Le populisme n’a donc ni bornes, ni décence. Après quelques largesses à nos amis bien possessionnés, après ces clabauderies joyeusement poujadistes contre notre fiscalité « confiscatoire », voilà que le spectre d’une quasi-« faillite » de l’Etat repousse l’aiguille de la balance en sens inverse : on voue les déficits publics aux gémonies, et l’on réclame la tête des patrons-voyous. Et l’on ne parle désormais que de taxer les stocks-options, ces infâmes rapines de patrons-Gripsou, qui sont responsables, comme chacun sait, du déficit de la sécurité sociale!
La proposition est alléchante : les stock-options, paraît-il, ne sont pas taxées, ou si peu, elles sont exonérées de cotisations sociales, et elles représenteraient un manque à gagner de près de 4 milliards d’euros pour la Sécu (et hop, en un clin d’œil, on comblerait un tiers du déficit de la Sécu). Banco ! Et c’est Seguin qui propose, en plus ! Avec certification en béton pré-contraint de la Cour des Comptes ! Super banco ! Chez Ecopublix, malheureusement, nous la jouons « Show me the graph ! ». Et les faits, j’en suis bien désolé, sont loin de faire espérer un miracle. Disons, pour faire court que les stocks-options pour sauver la Sécu, c’est un peu comme si Seguin partait chasser la baleine blanche à la fourchette. Ce qui suit permettra j’espère de calmer les ardeurs de notre capitaine Achab.
Il n’est pas inutile d’abord d’expliquer comment fonctionnent ces options de souscriptions et d’achats d’actions, et de faire un peu la lumière sur les prélèvements qu’elles supportent actuellement. En gros, l’entreprise donne à un certain nombre de ses salariés l’opportunité d’acheter des actions à un prix donné : le principe c’est que le prix fixé est le plus souvent le prix actuel de l’action (modulo un rabais qui ne peut excéder 5% dans la plupart des cas, sous peine d’être considéré comme un salaire, les règles habituelles du régime salarial (cotisations etc.) s’appliquant alors à l’avantage consenti). L’opportunité d’achat des actions est assortie d’un délai d’indisponibilité : je ne peux pas acheter les actions tout de suite, je dois attendre un peu. En moyenne, c’est deux ans. Comme au bout de deux ans, il peut arriver que le cours du titre s’apprécie (et c’est bien ce que l’actionnaire souhaite, c’est pourquoi il incite l’équipe dirigeante à intégrer cet objectif), il devient avantageux d’acheter les fameuses actions promises au prix prévu initialement. En « levant » l’option, (c’est-à-dire en acquérant les titres au prix prévu dans le contrat), je réalise une plus-value dite d’acquisition, égale à la différence entre le prix actuel de l’action et le prix auquel je l’achète effectivement. Le cœur du système des stocks-options, c’est bien cette étape d’acquisition. Et c’est cette plus-value qui pose théoriquement problème, nous allons le voir. Car après cela, l’histoire est entendue : je détiens des titres de mon entreprise, et je suis libre de les vendre comme n’importe quel autre actif, réalisant ainsi une plus-value (dite plus-value de cession), ou une moins value le cas échéant.
Une fois passé en revue le fonctionnement, jetons un œil aux prélèvements. Est-il vrai que les stocks-options bénéficient d’un régime avantageux et ne participent pas au financement de notre protection sociale, comme le répètent en cœur notre président et notre premier ministre ? Bah comme toujours : le raccourci est un peu rapide. En ce qui concerne la fiscalité des revenus, les plus-values d’acquisition et de cession sont taxables à un taux proportionnel de 16, 30 ou 40% en fonction du délai d’exercice de l’option, du délai de détention de l’action, et du montant total des plus-values effectuées (je vous la fais en court !). Du point de vue des prélèvements sociaux, la plus value d’acquisition comme la plus value de cession sont assujetties, comme tout revenu de placement à la CSG-CRDS (11%) : les plans d’options contribuent bien à financer la Sécu. Arrêtons donc de faire semblant de croire que ces revenus vivent en parfaite exonération de tout prélèvement. Car le vrai débat est ailleurs : c’est que les stocks-options ne contribuent pas à la protection sociale comme les salaires, qui supportent en plus de la CSG-CRDS les cotisations sociales, legs historique de notre régime de protection sociale. L’enjeu c’est donc de savoir dans quelle mesure la plus-value d’acquisition peut ne pas être considérée comme un élément de salaire. Le législateur, pour préserver le caractère fortement incitatif de ces compléments de rémunération avait adopté une définition bien lâche : si l’acquisition n’est pas effectuée dans les 4 ans suivant l’attribution de l’option, alors elle est bien exonérée de cotisations sociales. Si elle est exercée avant ce délai d’indisponibilité, alors les cotisations classiques sont exigibles, l’avantage étant considéré comme un élément de salaire. A ce propos, il faut bien noter que le problème, une fois de plus, vient de notre système de cotisations sociales assises sur les salaires : des cotisations sociales assises sur la valeur ajoutée évacuerait de fait, et une bonne fois pour toutes, cette question du traitement spécial de certains éléments de rémunération, selon qu’ils sont considérés comme des rémunérations salariales ou non.
