Antoine nous a récemment dévoilé les mécanismes du calcul des cotisations sociales et a souligné leur poids en comparaison de celui de l’impôt sur le revenu. Pour ces cotisations le législateur décide in fine de la relation, même obscure et complexe, entre le revenu et leur montant. Il en est de même pour l’impôt sur le revenu, à la différence notable que celui-ci dépend non seulement du revenu mais aussi de l’état civil du citoyen. En particulier, il doit décider du traitement fiscal des célibataires et des couples mariés. Le législateur gaulois a choisi d’imposer des régimes distincts à ces deux catégories. Mais pourquoi diable un célibataire serait-il taxé différemment d'un couple marié?
I/ Impôt sur le revenu et mariage : fonctionnement
Contrairement à de nombreux pays, la France opère une importante distinction entre célibataires (ou concubins) et couples mariés (ou pacsés) (1). Avant tout, nous devons brièvement rappeler comment est calculé l’impôt sur le revenu, ce qui nous permet aussi de faire une petite révision sur la définition du taux marginal. L’impôt est calculé par « tranches » de revenu imposable. Chaque tranche est caractérisée par un taux, dit taux marginal, qui croît avec le revenu. La loi de finance 2006 a modifié le barème précédent et institué 4 tranches, avec des taux de 0 à 40%. En 2007, les revenus inférieurs à 5614 euros par an ne sont pas taxés, on dit donc que le taux marginal est de 0%. Les revenus compris entre 5614 et 11198 sont taxés au taux marginal de 5,50%. Combien payera un salarié célibataire sans enfant gagnant 10000 euros par an ? Il ne paie rien sur les premiers 5614 euros gagnés, puis 5,50% sur les 4386 euros restants (10000-5614=4386). Il acquittera donc un impôt de (0*5614)+(5,50%*4386)=241 euros. On peut continuer ainsi pour les plus hauts revenus. De 11199 à 24872 euros par an, le taux marginal est de 14%. Un salarié déclarant 20000 euros imposables paiera donc : (0*5614)+5,50%*(11198-5614)+14%*(20000-11199)=1539 euros. Et ainsi de suite, avec des taux à 30 puis 40% pour les revenus au-delà de 66679 euros par an. Le taux est dit marginal car il désigne le taux d’imposition à la marge. Si le salarié avec un revenu de 20000 euros gagne 1 euro de plus, celui-ci sera taxé à 14%. En aucun cas il ne désigne son taux moyen d’imposition. Pour notre salarié à 20000 euros, le taux moyen est de 1539/20000=7,70%, bien loin du taux marginal. Cette distinction taux marginal / taux moyen crée souvent bien des confusions : notre salarié se plaindra de « donner » 14% de son revenu à l’Etat alors qu’il n’en donne en réalité que 7,70%. Ecopublix reviendra dans un prochain post sur cette importante distinction.
Mais revenons à notre problème de taxation des couples. Considérons que notre salarié célibataire se marie et que sa conjointe, elle aussi sans enfant, ne travaille pas. Le revenu total du couple est donc toujours de 20000 euros par an, mais dans cette situation, l’Etat considère que ce revenu provient de deux personnes dans la mesure où il taxe le ménage (le « foyer fiscal »), et non les individus quand ils sont mariés. Il reconnaît donc le partage des ressources au sein du couple. Quel sera le montant de l'impôt dû par nos deux célibataires une fois mariés ? Pour le calculer, on doit diviser le revenu par 2 (le fisc parle de « part fiscale », ou encore de quotient conjugal) et calculer l’impôt correspondant. Nous avons vu plus haut qu’un revenu de 10000 euros par an entraînait un impôt de 241 euros. Finalement on doit multiplier cet impôt par 2. On obtient donc un impôt de 482 euros pour le couple. Résultat, 1539 euros d’impôts pour le célibataire, et 482 euros pour le couple (2). La différence n’est donc pas négligeable.
II/ Est-il fiscalement avantageux de se marier ?
