S’il est un thème qui semblait faire l'objet d'un certain consensus entre les deux finalistes de l’élection du chef gaulois, c’est bien celui de la carte scolaire : dans le point 10 de son programme présidentiel, Nicolas Sarkozy s’engageait à « [donner] aux familles la possibilité de choisir l’école de leurs enfants » en remplaçant « la carte scolaire par une obligation de mixité sociale, géographique et scolaire des effectifs » pesant sur les établissements. De son côté, rompant en cela avec le discours traditionnel du Parti socialiste sur le sujet, Ségolène Royal déclara dans une interview donnée au Parisien en octobre 2006 qu'elle était disposée à « assouplir la sectorisation pour donner à toutes les familles la liberté de choix ». Aujourd’hui, le ministre de l’Education nationale Xavier Darcos semble vouloir honorer la promesse du nouveau Président en prévoyant la suppression totale de la carte scolaire à l’horizon 2010 pour, dit-il, garantir « une vraie diversité sociale au sein des établissements scolaires ». Faut-il s’en féliciter ? Pas si sûr… Mais avant de discuter l’opportunité de cette suppression et de considérer les pistes de réforme alternatives, commençons par examiner les raisons des ratés de la sectorisation telle qu'elle fonctionne aujourd'hui.
Le débat sur la carte scolaire a suscité d’innombrables analyses et prises de position, dont on peut trouver une bonne synthèse ici. Le sujet a par ailleurs fait l’objet de très bonnes contributions sur les blogs économiques, à commencer par celles d'Optimum et d'Econoclaste.
L’objet du présent post consiste à rappeler de quelques éléments factuels indispensables à une bonne compréhension des enjeux du débat sur la carte scolaire.
La sectorisation : kezako ?
Le principe de sectorisation stipule qu'un élève est scolarisé dans l’établissement scolaire public correspondant à son lieu de résidence. Ce principe ne s'applique pas aux établissements scolaires du secteur privé, qu'ils soient ou non sous contrat avec l'Etat.
La sectorisation fut décidée en 1963 afin d’organiser l’allocation des élèves et des ressources (enseignants, équipements) aux différents établissements scolaires. Ceux-ci allaient en effet devoir faire face à une forte croissance de leurs effectifs avec l’allongement de la scolarité obligatoire à 16 ans (1967) et la mise en place du Collège unique (1975).
A l’origine, la sectorisation n’avait pour autre vocation que celle d’être un instrument prévisionnel de gestion des ressources éducatives : elle permettait de planifier les ouvertures et fermetures de classes en fonction de l’évolution de la démographie locale. Ce n’est que progressivement que ce qui n’était qu’un moyen d’affectation des élèves parmi d’autres s’est transformé en un instrument de promotion de la mixité sociale. Il fallut attendre 2001 pour que la définition de la sectorisation intègre formellement des critères sociaux, la loi de décentralisation de 2004 indiquant dans son article 81 que la définition des secteurs scolaires devrait dorénavant être effectuée « en tenant compte des critères d'équilibre démographique, économique et social, la localisation des établissements, leur capacité d'accueil, leur secteur de recrutement et le mode d'hébergement des élèves ».
A l’heure actuelle, la responsabilité de la sectorisation incombe à différentes autorités selon le degré considéré :
Sectorisation et mixité sociale : une promesse déçue
Près de 40 ans après sa mise en place, il faut bien constater que la sectorisation n’est pas parvenue à homogénéiser le recrutement social des établissements scolaires, au point que certains y voient le symbole suprême de l’« hypocrisie » du système éducatif français.
Le problème ne se pose certes pas avec la même acuité à tous les stades du cursus éducatif : la sectorisation des écoles primaires ne fonctionne pas trop mal, parce que la compétition scolaire y est moins féroce qu’au collège ; au lycée, la possibilité dans certaines villes d’exercer un choix entre plusieurs établissements appartenant au même district (l’académie de Paris en comporte quatre) tend quant à elle à relâcher les contraintes de la carte scolaire après le collège. La sectorisation ne pose pas non plus de véritables difficultés dans les zones rurales ou les petites villes de province où l’espacement géographique suffit à limiter de facto le choix scolaire des familles (81% des collégiens résidant en zone rurale étant scolarisés dans leur collège de secteur contre 66% dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants).
