samedi 27 octobre 2007

La haine de l’impôt sur les successions


Une fois n’est pas coutume, un court billet pour inviter à quelques lectures sur l’impôt sur les successions, la fameuse « death tax » des Grands-Bretons. The Economist consacre cette semaine sa chronique économique à la défense de cet impôt, remis en cause récemment par de nombreux pays développés. C’est une bonne occasion de relire les arguments essentiels concernant cet impôt, l'un des plus vieux du monde (cf. le bas-relief de Trajan ci-contre), le plus détesté par les citoyens, mais pas tant que cela par les économistes.

Il semble qu’aujourd’hui, la réforme fiscale la plus populaire auprès des gouvernements des pays développés soit la réduction, voire la suppression pure et simple, de l’impôt sur les successions. L’Italie de Berlusconi avait lancé le mouvement, les Etats-Unis de Georges Bush ont procédé à une suppression « provisoire » de l’impôt sur les successions, la France de Nicolas Sarkozy l'a fortement réduit, la Suède l’a supprimé, la plupart des cantons suisses l’ont aboli et, dernier en date, le Royaume-Uni de Gordon Brown vient d’augmenter le plafond d’exonération à la suite d'une très populaire proposition des Conservateurs réclamant le relèvement de ce plafond de 325000 à 1 million de livres (1,45 millions d’Euros).

La popularité de la baisse de l’impôt sur les successions est d’autant plus surprenante que seule une faible minorité de ménages l'acquitte effectivement : moins de 6% des ménages britanniques, moins de 10% des ménages français avant la réforme de 2007. En plus du faible nombre de bénéficiaires, les différentes philosophies politiques concourent à voir dans l’impôt sur les successions un impôt efficace : l’approche marxiste pour ses vertus redistributives, l’approche libérale pour favoriser la remise en cause des situations de rente (on peut à ce sujet se reporter à l'article sur la taxation du patrimoine paru dans le premier numéro de la revue Regards croisés sur l’économie). Les économistes, quant à eux, sont pratiquement unanimes pour souligner que l’impôt sur les successions a peu d’effets négatifs sur les incitations à travailler, alors que les effets négatifs de l'héritage sur l’offre de travail sont avérés (les héritiers travaillent moins) et qu’une baisse de cet impôt conduit en général à augmenter d’autres impôts dont les impacts incitatifs sont beaucoup plus mauvais (impôts sur les revenus du travail par exemple). On pourrait ainsi relire la présentation que le professeur américain Alan Auerbach a donné à l'occasion de la lecture inaugurale de l’IFS en 2006 (cité par The Economist), cet article de Bernard Salanié (qui a voté Sarkozy) ou encore celui-ci, par Thomas Piketty (qui a voté Royal).

Le contraste entre cette unanimité académique et l'unanimité inverse des citoyens de par le monde est pour le moins frappante et invite à réfléchir aux raisons d’une telle haine. L’explication proposée le plus souvent est que les individus considèrent moins l’héritage comme un transfert de richesses que comme la transmission de quelque chose d’intime, agrémenté de souvenirs des parents dont on est en train de faire le deuil. L’autre explication souvent entendue est que d’une façon générale les individus détestent les impôts qu'ils doivent régler par chèque : les impôts que l’on ne voit pas (la TVA ou les cotisations sociales), alors qu'ils représentent 10 fois le montants de l'impôt sur les successions, ne suscitent pas d’opposition car personne ne se rend compte du montant important qu’il paie vraiment. Dans le même ordre d’idées, l’impôt sur les successions est pénible car il est payé en une seule fois dans sa vie au lieu d’être payé progressivement chaque année. Pour cette raison, certains plaident pour un transfert de l’impôt sur les successions vers un impôt annuel sur le patrimoine. Cela éviterait les multiples fuites qu'entraînent les donations exonérées et rendrait moins douloureux le paiement de cet impôt. C'est d'ailleurs ce qu’on fait les Suédois en 2005.

Lire la suite...

lundi 22 octobre 2007

Qui connait Hartz ? (1/3)


Depuis quelques mois, la Gaule a redécouvert l’existence de ses voisins germains. Alexandre d’Econoclaste avait lancé la discussion a propos des commentaires de Munchau dans le Financial Times et les économistes gaulois restent divisés sur l’opportunité de réformer le marché du travail. Pendant ce temps, les Goths accumulent les sesterces depuis que leurs chars de luxe se vendent comme des petits pains aux quatre coins de l’Empire. Certains bardes à Lutèce prétendent que la réorganisation du travail chez les Goths est à l’origine de leur récent essor, d’autres au contraire y voient une politique de Barbares que la Gaule civilisée devrait éviter a tout prix, qu’en est-il exactement?

