jeudi 4 décembre 2008

Etat général de la presse et de la démocratie


La France, que Freedom House classe 20e sur 25 pays Européens (ou 35e Mondial pour Reporter sans Frontière, soit exactement entre le Mali et l’Afrique du Sud) fait figure de mauvais élève parmi les pays développés du point de vue de la liberté de la presse. Cette dernière, du Premier Amendement à la Constitution Américaine à la Constitution Russe de 1993, est inscrite dans les institutions de la plupart des pays se déclarant démocratiques : reconnaître la nécessité d’une presse libre et indépendante pour le fonctionnement d’une démocratie est devenu un lieu commun. Les débats qui agitent les médias Français ainsi que les projets de réformes pourraient donc être l’occasion de se réjouir d’une orientation de notre presse vers une plus grande indépendance. Mais tant la réforme en cours du financement de l'audiovisuel public, que la mise en place des Etats Généraux de la presse ou que la récente actualité soulèvent en fait plus l'inquiétude quant à l’indépendance de la presse vis-à-vis des pouvoirs publics que l'enthousiasme.

Comment fonctionne précisément le lien entre presse libre et bon fonctionnement démocratique ? C'est la question que se pose une récente littérature économique. Celle-ci insiste sur le rôle de la presse comme garante de l’information disponible pour les votants afin de les guider dans leurs choix électoraux : une presse libre et indépendante est nécessaire pour inciter les élus à adopter un comportement proche des intérêts des électeurs, informés par les médias. L'absence de liberté ou d'indépendance de la presse peut donc avoir des répercussions très fortes sur les habitants d'un pays dans lequel les élus n'auraient que pas ou peu de compte à rendre pour leurs actions, ignorées du public.
Nous allons donc passer en revue ces modèles, les confronter à la réalité empirique tant dans les pays en voie de développement que dans les pays développés, où nous constaterons l’importance tout à fait fondamentale d’une presse libre pour une démocratie saine. Enfin, nous constaterons que l’ensemble des réformes actuellement en débat en France ’inscrivent de manière étonnamment claire dans un schéma dans lequel, loin de garantir l’indépendance de la presse, les pouvoirs publics seraient en train de se construire une plus grande facilité de contrôle sur l’information...

I/ Démocratie, liberté de la presse et famine

D'un point de vue théorique, la manière dont est pensé le rôle des médias en démocratie par les économistes est celle d’un problème d’agence : les électeurs ne sont qu’imparfaitement informés des actions de leurs élus. Si les élus sont opportunistes et sont au service de leur propre intérêt plutôt que de celui des électeurs, le rapport entre électeurs et élu est celui d’un principal (les électeurs) avec un agent (l’élu) puisque la problématique des électeurs va être de contrôler les décisions des élus dans une situation dans laquelle ils n'observent qu'imparfaitement celles ci. Dans ce type de relation, Besley, Burgess et Prat soulignent l’importance des médias qui, dans la mesure où ils fournissent des informations fiables, vont contribuer au contrôle de l’action des élus par les électeurs.

Amartya Sen fut l’un des premiers économistes à mettre en avant les mécanismes par lesquels la presse joue un rôle essentiel dans le fonctionnement d’une démocratie. Avec Jean Dreze, ils vont prendre l’exemple de l’Inde pour souligner la part jouée par le couple démocratie-presse libre dans la disparition des famines dans ce pays depuis l'Indépendance (famines pourtant récurrentes durant la période coloniale).

