Un vaste champ de l’économie a émergé durant les vingt dernières années, inspiré par la psychologie et motivé par des expériences remettant en cause certains fondements de la théorie économique. L’économie comportementale traque les anomalies, observations difficiles à rationaliser dans le cadre de l’économie traditionnelle et tente d’y apporter des réponses dans un cadre rénové.
I/ Une anomalie célèbre: l’effet dotation
Comme l’expliquent dans un article de 1991 le psychologue Kahneman et les économistes Ketsch et Thaler, trois acteurs majeurs de l’économie comportementale, l’économie fait l’hypothèse que les individus sont caractérisés par des préférences stables, bien définies et des comportements rationnels. Ces auteurs ont multiplié les expériences qui mettent à mal cette hypothèse et ont proposé une nouvelle théorie permettant de pallier ces déficiences. Une des plus célèbres expériences met à jour l’effet dotation (endowment effect), difficilement compréhensible avec les outils de l’économie classique.
L’expérience est simple. Les auteurs donnent de manière aléatoire des tasses (mugs) à des étudiants choisis au hasard. Chaque tasse a une valeur de cinq dollars et ce prix est connu de tous. Ils demandent ensuite à ces étudiants dotés d’une tasse le prix minimal auquel ils seraient prêts à vendre leur tasse. Ils posent une question similaire à un autre groupe d’étudiants qui lui n’a pas reçu de tasse : ils doivent indiquer la somme minimale d’argent qu’ils préféreraient accepter plutôt que la tasse. Les deux groupes font face au même choix entre une somme d’argent et la tasse. Chaque individu, ayant ses préférences propres, évalue de manière différente la tasse mais comme les tasses ont été distribuées au hasard, le groupe « avec tasse » ne diffère pas de celui « sans tasse ». Par conséquent les moyennes des évaluations dans chaque groupe ne devraient pas différer. Or un individu du premier groupe déclare être prêt à vendre sa tasse en moyenne pour 7 dollars, tandis qu’un individu du second groupe préfère toute somme d’argent supérieure à 3,50 dollars à la tasse. La seule différence entre les deux groupes est la possession de l’objet. Il y a donc un effet dotation : le simple fait de posséder la tasse modifie les préférences.
L’explication fait appel à deux notions. La première stipule que les individus évaluent leurs choix par rapport à un point de référence. Nous évaluons notre situation en termes relatifs plutôt qu’absolus. La perspective d’un revenu annuel de 20 000 euros est réjouissante pour quelqu’un avec un revenu de 10 000 euros, mais terrible pour celui avec un revenu de 100 000 euros. La deuxième notion est l’aversion aux pertes : la perte que nous ressentons face à une perte d’argent est beaucoup plus grande que le plaisir que nous avons face à un gain de même taille. Reprenons l’exemple de nos étudiants propriétaires de tasse. La situation « propriétaire de tasse » constitue le point de référence d’un individu du groupe « avec tasse ». Il doit évaluer la perte de cette tasse en termes monétaires. Dans l’autre groupe le point de référence est simplement l’état « sans tasse ». Il doit évaluer le gain de la tasse. L’aversion aux pertes implique que le propriétaire ressent plus durement la perte que l’autre ne ressent le gain. Il va donc réclamer un prix supérieur pour s’en séparer qu’un non-propriétaire n’est prêt à payer pour l’acquérir.
Ce genre d’expérience a été répliqué dans de nombreux environnements, avec des modalités variées et l’effet dotation a toujours été observé. Pour être complet et honnête il faut aussi mentionner ce récent article qui a semé le doute. Un résumé complet peut en être lu sur le blog du journal The Economist, mais en gros les auteurs montrent que les résultats tiennent à la manière dont les expériences sont menées et donc que leur lien avec la théorie n'est pas si évident. Notons cependant que la théorie du point de référence et de l’aversion aux pertes repose sur bien plus que les expériences mesurant l’effet dotation. L’émergence de l’économie comportementale a engendré des discussions passionnées, avec des défenseurs zélés, un prix Nobel, et des adversaires acharnés. Nous n’entrerons pas ici dans ce débat pour mieux expliquer un champ d’application de la théorie.
