Qui n’a pas pris l’Eurostar un Vendredi soir ne peut se rendre compte à quel point les métiers de la finance sont devenus le principal débouché pour les élèves de grandes écoles et pour nombre de diplômés du 3ème cycle. En retour, cet exode a suscité une nouvelle forme d’implorations de la part desdits « exilés » : Sarkozyx, de grâce fais-nous revenir à Paris pour pouvoir enfin gagner plein de sesterces sans avoir à délaisser Bonnemine durant la semaine ! Autrement dit, il s’agirait de diminuer l’impôt sur le revenu pour qu’enfin la place parisienne devienne l’égal de la City. Bigre ! Une telle ambition est-elle bien raisonnable ? Existe-t-il de vraies raisons de s'inquiéter de cette fuite des cerveaux gaulois vers les bonus bretons ?
Pour ceux qui ne sont pas au courant, il faut mentionner à quel point le système financier européen est désormais intégré. En tête de pont du système, située sur quelques kilomètres carrés de la rive Nord de la Tamise : la City. Les transactions les plus importantes y sont décidées (c’est le plus souvent là-bas que les gros « deals » se font et se défont). Comme, évidemment, une telle structure a besoin de contact avec les clients, les banques d’affaires disposent d’antennes dans les plus grandes villes européennes, mais tous les employés doivent avoir passé du temps dans l’antenne centrale au préalable. Notons tout de même que c’est ici une description très stylisée : dans certaines « niches » (sur le trading de certains produits dérivés), la place de Paris n’est pas encore de second rang ; mais l’évolution générale est assez nette si l'on en croit le graphique suivant qui nous montre que les entreprises choisissent de plus en plus d'être cotées à Londres plutôt qu'à Francfort ou à Paris (représenté par Euronext) :
Y a-t-il une logique sous-jacente à une telle organisation ? Et bien oui, avec l’intégration quasi-complète des systèmes financiers européens et l’amélioration des transports, il était devenu de plus en plus rentable de centraliser bon nombre de métiers de la banque : avec une place centralisée, les « wannabe » golden boys savent très bien où aller s’ils veulent réaliser leurs ambitions et les banques peuvent plus facilement dénicher la perle rare.
Mais pourquoi donc est-ce Londinium et pas Frankonovurd ou Lutèce qui a le plus bénéficié de ce mouvement ? On ne peut écarter à l’avance une fiscalité supposée plus avantageuse (même si l’avantage fiscal n’est pas aussi net qu’on le croie généralement : les taux marginaux maximum d'impôt sur le revenu sont comparables, pas d'ISF mais une taxation maximale des plus-values plus forte (40% au Royaume-Uni contre 15% en France)) et une régulation des marchés financiers moins tatillonne qu’ailleurs, mais les principaux candidats sont certainement une tradition financière bien ancrée et surtout l’usage commun de la seule langue internationale, l’anglais.
A l’heure actuelle, quelle est donc la place de la France dans ce système d’offre de services financiers ? Principalement, la production de matière grise ! Notre pays bénéficie d’une tradition de sélection par les mathématiques qui fait émerger ces as des formules financières qui font le bonheur du trading contemporain. Mais c’est aussi que nos élites sont très tôt acclimatées à l’ambiance de travail qui règne dans les banques : grâce aux classes préparatoires, les deadlines résonnent comme autant de devoirs sur table et de khôlles à réviser jour et nuit pour ne pas perdre pied, et les situations de trading peuvent s’apparenter à ces problèmes mathématiques abscons qu’il faut savoir résoudre dans un temps très limité.
Cette division du travail pose-t-elle problème pour la France ? Dans une certaine mesure, non : les bénéfices de la centralisation des services financiers rejaillissent sur l’ensemble des pays européens, nos exilés ont une fâcheuse tendance à dépenser leur salaire sur notre territoire, et la présence physique de nombreux golden boys à Londinium n’est pas sans avoir des conséquences déplaisantes : coût de la vie très élevé (des prix au mètre carré plus de 2 fois plus élevés qu'à Paris selon l'indice de The Economist), dualisme très poussé du marché du travail, inégalités criantes, etc. En bref, il ne semble ni possible ni peut-être même souhaitable de faire de Paris l'égale de la City.
