Il y a un peu plus d’un mois Guilhem nous parlait de liberté de la presse et de démocratie. Son post soulignait le lien entre presse libre et bon fonctionnement démocratique mais n’entrait pas dans le subtil domaine de la manipulation de l’information. Il faut en effet un certain talent pour manipuler l’information sans pour autant décrédibiliser la source.
Le pouvoir politique a certes intérêt à contrôler l’information mais on perçoit aussi le risque créé par ce contrôle. Si la source perd toute validité, l’information n’aura aucune valeur et l’influence sur les électeurs sera très faible. Sous un régime dictatorial où les élections n’existent pas ou sont facilement biaisées, il importe finalement peu que personne n’accorde de valeur aux informations véhiculées par les médias puisqu’elles n’ont pas d’impact sur la vie politique. A l’inverse dans une démocratie au fonctionnement irréprochable et aux électeurs parfaitement informés, toute manipulation sera inutile car immédiatement mise à jour et pénalisée. Mais qu’en est-il dans le monde réel, le plus souvent situé entre ces deux extrêmes ? Les politiciens devront se révéler moins grossiers dans leur contrôle. Quand la force brute est à éviter, on peut utiliser des moyens plus subtils.
Amos Tversky et Daniel Kahneman, tous deux récompensés par le Prix Nobel d’économie en 2002, ont étudié en profondeur le concept de « framing » ou cadrage, c’est-à-dire la manière dont est présenté un choix à des individus. En économie traditionnelle, les agents rationnels ignorent ce genre de détails et choisissent l’option qui leur apporte le plus de bien-être sans ne porter aucune attention à l’emballage. Kahneman et Tversky ont montré que dans de nombreuses situations le « framing » avait au contraire un effet très important et qu’on pouvait influencer les décisions par le choix des mots, des images, ou parfois même de détails totalement hors de propos. Le marketing se délecte de ces exercices de fine manipulation pour modifier nos perceptions d’objets sinon identiques et nous faire acheter l’un plutôt que l’autre. Le pouvoir politique, par l’intermédiaire des médias officiels, va lui aussi tenter de jouer sur ces biais de perceptions dont nous sommes tous victimes. L’art consiste donc à ne pas mentir mais à cependant présenter les faits de manière à tromper l’électeur. En voici trois exemples assez savoureux.
Au mois de novembre se déroula à Stockholm une conférence intitulée « Russia beyond oil », à laquelle participa l’économiste Konstantin Sonin, de la New Economic School située à Moscou. Sa présentation portait sur les médias en Russie. Il expliqua que le pouvoir russe ne falsifiait pas ouvertement les faits mais usait de moyens beaucoup plus malins visant à communiquer des faits corrects mais à donner une impression différente de la réalité. L’image qui suit, tirée de sa présentation, présente les résultats d’une élection locale en Russie et donne les pourcentages (exacts) obtenus par chaque parti.
Les chiffres n’ont pas été modifiés, l’information est correcte. Cependant si on regarde les barres, a priori censées avoir une hauteur proportionnelle au nombre de voix, on observe un léger décalage. Le vainqueur semble avoir gagné largement, tandis que les trois autres partis semblent avoir reçu un nombre similaire de voix. Mais ceci ne correspond pas du tout aux chiffres. Que va retenir le téléspectateur ? Les chiffres ou le graphique ? Et même s’il lit bien les chiffres, ne sera-t-il pas influencé par le graphique ? Nous sommes en pleine manipulation.
Deuxième exemple : le graph suivant donne la production de Gazprom par année.
Si on regarde les barres verticales, on a l’impression que l’entreprise produit de plus en plus. Cependant les chiffres contredisent clairement cette interprétation. La production est stable. Là encore la manipulation est manifeste mais assez subtile pour passer inaperçue.
Dernier exemple, moins délicat. Le Kremlin ne supporte guère l’oligarque Boris Berezovsky. Le journal anglais le Times a publié un point de vue le critiquant dans ses pages « opinion. La télévision russe a repris l’information en montrant que même le Times, respectueux et sérieux journal anglais, critiquait l’homme d’affaire, et que cette information faisait même la une du journal. L’image ci-dessous montre à gauche la première page, fictive, qui est apparue à la télévision russe, et à droite la véritable première page, parue en Angleterre.
Dans tous ces exemples, la chaîne de télévision pourra se défendre d’avoir falsifié les faits : les pourcentages de voix obtenues sont corrects, les chiffres de la production sont justes, l’article a bien été publié. Mais dans tous les cas, la présentation est tellement biaisée qu’elle vide l’information de son contenu. Comme quoi il vaut toujours mieux remonter à la source de l’information et surtout apprendre à savoir déchiffrer les graphiques et données qui nous sont présentés.
