bien évidemment du pouvoir de négociation du salarié qui varie selon le type d'emploi, mais surtout de l'incitation qu'ont les employeurs à demander à leurs salariés de faire plus d'heures supplémentaires. Sur ce dernier point, l'impact de loi TEPA est susceptible de varier sensiblement selon le type d'entreprise considéré : comme indiqué plus haut, la loi rend la fiscalité des heures supplémentaires plus avantageuse pour les grandes entreprises, mais pas pour les petites lorsqu'elles versent des salaires supérieurs à 1,5 Smic. Par conséquent, l'effet de la défiscalisation des heures supplémentaires sur la demande de travail va surtout concerner les grandes entreprises.
On peut craindre par ailleurs qu'une grande partie de l'augmentation des heures supplémentaires déclarées ne corresponde pas à une augmentation réelle de l'activité économique. La défiscalisation des heures supplémentaires comporte en effet un risque sérieux de favoriser des comportements d'optimisation fiscale, puisque les entreprises auront intérêt à faire passer en heures supplémentaires des heures auparavant effectuées dans le régime normal, afin de bénéficier d'une fiscalité avantageuse sans pour autant changer quoi que ce soit à la durée effective du travail.
II/ Les effets sur l'offre de travail
Intéressons-nous maintenant aux effets probables de la défiscalisation des heures supplémentaires sur l'offre de travail, c'est-à-dire sur le nombre d'heures de travail que souhaitent effectuer les salariés.
Taux marginal versus taux moyen
En théorie, l’impact de la fiscalité sur l’offre de travail est assez complexe, voire ambigu. La taxation des revenus du travail a en effet deux effets qui vont dans des sens opposés :
1/ L'effet du taux marginal : comme l'a expliqué Manix, le taux marginal correspond au taux de prélèvement applicable au dernier euro gagné. Une diminution du taux marginal a plutôt tendance à encourager l'augmentation de l'offre de travail, car le supplément de travail réalisé par le salarié est mieux rémunéré. « Travailler plus » vaut plus le coup.
2/ L'effet du taux moyen : le taux moyen correspond au taux de prélèvement applicable sur l'ensemble des euros gagnés. L'effet d'une diminution du taux moyen est opposé à celui d'une augmentation du taux marginal : en augmentant les revenus après impôt du salarié, une diminution du taux moyen de prélèvement incite à travailler moins car plus on gagne d'argent, plus on préfère consacrer du temps au loisir.
A priori, l'effet de la loi TEPA sur l'offre de travail devrait donc être ambigu : d'un côté, en diminuant le taux marginal de prélèvement sur les revenus du travail, la loi devrait inciter les salariés à travailler plus ; mais d'un autre côté, en diminuant le taux moyen de prélèvement, elle devrait les inciter à travailler moins.
En réalité, comme indiqué dans le post que j'avais consacré à l'impôt sur le revenu, le cas de la France est assez particulier : le système d’imposition du revenu français présente des taux marginaux assez élevés, du fait des barèmes, mais des taux moyens très faibles du fait des très nombreuses déductions fiscales, réductions et crédits d’impôt. Surtout, l'effet de la loi TEPA sur le taux moyen de prélèvement sera faible, puisque par définition, la défiscalisation des heures supplémentaires ne concernera qu'une fraction relativement faible du total des heures travaillées (heures normales et heures supplémentaires) par un salarié . Dans ces conditions, l'effet de la loi TEPA transitera surtout par la baisse du taux marginal de prélèvement sur les salaires.
Qui seront les gagnants et les perdans de la réforme ?
La défiscalisation des heures supplémentaires pourrait donc apparaître comme une réforme idyllique, puisqu'elle incitera les salariés a faire plus d'heures supplémentaires en réduisant le taux marginal de prélèvement, sans les désincter à travailler puisqu'elle aura très peu d'effet sur le taux moyen. Cependant, il convient de savoir si cette augmentation sera importante ou faible. En effet, si elle est faible, la mesure n'aura qu'un effet négligeable sur la production totale (le PIB) et aura un coût positif sur la collectivité (le supplément de recettes générés par un volume d'heures travaillées plus important n'étant pas suffisant pour compenser les pertes de recettes engendrées par les exonérations fiscales). Si tel est le cas, la loi TEPA consistera essentiellement en un transfert des agents qui ne font pas d'heures supplémentaires (et qui paieront d'autres prélèvements obligatoires pour équilibrer le budget national) vers ceux qui en font : les « gagnants » de la réforme se trouveront du côté des salariés qui vont faire beaucoup d'heures supplémentaires en plus, les « perdants » du côté de ceux qui ne vont pas en faire plus. Une vrai question d'équité se poserait alors.
Ce point a été relevé par les économistes Patrick Artus, Pierre Cahuc et André Zylberberg dans le rapport qu'ils ont rédigé pour le Conseil d'Analyse Economique en août dernier, intitulé Temps de travail, revenu et emploi. Ils montrent que la défiscalisation des heures supplémentaires aura des effets contrastés sur le pouvoir d'achat des salariés : d'un côté, les salariés qui font déjà des heures supplémentaires devraient en faire plus, ce qui va augmenter leur pouvoir d'achat ; mais d'un autre côté, la réforme risque de diminuer le pouvoir d'achat des salariés qui ne font pas aujourd'hui d'heures supplémentaires, ainsi que celui des inactifs et des chômeurs, puisque la défiscalisation aura nécessairement pour effet de une diminuer les recettes publiques, qui devront être compensées par la hausse d'autres formes de prélèvements obligatoires.