Le problème se situe donc pour l’essentiel dans les grandes agglomérations urbaines, au niveau du collège. Là, le diagnostic est sans appel : dans une étude publié en 2005 par le service statistique du rectorat de l’académie de Paris, Olivier Gilotte et Pierre Girard montrent par exemple que sur les 109 collèges publics que compte l’académie de Paris, les classes de sixième des 58 établissements les plus favorisés (dits « urbains favorisés ») sont composées à 46 % d’élèves issus de catégories socioprofessionnelles privilégiées (chefs d’entreprises, cadres supérieurs, professions libérales, professeurs) contre 18 % issus de milieux modestes (ouvriers et chômeurs) ; à l’autre bout de l’échelle, dans les 17 collèges les moins favorisés (dits « urbains défavorisés »), les proportions s’élèvent à 7 et 51 % respectivement, comme on peut le constater sur le graphique reproduit ci-dessous :
Cette absence de mixité sociale se reflète directement dans les scores moyens obtenus par les élèves aux évaluations de sixième réalisées à la rentrée 2003. Les collégiens des établissements classés « urbains favorisés » obtenaient en moyenne 69/100 en Mathématiques et 70/100 en Français, contre respectivement 52/100 et 57/100 pour les collégiens des établissements classés « urbains défavorisés » :
Il faut noter que cette hétérogénéité des performances scolaires d’un collège à l’autre ne peut être imputée à la qualité intrinsèque des équipes pédagogiques des différents collèges considérés, dans ma mesure où elle est mesurée au moment où les élèves entrent en sixième.
Les causes de l’échec
Comment expliquer de tels écarts ? Deux séries de facteurs peuvent être invoqués :
1/ La faiblesse de la mixité sociale à l’école provient avant tout de l’existence d’une forte ségrégation résidentielle : du fait de la définition même des secteurs scolaires, qui prennent généralement la forme de zones contiguës centrées autour du collège d’affectation, la sectorisation a tendance à se superposer à un tissu urbain déjà très fortement différencié socialement qui lui impose des contraintes dont elle peut difficilement s’affranchir. Et non seulement la carte scolaire s'y superpose, mais elle tend aussi à renforcer la ségrégation résidentielle, dans la mesure où le choix du collège constitue un déterminant non négligeable du choix résidentiel des parents. En comparant les prix des transactions immobilières aux frontières des secteurs scolaires, l'économiste Sandra Black a par exemple montré qu'aux Etats-Unis, les parents d'élèves sont prêts à payer 2,5% de plus au mètre carré pour résider dans un secteur dont l'école obtient des résultats aux tests de 5% plus élevés.
2/ Ensuite, les stratégies de contournement de la sectorisation sont nombreuses. Sans parler des fausses domiciliations et des passe-droits frauduleux, les parents peuvent choisir d’adresser une demande de dérogation au rectorat, pour des motifs plus ou moins sincères : proximité du domicile, rapprochement de frères et sœurs, choix d’une langue rare, etc. Au total, les élèves qui bénéficient d’une dérogation représentent 10% des effectifs scolarisés dans les collèges publics et sont majoritairement issus des couches sociales les plus favorisées, la palme d’or revenant aux enfants… d’enseignants. La principale source d’évitement scolaire demeure néanmoins l’inscription dans un établissement du secteur privé, qui n’est soumis à aucune sectorisation : à l’échelle nationale, les collèges privés scolarisent aujourd’hui près de 20% des élèves, cette proportion dépassant allègrement les 30% à Paris. Largement subventionné à l’origine afin de permettre aux parents qui le désirent d’offrir une éducation religieuse à leurs enfants, l’enseignement privé est rapidement le meilleur moyen d’échapper à la sectorisation à moindre frais, les droits d’inscription fixés par les établissements sous contrat se situant en moyenne autour de 1500 euros par an et par enfant. Davantage encore que pour les dérogations, le recours à l’enseignement privé est le fait des couches sociales les plus aisées, comme l’indique le tableau suivant, extrait d'une note d'information du ministère de l'Education nationale :
On y constate par exemple que 43,2% des enfants de chefs d’entreprises et 28,8% des enfants de cadres ou professions intellectuelles supérieures sont scolarisés dans un collège privé, contre 15,1% des enfants d’employés de services et 11,7% des enfants d’ouvriers non qualifiés.