En effet, en situation de compétition électorale, un élu n’intervenant pas rapidement pour lutter contre des situations de famine ne sera très certainement pas réélu lors de la prochaine élection, pour peu que son incapacité à lutter contre la famine soit rendue publique par les médias. Ainsi, la combinaison d’un système démocratique et de la diffusion de l’information par une presse libre constitue une incitation clé pour les dirigeants à mettre rapidement en œuvre les politiques nécessaires à l’évitement des famines : en l’absence de l’une ou de l’autre de ces composantes, il n’y a pas d’incitation à agir pour l’élu. En effet, sans compétition électorale (le cas d’une dictature par exemple), « l’élu » n’a pas de risque de voir sa position menacée lors de la prochaine élection, et n’a donc pas d’intérêt particulier à agir en direction des populations menacées par la famine (et ce, même si l’ensemble de la population est informée de cette situation par la presse). De même, s'il y a compétition électorale, mais pas de presse libre, l’inaction des élus ne sera connue que de la population directement affectée par la famine. Si celle-ci ne représente qu’une petite part des électeurs, elle n’aura pas un poids suffisant pour empêcher le dirigeant incompétent d’être réélu à la prochaine élection, et celui-ci ne sera donc pas incité à faire en sorte de mettre cette population à l’abri de la famine.

Si par contre, l'ensemble du pays est informé de l'incapacité des dirigeants à résoudre une famine très localisée, les électeurs le prendront en compte à la prochaine élection, refusant d'élire un candidat dont ils se doutent qu'il ne saura pas agir efficacement si un nouveau risque de famine (qui pourrait cette fois les concerner) devait survenir.

C’est donc bien la combinaison de ces deux facteurs : une démocratie vivante, caractérisée par une forte compétition électorale, et une presse libre, qui est centrale dans l’adoption par les élus des mesures nécessaires à l’évitement des famines. Pour Dreze et Sen, qui comparent le cas de l’Inde à celui de la Chine, c’est notamment en raison de l’absence de ces deux facteurs que la Chine a connu entre 1958 et 1961 l’une des plus grandes famines de l’histoire, alors que sa voisine Indienne traversait la deuxième moitié du XXe siècle sans aucun épisode de famine.

Tim Besley et Robin Burgess ont formalisé ces intuitions et les ont testées sur données Indiennes. Ils étudient les districts Indiens de 1952 à 1992 pour voir si la réaction des autorités à des catastrophes naturelles pouvant entraîner des situations de famine dépendait ou non de la plus ou moins grande circulation de médias dans chacun de ces districts. Ils montrent alors que face à ces situations de risque de famine, la réaction des autorités va dépendre largement de la présence de médias dans le district : plus la circulation des médias est importante dans un district, plus la réaction des autorités à un risque de famine va être forte. En particulier, ils soulignent que la circulation de médias écrits dans la langue locale (donc des medias traitant a priori d’informations plus régionales, plus susceptibles d’accorder une grande place à des risques de famines très localisés géographiquement) a plus d’impact que celle de médias écrits en Hindi ou en Anglais (langues de la presse nationale) sur l’intervention des autorités. De même, ils mettent en avant l’importance de la compétition électorale dans la qualité de l’intervention publique dans la lutte contre les risques de famine, en ligne avec les intuitions de Dreze et Sen.

Démocratie et presse libre semblent donc bien être des éléments essentiels pour la « bonne gouvernance » des pays en voie de développement. Et si les questions de famine sont des préoccupations propres aux PVD, celle de la « bonne gouvernance » ne leur est par contre pas exclusive, et nous allons voir comment la question de la liberté de la presse est aussi au cœur du contrôle de l’action des élus des pays développés.

II/ Indépendance de la presse et démocratie

En effet, le contrôle de l’action des élus est loin d’être un problème spécifique aux pays en voie de développement. Par contre, et contrairement à beaucoup de pays en voie de développement, la plupart d’entre eux disposent d’institutions démocratiques et d’une presse libre. La question va donc se poser différemment pour eux, puisqu’il faudra alors savoir dans quelles conditions une presse officiellement libre va être effectivement indépendante du pouvoir. En d'autre termes, et pour revenir à l'article de Besley, Burgess et Prat, que se passe t'il si les informations fournies par les médias ne sont pas nécessairement fiables, si elles peuvent être affectées, contrôlées, capturées, par les élus ?