Crédit photo : fliegender
Le pouvoir politique a certes intérêt à contrôler l’information mais on perçoit aussi le risque créé par ce contrôle. Si la source perd toute validité, l’information n’aura aucune valeur et l’influence sur les électeurs sera très faible. Sous un régime dictatorial où les élections n’existent pas ou sont facilement biaisées, il importe finalement peu que personne n’accorde de valeur aux informations véhiculées par les médias puisqu’elles n’ont pas d’impact sur la vie politique. A l’inverse dans une démocratie au fonctionnement irréprochable et aux électeurs parfaitement informés, toute manipulation sera inutile car immédiatement mise à jour et pénalisée. Mais qu’en est-il dans le monde réel, le plus souvent situé entre ces deux extrêmes ? Les politiciens devront se révéler moins grossiers dans leur contrôle. Quand la force brute est à éviter, on peut utiliser des moyens plus subtils.
Amos Tversky et Daniel Kahneman, tous deux récompensés par le Prix Nobel d’économie en 2002, ont étudié en profondeur le concept de « framing » ou cadrage, c’est-à-dire la manière dont est présenté un choix à des individus. En économie traditionnelle, les agents rationnels ignorent ce genre de détails et choisissent l’option qui leur apporte le plus de bien-être sans ne porter aucune attention à l’emballage. Kahneman et Tversky ont montré que dans de nombreuses situations le « framing » avait au contraire un effet très important et qu’on pouvait influencer les décisions par le choix des mots, des images, ou parfois même de détails totalement hors de propos. Le marketing se délecte de ces exercices de fine manipulation pour modifier nos perceptions d’objets sinon identiques et nous faire acheter l’un plutôt que l’autre. Le pouvoir politique, par l’intermédiaire des médias officiels, va lui aussi tenter de jouer sur ces biais de perceptions dont nous sommes tous victimes. L’art consiste donc à ne pas mentir mais à cependant présenter les faits de manière à tromper l’électeur. En voici trois exemples assez savoureux.
Au mois de novembre se déroula à Stockholm une conférence intitulée « Russia beyond oil », à laquelle participa l’économiste Konstantin Sonin, de la New Economic School située à Moscou. Sa présentation portait sur les médias en Russie. Il expliqua que le pouvoir russe ne falsifiait pas ouvertement les faits mais usait de moyens beaucoup plus malins visant à communiquer des faits corrects mais à donner une impression différente de la réalité. L’image qui suit, tirée de sa présentation, présente les résultats d’une élection locale en Russie et donne les pourcentages (exacts) obtenus par chaque parti.
Les chiffres n’ont pas été modifiés, l’information est correcte. Cependant si on regarde les barres, a priori censées avoir une hauteur proportionnelle au nombre de voix, on observe un léger décalage. Le vainqueur semble avoir gagné largement, tandis que les trois autres partis semblent avoir reçu un nombre similaire de voix. Mais ceci ne correspond pas du tout aux chiffres. Que va retenir le téléspectateur ? Les chiffres ou le graphique ? Et même s’il lit bien les chiffres, ne sera-t-il pas influencé par le graphique ? Nous sommes en pleine manipulation.
Deuxième exemple : le graph suivant donne la production de Gazprom par année.
Si on regarde les barres verticales, on a l’impression que l’entreprise produit de plus en plus. Cependant les chiffres contredisent clairement cette interprétation. La production est stable. Là encore la manipulation est manifeste mais assez subtile pour passer inaperçue.
Dernier exemple, moins délicat. Le Kremlin ne supporte guère l’oligarque Boris Berezovsky. Le journal anglais le Times a publié un point de vue le critiquant dans ses pages « opinion. La télévision russe a repris l’information en montrant que même le Times, respectueux et sérieux journal anglais, critiquait l’homme d’affaire, et que cette information faisait même la une du journal. L’image ci-dessous montre à gauche la première page, fictive, qui est apparue à la télévision russe, et à droite la véritable première page, parue en Angleterre.
Dans tous ces exemples, la chaîne de télévision pourra se défendre d’avoir falsifié les faits : les pourcentages de voix obtenues sont corrects, les chiffres de la production sont justes, l’article a bien été publié. Mais dans tous les cas, la présentation est tellement biaisée qu’elle vide l’information de son contenu. Comme quoi il vaut toujours mieux remonter à la source de l’information et surtout apprendre à savoir déchiffrer les graphiques et données qui nous sont présentés.
Crédit photo : fliegender