De la primaire Démocrate, au choix de vice Présidence Républicain, la campagne électorale Américaine a mis en avant l’importance de l’identité de groupe du candidat. Le soutien des femmes à Hillary Clinton lors de la primaire, celui des Noirs à Barack Obama contre Mac Cain (ainsi que la méfiance des Blancs), ou encore le choix de Sarah Palin pour séduire les femmes, soulignent le rôle que joue l’appartenance à un groupe, à une minorité, dans la décision de vote : les électeurs ont tendance à voter pour le candidat appartenant à leur propre groupe (ethnique ou de genre, en l’occurrence). Un tel comportement, s’il peut comporter une part d’irrationalité (je vote pour le candidat qui me ressemble sans pour autant être proche de lui d’un point de vue politique), semble surtout mettre en évidence le fait que l’on vote pour le candidat appartenant à un groupe, parce que l’on suppose qu’il a des préférences proches de celles de ce groupe, et qu’il les mettra donc en œuvre une fois élu. En d’autres termes, je vote pour le candidat de mon groupe, parce que j’ai plus confiance dans le fait qu’il mette en œuvre la politique que je désire qu’un autre. J’accorde donc une importance centrale à l’identité du candidat dans ma décision de vote. Aussi évident qu’il semble être, ce comportement a longtemps posé problème aux économistes qui ne pouvaient en rendre compte dans leurs modèles. Nous allons donc passer en revue les différents modèles d’économie politique, avant de nous poser la question de savoir si véritablement, l’identité des élus à un impact sur la politique qu’ils conduisent une fois élus, afin de savoir, si oui ou non, il est rationnel de défendre un candidat appartenant à un groupe plutôt qu’à un autre.
I/ Electeur médian ou citoyen candidat ?
Les modèles d’économie politique fondateurs d’Hotelling (1929) et de Downs (1957) (présenté plus en détail par Emmanuel dans un post précédent) posent que les candidats à une élection vont adapter leurs propositions de manières à capter la majorité des votes. Les préférences des électeurs sont supposées uniformément réparties sur l’échiquier politique, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Pour être élu, le candidat a besoin d’obtenir 50% +1 voix. Il doit donc proposer un programme qui ne soit ni trop à gauche, ni trop à droite : pour être élu, il doit proposer le programme qui satisfait l’électeur positionné exactement au centre de l’échiquier politique, et qui fera basculer la majorité en sa faveur. Ce sont donc les préférences de l’électeur médian qui déterminent les programmes des électeurs, puisque seule son opinion est en fait décisive, ce ne sont pas les convictions politiques du candidat qui déterminent le vote des électeurs, ce sont les préférences politiques de l’électeur médian qui déterminent la politique des candidats. Ainsi, si ce modèle permet une mise en perspective de bien des comportements électoraux, comme l’illustre l’analyse d’Olivier Bouba Olga de l’élection présidentielle Française de 2007, il ne permet pas de rendre compte de cette tendance des électeurs à voter pour le candidat appartenant à leur groupe : si le candidat s’adapte aux préférences de l’électorat, son identité propre n’a aucun rôle à jouer, qu’il soit Noir ou Blanc, homme ou femme, il proposera nécessairement le programme ayant la préférence de l’électeur médian. Il n’y a donc aucune raison rationnelle de voter pour un candidat d’un groupe plutôt qu’un autre.
Cependant, l’une des hypothèses principales de ce type de modèle est que les promesses électorales des candidats sont crédibles : pour être élu, il ne suffit pas d’affirmer que l’on va mettre en œuvre la politique préférée par l’électeur médian, il faut aussi que les électeurs pensent qu’une fois élu, le candidat la mettra effectivement en œuvre. Mais, comme « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent », l’électeur prendra bien soin de n’écouter que les promesses qu’il pense que le candidat tiendra une fois élu. En d’autres termes, il y a des limites à l’adaptation de promesses de campagne du candidat aux préférences de l’électeur médian : passé un certain point, ses promesses sont tout simplement trop loin des préférences connues du candidat, et ne sont plus crédibles.