A priori, l’idée de revenir sur cette exonération de cotisations sociales n’est pas absurde en soi. Elle paraît même de bon sens. Evidemment, cela alourdirait un peu nos prélèvements sur les stocks-options, ce qui rendrait le tout moins attractif, eu égard à ce qui se fait à l’étranger. Aux Etats-Unis, par exemple, les plus-values d’acquisition et les plus-values de cession sont toutes deux taxées en même temps comme « long term capital gains », et ne paient pas de prélèvements sociaux, parce que la CSG n’existe pas outre-atlantique. Mais après tout, notre marché des grands patrons n’est pas du tout international : en France, grâce à nos amis X-Mines et X-ENA, nous avons un petit pool de patrons bien peu ouvert sur le monde. La question de la compétition en rémunération pour attirer les meilleurs ne semble pas trop se poser pour l’instant. Et au contraire, la fermeture quasi-institutionnelle de ce marché des grands patrons au monde extérieur est plutôt un élément qui semble favoriser l’explosion des rémunérations des top-CEO français. Taxer un peu plus les stock-options ne risque donc pas de détériorer la qualité moyenne des managers français : nous pourrons encore longtemps admirer les moustaches fleuries de Margerie et la barbe-collier de Zacharias. L’idée donc est plutôt bonne, ou disons pas plus bête que la paix. Ce qui rend perplexe c’est son chiffrage, qui a fait l’objet d’un bout de rapport de la Cour des Comptes cette année. En voyant les chiffres, au départ, on a vraiment envie d’y croire. Selon la Cour, les stocks-options distribuées en 2005 représenteraient un total de rémunération d’environ 8.6 milliards d’euros, soit un manque à gagner de 3.3 milliards d’euros pour la Sécurité sociale.
Malheureusement, en rentrant dans le détail, on est un peu ébahi du travail de la Cour des Comptes.
Ce qu’a fait la Cour, c’est grosso modo la chose suivante : ils ont demandé à l’Autorité des Marchés financiers de leur transmettre les données sur toutes les stocks-options consenties en 2005. Et ensuite, ils ont tâché d’établir combien ces stocks-options vont rapporter à leur détenteur au moment de leur choix d’exercer cette option. Il a bien fallu faire des hypothèses sur le comportement de base des détenteurs d’options. L’hypothèse centrale est que la durée moyenne avant l’exercice de l’option est de 6 ans. Ce qui se discute. Mais passons, le problème vient après. Pour savoir ce que vaudra l’option dans 6 ans, la Cour fait cette étrange remarque :
«Pour ce qui concerne la performance des options, la Cour a considéré la performance de l’indice CAC 40 hors dividendes depuis sa création pour un horizon de placement donné. La performance du portefeuille de stock-options est supérieure à celle de l’indice boursier. En effet, l’option est asymétrique : si le cours de l’action est inférieur au prix d’exercice, le détenteur les conservera jusqu’à ce qu’il puisse réaliser un gain. C’est donc la moyenne des seules performances positives de l’indice pour un horizon de temps donné qui a été prise en compte. »
Erreur profonde ! Pourquoi ? Parce que les options ne sont pas valables indéfiniment : elles ont un terme, défini dans le plan de souscription, et en moyenne, égal à 8 ans. Elles sont également annulées quand le salarié quitte l’entreprise. Du coup, les baisses de l’indice comptent : car si au terme du délai, le prix de l’action se situe en-dessous du prix d’achat stipulé dans mon contrat, je ne vais pas exercer l’option, qui va disparaître. Donc les zéros sont importants dans notre affaire ! Donner à toutes les options une valeur positive conduit à gonfler très fortement et très artificiellement la valeur des avantages distribués. Un rapide coup d’œil à quelques rapports annuels de grosses entreprises du CAC, section « options sur actions », suffit pour se convaincre que la durée de validité de l’option