Tout est-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Et bien pas tout à fait : le détournement des élites vers l’industrie financière au détriment des filières de l’économie réelle (ingénieurs, entrepreneurs) n’est pas sans poser un vrai problème à long terme (voir cet article de Thomas Philippon). Et c’est un souci qui est de plus en plus évoqué aux Etats-Unis même ! En effet, le propre de l’industrie financière est qu’elle est capable de s’approprier une grande partie des profits retirés de son activité : un trader contribue à établir la vérité des prix des actifs financiers mais c’est lui qui en bénéficie le plus via les profits d’arbitrage qu’il réalise ; un banquier d’affaires qui fait se rencontrer deux entreprises en vue d’une fusion est justement rémunéré en fonction de la taille de la fusion menée. En termes économiques, on dirait que la finance génère assez peu d’externalités positives : elle est très utile au fonctionnement de l’économie mais elle est correctement rémunérée pour cela.
Cela n’est malheureusement pas le cas pour d’autres activités professionnelles qui réclament une formation aussi longue que la finance. En particulier, les entrepreneurs et les ingénieurs font émerger des innovations sans en récolter tous les bénéfices : les connaissances se répandent si vite et les produits s’imitent si facilement qu’il est impossible de s’en approprier pleinement les fruits. Pour cette raison, ces carrières sont souvent moins attirantes que la finance alors même que leur contribution à la performance économique est au moins aussi importante.
Ce problème ne date pas d’hier certes : ainsi il est notable qu’en France, les grandes écoles qui mènent aux carrières de chercheur ou d’ingénieur (X, ENS, etc.) sont beaucoup plus subventionnées que les grandes écoles dédiées à la gestion et à la finance (HEC, ESSEC, etc.). A l'extrême, tout le système des corps d'Etat représente une gigantesque subvention des carrières générant le plus d'externalités positives, et tout ceci n'est donc pas dépourvu d'une certaine logique économique.
Mais le fait est que la finance a connu un très fort développement ces 25 dernières années, et le secteur est devenu de plus en plus demandeur de travailleurs qualifiés. La conséquence, c'est que les salaires dans la finance sont devenus de plus en plus intéressants par rapport à ceux offerts aux ingénieurs à formation égale, comme le montre le graphique suivant qui concerne les Etats-Unis, où cette évolution fut probablement la plus précoce :
La préférence de l’Etat pour les formations d’ingénieurs est donc logiquement de plus en plus détournée, puisqu'au sein des diplômés des grandes écoles, les carrières dans les secteurs de la finance sont de plus en plus prisées au détriment des carrières dans l’industrie ou la recherche : alors que les 2/3 des polytechniciens se tournaient vers l’industrie en 1994, ils ne sont plus que 45% aujourd’hui ; de même, alors qu’ils étaient 10% à travailler à l’étranger en 1994, ils sont aujourd’hui 24%. En effet, avec des connaissances de mieux en mieux rémunérées dans le monde entier et des coûts de transports moins élevés qu'auparavant, pourquoi se priver ?
Cette désincitation aux carrières d'ingénieur existe donc bien à la fois aux Etats-Unis et en Europe, à cette différence près qu'aux Etats-Unis, c'est sur le même territoire que sont formés les financiers et qu'ils exercent leur métier alors qu'en Europe, chaque pays a intérêt à attirer les cadres financiers (quitte à promettre de faibles taux d'imposition) en laissant les autres pays former ces personnes, si bien que la tendance à la dévalorisation des métiers d’ingénieur est potentiellement plus importante.
Dans notre cas précis, l'Angleterre n'a même pas à être aussi machiavélique, puisqu'elle bénéficie d'une attractivité « naturelle » qui repose finalement peu sur des décisions politiques avantageuses. En revanche, les pays d'Europe continentale se trouvent dans une situation où leurs investissements dans le supérieur, qui visent à développer l'esprit d'innovation, perdent en rentabilité du fait que ceux qui en bénéficient peuvent choisir des carrières générant moins d'externalités positives sans coût supplémentaire.
Pour prendre un exemple, la Suède a dû mettre un terme en 2001 à un programme de prêts étudiants dont les remboursements dépendaient du salaire perçu durant la vie active : la raison qui fut invoquée était que des bénéficiaires de plus en plus nombreux émigraient et n'étaient donc plus astreints à payer en fonction de leur revenu du moment (faute d'une coopération fiscale suffisante entre la Suède et les pays d'émigration), ce qui contribuait à déséquilibrer très fortement le budget d'une telle mesure.