Les modèles dits du « citoyen candidat » (Osborne et Slivinski, 1996 ; Besley et Coates, 1997) tiennent compte des préférences personnelles des candidats, et donc de la crédibilité de leurs promesses respectives. Dans ce type de modèle, un candidat a une préférence pour un type de politique, et ne peut s’engager qu’à mettre en œuvre celle-ci, toute autre promesse n’étant pas crédible (puisque n’ayant pas sa préférence). Contrairement aux modèles d’électeur médian, le candidat est ici un citoyen, et en ce sens, il accorde de l’importance à la politique qui sera menée. Son but n’est alors plus seulement d’être élu quelles que soit les compromissions qu’il doive consentir afin de parvenir à rassembler une majorité, mais d’être élu afin de mettre en œuvre la politique qui a sa préférence. L’identité du candidat prend alors toute son importance, puisque les électeurs voteront alors pour le candidat ayant les préférences politiques les plus proches des leurs, quelles que soit les promesses de campagnes non crédibles des autres candidats. Les électeurs ayant conscience d’être engagés par les promesses faites par les candidats, ils n’écoutent que celles qui sont crédibles.
Nous avons donc deux types de théories, qui, comme le dit Emmanuel, "prédisent que les électeurs influencent les politiques mises en place" pour les premières, et "que les électeurs ne font que choisir des politiques prédéterminées" pour les secondes. Je vous renvoie à son post pour le test empirique de chacun de ces modèles.
Cependant, seuls les modèles de "citoyen candidat" permettent d’expliquer le comportement de vote identitaire : si l’on assiste à un soutien des Noirs pour un candidat Noir ou des femmes pour un candidat femme, c’est peut être qu’en moyenne, les préférences des Noirs ou les préférences des femmes sont différentes de celles de l’ensemble de la population, et ces groupes auront donc une tendance à voter pour le candidat dont ils savent que les préférences se rapprochent le plus des leurs.
II/ Identité du candidat et politique mise en oeuvre
En pratique cependant, constate t’on réellement un infléchissement des politiques mises en œuvre en fonction de l’identité de l’élu ? Cette question empirique fait l’objet de nombreuses études, en Inde en particulier, où le système de discrimination positive en faveur des femmes et des « scheduled castes » (castes intouchables) offre de nombreuses possibilité de tester l’impact causal de l’identité du dirigeant élu sur les politiques implémentées dans sa juridiction durant son mandat.
Chattopadhyay et Duflo, vont ainsi étudier les Panchayat, système de conseils d’élus dont le rôle est d’administrer les biens publics au niveau du village (Gram Panchayat), du bloc ( Panchayat Samiti) et du district (Zilla Parishad). A la tête des ses conseils sont élus des Pradhan. Depuis 1992, une politique de discrimination positive réserve un tiers des sièges et un tiers des positions de Pradhan aux femmes, tandis qu’une part est aussi réservées aux «scheduled castes» en fonction de leur part dans la population.
La particularité de ce système est que les sièges alloués aux femmes ou aux «scheduled castes» le sont de manière aléatoire, permettant d’attribuer les différences de choix d'investissement entre Panchayat à la politique menée, et non à des différences intrinsèques entre ceux-ci (en particulier, si l’implémentation de la politique de discrimination positive n’était pas aléatoire, on pourrait s’attendre à ce que les Panchayat élisant une femme à leur tête aient des caractéristiques systématiquement différentes de ceux élisant un homme).
C’est cette configuration particulière qui permet de tester l’impact sur la politique de l’identité du dirigeant : est ce qu’avoir une femme ou un membre des «scheduled castes» Pradhan implique une politique différente pour le Panchayat ?