En privant certains collèges de la fraction la plus aisée des élèves qui résident dans leur secteur, ces différentes formes de contournement de la carte scolaire tendent à accentuer la ségrégation sociale en milieu scolaire, comme l’illustre la carte suivante pour le cas parisien (extraite de l’étude de Gilotte et Girard mentionnée plus haut) :
Cette carte fait apparaître clairement que les collèges du Nord-Est parisien sont doublement touchés par l'évitement scolaire du fait de l'octroi de dérogations d'une part, et des inscriptions dans le privé d'autre part.
Les différents facteurs énumérés dans ce post (forte ségrégation résidentielle, dérogations, inscriptions dans le privé) contribuent à fausser le jeu de la carte scolaire en offrant aux parents les mieux informés toute une panoplie de moyens pour la contourner. Faut-il donc la supprimer ?
Suite au prochain épisode…
Le débat sur la carte scolaire a suscité d’innombrables analyses et prises de position, dont on peut trouver une bonne synthèse ici. Le sujet a par ailleurs fait l’objet de très bonnes contributions sur les blogs économiques, à commencer par celles d'Optimum et d'Econoclaste.
L’objet du présent post consiste à rappeler de quelques éléments factuels indispensables à une bonne compréhension des enjeux du débat sur la carte scolaire.
La sectorisation : kezako ?
Le principe de sectorisation stipule qu'un élève est scolarisé dans l’établissement scolaire public correspondant à son lieu de résidence. Ce principe ne s'applique pas aux établissements scolaires du secteur privé, qu'ils soient ou non sous contrat avec l'Etat.
La sectorisation fut décidée en 1963 afin d’organiser l’allocation des élèves et des ressources (enseignants, équipements) aux différents établissements scolaires. Ceux-ci allaient en effet devoir faire face à une forte croissance de leurs effectifs avec l’allongement de la scolarité obligatoire à 16 ans (1967) et la mise en place du Collège unique (1975).
A l’origine, la sectorisation n’avait pour autre vocation que celle d’être un instrument prévisionnel de gestion des ressources éducatives : elle permettait de planifier les ouvertures et fermetures de classes en fonction de l’évolution de la démographie locale. Ce n’est que progressivement que ce qui n’était qu’un moyen d’affectation des élèves parmi d’autres s’est transformé en un instrument de promotion de la mixité sociale. Il fallut attendre 2001 pour que la définition de la sectorisation intègre formellement des critères sociaux, la loi de décentralisation de 2004 indiquant dans son article 81 que la définition des secteurs scolaires devrait dorénavant être effectuée « en tenant compte des critères d'équilibre démographique, économique et social, la localisation des établissements, leur capacité d'accueil, leur secteur de recrutement et le mode d'hébergement des élèves ».
A l’heure actuelle, la responsabilité de la sectorisation incombe à différentes autorités selon le degré considéré :
- la sectorisation des écoles maternelles et élémentaires est définie par la mairie ;
- la définition des secteurs de recrutement des collèges publics a été transférée en 2004 au Conseil général de chaque département (il s’agissait jusqu’alors d’une compétence du rectorat de chaque académie) ;
- la zone de recrutement des lycées est quant à elle fixée chaque année par un arrêté pris par l’Inspecteur d’académie, en liaison avec le recteur. Dans certaines villes (comme Paris), les parents ont la possibilité de choisir le lycée de leur enfant parmi plusieurs établissements situés dans un même « district ».
Sectorisation et mixité sociale : une promesse déçue
Près de 40 ans après sa mise en place, il faut bien constater que la sectorisation n’est pas parvenue à homogénéiser le recrutement social des établissements scolaires, au point que certains y voient le symbole suprême de l’« hypocrisie » du système éducatif français.
Le problème ne se pose certes pas avec la même acuité à tous les stades du cursus éducatif : la sectorisation des écoles primaires ne fonctionne pas trop mal, parce que la compétition scolaire y est moins féroce qu’au collège ; au lycée, la possibilité dans certaines villes d’exercer un choix entre plusieurs établissements appartenant au même district (l’académie de Paris en comporte quatre) tend quant à elle à relâcher les contraintes de la carte scolaire après le collège. La sectorisation ne pose pas non plus de véritables difficultés dans les zones rurales ou les petites villes de province où l’espacement géographique suffit à limiter de facto le choix scolaire des familles (81% des collégiens résidant en zone rurale étant scolarisés dans leur collège de secteur contre 66% dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants).
