Impossible de ne pas être familier aujourd’hui avec les affres des Lehman Brothers, Merrill Lynch, Morgan Stanley et autres UBS. Les pertes individuelles se chiffrent en dizaines voire centaines de milliards de dollars. Si l’on fait la somme de toutes ces pertes, Nouriel Roubini prédit même que le total des pertes des banques pourrait se situer autour de 2000 milliards de dollars, ce qui représente environ 15% du PIB américain ! Ce chiffre veut-il pour autant dire que les Etats-Unis ont perdu 2000 milliards de richesses réelles (capital physique, capital humain, etc.), un peu comme si une suite de bombes atomiques détruisait des usines et des maisons d'une valeur totale de 2000 milliards de dollars ? Bien évidemment non !
Pour bien comprendre l’impact réel de la crise, il faut simplement se poser la question suivante : quel est le service rendu par les institutions financières au sein d’une économie développée ? dans quelle mesure les capitaux de tous ordres nécessaires à cette fonction sont-ils aujourd’hui réduits par les faillites bancaires ?
La première question a une réponse simple : les institutions financières servent à prendre à ceux qui ont trop d’argent dans la poche (les épargnants) pour en donner à ceux qui n’en ont pas assez (les emprunteurs).
Quels sont les éléments nécessaires pour fournir un tel service ? Il faut d’abord évidemment du personnel et une technologie pour gérer des masses de monnaie gigantesques et pour contrôler le comportement des emprunteurs. La faillite de quelques banques (et même de beaucoup de banques) ne remet pas vraiment en cause la disponibilité de ces facteurs de production : les salariés et les machines peuvent a priori facilement être réutilisés dans une institution financière nouvellement créée.
Le problème c’est que ces éléments ne sont pas suffisants ; en effet, pour pouvoir recevoir l’argent des épargnants, il faut aussi être digne de leur confiance et pour cela montrer des gages : d’une part, le banquier devra travailler à acquérir une bonne réputation, d’autre part, il devra investir une part suffisante de son propre argent auprès des emprunteurs, autrement dit avoir des capitaux propres de taille suffisante. C’est à ce niveau-là que la faillite des banques pose problème : leur capital réputationnel est perdu à tout jamais tandis que la disponibilité d’individus avec suffisamment de richesse pour devenir un banquier crédible est mise à mal par la dépréciation des actifs financiers qui a au préalable conduit à la faillite de certaines banques. C’est dans cette mesure que les banques faillies ne sont pas remplaçables instantanément, tout du moins pour les opérations bancaires sophistiquées requérant le plus de confiance entre épargnants et institutions financières.
La conséquence réelle pour l’économie est que tant que les banques faillies ne sont pas remplacées, les emprunteurs auront plus de mal à trouver l’argent dont ils ont besoin pour réaliser des projets d’investissement pourtant souvent très rentables, et même parfois ne trouveront pas l'argent nécessaire pour couvrir des besoins temporaires de trésorerie. C’est à travers ces bons projets d’investissement perdus et ces faillites d'entreprises saines que la faillite bancaire a un effet sur le marché d'actions et un effet sur l’économie réelle, mais il ne sera certainement pas de l’ordre de 15% du PIB et surtout cet effet ne durera que tant que les banques n’auront pas retrouvé une crédibilité, à la fois individuellement et collectivement. Néanmoins, comme on peut le constater chaque jour en ce moment, cela pose un problème suffisamment important pour que les Etats renflouent autant que possible ces banques proches de la faillite.
Mais alors si les banques américaines perdent l’équivalent de 15% du PIB alors que l’économie dans sa totalité en perd beaucoup moins, cela veut dire que les pertes des banques sont l’occasion d’un processus massif de redistribution à l’intérieur de l’économie américaine. Il est certes extrêmement difficile de distinguer qui sont précisément les gagnants et les perdants : les perdants sont ceux qui ont acheté trop ou trop tard des maisons, des dettes gagées sur des maisons, et ainsi de suite, tandis que les gagnants sont ceux qui ont vendu beaucoup et assez tôt de ces mêmes actifs. Mais en moyenne ce seront en priorité les détenteurs d’un patrimoine important qui vont perdre le plus, pour la bonne et simple raison que seules des personnes ayant un patrimoine important sont dans la capacité de placer leur argent dans des combinaisons financières sophistiquées : la complexité engendre l’opacité, et une foule de petits épargnants est beaucoup moins à même de percer à travers cette opacité qu’une grande fortune qui aura à cœur de mettre les moyens nécessaires pour contrôler ces placements. Or, comme on le voit à chaque crise financière, ce sont toujours les placements les plus complexes qui perdent le plus de leur valeur lors de ces épisodes.