C'est un exemple d'autant plus parlant que ce type de moyen de financement de l'enseignement supérieur est de plus en plus à la mode : en France, les travaux récents de Robert Gary-Bobo et Alain Trannoy ont contribué à populariser ce type de prêts étudiants, et de tels systèmes, qui existaient auparavant surtout dans les pays scandinaves, se sont développés en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, et même... en Angleterre depuis 2004 ! En effet, ce système permet à la fois de ne pas décourager par des droits d'inscription élevés les étudiants potentiels, et de faire financer l'université par ceux qui en profitent le plus. Pourtant, il est bien évident que ces mesures ne sont efficaces que si les bénéficiaires ne sont pas trop tentés de travailler dans un autre pays que celui de leur formation : en l'absence de coopération fiscale, il est difficile de faire payer l'université par ceux qui en profitent le plus.
En définitive, la forte présence des élites françaises à la City est problématique, non pas parce que ces dernières font de la finance en Angleterre au lieu d'en faire en France, mais parce que cette émigration détourne les éléments de notre système éducatif qui permettaient d'orienter les meilleurs élèves vers les carrières les plus "utiles".
Il existe malheureusement assez peu de solutions nationales à un tel problème, comme le suggère le cas suédois. Sans coopération des administrations fiscales qui permettrait à un pays de faire financer ses universités en partie par les revenus de ses diplômés qui travaillent à l'étranger, il reste difficile de construire un système éducatif résolument tourné vers l'esprit d'innovation.
Un bémol cependant : on peut toujours espérer que la nourriture et la météo anglaises fassent revenir nos golden boys vers des carrières moins lucratives mais plus généreuses...
Pour ceux qui ne sont pas au courant, il faut mentionner à quel point le système financier européen est désormais intégré. En tête de pont du système, située sur quelques kilomètres carrés de la rive Nord de la Tamise : la City. Les transactions les plus importantes y sont décidées (c’est le plus souvent là-bas que les gros « deals » se font et se défont). Comme, évidemment, une telle structure a besoin de contact avec les clients, les banques d’affaires disposent d’antennes dans les plus grandes villes européennes, mais tous les employés doivent avoir passé du temps dans l’antenne centrale au préalable. Notons tout de même que c’est ici une description très stylisée : dans certaines « niches » (sur le trading de certains produits dérivés), la place de Paris n’est pas encore de second rang ; mais l’évolution générale est assez nette si l'on en croit le graphique suivant qui nous montre que les entreprises choisissent de plus en plus d'être cotées à Londres plutôt qu'à Francfort ou à Paris (représenté par Euronext) :
Y a-t-il une logique sous-jacente à une telle organisation ? Et bien oui, avec l’intégration quasi-complète des systèmes financiers européens et l’amélioration des transports, il était devenu de plus en plus rentable de centraliser bon nombre de métiers de la banque : avec une place centralisée, les « wannabe » golden boys savent très bien où aller s’ils veulent réaliser leurs ambitions et les banques peuvent plus facilement dénicher la perle rare.
Mais pourquoi donc est-ce Londinium et pas Frankonovurd ou Lutèce qui a le plus bénéficié de ce mouvement ? On ne peut écarter à l’avance une fiscalité supposée plus avantageuse (même si l’avantage fiscal n’est pas aussi net qu’on le croie généralement : les taux marginaux maximum d'impôt sur le revenu sont comparables, pas d'ISF mais une taxation maximale des plus-values plus forte (40% au Royaume-Uni contre 15% en France)) et une régulation des marchés financiers moins tatillonne qu’ailleurs, mais les principaux candidats sont certainement une tradition financière bien ancrée et surtout l’usage commun de la seule langue internationale, l’anglais.
A l’heure actuelle, quelle est donc la place de la France dans ce système d’offre de services financiers ? Principalement, la production de matière grise ! Notre pays bénéficie d’une tradition de sélection par les mathématiques qui fait émerger ces as des formules financières qui font le bonheur du trading contemporain. Mais c’est aussi que nos élites sont très tôt acclimatées à l’ambiance de travail qui règne dans les banques : grâce aux classes préparatoires, les deadlines résonnent comme autant de devoirs sur table et de khôlles à réviser jour et nuit pour ne pas perdre pied, et les situations de trading peuvent s’apparenter à ces problèmes mathématiques abscons qu’il faut savoir résoudre dans un temps très limité.