Les réformes du marché du travail en Allemagne surnommées Hartz, du nom de leur promoteur, ont donné lieu à quatre lois mises en œuvre entre 2003 et 2005, qui rassemblent une dizaine de mesures différentes (voir ici pour un bon papier récapitulatif en anglais). Stricto-sensu, les réformes Hartz ne concernent que les « services sur le marché du travail » i.e. toutes les mesures d’aide au retour à l’emploi. La limitation en 2004 de la durée des allocations à 12 mois (18 pour les plus de 55 ans à partir de 2006) ne fait par exemple pas partie de ces lois, mais relève de la même philosophie. En effet, les lois Hartz ne constituent qu'un aspect de l' « Agenda 2010 », nom de la stratégie mise en place par le gouvernement rouge-vert pour redresser l'économie allemande. Il est intéressant au passage de noter que le nom de la stratégie indiquait dès le départ le fait que ses promoteurs étaient lucides sur le fait que de telles réformes ne portent leurs fruits qu'à moyen terme (ses détracteurs prétendent avec humour que 2010 est la date de péremption du concept…). L' « Agenda 2010 » comprenait notamment la plus grande réforme fiscale réalisée en Allemagne depuis la guerre, ce qui n'a pas facilité la tâche des évaluateurs. Les réformes Hartz sont adossées à la philosophie du « fördern und fordern » (littéralement, encourager et exiger, approche connue en anglais sous le nom welfare to work). L'idée était d' « activer » les bénéficiaires de prestations sociales : de les aider à retrouver un emploi sans les conforter dans leur éloignement du marché du travail. Ces politiques s’opposent aux politiques de l’emploi dites passives (compensation des chômeurs, préretraites, partage du temps de travail) qui ont dominé en Europe pendant les décennies 70 et 80.

Les réformes ont constitué principalement à réorganiser de fond en comble les méthodes d'accueil, de placement et de contrôle des chômeurs, suivant l'idée que les chômeurs, en échange d'un contrôle plus strict, seraient mieux aiguillés, se verraient proposer des formations mieux adaptées et retrouveraient finalement plus rapidement un emploi. Parallèlement à cette réorganisation profonde des ANPE allemandes, un certain nombre de mesures nouvelles ont été introduites, notamment l'Ich-AG (littéralement « société anonyme à moi tout seul »), subvention à la création d'entreprise par les chômeurs.

Ces réformes du marché du travail ont constitué la substance des lois Hartz I à III. Il est à noter que les contrats de travail (notamment la période d’essai) et le système de financement de la protection sociale (le coin socialo-fiscal) n’ont pas été massivement modifiés par ces lois, qui ont finalement remodelé le monde du chômage plus que celui du travail. Une exception importante cependant : les conditions de recours au travail intérimaire ont été largement assouplies. La dernière étape (Hartz IV) de la réforme a, quant à elle, engagé une refonte des minima sociaux en Allemagne. Elle consisté à fusionner le RMI allemand de l'époque (Sozialhilfe) et l'allocation chômage de solidarité (Arbeitslosenhilfe) que les chômeurs de longue durée recevaient après avoir épuisé leurs droits dans le régime assuranciel : cette mesure visait à rassembler en une unique catégorie toutes les personnes éloignées durablement du marché du travail (« second » voir « troisième » marché du travail).

Cette dernière réforme, décidée en 2004 et mise en place début 2005 a conduit à de nombreuses manifestations à l'Est, à une désorganisation massive des ANPE début 2005, à une augmentation vertigineuse des chômeurs inscrits à l'hiver 2005 (et pour cause il fallait s'inscrire au chômage pour bénéficier de la nouvelle allocation unique) et à une dérive brutale des comptes publics, la réforme ayant coûté plus de 10 milliards d'euros de plus que prévu. Finalement, le SPD de Schröder perdit les élections régionales de Rhénanie au printemps (la Rhénanie, dont le PIB est comparable à celui de la Hollande, est le premier Land allemand et un bastion traditionnel du parti social démocrate), ce qui précipita la chute du gouvernement rouge-vert. Au total les lois Hartz se caractérisent, même avant évaluation, par un certain nombre de traits qui méritent d’être médités quand on voit ce que nous avons l’habitude de faire en France : les réformes Hartz ont constitué une étape décisive dans la modernisation des politiques publiques en Allemagne : vision globale, simplification, évaluation :
  • il s’agit d’un véritable train de mesures, qui s’appuie sur un diagnostic simple (le problème du chômage est un problème d’offre de travail) et met en œuvre une série de mesure cohérentes avec ce diagnostic, dans un champ très large puisque finalement même les minima sociaux sont touchés (ils constituent en effet, qui plus est dans un pays sans salaire minimum, un paramètre important sur le segment des bas salaires, qui est évidemment le segment cible des réformes);

  • l’ensemble des mesures ont pour objectif annexe une simplification de l’ensemble des dispositifs et une réduction des coûts ;

  • l’évaluation de la réforme est prévue ex ante (sinon le design, du moins le financement).
Au total, l’approche qui a sous-tendu la conception et la mise en œuvre des réformes Hartz devrait nous inspirer. Nous verrons dans le prochain post qu’elles se sont avérées pour partie inefficaces voire nuisibles, pour partie réussies ; nous verrons aussi que pour certains dispositifs, il est trop tôt pour véritablement porter un jugement. Mais elles ont inauguré une nouvelle manière d’envisager les politiques publiques de l’emploi en Allemagne, que les hommes politiques et le grand public, via une presse de qualité, se sont appropriée et constituent, à ce titre, un progrès indéniable.
_Fabien_

Lire la suite...

jeudi 18 octobre 2007

Vélib', le vélo (presque) gratuit ?


