jeudi 27 novembre 2008

Crise financière: dommages collatéraux


La crise financière n’en finit pas de se propager des banques aux entreprises, puis aux ménages, et même aux économies qui pensaient ne pas être concernées par cette crise des pays riches. La récession qui s’installe dans les pays développés pourrait avoir des conséquences sur l’assistance aux pays les plus pauvres, et ce malgré les toutes récentes promesses, renouvelées à chaque sommet international, de ne pas faillir sur ce point. Mais quel rapport entre la tempête financière et l’assistance aux pays les plus pauvres ?

I/ La sonnette d’alarme

On peut envisager deux liens entre la crise et l’aide aux développements. Le premier plaiderait pour un rôle accru de l’aide. La crise s’étend aux pays émergents, qui n’ont rien demandé et en sont les victimes indirectes. Au-delà des difficultés à emprunter, les pays émergents et en voie de développement vont aussi voir chuter leurs revenus tirés du commerce avec les pays riches. L’investissement direct à l’étranger en provenance de ces mêmes pays riches risque de ne pas se porter très bien non plus, tout comme les flux de portefeuilles. Au final il y aura donc une baisse de revenus pour les pays pauvres et l’aide aurait un rôle à jouer pour compenser ces variations brutales de revenus. Nous laisserons de côté cette possibilité pour ce post, si ce n’est pour rapidement préciser que dans le passé l’aide n’a généralement pas compensé les baisses de revenus, au contraire, donc à moins d’un changement de comportement cette fonction a peu de chances d’être remplie.

Deuxième voie : la crise touche en premier lieu les pays riches. Ceux-ci entrent en récession et ils vont devoir se serrer la ceinture. Le stimulus budgétaire va creuser les déficits et les pays développés vont envisager de tailler dans les dépenses qui ne servent pas à amortir les effets de la crise. Or l’aide au développement est un candidat idéal. Elle est inutile face à la récession(1) et sa diminution est « facile » politiquement. Nous n’avons encore jamais vu d’élections se jouer sur l’aide au développement, ou des syndicats bloquer le pays car elle était diminuée. David Roodman, du Center for Global Development, un think tank basé à Washington, a été le premier à tirer la sonnette d’alarme. Il montre que les crises du début des années 90 en Finlande, Norvège, et Suède, mais aussi celle du Japon en 1990 se sont toutes traduites par des chutes brutales de leur aide au développement. Je reproduis ci-dessous son graphique pour la Scandinavie.


L’OCDE, par la voix de son Secrétaire Général Angel Gurría, a envoyé une lettre aux chefs d’états et aux gouvernements des pays membres pour les inviter à « souscrire à une Déclaration sur la politique d’aide qui aurait pour effet de confirmer les promesses d’aide antérieures et d’éviter des coupes dans les budgets d’aide au développement ». Elle les enjoint « à ne pas répéter les erreurs que nous avons pu commettre dans le passé à la suite de la récession du début des années 90 ». L’OCDE a calculé qu’entre 1992 et 1997 l’aide avait diminué de 0.33 à 0.22% du revenu national brut. Le passé semble bien indiquer que l’aide va chuter très prochainement. Il est par contre difficile de savoir pour combien de temps. Roodman estime probable une diminution sur les cinq prochaines années. Inutile de préciser que toutes les belles promesses sur la fameuse cible des 0.7 percent de revenu national brut risquent d’apparaître encore plus caduques qu’elles ne le sont déjà aujourd’hui.

II/ L’aide est-elle vraiment victime des récessions ?

L’argument de Roodman paraît irréfutable. Cependant il faut bien reconnaître qu’il ne regarde que des cas extrêmes et donc nécessairement en nombre très réduit. On pourrait avancer d’autres explications pour la chute de l’aide au début des années 90: la fin de la guerre froide et donc la fin du soutien à certains pays jugés stratégiquement importants, mais aussi la « fatigue de l’aide », c’est-à-dire le moment où beaucoup de pays ont commencé à sérieusement s’interroger sur l’efficacité de l’aide au développement. Par ailleurs on ne peut pas vraiment reprocher cette méthode à Roodman. Nous vivons une crise aux proportions jusqu’alors inconnues donc seuls quelques cas extrêmes peuvent, peut-être, nous informer.

L’OCDE, par le biais cette fois de son Centre de Développement, relativise un peu (regardez la première présentation par Andrew Mold, pages 33-34). Il souligne d’abord que de manière générale il n’existe quasiment pas de relation entre croissance dans le pays développé et niveau d’aide. Par exemple certains ont réduit leur aide en période de croissance (la France par exemple entre 1997 et 2001). Il rappelle ensuite que lors de récessions modérées l’aide a rapidement retrouvé son niveau d’avant crise. Enfin il fait remarquer que l’aide ne constitue qu’une part très faible du budget des états et des plans de sauvetage. Ce n’est sûrement pas sa réduction qui va permettre de financer le stimulus budgétaire.