Le problème se situe donc pour l’essentiel dans les grandes agglomérations urbaines, au niveau du collège. Là, le diagnostic est sans appel : dans une étude publié en 2005 par le service statistique du rectorat de l’académie de Paris, Olivier Gilotte et Pierre Girard montrent par exemple que sur les 109 collèges publics que compte l’académie de Paris, les classes de sixième des 58 établissements les plus favorisés (dits « urbains favorisés ») sont composées à 46 % d’élèves issus de catégories socioprofessionnelles privilégiées (chefs d’entreprises, cadres supérieurs, professions libérales, professeurs) contre 18 % issus de milieux modestes (ouvriers et chômeurs) ; à l’autre bout de l’échelle, dans les 17 collèges les moins favorisés (dits « urbains défavorisés »), les proportions s’élèvent à 7 et 51 % respectivement, comme on peut le constater sur le graphique reproduit ci-dessous :
Cette absence de mixité sociale se reflète directement dans les scores moyens obtenus par les élèves aux évaluations de sixième réalisées à la rentrée 2003. Les collégiens des établissements classés « urbains favorisés » obtenaient en moyenne 69/100 en Mathématiques et 70/100 en Français, contre respectivement 52/100 et 57/100 pour les collégiens des établissements classés « urbains défavorisés » :
Il faut noter que cette hétérogénéité des performances scolaires d’un collège à l’autre ne peut être imputée à la qualité intrinsèque des équipes pédagogiques des différents collèges considérés, dans ma mesure où elle est mesurée au moment où les élèves entrent en sixième.
Les causes de l’échec
Comment expliquer de tels écarts ? Deux séries de facteurs peuvent être invoqués :
1/ La faiblesse de la mixité sociale à l’école provient avant tout de l’existence d’une forte ségrégation résidentielle : du fait de la définition même des secteurs scolaires, qui prennent généralement la forme de zones contiguës centrées autour du collège d’affectation, la sectorisation a tendance à se superposer à un tissu urbain déjà très fortement différencié socialement qui lui impose des contraintes dont elle peut difficilement s’affranchir. Et non seulement la carte scolaire s'y superpose, mais elle tend aussi à renforcer la ségrégation résidentielle, dans la mesure où le choix du collège constitue un déterminant non négligeable du choix résidentiel des parents. En comparant les prix des transactions immobilières aux frontières des secteurs scolaires, l'économiste Sandra Black a par exemple montré qu'aux Etats-Unis, les parents d'élèves sont prêts à payer 2,5% de plus au mètre carré pour résider dans un secteur dont l'école obtient des résultats aux tests de 5% plus élevés.
2/ Ensuite, les stratégies de contournement de la sectorisation sont nombreuses. Sans parler des fausses domiciliations et des passe-droits frauduleux, les parents peuvent choisir d’adresser une demande de dérogation au rectorat, pour des motifs plus ou moins sincères : proximité du domicile, rapprochement de frères et sœurs, choix d’une langue rare, etc. Au total, les élèves qui bénéficient d’une dérogation représentent 10% des effectifs scolarisés dans les collèges publics et sont majoritairement issus des couches sociales les plus favorisées, la palme d’or revenant aux enfants… d’enseignants. La principale source d’évitement scolaire demeure néanmoins l’inscription dans un établissement du secteur privé, qui n’est soumis à aucune sectorisation : à l’échelle nationale, les collèges privés scolarisent aujourd’hui près de 20% des élèves, cette proportion dépassant allègrement les 30% à Paris. Largement subventionné à l’origine afin de permettre aux parents qui le désirent d’offrir une éducation religieuse à leurs enfants, l’enseignement privé est rapidement le meilleur moyen d’échapper à la sectorisation à moindre frais, les droits d’inscription fixés par les établissements sous contrat se situant en moyenne autour de 1500 euros par an et par enfant. Davantage encore que pour les dérogations, le recours à l’enseignement privé est le fait des couches sociales les plus aisées, comme l’indique le tableau suivant, extrait d'une note d'information du ministère de l'Education nationale :
On y constate par exemple que 43,2% des enfants de chefs d’entreprises et 28,8% des enfants de cadres ou professions intellectuelles supérieures sont scolarisés dans un collège privé, contre 15,1% des enfants d’employés de services et 11,7% des enfants d’ouvriers non qualifiés.