Quelques mois après sa mise en service, le succès du Vélib' est maintenant incontesté (même si certains économistes réfléchissent déjà aux moyens d’améliorer le système). Le consul de la cité se félicite d’avoir réussi son pari de faire rouler les (bobos) lutéciens à bicyclette, et sans même débourser un sesterce ! La ville a en effet inclus la fourniture d’un service de vélo dans l’appel d’offre pour la concession d’affichage publicitaire, finalement remporté par JC Decaux, à l'issue d'un combat des chefs épique avec Clearchannel. Mais cette analyse comptable conduit à conclure bien trop facilement à la bonne affaire pour la Ville. Une analyse économique plus approfondie invite à remettre en cause non seulement l’idée des vélos (presque) gratuits, mais aussi à s’interroger sur la nature bien particulière d’un contrat liant fourniture d’un service public de bicyclettes à la concession d’affichage publicitaire.

D’abord, tordons le cou à l’idée selon laquelle JC Decaux aurait fourni gratuitement à la ville quelque 20600 vélos dans 1451 stations, supportant gracieusement les coûts fixes comme les coûts d’entretien (les premiers représentant, d’après le magazine Challenges, 90 millions d’euros). Certes, d’un point de vue comptable (c’est-à-dire en prenant en compte uniquement les dépenses réellement engagées), l’affaire semble bonne pour la mairie. En effet, le contrat antérieur fixait à 2 millions d’euros la redevance annuelle payée à la ville pour l’exploitation de l’affichage publicitaire, alors que le nouveau contrat prévoit un versement annuel de 3,5 millions d’euros, auquel s’ajouteront les recettes liées à l’exploitation du système Vélib' (qui seront en partie reversées à JC Decaux si l’entreprise remplit certaines conditions sur l’entretien du système). Cependant, si on adopte une approche économique et qu'on considère les coûts d’opportunité (c’est-à-dire les coûts par rapport aux autres opportunités non réalisées), il apparaît que Vélib' n’est pas fourni gratuitement aux lutéciens : en effet, si la Ville avait séparé fourniture de vélos et affichage publicitaire, elle aurait probablement obtenu le paiement d’une redevance plus élevée pour la concession de ce dernier (sachant que les revenus annuels de publicité pour la Ville sont estimés à 60 millions d’euros pour 2009), qui lui auraient permis par ailleurs de financer un service de vélos. La ville paie donc la fourniture de Vélib', en acceptant une redevance publicitaire moindre de la part de JC Decaux, et c’est le contrat couplé de concession publicitaire, fourniture de mobilier urbain et fourniture de vélo qui rend le véritable coût du Vélib' relativement peu transparent.

D’où la question à mille sesterces : mais pourquoi donc, par Toutatis, coupler fourniture de Vélib' et concession publicitaire ? Est-ce plus efficace que de faire deux appels d’offre séparés ? Certes, ce type de contrat couplé est déjà en place pour le mobilier urbain, mais le lien avec l'affichage publicitaire paraît plus évident d'un point de vue économique, dans la mesure où le mobilier urbain sert aussi de support publicitaire et que le design de ce dernier est probablement un élément important pour maximiser les recettes publicitaires (une petite analyse sur le terrain permet notamment de constater l’importance de l’image de marque des abribus, qui sont particulièrement prisées par les marques de luxe, grandes consommatrices de publicité, au détriment des affichages grand format ou dans le métro). Mais ni les vélos, ni les stations Vélib' ne supportent de la publicité, et la nécessité de coupler les deux ne semble pas évidente. Une autre justification possible de ce type de contrat est que la gestion simultanée d'un système de vélos et de l’affichage publicitaire engendre d'importantes économies d'échelles. Mais l'entretien des vélos requiert des compétences propres, et les économies d’échelle entre les deux activités n’ont jamais vraiment été mises en avant.

Ce type de contrat couplé présente néanmoins un inconvénient de taille : il a clairement pour effet de réduire la concurrence pour la fourniture de Vélib', puisqu’il exclut de fait les entreprises qui ne sont pas des afficheurs publicitaires. Or, la fourniture d’un service vélos est un marché encore nouveau, en plein développement, alors que le secteur de l’affichage publicitaire est relativement concentré, avec deux ou trois acteurs mondiaux. Le couplage de la fourniture de vélos et de l’affichage publicitaire réduit donc de fait la concurrence : ainsi, alors que pour l’appel d’offre toulousain, concernant la fourniture de vélos uniquement, quatre candidats étaient en lice (dont deux, Véolia et la coopérative Movimento ne sont pas des afficheurs) ils n’étaient finalement que deux pour Lutèce (Clearchannel et Decaux). Au passage, la bataille entre les deux afficheurs pour la capitale a permis de lever un coin du voile sur les taux de marge habituellement pratiqués par ces derniers. L’offre initiale de JC Decaux pour Lutèce était en effet beaucoup moins généreuse, avec 7500 vélos, 600 stations et 2 millions de redevance annuelle à la mairie pour les recettes, contre une offre concurrente de Clearchannel de 14000 vélos, 850 stations et 3 millions de redevance. Après avoir perdu ce premier appel d’offre, JC Decaux a su trouver un détail juridique permettant de casser la procédure et, connaissant l’offre de son concurrent, il a pu faire une nouvelle offre beaucoup plus généreuse, afin de remporter le marché. Et le retour sur investissement envisagé est encore de 15 à 20 % d’ici à cinq ans (contre, certes, en moyenne 40 % de marge pour l’entreprise dans le secteur du mobilier urbain). Dans ce contexte, il paraît clair qu'en réduisant la concurrence, un contrat couplé affichage publicitaire-vélos ne constitue pas le meilleur moyen pour les collectivités d'obtenir la fourniture d'un service au meilleur coût…