Mettant à profit cette spécificité, Chattopadhyay et Duflo identifient d’abord les préférences des hommes et celles de femmes, en recensant les requêtes adressées par les uns et les autres à l’occasion des réunions des Panchayat, et mettent en évidence que les femmes ont des préoccupations différentes de celles des hommes, proches de leurs occupations traditionnelles (par exemple, les femmes sont plus préoccupées par les questions d’eau potable, dont elles ont la charge, que les hommes, qui eux s’intéresseront plus à la qualité des routes, dont ils ont besoin pour aller travailler hors du village).
Ils montrent alors que dans les Panchayats soumis à la politique de discrimination positive, les politiques menées par les Panchayat dirigés par une femme vont avoir plus tendance à mettre en œuvre une politique répondant aux préoccupations des femmes que les Panchayat dirigés par un homme. Irma Clots Figueras montre elle aussi (avec une méthodologie moins convaincante néanmoins) l’impact de l’élection d’une femme comme député sur la politique mise en œuvre dans sa juridiction.
Rohini Pande utilise une autre spécificité, plus complexe, du système de discrimination positive Indien pour tester l’impact de l’identité des élus sur la politique mise en œuvre. Elle s’intéresse aux « scheduled castes », pour lesquels des sièges sont réservés au Parlement de chaque Etat Indien depuis 1950. Le nombre de sièges réservés à ces castes est fonction de leur part dans la population de l’Etat. Ce nombre varie donc en fonction de l’estimation de cette part, qui est réalisée tous les 10 ans, à l’occasion du recensement. Chaque recensement entraîne donc une modification du nombre de sièges soumis à discrimination positive. Mais si cette variation est discrète (on change une fois tous les 10 ans, du jour au lendemain), la variation de la population des «scheduled castes» est par contre continue sur ces 10 ans. Le poids des «scheduled castes» en tant qu’électeurs va donc varier de manière continue au cours de ces 10 ans, tandis que leurs sièges réservés par la politique de discrimination positive ne varie elle que tous les 10 ans. Cette spécificité va lui permettre de distinguer l’effet sur la politique de l’Etat d’un poids électoral plus important du groupe des « scheduled castes » de l’effet propre de la discrimination positive. Elle montre alors qu’en effet, avec l’augmentation des sièges réservés aux «scheduled castes», les politiques de redistribution en leur faveur tendent à augmenter.
III/ Conclusion
L’identité du candidat apparaît donc comme déterminant fortement le type de politique choisi par le candidat une fois élu : les candidats mettent en œuvre les politiques pour lesquelles ils ont une préférence, et ne se lancent à la chasse à l’électeur médian que dans la mesure où ils restent crédibles.
Que faut il en conclure ? Qu’il est parfaitement rationnel de voter pour le candidat de ma couleur de peau ou de mon sexe, parce que lui seul saura défendre mes idées ? Certainement pas. Ce que l’on constate, c’est que les candidats s’occupent des questions qui les préoccupent. Dès lors, si, en moyenne, une femme a tendance à se préoccuper plus des questions d’accès à l’eau potable qu’un homme, il est probable qu’en moyenne, le candidat femme ait aussi tendance à s’intéresser plus à cette question, auquel cas, j’aurais intérêt, si je suis une femme, à voter pour elle. Mais ce n’est pas le fait d’être une femme en soi qui est important, c’est le fait d’avoir une préférence pour l’accès à l’eau potable qui compte.
Si des minorités ont en moyenne des préférences systématiquement différentes de celles de la population, il est donc logique de les voir en moyenne apporter leur soutien à un individu dont elles pensent qu’il partage ces préférences. Ces résultats semblent aussi montrer l’importance de la discrimination positive, dans les situations où les minorités n’ont pas voix au chapitre, puisque leur représentant sera à même d’implémenter des politiques allant dans leur sens, comme l’illustre le cas Indien.
(1) Hotelling, “Stability in Competition,” Economic Journal, vol.39, pp. 41–57, 1929.
(2) Osborne and Slivinski, “A Model of Political Competition with Citizen-Candidates”, Quaterly Journal of Economics, vol. 111, No.1, pp.65-96, 1996.