II/Application au marché du logement
Le lecteur peu soucieux des discussions sur les fondements de la théorie économique trouvera en effet peut-être qu’une expérience avec des tasses à 5 dollars a une portée plutôt limitée. Cependant remplaçons la tasse par une maison et essayons de comprendre les conséquences du point de référence et de l’aversion aux pertes sur le marché du logement. Tout d’abord on se convaincra aisément que le point de référence pour un vendeur est fortement influencé par le prix auquel il a acheté son bien. L’aversion aux pertes nous apprend que le vendeur sera fortement réticent à vendre sa maison en dessous de son prix d’achat. En période de prix immobiliers faibles, on observera donc moins de ventes, alors que « rationnellement » il n’y a pas de raisons à cela. Si les prix étaient déterminés uniquement par les caractéristiques du bien et l’état du marché alors un individu devrait accepter de vendre sa maison à un prix plus bas que le prix d’achat puisqu’il pourra racheter une maison de même qualité à ce prix de vente. L’aversion aux pertes introduit une dimension supplémentaire qui pousse les propriétaires à ne pas vendre leur bien à perte. David Genesove et Christopher Mayer ont confirmé cet effet dans un article. Ils observent que les vendeurs qui ont acheté au-dessus du prix de marché actuel demandent des prix de vente plus élevés, vendent en effet à des prix plus élevés mais au prix d’une attente plus longue. Ceci explique la forte corrélation entre volume de ventes et prix du marché immobilier. L’aversion aux pertes influence donc considérablement le marché et réduit la mobilité des personnes. Elle implique qu’en période de crise immobilière le marché du logement ne fonctionne pas très bien et que les acheteurs auront sûrement du mal à trouver des propriétaires prêts à vendre à perte, quand bien même ils pourraient racheter un bien similaire. De quoi limiter l’enthousiasme de ceux qui parient sur une crise immobilière pour acheter.
I/ Une anomalie célèbre: l’effet dotation
Comme l’expliquent dans un article de 1991 le psychologue Kahneman et les économistes Ketsch et Thaler, trois acteurs majeurs de l’économie comportementale, l’économie fait l’hypothèse que les individus sont caractérisés par des préférences stables, bien définies et des comportements rationnels. Ces auteurs ont multiplié les expériences qui mettent à mal cette hypothèse et ont proposé une nouvelle théorie permettant de pallier ces déficiences. Une des plus célèbres expériences met à jour l’effet dotation (endowment effect), difficilement compréhensible avec les outils de l’économie classique.
L’expérience est simple. Les auteurs donnent de manière aléatoire des tasses (mugs) à des étudiants choisis au hasard. Chaque tasse a une valeur de cinq dollars et ce prix est connu de tous. Ils demandent ensuite à ces étudiants dotés d’une tasse le prix minimal auquel ils seraient prêts à vendre leur tasse. Ils posent une question similaire à un autre groupe d’étudiants qui lui n’a pas reçu de tasse : ils doivent indiquer la somme minimale d’argent qu’ils préféreraient accepter plutôt que la tasse. Les deux groupes font face au même choix entre une somme d’argent et la tasse. Chaque individu, ayant ses préférences propres, évalue de manière différente la tasse mais comme les tasses ont été distribuées au hasard, le groupe « avec tasse » ne diffère pas de celui « sans tasse ». Par conséquent les moyennes des évaluations dans chaque groupe ne devraient pas différer. Or un individu du premier groupe déclare être prêt à vendre sa tasse en moyenne pour 7 dollars, tandis qu’un individu du second groupe préfère toute somme d’argent supérieure à 3,50 dollars à la tasse. La seule différence entre les deux groupes est la possession de l’objet. Il y a donc un effet dotation : le simple fait de posséder la tasse modifie les préférences.