Pour déterminer quels seront parmi les salariés les « gagnants » et les « perdants » de la réforme, on peut s'appuyer sur un petit schéma de l'équilibre du marché du travail. Le graphique suivant montre comment le nombre d'heures supplémentaires varie en fonction de la réactivité des salariés à la rémunération des heures supplémentaires :
Les courbes noires représentent la demande de travail payés en heures supplémentaires des entreprises en fonction du salaire qu'elles ont à payer. La courbe noire en traits pleins correspond à la situation initiale (avant la défiscalisation). Lorsque qu'on défiscalise les heures supplémentaires, le coût des heures supplémentaires pour l'employeur diminue : par conséquent, la demande de travail rémunéré en heures supplémentaires va s'accroître (la courbe en traits pleins se déplace vers la courbe en pointillés), c'est-à-dire que les entreprises vont augmenter le nombre d'heures supplémentaires qu'elles demandent à leurs salariés. L'effet de cet accroissement de la demande de travail sur le nombre d'heures supplémentaires réalisées va dépendre de la pente de la courbe d'offre de travail de salariés : si l'offre de travail des salariés est très sensible au salaire (courbe bleue), l'augmentation du nombre d'heures supplémentaires (H2) sera forte ; inversement, si la réactivité des salariés est faible (courbe rouge), l'augmentation du nombre d'heures supplémentaires (H1) sera faible. Les « gagnants » de la réforme sont ceux qui vont augmenter le plus leur volume d'heures supplémentaire : ils sont représentés par la courbe bleue. les « perdants » sont ceux qui vont augmenter le moins leur volume d'heures supplémentaires : ils sont représentés par la courbe rouge.
Qui sont les salariés correspondant à l'un et l'autre cas ? Il existe un relatif un consensus sur ce point parmi les économistes. Dans cet article, Jonathan Gruber et Emmanuel Saez résument résument les principaux résultats des différentes études empiriques menées sur le sujet : la principale conclusion est que les classes moyennes sont surtout sensibles aux taux moyens et peu aux taux marginaux, alors les salariés les plus riches réagissent plus fortement aux incitations liées aux taux marginaux d’imposition. Par ailleurs, il semblerait les femmes répondent globalement bien plus que les hommes aux incitations.
La défiscalisation des heures supplémentaires ne devrait donc avoir pratiquement aucun impact sur le volume d'heures supplémentaires réalisées par les salariés des classes moyennes, c'est-à-dire la très grande majorité, et augmenter la demande d'heures supplémentaires du très haut de la distribution des salaires. Les gagnants à la réforme sont donc à chercher du côté des salariés les mieux payés, les perdants du côté des moins bien payés. On poura toujours rétorquer que la loi pourrait quand même avoir un impact positif sur la demande de travail non qualifié si on suppose qu’il existe une complémentarité entre travail très qualifié et travail moins qualifié (si une entreprise fait travailler davantage ses ingénieurs, elle aura besoin de faire travailler davantage ses ouvriers) ; s'il existe, cet effet demeurera néanmoins faible.
L'effet « anti-redistributif » de la défiscalisation des heures supplémentaires ne s'arrête pas là : dans la mesure où les cotisations retraite existent jusqu'à un plafond assez élevé de salaire et que les hauts salaires sont ceux qui devraient le plus réagir à la loi, cette exonération des heures supplémentaires, qui touche en particulier les cotisations sociales, revient en partie à une subvention publique des retraites des plus riches.
L'effet sur l'offre de travail des femmes
Les arguments passés en revue jusqu'à présent semblent indiquer que la loi TEPA aura surtout pour effet d'organiser une redistribution « à l’envers », au détriment des classes moyennes et en faveur des salariés les mieux payés, pour un bénéfice relativement faible en termes d'activité économique. On pourrait néanmoins défendre la mesure en se concentrant sur le cas des femmes : la théorie économique suggère en effet qu'une telle exonération pourrait avoir un impact positif et significatif sur leur offre de travail.
En réalité, on constate empiriquement que les incitations fiscales jouent surtout sur la décision des femmes de participer ou non au marché du travail ou sur leur décision de travailler à temps plein ou à temps partiel, mais pas tellement sur le nombre d'heures travaillées. Or la défiscalisation des heures supplémentaires ne modifiera pas l'arbitrage entre travail et inactivité, pas plus qu'elle ne modifiera l'arbitrage entre temps partiel et temps plein. On peut donc penser que cette loi n’est n'aura pas particulièrement d'impact sur l'offre de travail des femmes.
Au total, l'analyse économique suggère que la loi TEPA n'a rien de la potion magique dont certains semblent rêver et que le « travailler plus » des uns risque surtout de se traduire par le « gagner moins » des autres.