Cette division du travail pose-t-elle problème pour la France ? Dans une certaine mesure, non : les bénéfices de la centralisation des services financiers rejaillissent sur l’ensemble des pays européens, nos exilés ont une fâcheuse tendance à dépenser leur salaire sur notre territoire, et la présence physique de nombreux golden boys à Londinium n’est pas sans avoir des conséquences déplaisantes : coût de la vie très élevé (des prix au mètre carré plus de 2 fois plus élevés qu'à Paris selon l'indice de The Economist), dualisme très poussé du marché du travail, inégalités criantes, etc. En bref, il ne semble ni possible ni peut-être même souhaitable de faire de Paris l'égale de la City.
Tout est-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Et bien pas tout à fait : le détournement des élites vers l’industrie financière au détriment des filières de l’économie réelle (ingénieurs, entrepreneurs) n’est pas sans poser un vrai problème à long terme (voir cet article de Thomas Philippon). Et c’est un souci qui est de plus en plus évoqué aux Etats-Unis même ! En effet, le propre de l’industrie financière est qu’elle est capable de s’approprier une grande partie des profits retirés de son activité : un trader contribue à établir la vérité des prix des actifs financiers mais c’est lui qui en bénéficie le plus via les profits d’arbitrage qu’il réalise ; un banquier d’affaires qui fait se rencontrer deux entreprises en vue d’une fusion est justement rémunéré en fonction de la taille de la fusion menée. En termes économiques, on dirait que la finance génère assez peu d’externalités positives : elle est très utile au fonctionnement de l’économie mais elle est correctement rémunérée pour cela.
Cela n’est malheureusement pas le cas pour d’autres activités professionnelles qui réclament une formation aussi longue que la finance. En particulier, les entrepreneurs et les ingénieurs font émerger des innovations sans en récolter tous les bénéfices : les connaissances se répandent si vite et les produits s’imitent si facilement qu’il est impossible de s’en approprier pleinement les fruits. Pour cette raison, ces carrières sont souvent moins attirantes que la finance alors même que leur contribution à la performance économique est au moins aussi importante.
Ce problème ne date pas d’hier certes : ainsi il est notable qu’en France, les grandes écoles qui mènent aux carrières de chercheur ou d’ingénieur (X, ENS, etc.) sont beaucoup plus subventionnées que les grandes écoles dédiées à la gestion et à la finance (HEC, ESSEC, etc.). A l'extrême, tout le système des corps d'Etat représente une gigantesque subvention des carrières générant le plus d'externalités positives, et tout ceci n'est donc pas dépourvu d'une certaine logique économique.
Mais le fait est que la finance a connu un très fort développement ces 25 dernières années, et le secteur est devenu de plus en plus demandeur de travailleurs qualifiés. La conséquence, c'est que les salaires dans la finance sont devenus de plus en plus intéressants par rapport à ceux offerts aux ingénieurs à formation égale, comme le montre le graphique suivant qui concerne les Etats-Unis, où cette évolution fut probablement la plus précoce :
La préférence de l’Etat pour les formations d’ingénieurs est donc logiquement de plus en plus détournée, puisqu'au sein des diplômés des grandes écoles, les carrières dans les secteurs de la finance sont de plus en plus prisées au détriment des carrières dans l’industrie ou la recherche : alors que les 2/3 des polytechniciens se tournaient vers l’industrie en 1994, ils ne sont plus que 45% aujourd’hui ; de même, alors qu’ils étaient 10% à travailler à l’étranger en 1994, ils sont aujourd’hui 24%. En effet, avec des connaissances de mieux en mieux rémunérées dans le monde entier et des coûts de transports moins élevés qu'auparavant, pourquoi se priver ?
Cette désincitation aux carrières d'ingénieur existe donc bien à la fois aux Etats-Unis et en Europe, à cette différence près qu'aux Etats-Unis, c'est sur le même territoire que sont formés les financiers et qu'ils exercent leur métier alors qu'en Europe, chaque pays a intérêt à attirer les cadres financiers (quitte à promettre de faibles taux d'imposition) en laissant les autres pays former ces personnes, si bien que la tendance à la dévalorisation des métiers d’ingénieur est potentiellement plus importante.
Dans notre cas précis, l'Angleterre n'a même pas à être aussi machiavélique, puisqu'elle bénéficie d'une attractivité « naturelle » qui repose finalement peu sur des décisions politiques avantageuses. En revanche, les pays d'Europe continentale se trouvent dans une situation où leurs investissements dans le supérieur, qui visent à développer l'esprit d'innovation, perdent en rentabilité du fait que ceux qui en bénéficient peuvent choisir des carrières générant moins d'externalités positives sans coût supplémentaire.