C'est la question que se posent Besley et Prat qui proposent un modèle dans lequel les médias peuvent se faire « capturer » par les élus. Dans leur modèle, les medias ont deux types d'incitations : celle d'obtenir une grande audience, afin d'obtenir un revenu des ventes et de la publicité. L'audience sera d'autant plus forte que la qualité de l'information procurée par le média est bonne (1) . Mais les médias peuvent aussi être « capturés » par les politiques qui, cherchant à contrôler les informations qu'ils diffusent, vont faire en sorte d'offrir des contreparties aux médias ne diffusant pas d'informations négatives sur leur compte (mesures illégales, menaces par exemple, mais aussi et surtout, des mesures légales visant à favoriser les propriétaires des médias en contrepartie de leur partialité dans le traitement de l'information).
Ils montrent alors que la probabilité que les medias soient « capturés » par les politiques va dépendre:
  • de la concentration de l'industrie des médias (plus celle ci est concentrée, plus elle sera facile à capturer, car il y aura moins de médias avec lesquels passer des marchés),
  • des revenus liés à l'audience (plus ceux ci sont élevés, plus les médias seront difficiles à capturer),
  • et des coûts de transaction entre les politiques et les médias (plus ceux ci sont faibles, plus les médias sont faciles à capturer).
Ils insistent tout particulièrement sur ce dernier point, en soulignant que ces coûts de transaction vont largement dépendre de la manière dont les médias sont gérés : les médias appartenant à l'Etat, dont les dirigeants sont directement nommés par le gouvernement ont le plus de chance de présenter des coûts de transaction faible. De même, si les médias sont détenus par des familles, les coûts de transaction peuvent être relativement faibles, le gouvernement faisant en sorte de passer des lois avantageant les membres de ces familles à la tête des groupes de presse. Enfin, si les médias appartiennent à des grands groupes industriels aux intérêts économiques variés, les coûts de transaction seront faibles encore une fois, le gouvernement pouvant faire passer des lois avantageant certains intérêts économiques du groupe. Les coûts de transaction seront par contre d'autant plus élevés que l'actionnariat des groupes de presse sera dispersé, ou si ces groupes sont détenus par des non résidents (moins susceptibles d’être affectés par des lois passées dans un pays où ils n’habitent pas).

La vérification empirique de ce modèle n'est toutefois pas extrêmement convaincante. Les auteurs montrent qu'il existe une corrélation entre le type de propriété des groupes de média et les niveaux de corruption des politiques : plus les médias sont détenus par l'Etat, plus on observe que les politiques sont corrompus. Rudiger Ahrend trouve lui aussi un lien entre liberté de la presse et niveau de corruption. Ces études ne montrent cependant que des corrélations, et ne peuvent établir de rapport de causalité entre presse indépendante et qualité de la « gouvernance ».

Une autre étude, historique celle là, menée par Gentzkow, Glaeser et Goldin porte sur l'évolution de l'indépendance de la presse aux Etats Unis : alors qu'aux alentours de 1870, la presse était avant tout partisane, revendiquant son affiliation à un parti, la croissance de l'industrie des médias et de la concurrence entre eux a entraîné le développement d'une presse indépendante (la part de journaux se déclarant indépendants est passée de 11% en 1870 à 62% en 1920, selon les auteurs).
On peut constater sur le graphe 1 l'augmentation massive de la circulation des journaux sur la période :


Etudiant le traitement médiatique de deux scandales politiques, celui du Crédit Mobilier au début des années 1870 et celui du « Teapot Dome » dans les années 20, ils montrent que la couverture de ceux ci est biaisée dans les journaux partisans (quel que soit le scandale) mais est relativement objective dans les journaux indépendants, la différence entre les deux périodes étant alors que le nombre et la diffusion des journaux indépendants était beaucoup plus importante dans les années 20, offrant donc à la population dans son ensemble une couverture bien plus objective des événements. Les auteurs proposent plusieurs mesures du biais dans le traitement de l'information. L'une d'entre elle est l'utilisation récurrente des termes « diffamation » (slander) et « honnête » (honest) qui biaisent l'information dans un sens ou dans un autre sans apporter d'élément factuel. Ils montrent alors que le recours à ce type de terme (déflaté par le mot neutre « Janvier », pour tenir compte de l'évolution de la taille des journaux) va décroître avec le développement de la presse indépendante.