Cet effet redistributif est d’autant plus fort qu’en général (et surtout depuis les années 30) l’Etat garantit les dépôts faits auprès des banques en-dessous d’un certain montant, ce qui tend à protéger la plupart des déposants sauf les plus riches. L’existence de ce seuil est d’ailleurs justifiée par l’incitation qu’elle donne aux grandes fortunes à contrôler les institutions financières à qui elles confient leur argent.
Pour qui ne serait pas déjà convaincu par ces arguments, il suffit de considérer les effets de la crise de 1929 sur la part du patrimoine détenue aux Etats-Unis par le centième le plus riche de la population.
On y voit de manière très nette que la crise a largement et très rapidement entamé le patrimoine des plus riches aux Etats-Unis (-30% en deux ans, et ce relativement au patrimoine total !), ce qui semble corroborer les arguments que nous venons de développer. Surtout, cet effet semble très persistant et ce pour deux raisons : d'une part, les plus hauts patrimoines d'avant 1929 concernaient des rentiers, au sens où ils finançaient leur train de vie principalement par les revenus de leurs investissements financiers ; de ce fait, ces individus ont dû vendre une partie de leur patrimoine en catastrophe dans le but de conserver un train de vie correct à leurs yeux, réalisant ainsi des pertes irrécouvrables même à moyen-terme (i.e. une fois que l'économie reprenait); d'autre part la progressivité du système fiscal américain a elle-même beaucoup freiné la reconstitution de ces patrimoines très importants.
La crise actuelle va-t-elle conduire de la même façon à une redistribution aussi massive de la richesse ? Probablement non, tout simplement car l'intervention de l'Etat et des banques centrales telle qu'elle fonctionne depuis les années 30 vise justement à empêcher l'écroulement des institutions financières ! Mais par opposition, l'analyse de la crise de 1929 permet de mieux comprendre qui va le plus profiter des injections massives de liquidité et autres recapitalisations bancaires opérées par les Etats ces derniers temps : en voulant se préserver d’une récession qui toucherait tout le monde à court-moyen terme, l’Etat protège pour beaucoup plus longtemps les grandes fortunes. Vu sous cet angle, la crise pourrait donc légitimer auprès du public une plus grande progressivité du système fiscal dans un esprit donnant-donnant : cela ne serait pas le moindre des bouleversements engendrés par les faillites bancaires des dernières semaines…
Pour bien comprendre l’impact réel de la crise, il faut simplement se poser la question suivante : quel est le service rendu par les institutions financières au sein d’une économie développée ? dans quelle mesure les capitaux de tous ordres nécessaires à cette fonction sont-ils aujourd’hui réduits par les faillites bancaires ?
La première question a une réponse simple : les institutions financières servent à prendre à ceux qui ont trop d’argent dans la poche (les épargnants) pour en donner à ceux qui n’en ont pas assez (les emprunteurs).
Quels sont les éléments nécessaires pour fournir un tel service ? Il faut d’abord évidemment du personnel et une technologie pour gérer des masses de monnaie gigantesques et pour contrôler le comportement des emprunteurs. La faillite de quelques banques (et même de beaucoup de banques) ne remet pas vraiment en cause la disponibilité de ces facteurs de production : les salariés et les machines peuvent a priori facilement être réutilisés dans une institution financière nouvellement créée.
Le problème c’est que ces éléments ne sont pas suffisants ; en effet, pour pouvoir recevoir l’argent des épargnants, il faut aussi être digne de leur confiance et pour cela montrer des gages : d’une part, le banquier devra travailler à acquérir une bonne réputation, d’autre part, il devra investir une part suffisante de son propre argent auprès des emprunteurs, autrement dit avoir des capitaux propres de taille suffisante. C’est à ce niveau-là que la faillite des banques pose problème : leur capital réputationnel est perdu à tout jamais tandis que la disponibilité d’individus avec suffisamment de richesse pour devenir un banquier crédible est mise à mal par la dépréciation des actifs financiers qui a au préalable conduit à la faillite de certaines banques. C’est dans cette mesure que les banques faillies ne sont pas remplaçables instantanément, tout du moins pour les opérations bancaires sophistiquées requérant le plus de confiance entre épargnants et institutions financières.
