I/ Présentation du projet de loi de finance
Nous allons nous pencher sur une partie restreinte de ce projet de loi, mais pas la moins intéressante : l’augmentation des recettes. En effet, même si le contrôle des dépenses est encore mis en avant, il est prévu que celles-ci augmentent de manière importante, d’où un besoin accru de financement. Les mesures en vue d’augmenter les recettes sont principalement de trois ordres : une contribution patronale de 2 % sur l’intéressement et la participation, une contribution des organismes complémentaires sur leurs bénéfices et une augmentation des cotisations retraites.
Le thème général de la présentation du PLFSS 2009 a été que les assurés ne paieraient pas le surplus de financement. On trouve ainsi écrit que l’ensemble des mesures d’augmentation des recettes ne conduira à "aucune participation supplémentaire pour les assurés respectant le parcours de soins coordonnés". On peut cependant fortement en douter. Notre but n’est pas de dire si les assurés doivent ou pas supporter la charge de ces besoins de financement, car ce pourrait être légitime bien qu’impopulaire. De plus, les conséquences des augmentations des cotisations de mutuelles (ce qui n’est qu’un des moyens de faire porter la charge des recettes supplémentaires sur les assurés) seront étudiées dans un prochain post. Nous nous contenterons ici de montrer que contrairement à ce qui est dit, les assurés, même ceux suivant le parcours de soins coordonnés, supporteront au moins en partie la charge des besoins de financements supplémentaires.
Pour ce qui concerne la hausse des cotisations retraites, elle est présentée sans coût car elle doit être compensée par une baisse des cotisations pour l’assurance chômage. Si le chômage a été en baisse au cours des années 2007 et 2008, il semble repartir à la hausse, ce qui devrait interdire ce basculement. Il est cependant resté présent dans la version du PLFSS 2009. Il faut probablement en tirer comme conclusion que soit les cotisations retraites augmenteront sans baisse des cotisations chômage, soit que le déficit de l’assurance maladie sera partiellement financé par un déficit de l’assurance chômage.
Pour la justification de la contribution de 2 % sur la participation et l’intéressement, l’accent est donné sur un principe d’équité : ces revenus, qui ne sont pas officiellement considérés comme des revenus du travail, sont exonérés de charges sociales (ce qui veut d’ailleurs dire qu’ils n’ouvrent pas de droits supplémentaires au chômage ou à la retraite). Les seules contributions qui les touchent à la source sont la CSG et la CRDS. Si l’intéressement et la participation ne sont pas considérés socialement comme des salaires, ils n’en sont pas moins une rémunération du travail, lié à une négociation entre employé et employeur. Comme le montre le post de Julien sur l’incidence des cotisations sociales, cette nouvelle contribution de 2 % sur la participation entrainera forcément une hausse des primes brutes et une baisse des primes nettes, c’est à dire qu’à la fois l’employeur et l’employé la paieront, ce qui contredit la déclaration qu’il n’y aura "aucune participation supplémentaire pour les assurés respectant le parcours de soins coordonné", si on considère que notamment les salariés sont parmi les assurés.
II/ Pouvoir n’est pas vouloir ou l’impossibilité de légiférer sur l’incidence fiscale
Les gouvernements, et probablement pas seulement en France, aiment bien les déclarations d’intentions sur les incidences fiscales, ou alors oublier celles-ci totalement. Pour ce qui concerne la taxe sur les bénéfices des complémentaires santé, le discours est ici pour le moins ambigu. Si le principe des incidences fiscales est implicitement reconnu, le problème est écarté avec des arguments peu convaincants économiquement. On peut ainsi lire dans le compte rendu des propos d’Eric Woerth cette phrase qui n’a pas trop de sens économique : "Cette contribution peut donc être absorbée par les complémentaires sans hausse des cotisations.". Outre les justifications qu’il donne à cette possibilité, le terme "peut" est totalement hors de propos. La question n’est pas de savoir si les complémentaires peuvent ou non le faire, mais si elles le feront réellement. Et c’est d’ailleurs un raisonnement que le gouvernement connaît très bien. Lors de débats sur le niveau de certaines taxes sur les hauts revenus (IR, IS, ISF…) la question est rarement posée de savoir si les personnes concernées pourraient payer des montant plus élevés, mais si oui ou non il y a un risque qu’elles envoient leurs capitaux fructifier à l’étranger.
