Xavier Darcos prononçait le 29 août son premier discours de rentrée en tant que ministre de l'Education nationale. Exercice assez convenu, où il importe d'imposer son style et d'annoncer les priorités de l'année, tout en n'en disant pas trop, mais en disant quelque chose quand même. Périlleux, donc, surtout en cette année postélectorale, le candidat Sarkozy n'ayant pas été avare de vues tranchées sur les questions de politique éducative.
Si l'on s'attend légitimement à ce que l'exercice soit parfaitement maîtrisé, c'est évidemment là où il l'est un peu moins qu'il se révèle intéressant. Ainsi lorsque le ministre, évoquant les conséquences pour certains établissements de l'augmentation du nombre de dérogations à la carte scolaire, précise (c'est moi qui souligne) :
« Comme je l'avais annoncé, les établissements qui perdent des élèves conservent cette année les moyens dont ils disposaient précédemment. J'ai demandé aux chefs d'établissement de consacrer ces moyens non pas à la réduction du nombre d'élèves par classe, dont on sait qu'elle est sans effet sur les résultats des élèves, mais à l'amélioration de leur projet d'établissement et au renforcement des actions pédagogiques en direction des élèves. Moins nombreux, mieux encadrés, les élèves de ces établissements devraient ainsi renouer avec la réussite scolaire et rendre à leur établissement son attractivité perdue. »
On peut s'amuser de la contradiction : la réduction du nombre d'élèves par classe est sans effet sur les résultats, mais moins nombreux, ils réussiront mieux. En fait, loin d'être fortuit, le caractère paradoxal de cette phrase vient de ce que ce retrouvent juxtaposés deux niveaux de discours, qui suggèrent des conclusions opposées : un « bon sens » qui pousse chacun, y compris le ministre, à penser que l'on réussit mieux à 15 par classe qu'à 40, et les résultats de nombreuses recherches tendant à appuyer l'idée d’une absence d'effet de la taille des classes sur la réussite scolaire. L'intuition contre la science? C'est un peu plus compliqué que cela, évidemment. Car l’impact de la taille des classes – et des ressources financières en général – est précisément un des domaines où de nouvelles méthodes empiriques sont récemment venues apporter des résultats convaincants, qui viennent assez largement contredire le scepticisme ambiant quant a l’efficacité de politiques ciblées de réduction de la taille des classes que semble reprendre a son compte le ministre dans la première partie de sa phrase. Le fond du sujet a fréquemment été évoqué dans un passé récent, y compris lors de la récente campagne présidentielle. Pour autant – et en s’excusant auprès des lecteurs familiers de ces problématiques – ce genre d’interventions montre qu’il ne semble pas inutile d'y revenir.
Taille des classes et réussite scolaire, le retour
Quelques jours auparavant, dans un chat accordé au journal Le Monde, le ministre se trouvait invité à répondre à la question suivante : « Avez-vous conscience que l'effectif d'une classe est un des facteurs qui conditionnent la motivation des élèves et des enseignants ? ». Réponse du ministre : « Ce que je sais, c'est qu'il y a une corrélation entre le nombre d'élève et le travail en classe, mais que ce n'est pas le seul critère de réussite ». La question est bien entendu de savoir si derrière cette corrélation se cache une causalité. Car s'il existe effectivement une corrélation entre les résultats scolaires des élèves et la taille de leur classe, le fait est qu'elle va dans le sens inverse de ce que pourrait suggérer l’intuition : les élèves qui sont scolarisés dans les classes les plus chargées sont ceux qui ont les meilleurs résultats. D'où la grande difficulté à évaluer rigoureusement l'impact de la taille de la classe fréquentée sur les résultats scolaires.