La conséquence réelle pour l’économie est que tant que les banques faillies ne sont pas remplacées, les emprunteurs auront plus de mal à trouver l’argent dont ils ont besoin pour réaliser des projets d’investissement pourtant souvent très rentables, et même parfois ne trouveront pas l'argent nécessaire pour couvrir des besoins temporaires de trésorerie. C’est à travers ces bons projets d’investissement perdus et ces faillites d'entreprises saines que la faillite bancaire a un effet sur le marché d'actions et un effet sur l’économie réelle, mais il ne sera certainement pas de l’ordre de 15% du PIB et surtout cet effet ne durera que tant que les banques n’auront pas retrouvé une crédibilité, à la fois individuellement et collectivement. Néanmoins, comme on peut le constater chaque jour en ce moment, cela pose un problème suffisamment important pour que les Etats renflouent autant que possible ces banques proches de la faillite.
Mais alors si les banques américaines perdent l’équivalent de 15% du PIB alors que l’économie dans sa totalité en perd beaucoup moins, cela veut dire que les pertes des banques sont l’occasion d’un processus massif de redistribution à l’intérieur de l’économie américaine. Il est certes extrêmement difficile de distinguer qui sont précisément les gagnants et les perdants : les perdants sont ceux qui ont acheté trop ou trop tard des maisons, des dettes gagées sur des maisons, et ainsi de suite, tandis que les gagnants sont ceux qui ont vendu beaucoup et assez tôt de ces mêmes actifs. Mais en moyenne ce seront en priorité les détenteurs d’un patrimoine important qui vont perdre le plus, pour la bonne et simple raison que seules des personnes ayant un patrimoine important sont dans la capacité de placer leur argent dans des combinaisons financières sophistiquées : la complexité engendre l’opacité, et une foule de petits épargnants est beaucoup moins à même de percer à travers cette opacité qu’une grande fortune qui aura à cœur de mettre les moyens nécessaires pour contrôler ces placements. Or, comme on le voit à chaque crise financière, ce sont toujours les placements les plus complexes qui perdent le plus de leur valeur lors de ces épisodes.
Cet effet redistributif est d’autant plus fort qu’en général (et surtout depuis les années 30) l’Etat garantit les dépôts faits auprès des banques en-dessous d’un certain montant, ce qui tend à protéger la plupart des déposants sauf les plus riches. L’existence de ce seuil est d’ailleurs justifiée par l’incitation qu’elle donne aux grandes fortunes à contrôler les institutions financières à qui elles confient leur argent.
Pour qui ne serait pas déjà convaincu par ces arguments, il suffit de considérer les effets de la crise de 1929 sur la part du patrimoine détenue aux Etats-Unis par le centième le plus riche de la population.
On y voit de manière très nette que la crise a largement et très rapidement entamé le patrimoine des plus riches aux Etats-Unis (-30% en deux ans, et ce relativement au patrimoine total !), ce qui semble corroborer les arguments que nous venons de développer. Surtout, cet effet semble très persistant et ce pour deux raisons : d'une part, les plus hauts patrimoines d'avant 1929 concernaient des rentiers, au sens où ils finançaient leur train de vie principalement par les revenus de leurs investissements financiers ; de ce fait, ces individus ont dû vendre une partie de leur patrimoine en catastrophe dans le but de conserver un train de vie correct à leurs yeux, réalisant ainsi des pertes irrécouvrables même à moyen-terme (i.e. une fois que l'économie reprenait); d'autre part la progressivité du système fiscal américain a elle-même beaucoup freiné la reconstitution de ces patrimoines très importants.
La crise actuelle va-t-elle conduire de la même façon à une redistribution aussi massive de la richesse ? Probablement non, tout simplement car l'intervention de l'Etat et des banques centrales telle qu'elle fonctionne depuis les années 30 vise justement à empêcher l'écroulement des institutions financières ! Mais par opposition, l'analyse de la crise de 1929 permet de mieux comprendre qui va le plus profiter des injections massives de liquidité et autres recapitalisations bancaires opérées par les Etats ces derniers temps : en voulant se préserver d’une récession qui toucherait tout le monde à court-moyen terme, l’Etat protège pour beaucoup plus longtemps les grandes fortunes. Vu sous cet angle, la crise pourrait donc légitimer auprès du public une plus grande progressivité du système fiscal dans un esprit donnant-donnant : cela ne serait pas le moindre des bouleversements engendrés par les faillites bancaires des dernières semaines…
9 commentaires:
Le titre est tellement bon qu'il aurait vite fait d'occulter le reste de l'article ;-)
(au fait, c'est Hank sans s)
Ne faut-il pas distinguer capital et argent? L'argent placé ou prêté par la banque n'est que l'intermédiaire dans l'échange entre l'épargnant et l'entrepreneur. Une petite partie du capital peut prendre la forme d'une encaisse monétaire (le BFR par exemple) mais l'essentiel se présente sous la forme de biens de production.