Le contrat couplé permet donc aux spécialistes de l’affichage d’étendre leur pouvoir de marché sur le secteur du service de vélo, non seulement pour Lutèce, mais aussi pour les contrats à venir (après avoir remporté les contrats couplés de Lugdunum et Lutèce, JC Decaux a acquis une expertise qui lui confère un avantage important par rapport aux autres concurrents, et a remporté les contrats non couplés de Tolosa et Massilia…). D’ailleurs, même si la bataille entre Clearchannel et JC Decaux a in fine plutôt profité à la Ville, cette dernière paie maintenant au prix fort l’extension du réseau (en s’engageant à payer 7 millions d’euros par an pour 300 stations en banlieue et 4500 vélos supplémentaires).

Au total, si la mairie de Lutèce a choisi de renégocier prématurément le contrat sur les concessions publicitaires, qui courrait jusqu’en 2010, et d’y coupler la fourniture de Vélib', c’est probablement davantage pour des raisons d’économie politique que par souci d’efficacité économique : sans renégociation du contrat publicitaire, le coût comptable pour la ville de la mise en place d’un service de vélos aurait été probablement élevé, alors que la stratégie choisie donne l’illusion d’une bonne affaire pour la mairie, très appréciable avant les élections ! De plus, comme le contrat court sur 10 ans, le coût réel de Vélib' sera essentiellement supporté lors du prochain mandat...
_Gabrielle_

Lire la suite...

mardi 9 octobre 2007

Réforme fiscale #2 : taxons les stocks-options ?


Le populisme n’a donc ni bornes, ni décence. Après quelques largesses à nos amis bien possessionnés, après ces clabauderies joyeusement poujadistes contre notre fiscalité « confiscatoire », voilà que le spectre d’une quasi-« faillite » de l’Etat repousse l’aiguille de la balance en sens inverse : on voue les déficits publics aux gémonies, et l’on réclame la tête des patrons-voyous. Et l’on ne parle désormais que de taxer les stocks-options, ces infâmes rapines de patrons-Gripsou, qui sont responsables, comme chacun sait, du déficit de la sécurité sociale!

La proposition est alléchante : les stock-options, paraît-il, ne sont pas taxées, ou si peu, elles sont exonérées de cotisations sociales, et elles représenteraient un manque à gagner de près de 4 milliards d’euros pour la Sécu (et hop, en un clin d’œil, on comblerait un tiers du déficit de la Sécu). Banco ! Et c’est Seguin qui propose, en plus ! Avec certification en béton pré-contraint de la Cour des Comptes ! Super banco ! Chez Ecopublix, malheureusement, nous la jouons « Show me the graph ! ». Et les faits, j’en suis bien désolé, sont loin de faire espérer un miracle. Disons, pour faire court que les stocks-options pour sauver la Sécu, c’est un peu comme si Seguin partait chasser la baleine blanche à la fourchette. Ce qui suit permettra j’espère de calmer les ardeurs de notre capitaine Achab.

Il n’est pas inutile d’abord d’expliquer comment fonctionnent ces options de souscriptions et d’achats d’actions, et de faire un peu la lumière sur les prélèvements qu’elles supportent actuellement. En gros, l’entreprise donne à un certain nombre de ses salariés l’opportunité d’acheter des actions à un prix donné : le principe c’est que le prix fixé est le plus souvent le prix actuel de l’action (modulo un rabais qui ne peut excéder 5% dans la plupart des cas, sous peine d’être considéré comme un salaire, les règles habituelles du régime salarial (cotisations etc.) s’appliquant alors à l’avantage consenti). L’opportunité d’achat des actions est assortie d’un délai d’indisponibilité : je ne peux pas acheter les actions tout de suite, je dois attendre un peu. En moyenne, c’est deux ans. Comme au bout de deux ans, il peut arriver que le cours du titre s’apprécie (et c’est bien ce que l’actionnaire souhaite, c’est pourquoi il incite l’équipe dirigeante à intégrer cet objectif), il devient avantageux d’acheter les fameuses actions promises au prix prévu initialement. En « levant » l’option, (c’est-à-dire en acquérant les titres au prix prévu dans le contrat), je réalise une plus-value dite d’acquisition, égale à la différence entre le prix actuel de l’action et le prix auquel je l’achète effectivement. Le cœur du système des stocks-options, c’est bien cette étape d’acquisition. Et c’est cette plus-value qui pose théoriquement problème, nous allons le voir. Car après cela, l’histoire est entendue : je détiens des titres de mon entreprise, et je suis libre de les vendre comme n’importe quel autre actif, réalisant ainsi une plus-value (dite plus-value de cession), ou une moins value le cas échéant.