Le fait de fréquenter une classe peu chargée est ainsi très corrélé avec les caractéristiques des élèves. Pour le dire autrement, les élèves des grandes classes ne sont, en moyenne, pas les mêmes que ceux des petites classes, et ils ont en moyenne des caractéristiques plus favorables à la réussite scolaire. Ainsi en troisième, seuls 39% des élèves scolarisés dans les « petites » classes (23 élèves ou moins) sont d'origine sociale favorisée, contre près de 58% de ceux qui fréquentent des classes chargées (28 élèves ou plus). Ces différences, considérables, ont bien entendu une traduction directe en terme de niveau scolaire : ces mêmes élèves des petites classes de troisième avaient en moyenne obtenu un score de 65 points (sur 100) aux évaluations passées en début de sixième, contre un score de 73,5 points pour les élèves des grandes classes.
La comparaison directe des résultats des élèves des petites et des grandes classes mène donc immanquablement à des résultats biaisés, les élèves n'étant tout simplement pas comparables. En disposant de données de bonne qualité, il est possible de prendre en compte certaines des différences observables entre ces élèves (par exemple, la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau d'éducation de leurs parents, leur passé scolaire, les différences de contexte de scolarisation...). Mais dans la mesure où il est impossible d'observer statistiquement l'ensemble des variables pertinentes pour la réussite scolaire des élèves, il subsiste toujours un biais statistique important. Et ce biais tend à réduire l'impact estimé de la taille des classes.
Il y a pour l’essentiel deux façons de sortir de ce problème :
Il ne s'agit pas de présenter le débat plus général sur l'impact des ressources financières sur la performance scolaire comme tranché : il ne l'est pas, et la littérature internationale présente des analyses tout aussi sérieuses, qui concluent quant à elles à l'absence d'effet. Pour autant, les travaux les plus convaincants dans le cas français sont assez cohérents pour qu'il soit difficile d'affirmer sans autre forme de procès que le nombre d'élèves par classe est sans effet sur la réussite scolaire. Il ne s’agit pas non plus de prôner de manière inconsidérée de nouvelles baisses de la taille des classes, la mesure étant extrêmement coûteuse. Le débat quant aux politiques à mener va bien au-delà de la simple estimation des effets de la taille des classes sur la réussite scolaire, il nécessite de définir clairement les objectifs poursuivis et d’évaluer scrupuleusement les coûts correspondants aux bénéfices attendus. Il n'est question ici que de l'estimation empirique de cet effet, question qui s’est récemment vue apporter des réponses claires. Il semble malheureusement que dans ce débat-là, au moins, les économistes manquent de pédagogie dans la diffusion leurs résultats...
NOTES :
(1) Des seuils comparables, bien que moins élevés, à ceux évoqués plus hauts existent également en France. Ils restent implicites et peuvent varier selon les académies et les caractéristiques des établissements (ainsi le seuil sera plus bas dans les établissements situés en ZEP) mais peuvent être utilisés d'une manière similaire à ceux existant en Israël.
Si l'on s'attend légitimement à ce que l'exercice soit parfaitement maîtrisé, c'est évidemment là où il l'est un peu moins qu'il se révèle intéressant. Ainsi lorsque le ministre, évoquant les conséquences pour certains établissements de l'augmentation du nombre de dérogations à la carte scolaire, précise (c'est moi qui souligne) :
« Comme je l'avais annoncé, les établissements qui perdent des élèves conservent cette année les moyens dont ils disposaient précédemment. J'ai demandé aux chefs d'établissement de consacrer ces moyens non pas à la réduction du nombre d'élèves par classe, dont on sait qu'elle est sans effet sur les résultats des élèves, mais à l'amélioration de leur projet d'établissement et au renforcement des actions pédagogiques en direction des élèves. Moins nombreux, mieux encadrés, les élèves de ces établissements devraient ainsi renouer avec la réussite scolaire et rendre à leur établissement son attractivité perdue. »
On peut s'amuser de la contradiction : la réduction du nombre d'élèves par classe est sans effet sur les résultats, mais moins nombreux, ils réussiront mieux. En fait, loin d'être fortuit, le caractère paradoxal de cette phrase vient de ce que ce retrouvent juxtaposés deux niveaux de discours, qui suggèrent des conclusions opposées : un « bon sens » qui pousse chacun, y compris le ministre, à penser que l'on réussit mieux à 15 par classe qu'à 40, et les résultats de nombreuses recherches tendant à appuyer l'idée d’une absence d'effet de la taille des classes sur la réussite scolaire. L'intuition contre la science? C'est un peu plus compliqué que cela, évidemment. Car l’impact de la taille des classes – et des ressources financières en général – est précisément un des domaines où de nouvelles méthodes empiriques sont récemment venues apporter des résultats convaincants, qui viennent assez largement contredire le scepticisme ambiant quant a l’efficacité de politiques ciblées de réduction de la taille des classes que semble reprendre a son compte le ministre dans la première partie de sa phrase. Le fond du sujet a fréquemment été évoqué dans un passé récent, y compris lors de la récente campagne présidentielle. Pour autant – et en s’excusant auprès des lecteurs familiers de ces problématiques – ce genre d’interventions montre qu’il ne semble pas inutile d'y revenir.