(3) Besley and Coate, “An Economic Model of Representative Democracy”, Quaterly Journal of Economics, vol. 112, No.1, pp. 85-114, 1997.
(4) La partie en italique de la phrase a été rajoutée suite au commentaire de Jean Philippe.
I/ Electeur médian ou citoyen candidat ?
Les modèles d’économie politique fondateurs d’Hotelling (1929) et de Downs (1957) (présenté plus en détail par Emmanuel dans un post précédent) posent que les candidats à une élection vont adapter leurs propositions de manières à capter la majorité des votes. Les préférences des électeurs sont supposées uniformément réparties sur l’échiquier politique, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Pour être élu, le candidat a besoin d’obtenir 50% +1 voix. Il doit donc proposer un programme qui ne soit ni trop à gauche, ni trop à droite : pour être élu, il doit proposer le programme qui satisfait l’électeur positionné exactement au centre de l’échiquier politique, et qui fera basculer la majorité en sa faveur. Ce sont donc les préférences de l’électeur médian qui déterminent les programmes des électeurs, puisque seule son opinion est en fait décisive, ce ne sont pas les convictions politiques du candidat qui déterminent le vote des électeurs, ce sont les préférences politiques de l’électeur médian qui déterminent la politique des candidats. Ainsi, si ce modèle permet une mise en perspective de bien des comportements électoraux, comme l’illustre l’analyse d’Olivier Bouba Olga de l’élection présidentielle Française de 2007, il ne permet pas de rendre compte de cette tendance des électeurs à voter pour le candidat appartenant à leur groupe : si le candidat s’adapte aux préférences de l’électorat, son identité propre n’a aucun rôle à jouer, qu’il soit Noir ou Blanc, homme ou femme, il proposera nécessairement le programme ayant la préférence de l’électeur médian. Il n’y a donc aucune raison rationnelle de voter pour un candidat d’un groupe plutôt qu’un autre.
Cependant, l’une des hypothèses principales de ce type de modèle est que les promesses électorales des candidats sont crédibles : pour être élu, il ne suffit pas d’affirmer que l’on va mettre en œuvre la politique préférée par l’électeur médian, il faut aussi que les électeurs pensent qu’une fois élu, le candidat la mettra effectivement en œuvre. Mais, comme « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent », l’électeur prendra bien soin de n’écouter que les promesses qu’il pense que le candidat tiendra une fois élu. En d’autres termes, il y a des limites à l’adaptation de promesses de campagne du candidat aux préférences de l’électeur médian : passé un certain point, ses promesses sont tout simplement trop loin des préférences connues du candidat, et ne sont plus crédibles.
Les modèles dits du « citoyen candidat » (Osborne et Slivinski, 1996 ; Besley et Coates, 1997) tiennent compte des préférences personnelles des candidats, et donc de la crédibilité de leurs promesses respectives. Dans ce type de modèle, un candidat a une préférence pour un type de politique, et ne peut s’engager qu’à mettre en œuvre celle-ci, toute autre promesse n’étant pas crédible (puisque n’ayant pas sa préférence). Contrairement aux modèles d’électeur médian, le candidat est ici un citoyen, et en ce sens, il accorde de l’importance à la politique qui sera menée. Son but n’est alors plus seulement d’être élu quelles que soit les compromissions qu’il doive consentir afin de parvenir à rassembler une majorité, mais d’être élu afin de mettre en œuvre la politique qui a sa préférence. L’identité du candidat prend alors toute son importance, puisque les électeurs voteront alors pour le candidat ayant les préférences politiques les plus proches des leurs, quelles que soit les promesses de campagnes non crédibles des autres candidats. Les électeurs ayant conscience d’être engagés par les promesses faites par les candidats, ils n’écoutent que celles qui sont crédibles.