Une fois passé en revue le fonctionnement, jetons un œil aux prélèvements. Est-il vrai que les stocks-options bénéficient d’un régime avantageux et ne participent pas au financement de notre protection sociale, comme le répètent en cœur notre président et notre premier ministre ? Bah comme toujours : le raccourci est un peu rapide. En ce qui concerne la fiscalité des revenus, les plus-values d’acquisition et de cession sont taxables à un taux proportionnel de 16, 30 ou 40% en fonction du délai d’exercice de l’option, du délai de détention de l’action, et du montant total des plus-values effectuées (je vous la fais en court !). Du point de vue des prélèvements sociaux, la plus value d’acquisition comme la plus value de cession sont assujetties, comme tout revenu de placement à la CSG-CRDS (11%) : les plans d’options contribuent bien à financer la Sécu. Arrêtons donc de faire semblant de croire que ces revenus vivent en parfaite exonération de tout prélèvement. Car le vrai débat est ailleurs : c’est que les stocks-options ne contribuent pas à la protection sociale comme les salaires, qui supportent en plus de la CSG-CRDS les cotisations sociales, legs historique de notre régime de protection sociale. L’enjeu c’est donc de savoir dans quelle mesure la plus-value d’acquisition peut ne pas être considérée comme un élément de salaire. Le législateur, pour préserver le caractère fortement incitatif de ces compléments de rémunération avait adopté une définition bien lâche : si l’acquisition n’est pas effectuée dans les 4 ans suivant l’attribution de l’option, alors elle est bien exonérée de cotisations sociales. Si elle est exercée avant ce délai d’indisponibilité, alors les cotisations classiques sont exigibles, l’avantage étant considéré comme un élément de salaire. A ce propos, il faut bien noter que le problème, une fois de plus, vient de notre système de cotisations sociales assises sur les salaires : des cotisations sociales assises sur la valeur ajoutée évacuerait de fait, et une bonne fois pour toutes, cette question du traitement spécial de certains éléments de rémunération, selon qu’ils sont considérés comme des rémunérations salariales ou non.

A priori, l’idée de revenir sur cette exonération de cotisations sociales n’est pas absurde en soi. Elle paraît même de bon sens. Evidemment, cela alourdirait un peu nos prélèvements sur les stocks-options, ce qui rendrait le tout moins attractif, eu égard à ce qui se fait à l’étranger. Aux Etats-Unis, par exemple, les plus-values d’acquisition et les plus-values de cession sont toutes deux taxées en même temps comme « long term capital gains », et ne paient pas de prélèvements sociaux, parce que la CSG n’existe pas outre-atlantique. Mais après tout, notre marché des grands patrons n’est pas du tout international : en France, grâce à nos amis X-Mines et X-ENA, nous avons un petit pool de patrons bien peu ouvert sur le monde. La question de la compétition en rémunération pour attirer les meilleurs ne semble pas trop se poser pour l’instant. Et au contraire, la fermeture quasi-institutionnelle de ce marché des grands patrons au monde extérieur est plutôt un élément qui semble favoriser l’explosion des rémunérations des top-CEO français. Taxer un peu plus les stock-options ne risque donc pas de détériorer la qualité moyenne des managers français : nous pourrons encore longtemps admirer les moustaches fleuries de Margerie et la barbe-collier de Zacharias. L’idée donc est plutôt bonne, ou disons pas plus bête que la paix. Ce qui rend perplexe c’est son chiffrage, qui a fait l’objet d’un bout de rapport de la Cour des Comptes cette année. En voyant les chiffres, au départ, on a vraiment envie d’y croire. Selon la Cour, les stocks-options distribuées en 2005 représenteraient un total de rémunération d’environ 8.6 milliards d’euros, soit un manque à gagner de 3.3 milliards d’euros pour la Sécurité sociale.

Malheureusement, en rentrant dans le détail, on est un peu ébahi du travail de la Cour des Comptes.

Ce qu’a fait la Cour, c’est grosso modo la chose suivante : ils ont demandé à l’Autorité des Marchés financiers de leur transmettre les données sur toutes les stocks-options consenties en 2005. Et ensuite, ils ont tâché d’établir combien ces stocks-options vont rapporter à leur détenteur au moment de leur choix d’exercer cette option. Il a bien fallu faire des hypothèses sur le comportement de base des détenteurs d’options. L’hypothèse centrale est que la durée moyenne avant l’exercice de l’option est de 6 ans. Ce qui se discute. Mais passons, le problème vient après. Pour savoir ce que vaudra l’option dans 6 ans, la Cour fait cette étrange remarque :