L’explication fait appel à deux notions. La première stipule que les individus évaluent leurs choix par rapport à un point de référence. Nous évaluons notre situation en termes relatifs plutôt qu’absolus. La perspective d’un revenu annuel de 20 000 euros est réjouissante pour quelqu’un avec un revenu de 10 000 euros, mais terrible pour celui avec un revenu de 100 000 euros. La deuxième notion est l’aversion aux pertes : la perte que nous ressentons face à une perte d’argent est beaucoup plus grande que le plaisir que nous avons face à un gain de même taille. Reprenons l’exemple de nos étudiants propriétaires de tasse. La situation « propriétaire de tasse » constitue le point de référence d’un individu du groupe « avec tasse ». Il doit évaluer la perte de cette tasse en termes monétaires. Dans l’autre groupe le point de référence est simplement l’état « sans tasse ». Il doit évaluer le gain de la tasse. L’aversion aux pertes implique que le propriétaire ressent plus durement la perte que l’autre ne ressent le gain. Il va donc réclamer un prix supérieur pour s’en séparer qu’un non-propriétaire n’est prêt à payer pour l’acquérir.
Ce genre d’expérience a été répliqué dans de nombreux environnements, avec des modalités variées et l’effet dotation a toujours été observé. Pour être complet et honnête il faut aussi mentionner ce récent article qui a semé le doute. Un résumé complet peut en être lu sur le blog du journal The Economist, mais en gros les auteurs montrent que les résultats tiennent à la manière dont les expériences sont menées et donc que leur lien avec la théorie n'est pas si évident. Notons cependant que la théorie du point de référence et de l’aversion aux pertes repose sur bien plus que les expériences mesurant l’effet dotation. L’émergence de l’économie comportementale a engendré des discussions passionnées, avec des défenseurs zélés, un prix Nobel, et des adversaires acharnés. Nous n’entrerons pas ici dans ce débat pour mieux expliquer un champ d’application de la théorie.
II/Application au marché du logement
Le lecteur peu soucieux des discussions sur les fondements de la théorie économique trouvera en effet peut-être qu’une expérience avec des tasses à 5 dollars a une portée plutôt limitée. Cependant remplaçons la tasse par une maison et essayons de comprendre les conséquences du point de référence et de l’aversion aux pertes sur le marché du logement. Tout d’abord on se convaincra aisément que le point de référence pour un vendeur est fortement influencé par le prix auquel il a acheté son bien. L’aversion aux pertes nous apprend que le vendeur sera fortement réticent à vendre sa maison en dessous de son prix d’achat. En période de prix immobiliers faibles, on observera donc moins de ventes, alors que « rationnellement » il n’y a pas de raisons à cela. Si les prix étaient déterminés uniquement par les caractéristiques du bien et l’état du marché alors un individu devrait accepter de vendre sa maison à un prix plus bas que le prix d’achat puisqu’il pourra racheter une maison de même qualité à ce prix de vente. L’aversion aux pertes introduit une dimension supplémentaire qui pousse les propriétaires à ne pas vendre leur bien à perte. David Genesove et Christopher Mayer ont confirmé cet effet dans un article. Ils observent que les vendeurs qui ont acheté au-dessus du prix de marché actuel demandent des prix de vente plus élevés, vendent en effet à des prix plus élevés mais au prix d’une attente plus longue. Ceci explique la forte corrélation entre volume de ventes et prix du marché immobilier. L’aversion aux pertes influence donc considérablement le marché et réduit la mobilité des personnes. Elle implique qu’en période de crise immobilière le marché du logement ne fonctionne pas très bien et que les acheteurs auront sûrement du mal à trouver des propriétaires prêts à vendre à perte, quand bien même ils pourraient racheter un bien similaire. De quoi limiter l’enthousiasme de ceux qui parient sur une crise immobilière pour acheter.