Sinon, vous présentez la faillite d'une entreprise ou d'une banque comme si elle était totalement et définitivement oblitérée. Mais ce n'est vraiment pas le cas. Les actifs vont être rachetés par de (supposés) meilleurs gestionnaires, les salariés embauchés par de (supposés) meilleurs managers, etc. C'est ce qui est arrivé récemment à plusieurs banques, n'est-ce pas?
On a également l'exemple de la faillite d'Arthur Andersen suite à l'affaire Enron. Beaucoup de capital confiance et réputation existait chez Arthur Andersen. Il été fortement entamé par les révélations faites dans le cadre de l'affaire Enron, mais pas par la faillite en elle-même.
Sur la redistribution, je ne comprends pas bien l'argument. Il me semble qu'il faut distinguer trois effets, en prenant bien soin de regarder les prix relatifs plutôt que les prix absolus :
- la crise elle-même, qui se manifeste par une réévaluation brutale du prix des actifs, provoquant des provisions bancaires et donc une destruction monétaire (les créanciers sont avantagés par rapport aux débiteurs)
- la politique monétaire qui est mise en oeuvre pour tenter d'éviter la crise, qui est au contraire inflationniste (les débiteurs sont avantagés par rapport aux créanciers)
- la kyrielle de mesures fiscales, budgétaires et réglementaires qui parachèvent souvent l'édifice (les lobbys le mieux organisés sont avantagés par rapport au reste de la population)
Merci pour ce bel article
Le tableau fait spontanément tiquer, car il ne montre pas d'augmentation de la part de richesse des plus riches, alors que tous les résultats publiés par la revue Fortune montrent un enrichissement très rapide des plus gros
L'explication est simple : il donne la répartition en pourcentage du patrimoine
Le raisonnement de la fin de l'article peut donc se traduire : les plus riches vont voir leur patrimoine perdre une partie de sa valeur, mais il représentera toujours à peu près la même part du total, comme son augmentation précédente n'avait pas représenté une augmentation de la part des plus riches
Cela donne effectivement à penser
@gu si fang : Vous avez raison, dans un monde où la confiance règnerait, la banque ne devrait être qu'un simple intermédiaire. Mais le problème est que les emprunteurs peuvent taire les faiblesses, tandis que les banquiers peuvent taire leurs propres faiblesses ou celles de leurs débiteurs. Dans ce cas-là, pour obtenir une certaine crédibilité auprès de ses déposants, une institution financière a besoin de placer une part substantielle de ses fonds propres dans les prêts et autres investissements qu'elle réalise avec l'argent des déposants. On ne peut donc plus considérer ici qu'il y a une barrière nette à faire entre argent et capital bancaire.
Concernant la faillite des banques, j'explique bien qu'une part des actifs est simple à réutiliser : la main d'oeuvre et la technologie bancaires bien évidemment.
En revanche, ce qui est spécifique aux banques c'est qu'il y a une perte irrémédiable dans le sens où la confiance accordée aux banques repose sur un bloc de fonds propres bancaires suffisamment compact et important. Lorsqu'une banque faillit, c'est un de ces blocs de fonds propres qui s'écroule et qui n'est pas facilement remplaçable : il ne suffit pas de réunir une coalition de nouveaux investisseurs, il faut aussi que cette coalition inspire confiance et donc qu'elle soit constituée d'un minimum d'investisseurs différents investissant individuellement un maximum d'argent dans la nouvelle banque. Et en la période actuelle, il est particulièrement difficile de trouver de tels agents : il n'y a pas assez de Warren Buffett pour investir dans les Goldman Sachs et autres. Enfin, il n'est pas certain qu'une comparaison avec Arthur Andersen soit bonne : il est trop tôt pour savoir si Lehman Brothers a fait faillite pour des raisons fondamentales (mauvaise gestion des risques) ou conjoncturelles (liquidité défaillante).