Notre exemple soutient la croyance populaire qui veut qu’il soit fiscalement avantageux de se marier. Il faut cependant nuancer cette idée. L’Insee a récemment publié deux études qui s’attachent à évaluer les gains fiscaux du mariage. Premièrement, il est évident d’après l’explication du quotient conjugal que deux conjoints ayant le même revenu ne gagnent rien à se marier car leur impôt est inchangé. Le gain est fonction croissante de la disparité entre le revenu des deux conjoints. Deuxièmement, si l’on s’en tient au calcul de l’impôt sur le revenu avant déductions, un couple ne peut perdre à se marier. Troisièmement, et c’est là que ça se complique, les déductions d’impôt modifient cette conclusion. Les bas revenus bénéficient d’une décote : si un foyer fiscal paie un impôt (noté I) de moins de 818 euros, alors son impôt est réduit de 414-I/2. Mais vous avez bien lu : si le foyer fiscal paie moins de 818 euros d’impôts ; or le mariage change la définition du foyer fiscal de l’individu isolé au couple. Un célibataire peut donc perdre son droit à la décote à la suite de son mariage si son conjoint a un revenu, de telle sorte que l’impôt du couple dépasse le plafond de 818 euros. Un phénomène similaire est en place pour la prime pour l’emploi. Il existe au final un nombre non négligeable de cas pour lesquels il y a avantage fiscal aux couples en concubinage, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, tiré de Amar et Guérin (2007) et réalisé en utilisant la législation fiscale en vigueur en 2004, modifiée depuis.
III/ Causes et conséquences
Les défenseurs du quotient conjugal arguent qu’il respecte la volonté de partage des ressources au sein du foyer fiscal. Il peut en effet sembler légitime qu’à revenus égaux, un célibataire soit plus taxé qu’un couple. C’est donc un souci d’équité entre foyers (et non entre individus) qui sous-tend le principe du quotient conjugal. Cependant la taxation « à la française » où la femme (le plus souvent) est taxée sur le premier euro qu’elle gagne au même taux que son mari l’est sur le dernier euro qu’il gagne ne semble pas non plus faire preuve de beaucoup d’équité. Cette disparité homme-femme a d’ailleurs en partie poussé des pays comme la Suède à changer leur mode de calcul d’impôt sur le revenu pour des raisons d’égalité entre les sexes.
Beaucoup de pays, dont l’Australie, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Grèce, la Suède, et le Royaume-Uni ont opté pour une taxation individuelle où l’imposition ne dépend pas du revenu du conjoint (3). La tendance internationale des trente dernières années a été de passer d’une taxation jointe à une taxation individuelle. La Suède a par exemple effectué cette réforme en 1971, le Royaume-Uni plus récemment en 1990.
Quels sont les arguments en faveur d’une taxation individuelle ? Reprenons le cas de notre salarié avec un revenu imposable de 20000 euros par an et faisons l’hypothèse que son conjoint hésite à prendre un emploi, payé 10000 euros par an. On peut faire la comparaison des deux systèmes de taxation à l’aide du tableau suivant (nous ignorons de nouveau les différentes déductions afin d’éviter toute complication inutile.
Si le conjoint travaille, le gain financier pour le couple est de 9759 euros si les revenus sont taxés individuellement, mais seulement de 9643 euros dans le cadre d’une taxation jointe. Il y a désincitation au travail du partenaire lorsque les revenus sont taxés conjointement car l’impôt du partenaire dépend du revenu de son conjoint. Cet effet est d’autant plus élevé que le revenu principal l’est. On considère donc que la taxation jointe décourage le travail des femmes (généralement le « second apporteur de revenu ») car elle le taxe à des taux plus élevés (14% contre 5,5% dans notre exemple). Cet argument a souvent mené à son abolition.
Observe-t-on empiriquement un tel effet ? Les évaluations sont malheureusement peu nombreuses et souvent difficiles à réaliser rigoureusement. Elles pointent cependant toutes dans la même direction et confirment la théorie (le lecteur intéressé pourra consulter cet article, ou encore celui-ci, ainsi que cette étude de l’OCDE). La taxation jointe semble bien réduire la participation des femmes sur le marché du travail.
Les défenseurs du système français objecteront que la taxation individuelle est injuste car elle ne fait pas de différence entre un couple et un célibataire ayant les mêmes revenus. Elle néglige la notion de foyer fiscal. Il existe pourtant un moyen simple de restaurer l’équité entre foyers fiscaux sans perdre les avantages de la taxation individuelle : une déduction d’impôt pour les couples dont un membre ne travaille pas. A revenus égaux le célibataire paiera toujours plus d’impôts que le couple, mais les incitations au travail souffriront d’une moindre distortion.
IV/ Conclusion
On peut retenir que les modalités de la taxation des couples doivent trouver un équilibre entre un impôt plus faible pour les couples avec un seul revenu et les désincitations au travail pour le second apporteur de revenu (la femme dans la majorité des cas).