En privant certains collèges de la fraction la plus aisée des élèves qui résident dans leur secteur, ces différentes formes de contournement de la carte scolaire tendent à accentuer la ségrégation sociale en milieu scolaire, comme l’illustre la carte suivante pour le cas parisien (extraite de l’étude de Gilotte et Girard mentionnée plus haut) :
Cette carte fait apparaître clairement que les collèges du Nord-Est parisien sont doublement touchés par l'évitement scolaire du fait de l'octroi de dérogations d'une part, et des inscriptions dans le privé d'autre part.
Les différents facteurs énumérés dans ce post (forte ségrégation résidentielle, dérogations, inscriptions dans le privé) contribuent à fausser le jeu de la carte scolaire en offrant aux parents les mieux informés toute une panoplie de moyens pour la contourner. Faut-il donc la supprimer ?
Suite au prochain épisode…
6 commentaires:
La carte scolaire est donc un système
où l'acheteur paie son produit, l'école, à des tiers :
propriétaire vendeur, bailleur, agent immobilier , qui ne participent pas du tout à sa production.
@ Attila Smith (tiens… je me disais bien que la main invisible devait avoir de lointaines origines barbares) : effectivement, le système d’enseignement primaire et secondaire public fonctionne en France comme un « quasi service public », au sens où la qualité de ses prestations est conditionnée par la location ou l’achat d’un bien immobilier situé à proximité d’un établissement scolaire de bon niveau. Un certain nombre d’acteurs a priori extérieurs au système éducatif (vendeurs, bailleurs, agents immobiliers) sont donc susceptibles d’en retirer des bénéfices sans participer à la production du service éducatif.
Malgré les apparences, cette situation n’est pas en soi choquante, à partir du moment où l’on considère la détention d’un bien immobilier comme un actif comme un autre, en ce qu’il a un prix (loyer réel ou fictif) et permet de toucher un dividende (sous la forme de l’utilité retirée de la fréquentation du collège de secteur). Comme sur un marché financier, il existe des intermédiaires (ici les agents immobiliers) qui interviennent dans le processus de cession et d’achat de titres (sous la forme de ventes ou de locations), sans qu’aucun des protagonistes ne participe directement à la production du service. Ce marché présente néanmoins une différence importante par rapport à un marché de titres « classique » : les actifs immobiliers n’ont pas été émis par le système éducatif en contrepartie d’un appel de fonds visant à financer l’éducation nationale. La création de la carte scolaire a donc eu pour effet de créer une rente au bénéfice des propriétaires d’alors, dans la mesure où la valeur de leurs appartement a intégré la performance de l’établissement de secteur. Mais les propriétaires qui se sont succédés depuis n’ont fait qu’acheter et vendre des actifs sans bénéficier de la même rente.
Cher overzelus,
vous intégrez ma modeste remarque dans un cadre rigoureux et intéressant. Merci de votre commentaire si instructif.
Votre dévoué,
Attila Smith.
à noter : les collectivités territoriales bien tenues font évoluer la secorisation (les périmètres alloués à tel établissement) de sorte à limiter les effets bien identifiés par Attila Smith.
Donc, l'un des moyens de distinguer une collectivité territoriale bien tenue d'une mal tenue est d'examiner l'évolution de la sectorisation scolaire d'année en année.
à défaut, c'est dans le travail d'allocation des moyens (enseignants) faits par les rectorats et dans la pondération de l'attractivité des postes (primes sur postes, volants discrétionnaires, projets soutenus ou non, heures sup forfaitaires, etc.) que l'administration peut ou non faire évoluer la "qualité du service" (ou plutôt l'attractivité de l'établissement pour les enseignants) de tel ou tel établissement.
Stériles jeux de cache-cache, je l'admets.