Pour prendre un exemple, la Suède a dû mettre un terme en 2001 à un programme de prêts étudiants dont les remboursements dépendaient du salaire perçu durant la vie active : la raison qui fut invoquée était que des bénéficiaires de plus en plus nombreux émigraient et n'étaient donc plus astreints à payer en fonction de leur revenu du moment (faute d'une coopération fiscale suffisante entre la Suède et les pays d'émigration), ce qui contribuait à déséquilibrer très fortement le budget d'une telle mesure.
C'est un exemple d'autant plus parlant que ce type de moyen de financement de l'enseignement supérieur est de plus en plus à la mode : en France, les travaux récents de Robert Gary-Bobo et Alain Trannoy ont contribué à populariser ce type de prêts étudiants, et de tels systèmes, qui existaient auparavant surtout dans les pays scandinaves, se sont développés en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, et même... en Angleterre depuis 2004 ! En effet, ce système permet à la fois de ne pas décourager par des droits d'inscription élevés les étudiants potentiels, et de faire financer l'université par ceux qui en profitent le plus. Pourtant, il est bien évident que ces mesures ne sont efficaces que si les bénéficiaires ne sont pas trop tentés de travailler dans un autre pays que celui de leur formation : en l'absence de coopération fiscale, il est difficile de faire payer l'université par ceux qui en profitent le plus.
En définitive, la forte présence des élites françaises à la City est problématique, non pas parce que ces dernières font de la finance en Angleterre au lieu d'en faire en France, mais parce que cette émigration détourne les éléments de notre système éducatif qui permettaient d'orienter les meilleurs élèves vers les carrières les plus "utiles".
Il existe malheureusement assez peu de solutions nationales à un tel problème, comme le suggère le cas suédois. Sans coopération des administrations fiscales qui permettrait à un pays de faire financer ses universités en partie par les revenus de ses diplômés qui travaillent à l'étranger, il reste difficile de construire un système éducatif résolument tourné vers l'esprit d'innovation.
Un bémol cependant : on peut toujours espérer que la nourriture et la météo anglaises fassent revenir nos golden boys vers des carrières moins lucratives mais plus généreuses...
18 commentaires:
L'idée que la finance est un métier de gros vilains me parait un peu "cliché". Beaucoup d'ouvriers intuitent d'ailleurs que les prestataires de service comme les banques (mais aussi les services administratifs de leur entreprise ou les cadres) ne produisent pas de richesses et ne font que se servir de celle qu'ils créaient eux à l'usine. C'est évidemment en rester à l'économie de la Renaissance, avant laquelle les paysans pensaient être les seuls à produire de la "vraie" richesse.
J'ai plutôt le sentiment (et je suppose que vous partagez ce point de vue de base) que les financiers comme les cadres d'une entreprise ou les administrations de l'Etat créaient de la richesse, tout simplement parce que des gens sont près à payer pour en bénéficier. Et beaucoup de nos énarques n'ont pas compris cela, et donc l'intérêt de l'économie de service.
Et sur l'exemple des financiers, j'ai tendance à penser que si leurs salaires sont élevés, c'est que la demande de travail les concernant s'accélère (qu'il n'y a pas qu'un problème d'offre, de formation).
Mon analyse est qu'il y a encore quelques années l'enjeu était de trouver l'information. La mondialisation et l'Internet (pour faire vite) effacent en partie ce besoin et en créaient un autre : sélectionner l'information. C'est à mon sens la compétence d'avenir, et les financiers en font partie. Le plus difficile (et donc ce qui créait de la valeur) n'est pas de trouver de l'info voire d'innover, mais de sélectionner/organiser les infos ou les innovations. En l'occurrence, les financiers sélectionnent les projets d'entreprise et font fonctionner les marchés qui sélectionnent. C'est une création de richesse très importante, et une compétence rare, donc chère.
Regardez-nous, notre prochain emploi d'économiste (chercheur ou pas ;-) n'est pas de proposer des mesures. Les propositions ne manquent pas. Par contre, pour l'évaluation/sélection/argumentation des meilleures propositions, il devrait y avoir de la demande !!
En ce qui concerne les salaires très élevés dans la finance, se pose le problème de qui fixe les salaires. Les banquiers, par nature, ont un accès direct à l'argent. Vous dites, william, qu'en gros leur rôle consiste à sélectionner quels projets financer ; de fait, il ont le rôle de la nomenklatura du plan dans un état soviétique. Une situation où il est facile de capter la richesse ; est-ce légitime, pour le cadre Soviétique comme pour le banquier ?