Les auteurs suggèrent alors que ce développement d'une presse indépendante n'est peut être pas sans lien avec la diminution massive de la corruption observée à la même époque aux Etats Unis, sans toutefois réussir à démontrer le lien de causalité.

La difficulté de la démonstration du lien causal entre indépendance de la presse et qualité de la politique provient du fait que ces deux variables sont déterminées conjointement : les endroits dans lesquels la presse n’est pas indépendante peuvent l’être parce que les politiques corrompus font en sorte que celle-ci le soit, et vice versa. Il est donc délicat de déterminer si c’est bien l'absence d' indépendance de la presse qui fait le mauvais politicien, ou le mauvais politicien qui fait l'absence d' indépendance de la presse. Snyder et Strömberg proposent une manière originale de résoudre ce problème en utilisant le découpage des circonscriptions américaines. Ils montrent en effet que le découpage des circonscriptions ne correspond généralement pas au découpage des marchés des médias locaux, ce qui rend la couverture de l’actualité de politique locale difficile pour les médias : si les lecteurs d’un journal, par exemple, sont tous concentrés dans une seule circonscription, alors l’actualité politique de cette circonscription les intéressera, et sera traitée par le journal. Si par contre, les lecteurs du journal sont répartis sur plusieurs circonscriptions, la couverture d’un évènement politique d’une circonscription n’intéressera que peu les lecteurs des autres circonscriptions. Il s’en suit que la couverture des événements politiques locaux sera d’autant plus complète que les marchés des média locaux correspondent aux frontières des circonscriptions électorales (circonscription et marché des média sont alors dits « congruents »). Snyder et Strömberg montrent alors que les élus de régions où marché des médias et circonscription sont très « congruents » sont plus actifs (et obtiennent plus de fonds pour leur circonscription) que ceux dont la circonscription est moins « congruente » d’avec le marché des médias locaux.

Dans les pays développés comme dans les pays en voie de développement, il apparaît donc clairement que la presse joue un rôle causal dans le comportement des élus et la qualité des politiques mises en œuvre.

III/ Et la France dans tout ça ?

On a donc pu constater que la contribution d'une presse libre au bien être des citoyens d'une démocratie pouvait être tout à fait essentielle, en particulier dans les pays en voie de développement, pour lesquels il peut s'agir d'une question vitale, alors même que le pays peut avoir des institutions parfaitement démocratiques par ailleurs.

Loin de se limiter à ces pays, le besoin d'une presse libre pour le contrôle de l'action des élus est aussi nécessaire dans les pays riches, où l'on voit clairement que la couverture médiatique (ainsi que sa qualité) affectent le comportement des élus.

L'article théorique de Besley et Prat nous permet en particulier de saisir les mécanismes par lesquels un gouvernement pourrait essayer de capturer l'information fournie par les médias.

Il peut être en effet particulier instructif pour l'interprétation de l'actualité Française de lire ce modèle d'une autre manière, en se posant la question de savoir comment un gouvernement qui voudrait contrôler au mieux la presse devrait agir. Ce modèle nous enseigne alors que ce gouvernement aurait intérêt à faire en sorte de diminuer les ressources publicitaires de la presse, de nommer directement les PDG des groupes de media publics, de favoriser la concentration de l'industrie, ou bien de favoriser par voie légale les intérêts des groupes de média (même si, dans cet exemple, l’intérêt du groupe en question n’est en fait pas aussi évident que ça) contre un traitement plus favorable de l'information.