15 commentaires:
Est-ce que c'est une référence directe à éconoclaste ?
http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2008/02/24/1188-vivement-la-recession
Intéressant, le texte de Rubinstein. Par ailleurs, je n'ai toujours pas compris son programme de recherche : il est un théoricien ultra abstrait, mais il trouve que la théorie abstraite ne sert à rien, il fait des travaux d'inspiration néoclassique, mais pense que ça forme des étudiants méchants qui vireront leurs employés quand ils seront patrons. Et visiblement, l'expérimentation ne lui plaît pas plus. Quelqu'un peut m'expliquer?
C'est n'importe quoi de dire que quand les prix baisse, les acheteurs ne trouvent plus de vendeurs en face.
Les prix baissent bel et bien parque les vendeurs ne trouvent plus d'acheteurs en face, et parceque le nombre d'acheteurs s'écroule même en baissant les prix.
Si il y avait réellement des acheteurs sans vendeurs en face, les prix arrêterait de baisser et commencerait leur remontée.
En fait la phase de baisse est *précédée* d'une phase de blocage du marché, où le volume de vente est encore inférieur à celui pendant la phase de baisse.
Et la baisse, ressortez les stat de 91-98 c'est très visible, se fait en dents de scie.
Les prix baissent de 5%, attirent des vendeurs en attente de cette baisse, type Alexandre d'éconoclaste, le nombre de transaction remonte, puis ce stock d'acheteur là s'épuise, le nombre de transaction retombe, les vendeurs pris à la gorge se décident à baisser de 10%, le nombre de transaction remonte, puis le stock d'acheteur à -10% s'épuise, le nombre de transaction retombre, les vendeurs pris à la gorge se décident à baisser de 15%, et ainsi de suite.
La clé est que si vendeurs détestent vendre en baisse, les acheteurs détestent encore plus acheter en baisse.
Car erreur dans le raisonnemenent de cet article, le vendeur déteste vendre à perte certe, mais quand il ne vend pas, il voit aussi chaque mois la valeur de son bien baisser.
Il a envie de réussir à vendre pour sortir de ce marché, pour limiter la casse.
Mais l'acheteur voit deux choses : Que chaque semaine le prix descend, donc pour chaque semaine qu'il a réussi à différer l'achat, il gagne autant, ET que quand il se sera décidé à acheter, il sera du coté des perdants de ceux qui doivent payer chaque mois un remboursement d'un bien dont la valeur est en train de descendre de plus en plus en dessous de ce qu'il doit à la banque.
Ce qui est remarquable juste avant la fin d'un cycle de baisse est que presque tout le monde pense qu'il vaut mieux louer quand on voit ce qu'on peut perdre en achetant, alors que c'est le meilleur moment pour acheter.
Ce qui est remarquable juste avant la fin d'un cycle de hausse est que presque tout le monde pense qu'il vaut mieux acheter quand on voit ce qu'on peut gagner en achetant, alors que c'est le meilleur moment pour louer.
Une autre application de ces effets de dotation concerne l'environnement, lorsque l'on cherche à évaluer le consentement à recevoir des individus contre une détérioration de l'environnement ou leur consentemenr à payer pour une amélioration de l'environnement. En théorie, en partant d'un point de départ identique, les différences devraient être minimes, alors qu'en pratique, toutes les études empiriques montrent des différences significatives.
En bref, ces effets de dotation rendent extrêmement difficiles toutes les méthodes d'évaluation des éventuels bénéfices environnementaux.
Par ailleurs, à quand une petite incursion d'Ecopublix sur les questions d'économie de l'environnement ?
Tous mes calculs s'effondrent :-).