Il y a une autre motivation à l'expatriation que je ne vois que rarement citée, c'est la structure du pouvoir dans les entreprises françaises, trusté en fonction des grandes écoles d'origine et bloquant la carrière de ceux qui n'ont pas fait l'école qui va bien. Combien de fois des gens m'ont dit qu'ils sont allés en Angleterre (ou ailleurs) parce que là bas, ils avaient leur chance, pourvu qu'ils fassent des efforts et soient performants. Je me demande si cette dimension a été mesurée, parce qu'elle me semble encore plus importante que la motivation financière.
@ Alexandre Delaigue : j'ai vu passer quelques stats (suite à un sondage) + quelques mots sur le sujet dans Alter Eco de ce mois ci, article de Chevallier "quand les patrons déraillent". Il cite également Philippon ainsi qu'une étude intéressante de Kramarz et Thesmar sur le rôle des réseaux sociaux dans la constitution des conseils d'administration des entreprises françaises.
@ Ecopublix : vous dites "alors que les 2/3 des polytechniciens se tournaient vers l’industrie en 1994, ils ne sont plus que 45% aujourd’hui". Il faudrait prendre en compte un effet changement structurel (tertiarisation de l'économie), qui fait monter mécaniquement le poids des polytechniciens dans le tertiaire. Pour le mesurer, il faudrait avoir les stats sur poids des services aux deux dates, voir si l'augmentation de la représentation des polytechniciens dans les services a été plus forte ou pas. Je n'en suis pas sûr.
Mais ... les financiers sont-ils si bien payés ? Soirée samedi soir remplie de jeunes diplomés d'écoles prestigieuses diverses, nous nous sommes amusés à calculer les salaires nets horaires des uns et des autres. Surprise, les victimes des banques d'affaire sont en bas, ainsi que certains marketeux qui pouvaient s'y attendre et quelques rares ingénieurs clairement exploités, soit en dessous du tarif horaire de la femme de ménage. Ils peuvent espérer des augmentations et bonus juteux les années suivantes, mais le turnover est très fort et beaucoup pensent bifurquer très vite. Etant donné le coût marginal croissant de l'heure travaillée, notamment lorsque cela occupe absolument tout le temps hors besoins vitaux, peut-on dire que les financiers sont si bien rémunérés ? Pas uniquement "ceux qui survivent" et atteignent les hauts postes, mais plutôt le financier moyen.
L'autre face du mystère est que la productivité horaire étant décroissante on pourrait s'attendre à trouver 2 associates à 40h / semaine plutôt qu'un forçat à 80. Les compétences requises sont assez basiques, et la sélection se fait en route. L'organisation catastrophique du travail (il me faut ce rapport pour demain matin) pourrait avec profit être remplacée par des méthodes éprouvées, comme les 3x8, ou travailler beaucoup mais un nombre limité de jours. Je propose comme explication instaisfaisante le besoin important de main d'oeuvre à bas prix, corvéable à merci, qu'on attire par le prestige du métier mais qu'on doit faire fuir avant qu'elle ne coute trop cher. Cela permet aussi de tester plus de monde pour trouver la perle rare.
Les revenus des "jeunes loups de la finance" sont distribués de manière très asymétriques (comment dit-on "highly skewed"?). Ce n'est donc pas étonnant de tomber sur plusieurs personnes mal payées et corvéables pour un petit millier de millionaires. La référence à ce sujet est le livre récent d'Olivier GGodechot. Il montre bien que les revenus dépendent aussi du pouvoir de négociation des acteurs au moment de la répartition des primes, et pas seulement de leur productivité et de leur "talent".
Sur la question des expatries, une petite question. Existe-t-il un moyen d'evaluer l'impact de ces departs sur le pays d'origine?
Outre la formation fournie par le pays d'origine qui induit un cout, le travail dans une entreprise etrangere induit aussi un manque a gagner. Comme le nombre de francais en Grande Bretagne se compte en centaines de milliers, l'effet devient non negligeable. Des etudes ont elles ete realisees sur ce sujet?
Sur la tertiarisation des polytechniciens, le début de carrière typique d'un informaticien en France, même pour un certain nombre de polytechniciens, c'est le passage par les SSII, donc comptabilisé comme tertiaire, qu'on conçoive des missiles, des voitures ou des logiciels de calcul de ValueAtRisk...