Un petit calcul rapide sur les données de l’aide de 1960 à 2006 permet de chiffrer l’effet d’une récession : si l’année précédente l’économie n’était pas en récession, l’aide brute au développement augmente en moyenne de 16%. Si elle était en récession, alors l’aide n’augmente « que » de 4%. Cet effet est plus important si 2 ans auparavant l’économie était en récession : dans ce cas l’aide n’augmente que de 2%. La croissance de l’aide serait donc ralentie mais ne deviendrait pas pour autant systématiquement négative. On observe aussi que plus la récession est longue et plus ce ralentissement est marqué. Cependant les récessions longues sont relativement rares et leur étude repose sur peu d’observations. Il devient donc difficile d’en tirer des conclusions générales.

III/ Conclusion

Difficile de se faire une idée précise au final. D’un côté, on voit de bonnes raisons de penser que l’aide va chuter, et les expériences scandinaves le confirment. De l’autre il n’est pas clair que les récessions entraînent systématiquement une baisse de l’aide. Il est difficile, comme toujours, de prédire l’avenir. Il semble raisonnable de penser que l’aide ne va sûrement pas fortement augmenter dans les toutes prochaines années. Les promesses des pays développés, déjà jugées particulièrement difficiles à atteindre l’an dernier, ne seront donc pas respectées.

NOTES :
(1) C’est sûrement faux dans le long terme. Les pays développés n’ont pas intérêt à voir les pays pauvres devenir encore plus pauvres, mais en ce moment le long terme ne pèse pas lourd dans les prises de décision.

Crédit photo : gwburke2001
_Emmanuel_

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Il me semble alors lu que les transferts d'argent de gré à gré entre particuliers représentaient des sommes cent à cent cinquante fois plus importantes qu'une aide au developpement en pratique destinée à revenir aussi rapidement que possible aux pays donateurs.

Est-ce donc si important ? Les flux d'argent entre particuliers ne sont pas à priori directement conditionnés par la crise.

Anonyme a dit…

Vous avez raison de rappeler que l'aide bilatérale semble moins sensible aux variations de la croissance des pays riches qu'aux facteurs stratégiques nés de la fin de la guerre froide. C'est très net par exemple si on examine les politiques des bourses des pays développés, qui privilégient actuellement les flux en provenance des pays émergents, plus aptes à garantir un rapide retour sur investissement. En période de crise ou de "croissance molle", l'aide n'est politiquement défendable face à l'opinion que si elle peut être présentée comme un investissement aux effets mesurables sur le court ou moyen terme. Il faut craindre dans ce contexte que la crise actuelle n'agisse à un niveau politique en fournissant un prétexte pour justifier un désengagement (au moins en ce qui concerne l'aide bilatérale) déjà effectif depuis plusieurs années: réduction du périmètre et du volume du FSP, transfert de compétences à l'AFD transformée à la hussarde en une sorte d'agence de développement (rôle qu'elle n'a pas actuellement les compétences pour jouer), pour ne citer que quelques exemples actuels. La variable la plus importante à mon avis, n'est pas le montant de l'aide publique, d'autant qu'il faudrait s'interroger sur la capacité à "absorber" cette aide et la traduire en politiques de développement efficaces. L'effet le plus important viendra plutôt des transferts directs en provenance des populations immigrées dans les pays du Nord (qui peuvent représenter jusqu'à 20 du PIB dans certains pays du Sud) qui, eux, sont extrêmement réactifs à la conjoncture. Là, il y a effectivement lieu de s'inquiéter, d'autant que cet effet va se conjuguer avec celui d'un probable durcissement des politiques migratoires.

Emmanuel a dit…

Les flux d'argent entre particuliers sont en effet plus importants que l'aide au développement, mais sûrement pas par un facteur 100. Les transferts de fonds, qui sont des revenus gagnés à l'étranger que les migrants rapatrient chez eux, étaient à peine 2 fois plus élevés que l'aide en 2006. La première source de financement pour les pays en voie de développement provient des investissements directs à l'étranger.

Comme le dit Anonyme 2, à l'inverse d'Anonyme 1, ces flux sont réactifs à la conjoncture. Le ralentissement de l'économie signifie moins de travail pour les migrants, donc moins de transferts vers leurs pays.

Anonyme a dit…

Avez vous les sources de l'évolution de l'IDE en prériode de récession?

Enregistrer un commentaire