Goolsbee avait évoqué le papier de Mayer et Genovese dans cet article du NYT :
http://www.nytimes.com/2007/09/23/business/yourmoney/23view.html?_r=1&oref=slogin
Il me semble qu'il y a plusieurs facteurs qui peuvent contrebalancer cet effet, d'inégale importance :
- premièrement, l'effet d'ancrage et l'aversion à la perte ne concerne qu'une partie des vendeurs, ceux qui ont acheté auparavant au dessus du prix du marché. Je me demande s'ils ont une telle influence, sont si nombreux, sur le marché immobilier qui comprend pas mal de biens relativement anciens. Tout dépend en fait du prix de référence que les gens choisissent.
- plus important, on constate un effet d'apprentissage qui vient contrer l'effet de prix de référence et l'aversion à la perte. Faudrait que je retrouve ces papiers, mais on a constaté souvent que la répétition des transactions tend à rendre le comportement des acheteurs et des vendeurs plus rationnel. evidemment, les gens ne vendent pas un bien immobilier très souvent, donc, il n'est pas certain que cela fonctionne ici...
- dernier point, la valeur de référence est souvent une valeur nominale, pas réelle. Ce qui fait que dans le cas des krachs immobilier, c'est l'inflation qui rétablit les prix d'équilibre. Ce qui veut dire que les ajustements finissent par se faire, mais que cela prend très longtemps.
"pallier à ces déficiences".
On dit "pallier" et non pas "pallier à".
Les premiers travaux en économie comportementale étaient très intéressant. Aujourd'hui, le domaine semble se détourner de son objectif initial. Cela pour plusieur raisons.
L'économie comportementale est supposée apporter un soutien à la théorie pour la refaçonner. Or certaines contributions récentes consistent à conduire des expériences qui sont assez éloignées de la théorie, dont les auteurs ne semblent pas voir une connaissance très appronfondie. Dans ce cas, difficile de faire le lien avec la théorie...on en arrive parfois à trouver des papiers où l'objet est l'observation d'un moustique dans un bocal (je caricature). En parallèle, il y a un nombre croissant de travaux où les auteurs ont pour seule idée de modifier un paramètre dans le protocole expérimentale. La finalité de ses travaux, en dehors de produire un papier et dépenser des fonds publics voire privés, est douteuse. Un bon exemple est l'ultimatum game. L'économie comportemtale et expérimentale doit rester un complément de la théorie, comme elle l'était à ses débuts, et non pas la supplanter. Aujourd'hui, il y a une dérive qui commence à la discréditer, les critiques se faisant de plus en plus fortes même au sein des expérimentalistes.
@Markss : Rubinstein est un théoricien des jeux qui est à l'origine de contributions importantes en économie théorique. Comme scientifique, il est critique à l'égard de ses propres travaux mais pas seulement, ce qui me semble assez sein. Pour comprendre le bonhomme, je vous conseil de lire son livre Economics and Language (téléchargeable gratuitement depuis sa page personnelle) dans lequel vous pourrez notamment trouver : "I am doubtful about the practical applicability of Game Theory. However, I do not feel pessimistic since I don't regard applicability as necessarily a virtue."
@geabulek: pas de référence directe, mais le post d'Econoclaste renvoyait à un autre de Tim Harford du FT qui évoquait aussi brièvement le sujet.
@Markss: Rubinstein est en effet très critique. Je suis très loin de bien connaître sa pensée mais voici ce que je crois en comprendre. Il a une vision très mathématique de l'économie. Il écrit des modèles qu'il conçoit comme des fables. Celles-ci délivrent une vision simplifiée du monde mais avec une morale. Cependant tout le monde sait bien que ce sont des fables et que les hypothèses de départ sont absurdes.
Rubinstein doute de l’intérêt de modifier un modèle pour le rendre plus "réaliste". Il ira toujours au plus simple, peut-être aux dépens des hypothèses. S'il peut raconter deux fables avec la même morale alors il choisira toujours la plus simple, même si l'autre est plus plausible. Il pense aussi que l’économie pousse les gens à utiliser ces fables directement dans le monde bien réel, et que c’est parfois dangereux. Dans le même ordre d’idées, il a écrit un très célèbre modèle de négociations mais a toujours dit qu’il ne connaissait strictement rien à la négociation, et donc qu’il ne conseillerait jamais qui que ce soit sur le sujet. Le faire serait déplacé, il n’a fait « que » rédiger un modèle.