Les lecteurs imaginatifs se diront peut être que les modèles économiques peuvent parfois décrire de manière étonnamment précise une réalité empirique particulière...
Il est en effet rare d’observer un modèle théorique décrire de manière aussi adéquate une réalité empirique. Si l’on comprend l’intérêt des élus à contrôler la presse (en particulier si, non content d’affaiblir le contrôle des électeurs sur leurs élus, elle affecte en plus leur comportement au moment des élections), cette capture (potentielle) des médias représente une menace pour la qualité de nos institutions. Dès lors, on comprend la vive hostilité que suscitent les différentes réformes en cours. Signe d’une démocratie vivante, on espère simplement que ces débats, permis par une information de qualité, seront encore possibles à l’avenir, si ces mesures devaient être adoptées: comme l'a illustré la difficulté à vérifier empiriquement le lien de causalité entre indépendance de la presse et qualité de la gouvernance, la dégradation de l'indépendance de la presse crée les conditions d'apparition d'un cercle vicieux mauvaise gouvernance-dépendance de la presse au pouvoir difficile à briser une fois en place...


(1) Cette hypothèse peut être discutable. Néanmoins, toutes choses égales par ailleurs, on peut supposer qu’un auditeur/lecteur préférera une information de plus grande qualité. En particulier, dans le cas qui nous intéresse, elle souligne le fait que le média qui publiera un « scoop » sur la malhonnêteté d’un dirigeant gagnera des parts d’audience importante, au moins de manière ponctuelle, ce qui est tout à fait réaliste. Un élu voulant contrôler la presse devra donc passer un marché avec tous les médias, car celui avec lequel il n’aura pas passé de marché aura d’autant plus intérêt à publier le « scoop » que les autres ne le font pas.
_Guilhem_

9 commentaires:

Rubin Sfadj a dit…

Superbe article. Du beau travail !

deligne a dit…

Très bon billet Guilhem et très belle mise en perspective du fonctionnement de la presse en relation directe avec le système économique d'un pays. C'est un exposé très clair.

marsupilamima2 a dit…

chapeau!

Anonyme a dit…

Merci pour cet intéressant billet.

La littérature que vous évoquez a traité de "l’importance tout à fait fondamentale d’une presse libre pour une démocratie saine" ; existe-t-il des recherches comparables sur l'importance d'une presse libre pour l'information du consommateur et sa possibilité de faire des choix informés ? En effet, il semble ressortir de votre billet que la publicité est une bonne chose pour le contrôle des élus ; l'est-elle autant pour le contrôle des producteurs ?

Guilhem a dit…

Rubin, Scheiro, martine silber> merci.

MB> Je ne connais pas la littérature éco traitant du lien entre publicité et informations sur les producteurs. J’ai jeté un œil (très) rapide, et n’ai rien trouvé, mais cela m’étonnerait fort qu’il n’existe rien sur le sujet.
On peut cependant tirer quelques enseignements sur l'indépendance des médias vis à vis des annonceurs à partir des modèles que je présente dans ce post. L'idée principale développée ici est que l'indépendance de la presse vis à vis des pouvoirs publics est d'autant plus grande que les sources de revenus de ses propriétaires sont difficilement contrôlables. D'où l'importance de la publicité (mais parmi d'autres facteurs tout aussi importants comme les recettes des ventes, la forme de l'actionnariat et le degré de concentration du secteur).
On pourrait établir un raisonnement similaire pour l'indépendance de la presse vis à vis des annonceurs. La pub étant un revenu pour les médias, on s'attendrait tout d'abord à ce que l'indépendance de ceux ci vis à vis des annonceurs soit décroissante de la part de la pub dans le chiffre d'affaire (d'où la politique du Canard Enchaîné de ne pas avoir de pub, par exemple). Mais l'histoire ne s'arrête pas là: si les annonceurs sont très nombreux, leur influence individuelle sur le chiffre sera faible, et donc leur pouvoir d'influence. On s’attend donc à ce que l’indépendance des médias soit décroissante du degré de concentration des annonceurs (un grave problème pour la presse spécialisée, qui dépend d’un tout petit nombre d’annonceurs, la presse jeu vidéo en est un exemple http://www.gamekult.com/finances/articles/A0000063036/).
Le rôle de la concentration de la presse me parait par contre plus ambigu que dans le modèle du post : alors que la concentration de la presse était sans ambiguïté « mauvaise » pour l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, cela semble moins évident dans le cas des annonceurs. En effet, la publicité n’est pas un revenu que pour les médias, mais aussi pour les annonceurs eux même, qui en ont besoin pour vendre leurs produits. Plus la presse est elle-même concentrée, moins l’annonceur sera susceptible de brandir une menace de boycott, puisque celui-ci deviendrait trop coûteux (si il n’y a qu’un seul journal dans le pays, je dois nécessairement passer par lui pour faire de la pub, je ne peux donc me permettre de le boycotter, sinon, mon chiffre d’affaire s’écroule).