«Pour ce qui concerne la performance des options, la Cour a considéré la performance de l’indice CAC 40 hors dividendes depuis sa création pour un horizon de placement donné. La performance du portefeuille de stock-options est supérieure à celle de l’indice boursier. En effet, l’option est asymétrique : si le cours de l’action est inférieur au prix d’exercice, le détenteur les conservera jusqu’à ce qu’il puisse réaliser un gain. C’est donc la moyenne des seules performances positives de l’indice pour un horizon de temps donné qui a été prise en compte. »


Erreur profonde ! Pourquoi ? Parce que les options ne sont pas valables indéfiniment : elles ont un terme, défini dans le plan de souscription, et en moyenne, égal à 8 ans. Elles sont également annulées quand le salarié quitte l’entreprise. Du coup, les baisses de l’indice comptent : car si au terme du délai, le prix de l’action se situe en-dessous du prix d’achat stipulé dans mon contrat, je ne vais pas exercer l’option, qui va disparaître. Donc les zéros sont importants dans notre affaire ! Donner à toutes les options une valeur positive conduit à gonfler très fortement et très artificiellement la valeur des avantages distribués. Un rapide coup d’œil à quelques rapports annuels de grosses entreprises du CAC, section « options sur actions », suffit pour se convaincre que la durée de validité de l’option compte. En moyenne, plus de 20% des options émises par plans de souscriptions d’EADS finissent par être annulées au terme du délai de validité, idem pour Total, etc. Du coup, le chiffrage opéré par la Cour des Comptes aboutit à des ordres de grandeur qui sont fantaisistes, et que quelques rapides comparaisons suffisent à les démystifier. Selon les chiffres de la DGI, les plus-values enregistrées en 2005 représentent un peu plus de 12 milliards d’euros. Ces plus-values comprennent les plus-values classiques de cession de titres et aussi les plus-values d’acquisition d’options. Si les options réalisaient chaque année, comme l’indique la Cour des Comptes, 8 milliards d’euros de plus-values, elles représenteraient les ¾ de l’ensemble des plus-values sur titre. Or juridiquement, l’ensemble des options distribuées ne peut dépasser 10% de la capitalisation totale, et dans les faits représente environ 5% (d’après ce que l’on peut inférer des chiffres des plus grosses boîtes du CAC 40). On voit donc mal comment 5% des titres peuvent représenter ¾ des plus-values, même s’ils sur-performent nettement par nature les titres détenus de manière classique.

Ça, c’est pour le chiffrage de la valeur des stocks distribués. Après, bien sûr, vient l’évaluation de la perte pour les finances publiques de l’exonération de cotisations sociales. La Cour des Comptes retient une approche comptable. Elle mentionne bien pourtant dans une note de bas de page l’épineuse question de l’élasticité de la distribution des stocks-options au taux de prélèvement (en un mot, si les stocks-options sont plus taxées, il y a de fortes chances pour que la distribution de ce type de rémunérations, devenues relativement moins avantageuses, diminue). Et a priori, tout laisse à penser que c’est typiquement le genre d’assiette fiscale très élastique. Du coup, faire l’hypothèse d’une élasticité nulle fait inévitablement apparaître les gains potentiels pour la Sécu comme prodigieux. Je passe également sur l’hypothèse étrange que la modification de la structure des prélèvements ne modifie pas le timing optimal d’exercice des options : si les stocks-options ne sont plus exonérées de cotisations sociales, il n’y a plus de raisons de respecter le délai d’indisponibilité de 4 ans fixé par le législateur pour être considéré comme un revenu de placement et non comme un salaire. Dans les faits, le délai optimal risque donc dans bien des cas d’être raccourci, et ne sera plus de 6 ans comme cela est imaginé par la Cour des Comptes, ce qui diminuera sensiblement la valeur actualisée des stocks-options distribuées…

Tout ça pour dire que si l’idée de revenir sur l’exonération des stocks-options de cotisations sociales paraît plutôt une bonne idée, imaginer qu’on va ainsi boucher le trou de la Sécu semble assez présomptueux. Alors, bien sûr, c’est bien populiste, et ça fonctionne à pleins tubes, le coup de « on va faire payer ces vilains patrons qui s’en mettent pleins les fouilles ». Mais ça fait sans doute passer à côté de l’essentiel. Car le problème des stocks-options n’est pas tant un problème de fiscalité qu’un problème de gouvernement d’entreprise. Bien sûr, le manque de transparence concernant ces types de rémunérations et leur exercice s’estompe peu à peu, grâce aux obligations déclaratives de plus en plus strictes (merci, une fois de plus, aux directives européennes ; ce qui va créer, soit dit en passant, des sources inédites et d’une grande richesse à exploiter sur les rémunérations des top-CEOs). Mais si les actionnaires ne font pas leur travail de contrôle, et de monitoring, la curée pourra continuer. Et ceci vaut en particulier pour l’Etat, qui a beau taper sur les vilains patrons-voyous, mais n'en demeure pas moins le premier des voyous dans l’affaire des stocks-options d’EADS…
_Camille_

Lire la suite...

jeudi 4 octobre 2007

Size matters : le ministre et la taille des classes


Xavier Darcos prononçait le 29 août son premier discours de rentrée en tant que ministre de l'Education nationale. Exercice assez convenu, où il importe d'imposer son style et d'annoncer les priorités de l'année, tout en n'en disant pas trop, mais en disant quelque chose quand même. Périlleux, donc, surtout en cette année postélectorale, le candidat Sarkozy n'ayant pas été avare de vues tranchées sur les questions de politique éducative.