Nous n’avons cependant fait qu’effleurer le problème de la taxation des couples. La théorie de la taxation optimale des couples est récente et complexe et nous ne l’aborderons que très brièvement. La distinction taxation jointe/séparée opère une comparaison entre deux extrêmes. D’un côté les deux partenaires sont taxés identiquement, de l’autre de manière séparée. Il n’y a aucune raison économiquement pour que l’une soit plus optimale que l’autre. Si on considère que le bien-être des individus ne dépend que de leurs propres revenus alors un système complètement individualisé est optimal. Sinon, le calcul de l’impôt doit dépendre du revenu du conjoint, mais pas nécessairement comme le fait la France. Il existe un premier argument simple pour la taxation du second revenu au sein d’un couple. Plusieurs études ont montré que l’offre de travail des femmes mariées est beaucoup plus élastique aux taxes que celle des hommes. Cela signifie que les femmes diminuent plus leur offre de travail que les hommes quand le salaire est taxé. En pratique on observe qu'elles ont tendance à arrêter de travailler si l'impôt sur le revenu augmente, tandis que les hommes ne modifient pas leur comportement. La théorie de la taxation optimale nous apprend que pour minimiser les distortions la taxation doit cibler les biens les moins élastiques. Les femmes devraient donc être moins taxées que les hommes au sein d’un couple. La taxation jointe va exactement à l’encontre de ce principe de base.
Deuxièmement, les quelques modèles de taxation des couples s’accordent pour dire que la taxation strictement individualisée n’est pas optimale puisqu’elle ignore le partage des ressources au sein du foyer. Cependant la taxation jointe n’est pas optimale non plus puisque comme nous l’avons vu elle surtaxe le travail des femmes.
La question de la taxation des couples reste assez ouverte en économie et rassemble de nombreux problèmes qui rendent le sujet épineux. Toute politique fiscale qui cible les bas revenus et conditionnée sur les revenus du couple semble légitime (on veut par exemple éviter que le conjoint d’un ou une milliardaire ne profite de la prime pour l’emploi) mais cela impose des pénalités au mariage et surtout diminue souvent les incitations à la reprise du travail. La prise en compte de ces différents effets est peu aisée sans connaître plus précisément leurs conséquences. Les études empiriques sur ce sujet en France sont particulièrement peu nombreuses et la pratique du quotient conjugal ne repose sur aucun argument économique tangible.
NOTES :
(1) Nous ne traiterons pas ici de la prise en compte des enfants à charge dans le calcul de l’impôt.
(2) Cet exemple ne correspond pas à la réalité car d’autres déductions (décote, prime pour l’emploi) sont à prendre en compte. Il illustre cependant le fonctionnement de l’impôt sur le revenu. Les chiffres sont exacts pour le célibataire mais le couple paiera en réalité seulement 227 euros d’impôt sur le revenu.
(3) Il faut souligner qu’on opère ici une distinction pour le seul impôt sur le revenu. Ces mêmes pays prennent souvent en compte les ressources totales du couple pour l’attribution de bénéfices similaires à la prime pour l’emploi et qui vont réduire l’impôt. Ces différents mécanismes compliquent l’analyse et font que très peu de pays traitent les couples mariés et les célibataires de la même manière.
I/ Impôt sur le revenu et mariage : fonctionnement
Contrairement à de nombreux pays, la France opère une importante distinction entre célibataires (ou concubins) et couples mariés (ou pacsés) (1). Avant tout, nous devons brièvement rappeler comment est calculé l’impôt sur le revenu, ce qui nous permet aussi de faire une petite révision sur la définition du taux marginal. L’impôt est calculé par « tranches » de revenu imposable. Chaque tranche est caractérisée par un taux, dit taux marginal, qui croît avec le revenu. La loi de finance 2006 a modifié le barème précédent et institué 4 tranches, avec des taux de 0 à 40%. En 2007, les revenus inférieurs à 5614 euros par an ne sont pas taxés, on dit donc que le taux marginal est de 0%. Les revenus compris entre 5614 et 11198 sont taxés au taux marginal de 5,50%. Combien payera un salarié célibataire sans enfant gagnant 10000 euros par an ? Il ne paie rien sur les premiers 5614 euros gagnés, puis 5,50% sur les 4386 euros restants (10000-5614=4386). Il acquittera donc un impôt de (0*5614)+(5,50%*4386)=241 euros. On peut continuer ainsi pour les plus hauts revenus. De 11199 à 24872 euros par an, le taux marginal est de 14%. Un salarié déclarant 20000 euros imposables paiera donc : (0*5614)+5,50%*(11198-5614)+14%*(20000-11199)=1539 euros. Et ainsi de suite, avec des taux à 30 puis 40% pour les revenus au-delà de 66679 euros par an. Le taux est dit marginal car il désigne le taux d’imposition à la marge. Si le salarié avec un revenu de 20000 euros gagne 1 euro de plus, celui-ci sera taxé à 14%. En aucun cas il ne désigne son taux moyen d’imposition. Pour notre salarié à 20000 euros, le taux moyen est de 1539/20000=7,70%, bien loin du taux marginal. Cette distinction taux marginal / taux moyen crée souvent bien des confusions : notre salarié se plaindra de « donner » 14% de son revenu à l’Etat alors qu’il n’en donne en réalité que 7,70%. Ecopublix reviendra dans un prochain post sur cette importante distinction.