compte. En moyenne, plus de 20% des options émises par plans de souscriptions d’EADS finissent par être annulées au terme du délai de validité, idem pour Total, etc. Du coup, le chiffrage opéré par la Cour des Comptes aboutit à des ordres de grandeur qui sont fantaisistes, et que quelques rapides comparaisons suffisent à les démystifier. Selon les chiffres de la DGI, les plus-values enregistrées en 2005 représentent un peu plus de 12 milliards d’euros. Ces plus-values comprennent les plus-values classiques de cession de titres et aussi les plus-values d’acquisition d’options. Si les options réalisaient chaque année, comme l’indique la Cour des Comptes, 8 milliards d’euros de plus-values, elles représenteraient les ¾ de l’ensemble des plus-values sur titre. Or juridiquement, l’ensemble des options distribuées ne peut dépasser 10% de la capitalisation totale, et dans les faits représente environ 5% (d’après ce que l’on peut inférer des chiffres des plus grosses boîtes du CAC 40). On voit donc mal comment 5% des titres peuvent représenter ¾ des plus-values, même s’ils sur-performent nettement par nature les titres détenus de manière classique.
Ça, c’est pour le chiffrage de la valeur des stocks distribués. Après, bien sûr, vient l’évaluation de la perte pour les finances publiques de l’exonération de cotisations sociales. La Cour des Comptes retient une approche comptable. Elle mentionne bien pourtant dans une note de bas de page l’épineuse question de l’élasticité de la distribution des stocks-options au taux de prélèvement (en un mot, si les stocks-options sont plus taxées, il y a de fortes chances pour que la distribution de ce type de rémunérations, devenues relativement moins avantageuses, diminue). Et a priori, tout laisse à penser que c’est typiquement le genre d’assiette fiscale très élastique. Du coup, faire l’hypothèse d’une élasticité nulle fait inévitablement apparaître les gains potentiels pour la Sécu comme prodigieux. Je passe également sur l’hypothèse étrange que la modification de la structure des prélèvements ne modifie pas le timing optimal d’exercice des options : si les stocks-options ne sont plus exonérées de cotisations sociales, il n’y a plus de raisons de respecter le délai d’indisponibilité de 4 ans fixé par le législateur pour être considéré comme un revenu de placement et non comme un salaire. Dans les faits, le délai optimal risque donc dans bien des cas d’être raccourci, et ne sera plus de 6 ans comme cela est imaginé par la Cour des Comptes, ce qui diminuera sensiblement la valeur actualisée des stocks-options distribuées…
Tout ça pour dire que si l’idée de revenir sur l’exonération des stocks-options de cotisations sociales paraît plutôt une bonne idée, imaginer qu’on va ainsi boucher le trou de la Sécu semble assez présomptueux. Alors, bien sûr, c’est bien populiste, et ça fonctionne à pleins tubes, le coup de « on va faire payer ces vilains patrons qui s’en mettent pleins les fouilles ». Mais ça fait sans doute passer à côté de l’essentiel. Car le problème des stocks-options n’est pas tant un problème de fiscalité qu’un problème de gouvernement d’entreprise. Bien sûr, le manque de transparence concernant ces types de rémunérations et leur exercice s’estompe peu à peu, grâce aux obligations déclaratives de plus en plus strictes (merci, une fois de plus, aux directives européennes ; ce qui va créer, soit dit en passant, des sources inédites et d’une grande richesse à exploiter sur les rémunérations des top-CEOs). Mais si les actionnaires ne font pas leur travail de contrôle, et de monitoring, la curée pourra continuer. Et ceci vaut en particulier pour l’Etat, qui a beau taper sur les vilains patrons-voyous, mais n'en demeure pas moins le premier des voyous dans l’affaire des stocks-options d’EADS…
_Camille_
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