Enfin les trois effets redistributifs dont vous parlez me semblent d'inégale importance :
- la politique monétaire en temps de crise financière a peu de chances de créer de l'inflation : les agents ont tellement peur des autres investissements qu'ils placent l'argent fourni par les banques centrales "sous leur lit" au lieu de le dépenser (ce qui alimenterait l'inflation); c'est la fameuse trappe à liquidités.
- concernant la crise, mon argument est que les personnes qui supportent les risques de dépréciation d'actifs les plus importants sont justement in fine les plus hauts patrimoines. Le graphique montre bien qu'il ne suffit pas de distinguer créanciers et débiteurs : tous les créanciers ne sont pas égaux face à la crise ; mieux vaut être un détenteur de CODEVI !
- concernant les politiques fiscales, réglementaires et autres, il va tout de même s'agir souvent pour l'Etat de supporter le risque des titres les plus sensibles à la place de ceux qui les ont achetés en premier lieu. Comme ces derniers se situent plutôt parmi les hauts patrimoines, l'effet direct des divers plans est de soutenir ces derniers. Mais bien sûr, l'ampleur de ce soutien dépend du prix auquel ces risques sont achetés ou garantis par l'Etat. Toutes choses bien opaques pour le citoyen...
Merci pour cette longue réponse qui permet de creuser les idées!
Capital / argent : je parle du capital des entreprises, pas des banques. Peut-être l'expression "biens capitaux" serait-elle plus adaptée. Quand vous écrivez "prendre à ceux qui ont trop d’argent dans la poche (les épargnants) pour en donner à ceux qui n’en ont pas assez (les emprunteurs)", ce qui me gène c'est que l'entreprise qui lève des fonds n'a pas besoin d'argent mais de biens capitaux. D'ailleurs, une fois l'argent rentré, elle a en général déjà un plan pour le dépenser plus ou moins rapidement en machines, R&D, M&A etc.
Pour les fonds propres des banques, je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait qu'elles en manquent (vous n'imaginez pas à quel point j'en suis convaincu... ;-). Certes, à l'issue d'une opération de sauvetage, "les banques" ont plus de fonds propres, et c'est peut-être une bonne chose. Mais en économie tout est une question d'arbitrage, et sauver une banque n'augmente pas le stock de capital. Cela consiste juste à prélever du capital sur les entreprises en bonne santé, et sur l'épargne des individus, pour le donner à de mauvais gestionnaires.
Enfin (désolé, j'ai un esprit de contradiction très développé) ce que les gens font de l'argent n'a aucune importance (consommation ou thésaurisation). Dans les deux cas, la création monétaire redistribue des richesses car tout le monde ne reçoit pas la monnaie dans les mêmes proportions (est-ce que c'est ce qu'on appelle "effet d'injection"?).
@verel : Le graphique est en effet assez surprenant pour les dernières années. Mais deux choses sont à prendre en compte : d'une part, la distribution du patrimoine évolue beaucoup plus lentement que la distribution des revenus, sauf en période de crise ou de guerre ; d'autre part, les données ne sont disponibles que jusqu'en 2000, or nous savons que les revenus du capital des plus riches ont beaucoup augmenté depuis cette date.
@gu si fang : Dans le cas d'une trappe à liquidités, les banques (et non les épargnants) bénéficient en effet d'argent frais supplémentaire, sans que cela déclenche de l'inflation ou de la croissance économique puisque l'argent n'est pas ensuite reprêté. Néanmoins, la banque centrale ne "donne" pas cet argent, elle ne fait que le prêter (à très bas prix) et si les banques n'en font rien, cela ne change rien à leur véritable situation et à celle de leurs créanciers. Mais ceci n'est qu'une réaction spontanée de ma part, et je ne sais pas ce qu'est l'"effet d'injection".
L'effet d'injection est plus connu sous le nom d'effet Cantillon.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Cantillon#L.27effet_Cantillon
J'ai le sentiment que la préconisation de politique publique à la fin mérite d'être beaucoup plus réfléchie.
Si je comprends bien votre raisonnement consiste à dire:
- la crise de 29 (ou toute crise financière) pénalise plus durement les riches (ceux qui détiennent bcp de capital )et redistribue donc naturellement des riches vers les pauvres.
- lorsque l'Etat (ou les banques centrales) intervient, il annule cet effet redistributif.