Mais revenons à notre problème de taxation des couples. Considérons que notre salarié célibataire se marie et que sa conjointe, elle aussi sans enfant, ne travaille pas. Le revenu total du couple est donc toujours de 20000 euros par an, mais dans cette situation, l’Etat considère que ce revenu provient de deux personnes dans la mesure où il taxe le ménage (le « foyer fiscal »), et non les individus quand ils sont mariés. Il reconnaît donc le partage des ressources au sein du couple. Quel sera le montant de l'impôt dû par nos deux célibataires une fois mariés ? Pour le calculer, on doit diviser le revenu par 2 (le fisc parle de « part fiscale », ou encore de quotient conjugal) et calculer l’impôt correspondant. Nous avons vu plus haut qu’un revenu de 10000 euros par an entraînait un impôt de 241 euros. Finalement on doit multiplier cet impôt par 2. On obtient donc un impôt de 482 euros pour le couple. Résultat, 1539 euros d’impôts pour le célibataire, et 482 euros pour le couple (2). La différence n’est donc pas négligeable.
II/ Est-il fiscalement avantageux de se marier ?
Notre exemple soutient la croyance populaire qui veut qu’il soit fiscalement avantageux de se marier. Il faut cependant nuancer cette idée. L’Insee a récemment publié deux études qui s’attachent à évaluer les gains fiscaux du mariage. Premièrement, il est évident d’après l’explication du quotient conjugal que deux conjoints ayant le même revenu ne gagnent rien à se marier car leur impôt est inchangé. Le gain est fonction croissante de la disparité entre le revenu des deux conjoints. Deuxièmement, si l’on s’en tient au calcul de l’impôt sur le revenu avant déductions, un couple ne peut perdre à se marier. Troisièmement, et c’est là que ça se complique, les déductions d’impôt modifient cette conclusion. Les bas revenus bénéficient d’une décote : si un foyer fiscal paie un impôt (noté I) de moins de 818 euros, alors son impôt est réduit de 414-I/2. Mais vous avez bien lu : si le foyer fiscal paie moins de 818 euros d’impôts ; or le mariage change la définition du foyer fiscal de l’individu isolé au couple. Un célibataire peut donc perdre son droit à la décote à la suite de son mariage si son conjoint a un revenu, de telle sorte que l’impôt du couple dépasse le plafond de 818 euros. Un phénomène similaire est en place pour la prime pour l’emploi. Il existe au final un nombre non négligeable de cas pour lesquels il y a avantage fiscal aux couples en concubinage, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, tiré de Amar et Guérin (2007) et réalisé en utilisant la législation fiscale en vigueur en 2004, modifiée depuis.
III/ Causes et conséquences
Les défenseurs du quotient conjugal arguent qu’il respecte la volonté de partage des ressources au sein du foyer fiscal. Il peut en effet sembler légitime qu’à revenus égaux, un célibataire soit plus taxé qu’un couple. C’est donc un souci d’équité entre foyers (et non entre individus) qui sous-tend le principe du quotient conjugal. Cependant la taxation « à la française » où la femme (le plus souvent) est taxée sur le premier euro qu’elle gagne au même taux que son mari l’est sur le dernier euro qu’il gagne ne semble pas non plus faire preuve de beaucoup d’équité. Cette disparité homme-femme a d’ailleurs en partie poussé des pays comme la Suède à changer leur mode de calcul d’impôt sur le revenu pour des raisons d’égalité entre les sexes.