Bonsoir,
J'ai entendu très récemment quelqu'un comme C.BEBEAR tenir le même genre de discours lors d'un colloque. Il était très remonté contre tous ces jeunes mathématiciens français qui "faisaient" analystes et qui en fait étaient tous "nuls". Il leur reproche leur caractère "moutonnier" et leur avidité.
Il soulignait lui aussi, pour le regretter, la désaffection pour les carrières techniques.
sea34101 : c'est très difficile d'évaluer valablement l'effet de l'expatriation sur le pays d'origine : tout ce que l'on peut dire c'est qu'il est sûrement moins négatif qu'on ne le croit, et peut-être positif :
http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2007/02/08/752-les-departs-d-expatries-nuisent-ils-a-l-economie-francaise
@ Alexandre : Effectivement c'est tout de suite beaucoup plus complique comme cela ;-). Question aspect positif, j'avais uniquement en tete un effet malthusien a la "un expat en plus a l'etranger = un chomeur en moins en France", mais je n'etais pas vraiment convaincu par l'argument.
@tous : les graphiques de ce post ont disparu, mais le problème ne devrait pas tarder à être réglé.
@william : il ne s'agissait pas dans ce post de dire que la finance était inutile ou bien moins utile que l'activité d'innovation. Et je suis même prêt à m'embarquer avec vous pour dire que la finance est de plus en plus utile. Mais la question que je me pose est celle de savoir si la finance est correctement payée pour les services qu'elle rend ; il me semble que c'est le cas, à la différence de l'activité de production de l'innovation.
@alexandre delaigue : il n'y a pas de doute que la gestion des carrières en France est vraiment calamiteuse par rapport à ce qui se fait chez pas mal de nos voisins. Il y a peu de travaux empiriques là-dessus faute de données. Mais les travaux de Nicholas Bloom et John Van Reenen semblent confirmer cette incapacité française à faire monter ceux qui sont bons plutôt que ceux qui sont très diplômés/expérimentés/potes du patron. Par contre, il est difficile de connaître l'impact précis de cette faiblesse sur l'émigration des cadres français. En particulier, il faudrait savoir combien de Français travaillent à la City sans diplôme très prestigieux : j'en connais et pas mal, mais je connais aussi beaucoup de types de grandes écoles; difficile de trancher à partir de ces anecdotes...
@Olivier Bouba-Olga : le chiffre que vous citez est en effet tout à fait critiquable. Le fait est qu'il est très difficile d'avoir des informations précises sur l'émigration des cadres, puisqu'ils ne sont pas (ou mal) enquêtés par les Instituts statistiques français.
Le chiffre lui-même provient des enquête emploi faites par Polytechnique depuis 1994, et le problème est qu'on ne peut distinguer facilement les métiers de la finance dans ces statistiques.
Néanmoins, après visite du site de l'INSEE, il s'avère qu'entre 1994 et aujourd'hui, la part d'emplois dans l'industrie est passée de 26,1% à 23% (contre effectivement 38,5% en 1974). A première vue, le mouvement de tertiarisation ne semble donc expliquer qu'une faible part de la décrue du nombre de polytechniciens entrant dans l'industrie.
Mais de toute évidence, ces chiffres ne reflètent pas la réalité de manière précise comme l'a rappelé Antonin : certains polytechniciens travaillent officiellement dans le secteur tertiaire tout en contribuant de fait à la production de biens matériels.
Il serait utile d'éplucher les annuaires d'anciens élèves publiés chaque année pour avoir des chiffres plus fiables : qui est volontaire ?
@skav : L'objet de ce post n'était pas d'expliquer les hauts salaires en finance, mais à n'en pas douter, les métiers de la finance ne sont pas de tout repos et une part importante des salaires peut s'expliquer par une pénibilité plus élevée et des horaires de travail "prolongés".
Néanmoins, d'une part, tout dépend de qui l'on parle puisque les inégalités de salaires peuvent être énormes dans ce secteur comme le rappelle Markss; d'autre part, il faut aussi prendre en compte les perspectives de carrière qui permettent d'expliquer pourquoi l'on se tue à la tache dans la finance : donnez rendez-vous à vos amis dans 10 ou 15 ans et vous verrez que les derniers seront (peut-être) les premiers, si j'ose dire !
Sur les déterminants de l'organisation du travail en finance, je vous invite à lire le dernier ouvrage d'Olivier Godechot, qui explique bien comment les salariés en finance sont souvent dans une logique d'appropriation des profits qui les incite à ne pas partager une forme de trading ou un client de banque d'affaires avec d'autres.