Nous avons donc deux types de théories, qui, comme le dit Emmanuel, "prédisent que les électeurs influencent les politiques mises en place" pour les premières, et "que les électeurs ne font que choisir des politiques prédéterminées" pour les secondes. Je vous renvoie à son post pour le test empirique de chacun de ces modèles.
Cependant, seuls les modèles de "citoyen candidat" permettent d’expliquer le comportement de vote identitaire : si l’on assiste à un soutien des Noirs pour un candidat Noir ou des femmes pour un candidat femme, c’est peut être qu’en moyenne, les préférences des Noirs ou les préférences des femmes sont différentes de celles de l’ensemble de la population, et ces groupes auront donc une tendance à voter pour le candidat dont ils savent que les préférences se rapprochent le plus des leurs.
II/ Identité du candidat et politique mise en oeuvre
En pratique cependant, constate t’on réellement un infléchissement des politiques mises en œuvre en fonction de l’identité de l’élu ? Cette question empirique fait l’objet de nombreuses études, en Inde en particulier, où le système de discrimination positive en faveur des femmes et des « scheduled castes » (castes intouchables) offre de nombreuses possibilité de tester l’impact causal de l’identité du dirigeant élu sur les politiques implémentées dans sa juridiction durant son mandat.
Chattopadhyay et Duflo, vont ainsi étudier les Panchayat, système de conseils d’élus dont le rôle est d’administrer les biens publics au niveau du village (Gram Panchayat), du bloc ( Panchayat Samiti) et du district (Zilla Parishad). A la tête des ses conseils sont élus des Pradhan. Depuis 1992, une politique de discrimination positive réserve un tiers des sièges et un tiers des positions de Pradhan aux femmes, tandis qu’une part est aussi réservées aux «scheduled castes» en fonction de leur part dans la population.
La particularité de ce système est que les sièges alloués aux femmes ou aux «scheduled castes» le sont de manière aléatoire, permettant d’attribuer les différences de choix d'investissement entre Panchayat à la politique menée, et non à des différences intrinsèques entre ceux-ci (en particulier, si l’implémentation de la politique de discrimination positive n’était pas aléatoire, on pourrait s’attendre à ce que les Panchayat élisant une femme à leur tête aient des caractéristiques systématiquement différentes de ceux élisant un homme).
C’est cette configuration particulière qui permet de tester l’impact sur la politique de l’identité du dirigeant : est ce qu’avoir une femme ou un membre des «scheduled castes» Pradhan implique une politique différente pour le Panchayat ?
Mettant à profit cette spécificité, Chattopadhyay et Duflo identifient d’abord les préférences des hommes et celles de femmes, en recensant les requêtes adressées par les uns et les autres à l’occasion des réunions des Panchayat, et mettent en évidence que les femmes ont des préoccupations différentes de celles des hommes, proches de leurs occupations traditionnelles (par exemple, les femmes sont plus préoccupées par les questions d’eau potable, dont elles ont la charge, que les hommes, qui eux s’intéresseront plus à la qualité des routes, dont ils ont besoin pour aller travailler hors du village).
Ils montrent alors que dans les Panchayats soumis à la politique de discrimination positive, les politiques menées par les Panchayat dirigés par une femme vont avoir plus tendance à mettre en œuvre une politique répondant aux préoccupations des femmes que les Panchayat dirigés par un homme. Irma Clots Figueras montre elle aussi (avec une méthodologie moins convaincante néanmoins) l’impact de l’élection d’une femme comme député sur la politique mise en œuvre dans sa juridiction.