La justification donnée par Eric Woerth pour cette possibilité est la suivante : "Chaque année, en l’absence de mécanisme de rééquilibrage, près de 600 millions d’euros de plus sont à la charge de l’assurance maladie obligatoire et ne sont plus remboursés par les complémentaires". Le ministre se réfère là au rapport annuel du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, qui ne dit pourtant pas exactement cela. En effet, si la première partie de la phrase correspond au-dit rapport, la seconde partie donne l’impression que chaque année le régime général rembourse une plus grande part des dépenses, ce qui permet aux mutuelles d’avoir moins à rembourser. Or ce n’est pas ce que déclare le HCAAM. Ce haut conseil trouve certes une hausse des dépenses de l’assurance obligatoire de cet ordre (3 milliards d’euros sur 5 ans) du fait du vieillissement de la population et des prises en charge à 100 %, mais ne dit à aucun moment que cela est dû à un transfert global des prises en charge vers le régime obligatoire. On lit au contraire dans ce rapport que "le taux de prise en charge a connu un très léger fléchissement" et que "le taux d’engagement de la sécurité sociale dans la dépense reconnue ne varie que de façon très faible, résultat de mouvements de sens contraires.". En réalité, si les dépenses de sécurité sociale augmentent fortement, celles des complémentaires également, et ce n’est pas dû à un basculement de l’un sur l’autre, mais à une hausse importante des dépenses globales.
Alors pourquoi les complémentaires pourraient-elles ne pas répercuter sur les cotisations leur nouvelle contribution ? Toujours dans le même élan, le ministre nous dit que c’est parce que leurs profits ont fortement augmenté ces derniers temps. Mais encore une fois le raisonnement est biaisé, et au contraire, si elles ont pu augmenter autant leurs bénéfices ces dernières années, c’est peut-être qu’elles sont en position de force sur le marché de l’assurance maladie complémentaire. Et si elles sont en position de force, il y a fort à parier qu’elles pourront répercuter leur nouvelle taxe sur leurs assurés. Et en effet, le rapport du HCAAM note que les cotisations d’assurance complémentaire entre 2001 et 2006 ont augmenté de 48 % pendant que les dépenses de ces organismes n’augmentaient que de 32 %, notamment du fait d’une "restructuration de l’offre par concentration". Ce n’est donc pas parce qu’ils se sont déchargés sur l’état que les organismes d’assurance maladie complémentaire ont réussi à augmenter fortement leurs bénéfices, mais parce que la concurrence sur ces marchés a fortement décru.
III/ De l’incidence fiscale de la taxe sur les bénéfices
Alors les complémentaires maladie vont-elles oui ou non répercuter cette nouvelle contribution sur les cotisations ? Pour revenir à cette question, et si on regarde pour cela la littérature économique sur l’incidence des taxes sur les bénéfices, et en particulier cet article récent d’Auerbach qui fait le point sur les connaissances, on trouve beaucoup de résultats contradictoires. Si les résultats les plus connus et les plus anciens disent que les taxes sur les bénéfices sont supportées entièrement par les détenteurs de capital (et aussi bien les détenteurs d’autres capitaux – actions d’autres entreprises, bien immobiliers... – que les actionnaires des entreprises touchées), ces résultats sont basés sur beaucoup d’hypothèses fortes, dont une économie fermée, une offre de capital globalement fixe et surtout la concurrence parfaite sur les marchés concernés. L’idée générale est que les décisions en vue de maximiser les profits ne sont pas modifiées, mais que les rendements du capital sont juste linéairement réduits, pour l’ensemble des capitaux, quelque soit leur forme.
Cependant, d’autres analyses relâchant ces hypothèses trouvent que d’autres agents peuvent supporter la taxe, comme les employés, et dans le cas de la concurrence imparfaite, les consommateurs. En effet, si le marché est déjà concentré, entrainant une réduction de l’offre afin d’augmenter les prix, une taxe supplémentaire sur les bénéfices peut renforcer encore la concentration, permettant ainsi aux entreprises présentes d’augmenter leur pouvoir de marché, ce qui conduit à une augmentation des prix. Des études empiriques et théoriques citées dans la revue de la littérature d’Auerbach présentent même la possibilité que l’augmentation des prix soit plus importante que la nouvelle taxe : les entreprises sur le marché non concurrentiel augmentant leur bénéfice net après une augmentation de la taxe sur les bénéfices, du fait d’une forte baisse de la concurrence.
Quoi qu’il en soit, et vu le niveau élevé de concentration dans le marché des assurances maladie complémentaires, il est fort probable que cette contribution sur leurs bénéfices soit supportée au moins en partie, sinon en intégralité, par les assurés.