- puisque l'Etat intervient massivement dans la crise actuelle, il aide fortement les riches et il serait donc équitable d'augmenter l'impôt des riches pour que ces derniers financent eux-mêmes l'aide qu'on leur apporte.
Personnellement, j'aime bien cette idée qu'une crise a un effet redistributif et cela me dérange moins si ce sont les riches plutôt que les pauvres qui subissent des pertes (je conserve cette distinction riches/pauvres très schématique). Cependant, si on fait payer aux riches l'aide qu'on leur apporte, cela ne s'appelle plus de l'aide (On ne taxe pas les pauvres pour leur reverser des allocations...). On peut se demander alors pourquoi intervenir: autant laisser les riches perdre directement leurs investissements risqués plutôt que de les taxer pour sauver ces investissements. Il y a en fait nécessité d'intervenir parce que l'intervention va dans un second temps bénéficier aux pauvres: si on laisse les entreprises (possédées par les riches) faire faillite, les pauvres qui travaillent dans ces entreprises vont aussi trinquer en perdant leur emploi (qui est leur principale source de revenus).
Mais alors, "en injectant de l'argent" dans le système financier, les banques aideraient aussi les pauvres ? Auquel cas il n'y a de toutes façons plus lieu d'aller taxer uniquement les riches pour financer le sauvetage.
On peut aussi prendre le problème par un autre angle et considérer que les sauvetages des banques centrales reviennent à assurer les investissements risqués que font les riches lorsqu'ils investissent dans des produits complexes à fort rendement espéré. Auquel cas, dans l'arbitrage classique rendement espéré/risque que font les agents pour choisir leurs investissements, les riches qui ont moins peur du risque sont avantagés, puisque justement, le risque qu'ils sont censés prendre en échange d'un rendement espéré plus élevé est diminué par cette assurance fournie par les institutions en ces de crise. Mais dans ce cas, pourquoi les pauvres n'investissent-ils pas aussi dans ces produits, puisqu'ils peuvent eux-aussi bénéficier de l'assurance? Problème d'asymétrie d'information peut-être (il est relativement coûteux pour un pauvre de comprendre le fonctionnement de produits financiers dérivés complexes au regard de la faiblesse de ses investissements potentiels).
Le problème n'est pas simple, mais dans tous les cas il faut je crois être prudent lorsqu'on se demande qui doit payer les pots cassés...
@Gu Si Fang : l'effet Cantillon est en effet intéressant, il implique qu'une hausse des prix suite à de la création monétaire n'intervient pas de manière uniforme sur l'ensemble de l'économie et a donc des effets redistributifs de ce point de vue.
Cela étant, dans le cas d'une trappe à liquidités, l'argent crée ne circule pas du tout et ne peut donc pas de hausse des prix à peu près nulle part.
@Anonyme : Le post se prête en effet à une lecture un peu simpliste qui prête à une critique d'incohérence. Toutefois, il faut bien distinguer l'horizon des politiques :
- il faut aider les "riches" tout de suite pour empêcher à court-terme une récession qui nuirait à tout le monde.
- mais par cette action, les riches vont être plus "sauvés" que les autres au sens où elle leur permet de conserver un patrimoine source de bien-être sur le long terme.
- une fois les "riches" sortis de la noyade, il est tout à fait pensable de leur faire payer ce sauvetage sur le long terme via des taxes progressives. Cela est possible car l'Etat a (encore) une capacité d'endettement importante.
Concernant les choix d'investissement, il est en effet important de préciser que les riches investissent plus dans les actifs risqués du fait d'une aversion au risque moins élevée. Toutefois, tous les tests montrent que des différences d'aversion au risque ne permettent d'expliquer qu'une petite partie des différences d'investissements observés. C'est d'ailleurs un paradoxe pour la théorie financière, l'Equity Premium Puzzle, qui peut aussi être un Stockholding Puzzle, au sens où on devrait observer plus d'individus détenant des actions dans leur portefeuille. Ce sont donc a priori surtout des considérations d'asymétries d'information qui expliquent la concentration particulièrement élevée du patrimoine financier.
Bonjour,
La distribution des patrimoines de Kopczuk et Saez est un graphique que l'on retrouve assez régulièrement pour illustrer différents articles.
Il est cependant assez étonnant que la série des données s"arrête à l'année 2000. N'y a-t-il pas un moyen de prolonger cette série de données, comme, d'ailleurs cela a été fait pour les séries de distribution des plus hauts revenus élaborées par Piketty et Saez ?
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