Taille des classes et réussite scolaire, le retour
Quelques jours auparavant, dans un chat accordé au journal Le Monde, le ministre se trouvait invité à répondre à la question suivante : « Avez-vous conscience que l'effectif d'une classe est un des facteurs qui conditionnent la motivation des élèves et des enseignants ? ». Réponse du ministre : « Ce que je sais, c'est qu'il y a une corrélation entre le nombre d'élève et le travail en classe, mais que ce n'est pas le seul critère de réussite ». La question est bien entendu de savoir si derrière cette corrélation se cache une causalité. Car s'il existe effectivement une corrélation entre les résultats scolaires des élèves et la taille de leur classe, le fait est qu'elle va dans le sens inverse de ce que pourrait suggérer l’intuition : les élèves qui sont scolarisés dans les classes les plus chargées sont ceux qui ont les meilleurs résultats. D'où la grande difficulté à évaluer rigoureusement l'impact de la taille de la classe fréquentée sur les résultats scolaires.
Le fait de fréquenter une classe peu chargée est ainsi très corrélé avec les caractéristiques des élèves. Pour le dire autrement, les élèves des grandes classes ne sont, en moyenne, pas les mêmes que ceux des petites classes, et ils ont en moyenne des caractéristiques plus favorables à la réussite scolaire. Ainsi en troisième, seuls 39% des élèves scolarisés dans les « petites » classes (23 élèves ou moins) sont d'origine sociale favorisée, contre près de 58% de ceux qui fréquentent des classes chargées (28 élèves ou plus). Ces différences, considérables, ont bien entendu une traduction directe en terme de niveau scolaire : ces mêmes élèves des petites classes de troisième avaient en moyenne obtenu un score de 65 points (sur 100) aux évaluations passées en début de sixième, contre un score de 73,5 points pour les élèves des grandes classes.
La comparaison directe des résultats des élèves des petites et des grandes classes mène donc immanquablement à des résultats biaisés, les élèves n'étant tout simplement pas comparables. En disposant de données de bonne qualité, il est possible de prendre en compte certaines des différences observables entre ces élèves (par exemple, la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau d'éducation de leurs parents, leur passé scolaire, les différences de contexte de scolarisation...). Mais dans la mesure où il est impossible d'observer statistiquement l'ensemble des variables pertinentes pour la réussite scolaire des élèves, il subsiste toujours un biais statistique important. Et ce biais tend à réduire l'impact estimé de la taille des classes.
Il y a pour l’essentiel deux façons de sortir de ce problème :
- La première consiste à mettre en place des expériences contrôlées, où des élèves comparables sont placés dans des classes de tailles différentes, de sorte que si l’expérience est bien menée, il devientpossible d’observer de manière directe l'impact de la taille des classes sur la réussite et le destin scolaire des élèves concernés, en comparant les résultats des élèves des deux groupes. Diverses expériences de cet ordre ont été mise en place. La plus convaincante, le projet STAR, a été mené dans les années 1980 dans le Tennessee, et son ampleur (l'expérience portait sur près de 12000 élèves) a permis d'en tirer des conclusions solides. L'analyse, plus récente, des données fournies par cette expérience a conduit l’économiste Alan Krueger à montrer que non seulement l'impact sur les résultats d'une taille de classe réduite était important, mais en outre qu'il était durable. Autre élément d'importance, l'impact estimé est plus fort pour les élèves des minorités ethniques ainsi que pour les plus pauvres d'entre eux, que pour les élèves les plus favorisés.