@ capitalrix
Lorsque vous dites que les metiers d'innovation (non financieres, s'entend) sont mal retribues, est-ce specifique a la France ou plus general ? Personellement, depuis que je suis "expatrie", ce qui me choque, c'est a quel point justement les metiers lies a l'innovation, les metiers "techniques", sont potentiellement plus retributeurs qu'en France.
Ce type de question a-t-il ete etudie recemment ?
@david : la sous-rétribution des métiers d'innovation est assez "naturelle" puisqu'il est difficile de s'en approprier tous les bienfaits. Evidemment, le problème est que cette sous-rétribution par rapport à une rémunération optimale est extrêmement difficile à mesurer comme c'est le cas pour l'ensemble des externalités (positives comme l'innovation, ou négatives comme la pollution).
Toutefois, comme vous le montre le graphique 2, il semble bien qu'aux Etats-Unis même, à diplôme égal la rémunération des ingénieurs s'est largement détérorée par rapport à celle des financiers. Mais il est possible que ce décalage soit encore plus grand en France : en particulier, il me semble que beaucoup d'ingénieurs français font de remarquables découvertes sans être rétribués en conséquence, faute d'une organisation qui valorise suffisamment bien ces découvertes ; mais je ne connais aucune étude qui ait essayé d'étudier le cas de la France sur ce sujet, et tout cela reste donc encore de nature anecdotique.
En tant qu'ingénieur R&D dans l'industrie je confirme ce que vous dites : mon sentiment et celui de quelques amis/collègues ingénieurs est que pour être bien payé il aurait fallu aller dans les secteurs banque ou finance, et qu'on n'est finalement pas si bien payé que ça (toutes proportions gardées) quand on considère nos compétences et nos horaires. (ce n'est qu'un sentiment, je ne connais pas la réalité)
Je pense que le choix industrie ou finance s'explique pour beaucoup par goût plutôt que par intérêt financier.
La nomenclature cadre financier vs ingenieur me parait pas tres claire ? Comment definit-on un cadre ingenieur ? Pour prendre un exemple caricatural, Hewlett et Packard, G. Moore, ce sont des ingenieurs ?
Par exemple, un bon nombre de grandes entreprises dans des domaines inovants ont ete fondes par des ingenieurs (HP, Intel, Google, etc..), a la suite de leur decouverte, aux US, et je me demandais si ca se retrouvait aux autres niveaux (petites entreprises). On voit beaucoup de "sucess stories" americaines, donc je me demdais si ca correspondait a des differences culturelles seulement (les differents types de carriere sont issus des memes universites, par exemple), ou si d'autres facteurs plus facilement quantifiables pouvaient l'expliquer, ou si c'etait une illusion, comme pourrait laisser le presager le graphe que vous donnez.
@David 2: le fait que "le choix industrie ou finance s'explique pour beaucoup par goût plutôt que par intérêt financier" n'est pas incompatible avec ce que je décris; au contraire, face à des rémunérations trop peu importantes, il est logique que seuls s'engagent dans les carrières "techniques" ceux qui en ont un gôut particulièrement prononcé à même de compenser pour la perte de salaire.
@david : le graphique inclut en effet les ingénieurs qui ont très bien réussi, dans la mesure où ils sont toujours salariés d'une entreprise non financière. Pour les très hauts revenus, cet article suggère qu'aux US, le nombre de financiers dans cette catégorie a plus augmenté que le nombre d'entrepreneurs et de cadres d'entreprises dans le style de Hewlett, Packard et Moore. Les "success stories" entrepreneuriales ne suffisent donc pas à compenser la vague de fortunes financières aux Etats-Unis. Est-ce la même chose en France ? Nul ne le sait vraiment, même s'il semble qu'il y soit moins relaté de "success stories" qu'aux US. En la matière, il faut tout de même se méfier des mythes : on a souvent tendance à exagérer le rêve américain par rapport à ce qui se passe chez nous.
"les 2/3 des polytechniciens se tournaient vers l’industrie en 1994, ils ne sont plus que 45% aujourd’hui ; de même, alors qu’ils étaient 10% à travailler à l’étranger en 1994, ils sont aujourd’hui 24%"
Depuis 1994, il n'y a pas eu un changement de statut avec entre autres la disparition de l'engagement décennal ? Sur le site de l'X, la dernière modification semble dater de 1999, mais je n'ai pas pu mettre la main sur l'ancien statut pour vérifier.
Enregistrer un commentaire