Si l'on s'attend légitimement à ce que l'exercice soit parfaitement maîtrisé, c'est évidemment là où il l'est un peu moins qu'il se révèle intéressant. Ainsi lorsque le ministre, évoquant les conséquences pour certains établissements de l'augmentation du nombre de dérogations à la carte scolaire, précise (c'est moi qui souligne) :

« Comme je l'avais annoncé, les établissements qui perdent des élèves conservent cette année les moyens dont ils disposaient précédemment. J'ai demandé aux chefs d'établissement de consacrer ces moyens non pas à la réduction du nombre d'élèves par classe, dont on sait qu'elle est sans effet sur les résultats des élèves, mais à l'amélioration de leur projet d'établissement et au renforcement des actions pédagogiques en direction des élèves. Moins nombreux, mieux encadrés, les élèves de ces établissements devraient ainsi renouer avec la réussite scolaire et rendre à leur établissement son attractivité perdue. »

On peut s'amuser de la contradiction : la réduction du nombre d'élèves par classe est sans effet sur les résultats, mais moins nombreux, ils réussiront mieux. En fait, loin d'être fortuit, le caractère paradoxal de cette phrase vient de ce que ce retrouvent juxtaposés deux niveaux de discours, qui suggèrent des conclusions opposées : un « bon sens » qui pousse chacun, y compris le ministre, à penser que l'on réussit mieux à 15 par classe qu'à 40, et les résultats de nombreuses recherches tendant à appuyer l'idée d’une absence d'effet de la taille des classes sur la réussite scolaire. L'intuition contre la science? C'est un peu plus compliqué que cela, évidemment. Car l’impact de la taille des classes – et des ressources financières en général – est précisément un des domaines où de nouvelles méthodes empiriques sont récemment venues apporter des résultats convaincants, qui viennent assez largement contredire le scepticisme ambiant quant a l’efficacité de politiques ciblées de réduction de la taille des classes que semble reprendre a son compte le ministre dans la première partie de sa phrase. Le fond du sujet a fréquemment été évoqué dans un passé récent, y compris lors de la récente campagne présidentielle. Pour autant – et en s’excusant auprès des lecteurs familiers de ces problématiques – ce genre d’interventions montre qu’il ne semble pas inutile d'y revenir.

Taille des classes et réussite scolaire, le retour

Quelques jours auparavant, dans un chat accordé au journal Le Monde, le ministre se trouvait invité à répondre à la question suivante : « Avez-vous conscience que l'effectif d'une classe est un des facteurs qui conditionnent la motivation des élèves et des enseignants ? ». Réponse du ministre : « Ce que je sais, c'est qu'il y a une corrélation entre le nombre d'élève et le travail en classe, mais que ce n'est pas le seul critère de réussite ». La question est bien entendu de savoir si derrière cette corrélation se cache une causalité. Car s'il existe effectivement une corrélation entre les résultats scolaires des élèves et la taille de leur classe, le fait est qu'elle va dans le sens inverse de ce que pourrait suggérer l’intuition : les élèves qui sont scolarisés dans les classes les plus chargées sont ceux qui ont les meilleurs résultats. D'où la grande difficulté à évaluer rigoureusement l'impact de la taille de la classe fréquentée sur les résultats scolaires.

Le fait de fréquenter une classe peu chargée est ainsi très corrélé avec les caractéristiques des élèves. Pour le dire autrement, les élèves des grandes classes ne sont, en moyenne, pas les mêmes que ceux des petites classes, et ils ont en moyenne des caractéristiques plus favorables à la réussite scolaire. Ainsi en troisième, seuls 39% des élèves scolarisés dans les « petites » classes (23 élèves ou moins) sont d'origine sociale favorisée, contre près de 58% de ceux qui fréquentent des classes chargées (28 élèves ou plus). Ces différences, considérables, ont bien entendu une traduction directe en terme de niveau scolaire : ces mêmes élèves des petites classes de troisième avaient en moyenne obtenu un score de 65 points (sur 100) aux évaluations passées en début de sixième, contre un score de 73,5 points pour les élèves des grandes classes.

La comparaison directe des résultats des élèves des petites et des grandes classes mène donc immanquablement à des résultats biaisés, les élèves n'étant tout simplement pas comparables. En disposant de données de bonne qualité, il est possible de prendre en compte certaines des différences observables entre ces élèves (par exemple, la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau d'éducation de leurs parents, leur passé scolaire, les différences de contexte de scolarisation...). Mais dans la mesure où il est impossible d'observer statistiquement l'ensemble des variables pertinentes pour la réussite scolaire des élèves, il subsiste toujours un biais statistique important. Et ce biais tend à réduire l'impact estimé de la taille des classes.