- Une seconde piste consiste à identifier, dans un contexte institutionnel donné, des phénomènes qui ne sont pas liées aux caractéristiques individuelles des élèves mais qui les amènent à fréquenter des classes de taille différente. Dans un langage plus académique, il s'agit d'isoler une source de variation exogène de la taille des classes, qui peut être utilisée comme une « expérience naturelle » pour déterminer l'effet causal de la taille de classe fréquentée. Une méthode en particulier est devenue emblématique de cette approche et a depuis engendré une descendance fournie. Dans un article publié en 1999 dans le Quarterly Journal of Economics, Joshua Angrist et Victor Lavy utilisent une règle édictée par le théologien et philosophe juif Maïmonide selon laquelle une classe ne doit pas compter plus de quarante élèves. Les auteurs exploitent le fait que cette règle édictée au XIIe siècle est toujours appliquée de manière stricte dans les écoles israéliennes. Ainsi dans une école donnée, selon que l'effectif total d'un niveau est de 40 ou de 42 élèves, la taille de classe que connaitront les élèves sera respectivement de 40 ou de 21 élèves. Cette règle induit des variations de la taille de classes qui n'ont rien à voir avec les caractéristiques des élèves, et qui permettent d'isoler l'effet propre de la taille des classes, puisque des élèves comparables sont confrontés à des tailles de classe différentes selon les hasards de la démographie locale. De nombreuses autres stratégies empiriques ont été utilisées, en prenant avantage de l'existence de particularités institutionnelles plus ou moins similaires.
Il ne s'agit pas de présenter le débat plus général sur l'impact des ressources financières sur la performance scolaire comme tranché : il ne l'est pas, et la littérature internationale présente des analyses tout aussi sérieuses, qui concluent quant à elles à l'absence d'effet. Pour autant, les travaux les plus convaincants dans le cas français sont assez cohérents pour qu'il soit difficile d'affirmer sans autre forme de procès que le nombre d'élèves par classe est sans effet sur la réussite scolaire. Il ne s’agit pas non plus de prôner de manière inconsidérée de nouvelles baisses de la taille des classes, la mesure étant extrêmement coûteuse. Le débat quant aux politiques à mener va bien au-delà de la simple estimation des effets de la taille des classes sur la réussite scolaire, il nécessite de définir clairement les objectifs poursuivis et d’évaluer scrupuleusement les coûts correspondants aux bénéfices attendus. Il n'est question ici que de l'estimation empirique de cet effet, question qui s’est récemment vue apporter des réponses claires. Il semble malheureusement que dans ce débat-là, au moins, les économistes manquent de pédagogie dans la diffusion leurs résultats...
NOTES :
(1) Des seuils comparables, bien que moins élevés, à ceux évoqués plus hauts existent également en France. Ils restent implicites et peuvent varier selon les académies et les caractéristiques des établissements (ainsi le seuil sera plus bas dans les établissements situés en ZEP) mais peuvent être utilisés d'une manière similaire à ceux existant en Israël.
2 commentaires:
Passionnante revue référencée sur France démocrate…
http://www.francedemocrate.info/spip.php?breve164
Je suis étonnée que vous ne fassiez pas directement référence à l'étude de Thomas PIKETTY, directeur d’études à l’EHESS
Mathieu VALDENAIRE, doctorant à l’EHESS et moniteur à l’université Paris I
L’impact de la taille
des classes sur la réussite
scolaire dans les écoles,
collèges et lycées français
Estimations à partir du panel primaire 1997
et du panel secondaire 1995 et qui montre une corrélation très nette entre variation des effectifs de la classe et l'évaluation de math en CE2.
disponible en ligne :
http://www.jourdan.ens.fr/piketty/fichiers/public/PikettyValdenaire2006.pdf
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