@jmdesp : bravo ! Vous avez parfaitement résumé le processus, certes décrit de manière plus implicite dans mon billet. Je n’ai jamais écrit que les acheteurs ne trouvaient pas de vendeurs en période de baisse mais que la baisse impliquait une inertie dans les ventes car les vendeurs qui ont acheté au plus haut attendent. C’est le mécanisme observé par Genesove et Mayer.
@Joseph : l’effet dotation complique singulièrement la tâche de ceux qui cherchent à mesurer le consentement à payer et à accepter. Ces méthodes sont en effet souvent utilisées en économie de l’environnement. De manière plus générale, des préférences non stables posent un véritable problème dans beaucoup de domaines de l’économie. Pourquoi pas un post sur l’environnement prochainement, il y a beaucoup à dire sur le sujet en économie publique.
@Alexandre : merci pour le lien vers Goolsbee qui m’avait échappé, prestigieux précédent de mon modeste billet. Concernant les différents effets, je suis tout à fait d’accord. Pour le premier point il est vrai qu’une question cruciale est de savoir ce qui constitue le point de référence. Genesove et Mayer ne se posent pas la question mais ils n’en ont pas vraiment besoin : ils observent que les vendeurs qui doivent supporter une perte plus importante demandent des prix plus élevés et attendent plus longtemps. Le point d’ancrage dépend donc d’une certaine manière du prix d’achat. Deuxième point, je ne suis pas certain que l’apprentissage se fasse correctement sur le marché immobilier, même s’il se fait avec des mugs. Les gens achètent et vendent rarement et font donc généralement face à des conditions de marché nouvelles pour eux. De plus une maison n’est pas un bien comme un autre. Les vendeurs y sont assez souvent attachés pour des raisons diverses et je pense que cela freine l’apprentissage. Dernier point, j’aurais aussi tendance à penser que le point de référence est nominal, mais en tant qu’économiste rationnel je dois aussi mettre en garde contre le rejet d’une valeur réelle. Dans tous les cas, cet effet confirme l’inertie impliquée par l’aversion aux pertes.
@anonyme : très juste.
@toto : si vous pensez que les expériences sont allées trop loin, vous pouvez lire ces quelques lignes.
Les étudiants connaissent-ils les paramètres de l'expérience? Si je pense que tout le monde a reçu un mug, il est possible que je veuille le garder parce que les autres en ont un. C'est un effet positionnel.
Dans le cas du logement, on peut "voir" la hausse des prix, ce qui influence certainement l'idée subjective que l'on se fait de la valeur de sa résidence principale.
Finalement, est-ce qu'on ne se focalise pas un peut trop sur "l’hypothèse que les individus sont caractérisés par des préférences stables, bien définies et des comportements rationnels"? Je pense aux économistes autrichiens qui font au contraire l'hypothèse que les préférences sont variables, subjectives, et non quantifiables. Même avec ces hypothèses très faibles, on arrive souvent aux même conclusions que les classiques.
Souvent, mais avec quelques énormes différences.
à rapprocher du dicton selon lequel les économistes ne sont pas écoutés sur les sujets sur lesquels le plus grand consensus existe et pris en compte uniquement sur les sujets sur lesquels les plus grandes divergences existent.
@gu si fang: je ne vois pas trop pourquoi je voudrais garder un mug que je n'aime pas si on m'en offre un bon prix. De plus pourquoi est-ce que toutes les anticipations se fixeraient sur la situation "tout le monde a un mug"? Pour répondre sur le fond de la question, les étudiants savent que la moitié d'entre eux n'a pas de mug puisque chacun doit étudier son mug ou celui de son voisin (selon les propres mots de Kahneman et al.).