Rohini Pande utilise une autre spécificité, plus complexe, du système de discrimination positive Indien pour tester l’impact de l’identité des élus sur la politique mise en œuvre. Elle s’intéresse aux « scheduled castes », pour lesquels des sièges sont réservés au Parlement de chaque Etat Indien depuis 1950. Le nombre de sièges réservés à ces castes est fonction de leur part dans la population de l’Etat. Ce nombre varie donc en fonction de l’estimation de cette part, qui est réalisée tous les 10 ans, à l’occasion du recensement. Chaque recensement entraîne donc une modification du nombre de sièges soumis à discrimination positive. Mais si cette variation est discrète (on change une fois tous les 10 ans, du jour au lendemain), la variation de la population des «scheduled castes» est par contre continue sur ces 10 ans. Le poids des «scheduled castes» en tant qu’électeurs va donc varier de manière continue au cours de ces 10 ans, tandis que leurs sièges réservés par la politique de discrimination positive ne varie elle que tous les 10 ans. Cette spécificité va lui permettre de distinguer l’effet sur la politique de l’Etat d’un poids électoral plus important du groupe des « scheduled castes » de l’effet propre de la discrimination positive. Elle montre alors qu’en effet, avec l’augmentation des sièges réservés aux «scheduled castes», les politiques de redistribution en leur faveur tendent à augmenter.
III/ Conclusion
L’identité du candidat apparaît donc comme déterminant fortement le type de politique choisi par le candidat une fois élu : les candidats mettent en œuvre les politiques pour lesquelles ils ont une préférence, et ne se lancent à la chasse à l’électeur médian que dans la mesure où ils restent crédibles.
Que faut il en conclure ? Qu’il est parfaitement rationnel de voter pour le candidat de ma couleur de peau ou de mon sexe, parce que lui seul saura défendre mes idées ? Certainement pas. Ce que l’on constate, c’est que les candidats s’occupent des questions qui les préoccupent. Dès lors, si, en moyenne, une femme a tendance à se préoccuper plus des questions d’accès à l’eau potable qu’un homme, il est probable qu’en moyenne, le candidat femme ait aussi tendance à s’intéresser plus à cette question, auquel cas, j’aurais intérêt, si je suis une femme, à voter pour elle. Mais ce n’est pas le fait d’être une femme en soi qui est important, c’est le fait d’avoir une préférence pour l’accès à l’eau potable qui compte.
Si des minorités ont en moyenne des préférences systématiquement différentes de celles de la population, il est donc logique de les voir en moyenne apporter leur soutien à un individu dont elles pensent qu’il partage ces préférences. Ces résultats semblent aussi montrer l’importance de la discrimination positive, dans les situations où les minorités n’ont pas voix au chapitre, puisque leur représentant sera à même d’implémenter des politiques allant dans leur sens, comme l’illustre le cas Indien.
(1) Hotelling, “Stability in Competition,” Economic Journal, vol.39, pp. 41–57, 1929.
(2) Osborne and Slivinski, “A Model of Political Competition with Citizen-Candidates”, Quaterly Journal of Economics, vol. 111, No.1, pp.65-96, 1996.
(3) Besley and Coate, “An Economic Model of Representative Democracy”, Quaterly Journal of Economics, vol. 112, No.1, pp. 85-114, 1997.
(4) La partie en italique de la phrase a été rajoutée suite au commentaire de Jean Philippe.
4 commentaires:
"lors de la primaire, celui des Noirs à Barack Obama (ainsi que la méfiance des Blancs),"
Non pas que je veuille me faire l'avocat du diable, mais je pense que c'est assez faux, en Janvier 2008 au moment des primaires Hillary Clinton avait des très sérieux avantages avec la communauté noire americaine.
Un soutient due très certainement a Bill Clinton le "premier President noir Americain" comme disait l'auteur Toni Morisson.
Alors oui bien sur aujourd'hui on peut dire que Obama a le soutient de la communauté noire, mais ce n'était pas le cas pendant les primaires
Jean Philippe> Ma phrase non tronquée est : "Le soutien des femmes à Hillary Clinton lors de la primaire, celui des Noirs à Barack Obama (ainsi que la méfiance des Blancs)".
Je reconnais que la formulation est peut être peu claire, mais ce que je dis c'est que les femmes soutiennent Hillary Clinton lors des primaires,la deuxième partie de la phrase renvoyant à la situation actuelle, comme le soulignent les liens inclus dans le texte.