Voila pour mes réflexions rapides sur le sujet.

Anonyme a dit…

Article très intéressant félicitation

Maxbault

Anonyme a dit…

Merci pour vos précisions. J'en étais en effet resté au "modèle du Canard enchaîné" sans voir que la multiplication des annonceurs pouvait avoir des effets bénéfiques.

Sinon, Jean-Michel Aphatie n'est pas d'accord avec vous ;o) Les derniers paragraphes sont, je trouve, assez révélateurs de la conception du journalisme de l'intéressé.

Anonyme a dit…

Eléments théoriques fort intéressants, hélas ternis par une conclusion d'un partisanisme qui n'est pas à la hauteur des prétentions de votre site... Une introduction volontairement accrocheuse (vous feriez vous-même un bon publicitaire) où on sous-entend que l'on va démontrer clairement un fait présenté comme une évidence (la prise en main de la presse audiovisuelle par le pouvoir exécutif), qui n'est bien sûr qu'un effet d'annonce: quelques références allusives et non objectives, des liens vers des articles qui eux-mêmes s'émeuvent et ne disent rien, aucune mention de la différence évidente entre presse écrite et presse audiovisuelle (sachant que la qualité de l'information fournie par la seconde n'a à mon sens jamais été au niveau de la première), et puis d'ailleurs, vos sources (libé, mediapart...) qui trahissent elles-mêmes votre partisanerie...

Bien sûr, on passera sur les omissions d'importance : par exemple sur la nomination des présidents de chaîne publique, qui était jusqu'ici le fait du CSA, dont le système de désignation des membres reste inchangé; mais vous ne dîtes pas que le les présidents de chaîne seront nommés par l'Elysée sur avis conforme du CSA, et que l'Assemblée disposera d'un droit de véto à une certaine majorité, un peu élevée ceci dit si je me rappelle bien (60%?). Cet aspect de la réforme, pour symbolique qu'il soit, n'est que cosmétique, c'est évident en toute honnêteté.

Bref, votre article nous rappelle bien que l'objectif d'impartialité de la science économique, pour utile et nécessaire qu'il soit, reste hélas dérisoire face à la mauvaise foi dans l'interprétation des faits. L'humain reste l'humain.

Vous échouez dans votre intention, d'ailleurs, puisque dans la mesure où la théorie économique dans ce domaine est délicate et fort balbutiante, on voit difficilement comment vous parviendriez à nous appliquer de façon indiscutable à la situation en France des résultats qui ne le sont eux-mêmes pas du tout, et relèvent de circonstances bien particulières.
La vérité, c'est qu'il est très difficile de prédire les effets de cette réforme très controversée (vous voyez, je reste modéré, je ne suis pas du tout certain que le résultat sera idyllique), mais qu'il n'est pas du tout évident qu'il aboutira à une prise en main de l'audiovisuel par le Président et ses amis, ni même à sa paupérisation. L'opposition insensée qu'il rencontre est bien évidemment davantage le fait de divergences politiques et de protection de leur pré carré par les insiders du secteur public.

Mais tout de même, Guilhem, quel dommage, quel dommage... Enfin merci tout de même pour l'exposé théorique enrichissant.