Il y a pour l’essentiel deux façons de sortir de ce problème :
  • La première consiste à mettre en place des expériences contrôlées, où des élèves comparables sont placés dans des classes de tailles différentes, de sorte que si l’expérience est bien menée, il devientpossible d’observer de manière directe l'impact de la taille des classes sur la réussite et le destin scolaire des élèves concernés, en comparant les résultats des élèves des deux groupes. Diverses expériences de cet ordre ont été mise en place. La plus convaincante, le projet STAR, a été mené dans les années 1980 dans le Tennessee, et son ampleur (l'expérience portait sur près de 12000 élèves) a permis d'en tirer des conclusions solides. L'analyse, plus récente, des données fournies par cette expérience a conduit l’économiste Alan Krueger à montrer que non seulement l'impact sur les résultats d'une taille de classe réduite était important, mais en outre qu'il était durable. Autre élément d'importance, l'impact estimé est plus fort pour les élèves des minorités ethniques ainsi que pour les plus pauvres d'entre eux, que pour les élèves les plus favorisés.
  • Une seconde piste consiste à identifier, dans un contexte institutionnel donné, des phénomènes qui ne sont pas liées aux caractéristiques individuelles des élèves mais qui les amènent à fréquenter des classes de taille différente. Dans un langage plus académique, il s'agit d'isoler une source de variation exogène de la taille des classes, qui peut être utilisée comme une « expérience naturelle » pour déterminer l'effet causal de la taille de classe fréquentée. Une méthode en particulier est devenue emblématique de cette approche et a depuis engendré une descendance fournie. Dans un article publié en 1999 dans le Quarterly Journal of Economics, Joshua Angrist et Victor Lavy utilisent une règle édictée par le théologien et philosophe juif Maïmonide selon laquelle une classe ne doit pas compter plus de quarante élèves. Les auteurs exploitent le fait que cette règle édictée au XIIe siècle est toujours appliquée de manière stricte dans les écoles israéliennes. Ainsi dans une école donnée, selon que l'effectif total d'un niveau est de 40 ou de 42 élèves, la taille de classe que connaitront les élèves sera respectivement de 40 ou de 21 élèves. Cette règle induit des variations de la taille de classes qui n'ont rien à voir avec les caractéristiques des élèves, et qui permettent d'isoler l'effet propre de la taille des classes, puisque des élèves comparables sont confrontés à des tailles de classe différentes selon les hasards de la démographie locale. De nombreuses autres stratégies empiriques ont été utilisées, en prenant avantage de l'existence de particularités institutionnelles plus ou moins similaires.
Mais revenons au cas français. Jusque très récemment, les rares études existantes pour la France concluaient pour la plupart à une absence d'effet. Un rapport remis au Haut Conseil à l'Evaluation de l'Ecole (qui a cessé ses activités fin 2005) en 2001 dressait sur la base d'une revue – certes plutôt incomplète – de la littérature existante un constat extrêmement sceptique quant à l'existence d'un effet important. Or les travaux plus récents (celui-ci, celui-là, ou encore celui-là), appliquant des méthodes qui traitent explicitement les biais évoqués ci-dessus (1), mal pris en compte par nombre d'études antérieures, apparaissent remarquablement cohérents et permettent de dresser, dans le cas français, un tableau très différent : la taille des classes a un impact important sur les jeunes élèves, il est particulièrement fort en début de primaire. Quantitativement plus réduit, cet effet reste significatif au collège et tend à disparaître au lycée. Le second résultat remarquable, et que l'on retrouve manière cohérente dans la littérature internationale, est les enfants des milieux les plus modestes sont ceux dont les résultats sont les plus sensibles à la taille des classes : ils seraient donc les principaux bénéficiaires d'une réduction du nombre d'élèves par classe.

Il ne s'agit pas de présenter le débat plus général sur l'impact des ressources financières sur la performance scolaire comme tranché : il ne l'est pas, et la littérature internationale présente des analyses tout aussi sérieuses, qui concluent quant à elles à l'absence d'effet. Pour autant, les travaux les plus convaincants dans le cas français sont assez cohérents pour qu'il soit difficile d'affirmer sans autre forme de procès que le nombre d'élèves par classe est sans effet sur la réussite scolaire. Il ne s’agit pas non plus de prôner de manière inconsidérée de nouvelles baisses de la taille des classes, la mesure étant extrêmement coûteuse. Le débat quant aux politiques à mener va bien au-delà de la simple estimation des effets de la taille des classes sur la réussite scolaire, il nécessite de définir clairement les objectifs poursuivis et d’évaluer scrupuleusement les coûts correspondants aux bénéfices attendus. Il n'est question ici que de l'estimation empirique de cet effet, question qui s’est récemment vue apporter des réponses claires. Il semble malheureusement que dans ce débat-là, au moins, les économistes manquent de pédagogie dans la diffusion leurs résultats...

NOTES :
(1) Des seuils comparables, bien que moins élevés, à ceux évoqués plus hauts existent également en France. Ils restent implicites et peuvent varier selon les académies et les caractéristiques des établissements (ainsi le seuil sera plus bas dans les établissements situés en ZEP) mais peuvent être utilisés d'une manière similaire à ceux existant en Israël.
_Mathieu_

Lire la suite...