Merci d'avoir souligné ce manque de clarté, je vais éditer ce passage (et indiquer la version originale en fin de texte afin que votre commentaire reste intelligible).
Trouver et viser le point médian permettant d'avoir 50%+1 voix, c'est peut-être là la cause de l'échec de McCain.
Parce que le communautarisme peut-être pris à rebours. La présence d'un métis (ce qui veut dire "noir" aux États-Unis) impliquait un meilleur vote des minorités ethniques mais probablement, à l'opposé, moins de voix de la majorité blanche. Ce faisant McCain pouvait estimer que son discours n'avait pas vraiment à changer, rester dans les normes du parti républicain et, au contraire, il pouvait se permettre d'aller chasser dans la communauté féminine, si je puis dire, et la droite plus extrême en prenant Sarah Palin comme co-listière.
Seulement, panique à bord quand il a constaté que non seulement Obama mobilisait les communautés ethniques minoritaires, mais en plus ne perdait pas de terrain dans la communauté blanche. Le point médian se trouvait plus à gauche que ce que McCain avait visé...
Obama semble avoir à la fois joué du phénomène communautaire (jeunes, noirs, hispanos...) mais également dépassé ce phénomène en empêchant McCain de profiter du vote de la "communauté blanche" ou de la "communauté féminine"
Je reste donc sur un sentiment mitigé quand à la validité du vote communautaire en tant que tel. Je pense qu'il s'agit surtout d'établir quels sont les groupes bien tranchés ayant un mode de vie ou de pensée très nettement différent du reste des communautés. Les femmes indiennes ont un mode de vie très différent de celui des hommes indiens. Les américaines peuvent vivre de manière assez proches des vies masculines. Aux États-Unis, je pense que les noirs-américains ont une conscience de leur communauté plus aigue que les différentes communautés blanches, féminines ou pas.
D'une manière générale, un vote communautaire a une importance proportionnelle aux discriminations que subissent cette communauté dans la société.
Le jour où, aux Etats-Unis par exemple, les noirs seront en moyenne aussi riches que les blancs, et autant représentés dans les prisons (ce qui n'est pas près d'arriver !), alors leur vote communautaire disparaitra.
Et à l'inverse, si les femmes américaines n'ont pas de vote communautaire, c'est simplement parce qu'elles ont le sentiment que leurs préoccupations sont bien défendues par les hommes, ce qui n'est peut-être pas le cas pour les noirs.
Maintenant, observons le cas spécifique des USA pour cette dernière élection présidentielle.
Pour savoir si le vote pro Obama des noirs est un vote communautaire, il faut vérifier 2 choses :
- si leur vote est comparable au vote des pauvres blancs. Sur ce point là, il semble que leur vote était communautaire, puisque les blancs pauvres ont voté plus souvent pour Mc Cain que pour Obama.
- si leur vote est comparable à ce que leur choix aurait été si Obama n'avait pas été noir. Et sur ce plan là, on peut douter que ce vote ait été réellement communautaire.
En effet, il semble que les noirs ont toujours très majoritairement voté démocrate. Avec 95% des votes noirs, ce qu'Obama a gagné n'est peut-être pas si important que cela en pourcentage, peut-être seulement + 7 points par rapport au score qu'aurait obtenu n'importe quel démocrate à sa place (pour rappel, en 2000 Bush avait obtenu moins de 9% des votes des noirs).
En détail et par rapport à Kerry, Obama a fait mieux chez les femmes blanches (+2 %) ; chez les hommes blancs (+4 %); et il a obtenu une meilleure progression chez les Blancs qui ont une éducation postsecondaire (+11 %), et chez les latinos (+13 %) que chez les noirs !
Ce vote communautaire n'est donc certainement pas un vote pro noir, mais plutôt un vote pro "origines mixtes", dans lequel se sentiraient tout autant inclus les noirs et les latinos. Mais n’oublions pas qu’Obama a aussi progressé parmi les blancs par rapport à John Kerry.
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