Guilhem a dit…

Maxbault> merci

Seleucos >Voici les mesures phares des différentes réformes de l’audiovisuel, et leur mise en parallèle avec l’article théorique présenté :

1. nomination du PDG de France Télévision directement par le Président.
Le modèle insiste particulièrement sur le « coût de transaction » entre politiques et médias, et le fait que les médias soient publics réduit ce coût. Le fait que le PDG soit directement nommé réduit encore une fois ce coût, car on peut faire pression de manière directe sur lui, et non de manière plus détournée et coûteuse (Besley, Burgess et Prat : « If the outlet is state-owned, the government may appoint the management and control the resources »)

2. les médias français sont souvent contrôlés par de grands groupes Français, or les revenus de ces grands groupes sont facilement influençables par le gouvernement (Besley et Prat : « Privately owned media are most likely to receive benefits if their owners (families, trade unions, industrial groups, etc.) have homogeneous interests. Cross-ownership of the media with other activities may be important too. For example, a broadcaster with diverse business interests may receive transfers through policy choices that are favorable to their non-media interests. »). L’exemple de la suppression de la pub sur France Televisions, dont il semblerait qu’elle ait été demandée par TF1, est un bon exemple du genre de cadeau indirect qui peut être fait à ces groupes.

3. suppression de la publicité sur France Télévision.
Le modèle souligne le fait que les médias cherchent à maximiser leurs revenus. Leurs revenus sont supposés provenir d’un arbitrage entre « revenus liés à l’audience » et « revenus liés aux politiques ». Si l’on supprime les « revenus liés à l’audience » d’une partie des médias, ceux-ci seront certainement d’autant plus faciles à contrôler qu’ils n’ont plus à se préoccuper de leur audience (audience dont on suppose qu’elle privilégie une information de qualité).

4. une des propositions en débat lors des Etats Généraux de la Presse était la question d’une plus grande concentration des medias. Or, Besley et Prat : « the existence of a large number of independent media organizations make it less likely that the government controls news provision in equilibrium. »

Je suis donc bien loin d’être « partisan » dans la présentation des faits, ou dans leur mise en perspective théorique.

Ainsi que je le dis dans l’article, la “vérité”, c’est que nombre de mesures actuellement débattues s’inscrivent parfaitement dans le cadre théorique de Besley et Prat. Il semble que tout se passe « comme si » le gouvernement avait lu cet article et avait décidé de faire passer les mesures lui permettant un contrôle facilité sur la presse.
Bien sur, il se peut tout à fait que ce ne soit pas l’objectif du gouvernement, et que tout cela ne soit qu’une coïncidence troublante, néanmoins, on peut (sans pour autant être un affreux gauchiste) au moins se poser la question (et avoir recours au conditionnel, comme je le fais dans la conclusion, seul moment où je traite des intentions du gouvernement français).

De plus, et quelles que soient les intentions de ce gouvernement, il apparaît, à la lumière du modèle présenté, que ces mesures ne vont clairement pas dans la direction d’une plus grande indépendance de la presse vis-à-vis des pouvoirs publics, d’où l’opposition forte qu’elles suscitent, comme je le souligne dans le dernier paragraphe : à supposer que le gouvernement soit de bonne foi et ne cherche pas à affaiblir l’indépendance de la presse, ces mesures (toujours selon le modèle) ne peuvent qu’aller dans cette direction. Même si ce gouvernement de bonne foi se refuse à exercer toute pression sur les médias durant son mandat, qui sait si les gouvernements suivants, moins préoccupés de grands principes, ne profiteront pas de ce nouveau cadre légal pour dissimuler de l’information aux yeux de leurs électeurs ?
C’est la dessus que se conclue mon post, qui ne traite des intentions du gouvernement (et encore, présentées comme potentielles) que sur 2 phrases d’un article de 3-4 pages.

Pour vous paraphraser : votre commentaire nous rappelle bien que l’objectif d’impartialité du commentateur de blog, pour utile et nécessaire qu’il soit, reste hélas dérisoire face à la mauvaise foi dans la lecture des posts.

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