Beaucoup de pays, dont l’Australie, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Grèce, la Suède, et le Royaume-Uni ont opté pour une taxation individuelle où l’imposition ne dépend pas du revenu du conjoint (3). La tendance internationale des trente dernières années a été de passer d’une taxation jointe à une taxation individuelle. La Suède a par exemple effectué cette réforme en 1971, le Royaume-Uni plus récemment en 1990.
Quels sont les arguments en faveur d’une taxation individuelle ? Reprenons le cas de notre salarié avec un revenu imposable de 20000 euros par an et faisons l’hypothèse que son conjoint hésite à prendre un emploi, payé 10000 euros par an. On peut faire la comparaison des deux systèmes de taxation à l’aide du tableau suivant (nous ignorons de nouveau les différentes déductions afin d’éviter toute complication inutile.
Si le conjoint travaille, le gain financier pour le couple est de 9759 euros si les revenus sont taxés individuellement, mais seulement de 9643 euros dans le cadre d’une taxation jointe. Il y a désincitation au travail du partenaire lorsque les revenus sont taxés conjointement car l’impôt du partenaire dépend du revenu de son conjoint. Cet effet est d’autant plus élevé que le revenu principal l’est. On considère donc que la taxation jointe décourage le travail des femmes (généralement le « second apporteur de revenu ») car elle le taxe à des taux plus élevés (14% contre 5,5% dans notre exemple). Cet argument a souvent mené à son abolition.
Observe-t-on empiriquement un tel effet ? Les évaluations sont malheureusement peu nombreuses et souvent difficiles à réaliser rigoureusement. Elles pointent cependant toutes dans la même direction et confirment la théorie (le lecteur intéressé pourra consulter cet article, ou encore celui-ci, ainsi que cette étude de l’OCDE). La taxation jointe semble bien réduire la participation des femmes sur le marché du travail.
Les défenseurs du système français objecteront que la taxation individuelle est injuste car elle ne fait pas de différence entre un couple et un célibataire ayant les mêmes revenus. Elle néglige la notion de foyer fiscal. Il existe pourtant un moyen simple de restaurer l’équité entre foyers fiscaux sans perdre les avantages de la taxation individuelle : une déduction d’impôt pour les couples dont un membre ne travaille pas. A revenus égaux le célibataire paiera toujours plus d’impôts que le couple, mais les incitations au travail souffriront d’une moindre distortion.
IV/ Conclusion
On peut retenir que les modalités de la taxation des couples doivent trouver un équilibre entre un impôt plus faible pour les couples avec un seul revenu et les désincitations au travail pour le second apporteur de revenu (la femme dans la majorité des cas).
Nous n’avons cependant fait qu’effleurer le problème de la taxation des couples. La théorie de la taxation optimale des couples est récente et complexe et nous ne l’aborderons que très brièvement. La distinction taxation jointe/séparée opère une comparaison entre deux extrêmes. D’un côté les deux partenaires sont taxés identiquement, de l’autre de manière séparée. Il n’y a aucune raison économiquement pour que l’une soit plus optimale que l’autre. Si on considère que le bien-être des individus ne dépend que de leurs propres revenus alors un système complètement individualisé est optimal. Sinon, le calcul de l’impôt doit dépendre du revenu du conjoint, mais pas nécessairement comme le fait la France. Il existe un premier argument simple pour la taxation du second revenu au sein d’un couple. Plusieurs études ont montré que l’offre de travail des femmes mariées est beaucoup plus élastique aux taxes que celle des hommes. Cela signifie que les femmes diminuent plus leur offre de travail que les hommes quand le salaire est taxé. En pratique on observe qu'elles ont tendance à arrêter de travailler si l'impôt sur le revenu augmente, tandis que les hommes ne modifient pas leur comportement. La théorie de la taxation optimale nous apprend que pour minimiser les distortions la taxation doit cibler les biens les moins élastiques. Les femmes devraient donc être moins taxées que les hommes au sein d’un couple. La taxation jointe va exactement à l’encontre de ce principe de base.
Deuxièmement, les quelques modèles de taxation des couples s’accordent pour dire que la taxation strictement individualisée n’est pas optimale puisqu’elle ignore le partage des ressources au sein du foyer. Cependant la taxation jointe n’est pas optimale non plus puisque comme nous l’avons vu elle surtaxe le travail des femmes.