Concernant la stabilité des préférences, je connais mal les travaux que vous évoquez mais il me semble que ca pose quand même de sérieux problèmes. En particulier toute analyse du bien-être devient sérieusement compliquée. Si les individus n'ont pas des préférences stables, alors comment mesurer leur bien-être? A partir de leurs préférences d'hier ou d'aujourd'hui? Et donc, comment décider du bien-fondé d'une politique? L'économie comportementale se pose ce genre de problèmes car ils ont des implications politiques. En décidant d'une réforme doit-on prendre en compte les préférences d'aujourd'hui ou celles de demain? Encore plus ennuyant pour la théorie, sans préférences bien définies, on ne peut plus utiliser le résultat clé en économie des préférences révélées qui dit que nous n'avons pas besoin d'oberver les préférences car les actions en sont le fidèle reflet. Sans cela le lien entre courbe de demande, par exemple, et préférences s'effondre. Cela complique singulièrement toute interprétation.
Vous avez raison, je ne crois pas qu'on puisse expliquer le résultat de cette expérience en disant que le mug est un bien positionnel. Pourquoi aurait-on $3.50 dans un sens et $7.00 dans l'autre?
En revanche, l'approche autrichienne me paraît compatible avec ce qu'on voit ici. Notons [A )) B] pour signifier "lorsque je suis dans l'état A, je préfère agir pour passer dans l'état B plutôt que rester en A".
Les résultats de l'expérience sont donc :
[no mug )) mug - $3.50]
[mug )) no mug + $7.00]
De plus, si l'expérience est bien faite, $3.50 et $7.00 sont des prix min et max respectivement, soit :
NOT [no mug )) mug - $3.60]
NOT [mug )) no mug + $6.90]
Il me semble qu'en économie néoclassique, on traite les utilités comme des prix. Ce sont des grandeurs mesurables par des cardinaux réels ou entiers. On est donc tenté de prendre les deux dernières formules, de les additionner, et d'obtenir :
NOT [0 )) $3.30]
qui est une contradiction.
Pour les autrichiens ce n'est pas le cas, car les utilités ne sont pas des cardinaux. De plus, la relation d'ordre sur les préférences :
- n'est pas transitive
- ni additive (puisqu'il n'y a pas d'addition)
- ni totale (il se peut qu'on n'ait ni A))B ni B))A).
Tout ceci est compatible avec l'expérience des mugs. Les mugs ne sont pas un contre-exemple des hypothèses autrichiennes, pas plus qu'un "théorème". Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'un tel comportement est possible et ne remet pas en cause la théorie. A l'inverse, les hypothèses très (trop) fortes de l'économie néoclassique sont réfutées empiriquement par l'expérience des mugs. Evidemment, Friedman considère que ça n'est pas gênant, etc. etc.
On présente souvent Menger, Jevons et Walras comme coinventeurs du marginalisme. Mais Menger se distingue des deux autres par son épistémologie qui correspond à ce que j'ai essayé de décrire ci-dessus (les notations ne sont évidemment pas d'origine!). Ces hypothèses plus faibles permettent de prendre en compte les comportements de type "mug". Mes cours d'initiation à l'éco commencent à dater. Est-ce qu'on apprend ça aujourd'hui?
Article sur Menger, Jevons et Walras
Vous avez parfaitement raison : avec une telle approche, pas de welfare economics, ni de courbe d'indifférence, etc. Une conséquence immédiate est qu'on a peu d'espoir de faire le bonheur des gens malgré eux. Mais c'est de la triche, la conclusion était dans les hypothèses ;-)
Il me semble acquis depuis Allais qu'il n'existe pas de notion générale du bien-être ? Aurais-je mal compris ?
@anonyme: je crains de ne pas comprendre votre question, mais sûrement ma piètre connaissance des travaux d'Allais y est pour quelque chose. Vous pouvez peut-être expliciter votre propos pour que je puisse y répondre.
Moi, ce qui m'embête, c'est que je ne comprends pas le jeu de mot dans votre pseudo.
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