En fait, l'assouplissement se fait dans un cadrer régulé, sur critères, ce n'est pas un libre-choix :
"Les autorités académiques veilleront à satisfaire le plus grand nombre possible de demandes de dérogation, dans la limite des capacités d’accueil des établissements.
Pour chaque établissement demandé, s’il n’est pas possible de satisfaire toutes les demandes, les dérogations seront accordées en tenant compte de l’ordre de priorité suivant :
- les élèves souffrant d’un handicap
- les élèves boursiers au mérite
- les élèves boursiers sur critères sociaux
- les élèves qui nécessitent une prise en charge médicale importante à proximité de l’établissement demandé
- les élèves qui doivent suivre un parcours scolaire particulier
- les élèves dont un frère ou une sœur est déjà scolarisé(e) dans l'établissement souhaité ;
- les élèves dont le domicile, en limite de secteur, est proche de l’établissement souhaité." [voir http://www.ac-lyon.fr/Assouplissement_de_la_carte_scolaire.html ].
Il se pourrait que, les capacités d'accueil des établissements "attractifs" étant d'ores et déjà saturées, que les futures "dérogeants" aient un profil social plus diversifié, les habituels "dérogeants" étant recalées par l'inspecteur d'académie ou le recteur.
@ Anonyme : il existe certes aujourd’hui des collectivités territoriales qui s’évertuent à redessiner périodiquement les contours de la sectorisation pour éviter de créer des « rentes » qui entretiennent la ségrégation résidentielle. Il faut cependant reconnaître que la grande majorité des collectivités, pour des raisons politiques évidentes, préfère ne pas toucher à la carte scolaire (hormis quelques ajustements ponctuels dictés par les évolutions démographiques), de peur mécontenter certains parents d’élèves qui considèrent que la sectorisation est un « droit acquis ». Une sectorisation « tournante » serait sans doute plus facile à mettre en œuvre si elle était confiée, comme c’était le cas jusqu’en 2004, aux rectorats des différentes académies, un peu moins soumises à la pression des électeurs que les Conseils généraux.
Sur l’allocation différenciée des moyens par les rectorats et la possibilité d’attribuer des primes substantielles aux enseignants qui choisissent de travailler dans les établissements les plus difficiles, je suis entièrement d’accord avec vous (cf. post 3/3)
@ Eric : il semblerait effectivement que la phase « transitoire » évoquée par le ministre Darcos consisterait en un « assouplissement » de la carte scolaire, à travers une augmentation du nombre de dérogations. Je suis d’accord avec vous pour dire que si elle la hiérarchie des critères apparaissant sur le site de l’académie de Lyon est respectée dans les faits, cet assouplissement pourrait avoir pour effet de diversifier le profil social des « dérogeants ». J’y mettrais néanmoins trois bémols :
1/ Il ne faut pas se faire trop d’illusions sur l’ampleur de la diversification sociale qui pourrait en résulter : d’abord, parce que l’augmentation du nombre de dérogations évoquée par le ministre reste assez modeste (le taux de dérogation passerait de 10 à 20%) ; ensuite, parce que dans les faits, les parents qui effectuent une demande de dérogations ont un profil social plus « favorisé » que la moyenne, qui tient notamment à la nécessité de disposer d’une bonne connaissance du niveau comparé des établissements scolaires, en l’absence d’indicateurs publics de performance.
2/ Ce genre de hiérarchie de critères (pas moins de sept ici !) me paraît assez symptomatique d’une tendance bien française à complexifier les règles à l’infini sans trop se soucier des effets pervers que portent en elles les règles trop alambiquées : multiplication des possibilités de fraude, application arbitraire de la règle, avantage donné aux « initiés » par rapport aux « outsiders », etc.
3/ Une telle solution est par essence transitoire et ne peut être généralisée à un système sans sectorisation, qui reste l’objectif que s’est fixé le ministre à l’horizon 2010. On voit mal en effet comment pourrait fonctionner un mode d’allocation dont le premier critère serait l’appartenance sociale, sans référence au niveau absolu de l’élève. Au mieux, on peut envisager la possibilité de tempérer l’effet « stratificateur » du libre choix de son collège par l’introduction de quotas sociaux au niveau des établissements. Ce système n’étant pas sans inconvénients, comme je l’évoque dans le 3e post.
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