La question de la taxation des couples reste assez ouverte en économie et rassemble de nombreux problèmes qui rendent le sujet épineux. Toute politique fiscale qui cible les bas revenus et conditionnée sur les revenus du couple semble légitime (on veut par exemple éviter que le conjoint d’un ou une milliardaire ne profite de la prime pour l’emploi) mais cela impose des pénalités au mariage et surtout diminue souvent les incitations à la reprise du travail. La prise en compte de ces différents effets est peu aisée sans connaître plus précisément leurs conséquences. Les études empiriques sur ce sujet en France sont particulièrement peu nombreuses et la pratique du quotient conjugal ne repose sur aucun argument économique tangible.
NOTES :
(1) Nous ne traiterons pas ici de la prise en compte des enfants à charge dans le calcul de l’impôt.
(2) Cet exemple ne correspond pas à la réalité car d’autres déductions (décote, prime pour l’emploi) sont à prendre en compte. Il illustre cependant le fonctionnement de l’impôt sur le revenu. Les chiffres sont exacts pour le célibataire mais le couple paiera en réalité seulement 227 euros d’impôt sur le revenu.
(3) Il faut souligner qu’on opère ici une distinction pour le seul impôt sur le revenu. Ces mêmes pays prennent souvent en compte les ressources totales du couple pour l’attribution de bénéfices similaires à la prime pour l’emploi et qui vont réduire l’impôt. Ces différents mécanismes compliquent l’analyse et font que très peu de pays traitent les couples mariés et les célibataires de la même manière.
4 commentaires:
"Mais pourquoi diable un célibataire serait-il taxé différemment d'un couple marié?"
"Il peut en effet sembler légitime qu’à revenus égaux, un célibataire soit plus taxé qu’un couple."
En quoi cela est légitime? Economiquement vous montrez bien que ce n'est pas efficace, et moralement le fisc ne devrait pas privilégier ou pénaliser certains contribuables en raison de choix de vie.
C'est le principe d'égalité devant l'impôt qui est en cause. Mais Wikipedia explique que ce principe ne s'applique qu'aux critères d'origine, de race et de religion, et autorise la discrimination dans tous les autres cas...
"une déduction d’impôt pour les couples dont un membre ne travaille pas" : en quoi cela provoquerait-il moins de distorsion ? Certes il n'y en aurait plus entre deux quantités de travail voisines (l'élasticité dont vous parlez après), mais on aurait à la place un effet de seuil beaucoup plus visible.
@ Gu Si Fang: la légitimité vient du fait qu'un couple qui gagne au total 20000 euros par an a un niveau de vie plus faible qu'un célibataire avec le même revenu.
Le fisc ne dirait pas que le principe d'égalité devant l'impôt n'est pas respecté car il vise à une égalité des foyers fiscaux (c'est l'équité horizontale). Le post explique que l'individu n'est généralement pas la meilleure unité fiscale et que les revenus joints doivent, d'une certaine manière, être pris en compte.
Votre point de vue est que l'Etat ne devrait pas pénaliser un mode de vie et donc que la taxation individuelle devrait prévaloir. Il est cependant difficile pour le fisc de rester complètement neutre. Comme expliqué dans le post, la neutralité totale implique que le conjoint d'un milliardaire touche une prime pour l'emploi s'il a un emploi faiblement payé. Si on veut éviter ce genre de choses, on doit conditionner les aides aux ressources du couple et on perd automatiquement la neutralité.
@ Skav: vous avez tout à fait raison, je ne dis d'ailleurs pas qu'il n'y aurait pas de distortions. L'effet de seuil est inévitable mais le but est d'éviter que l'individu ne soit taxé au taux de son conjoint. Pour limiter cet effet la déduction peut être progressivement réduite en fonction du revenu du conjoint qui prend un emploi. Elle n'a pas à tomber à zero immediatement. On pourrait imaginer plus généralement une déduction pour couples mariés qui permettrait de respecter le fait qu'à revenus égaux un célibataire paie plus d'impôts qu'un couple, sans lier pour autant les taux marginaux des conjoints.
Cette démonstration tend à prouver que les femmes doivent être moins taxées que les hommes parce qu'elles n'ont pas intérêt à travailler plus pour payer plus d'impôts.
Tout ceci n'est vrai que si l'homme gagne plus que la femme ... ce point n'est pas abordé dans cette étude.
Avant de détaxer le travail de la femme, il faudrait rééquilibrer les salaires hommes femmes, et le problème ne se pose plus.
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