Pour alimenter les débat de ce blog, nous allons proposer sur des sujets précis des feuilletons de longue haleine. Nous commençons par l’évaluation des politiques publiques. Pourquoi ? Le sujet peut apparaître aride à certains, digne des débats des commissions du Sénat. Il est pourtant au cœur des motivations qui fondent l’existence de ce blog et de nos travaux de recherche et répond exactement au débat sur le chiffrage des programmes économiques des candidats à l'élection présidentielle.
Depuis le 21 avril 2002, la France semble faire l’expérience d’un décrochage entre citoyens et hommes politiques ou plus généralement entre les citoyens et les « experts » des politiques publiques. Les Français ont l’impression d’avoir abandonné leur souveraineté à des experts dont ils contestent les choix qu’ils soient bureaucrates à Bruxelles, énarques à Paris ou même statisticiens à l’Insee. Le succès des propositions de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy repose largement sur la remise en cause de ceux-ci.
A l’inverse, le constat pratiquement inverse est partagé par les chercheurs en sciences sociales qui déplorent à chaque intervention dans le débat public combien l’évaluation des politiques publiques est en retard en France, combien les données disponibles pour mesurer l’efficacité des politiques sont d’accès difficiles et combien les politiques publiques répondent plus souvent à des impératifs électoraux qu’à des nécessités de long terme.
Ces deux constats sont-ils vraiment contradictoires, opposant la vision d’experts méprisant la démocratie à celle des citoyens qui souhaitent reconquérir une souveraineté disparue ? Notre conviction est qu’il s’agit, au contraire, du même problème qui vient des lacunes de notre système d’évaluation des politiques publiques.
Les administrations publiques taxent 45 % du PIB et en dépensent 48%. Cela représente près de 800 milliards d’Euros en 2005. Ces dépenses sont largement essentielles au fonctionnement de notre pays, la santé, l’éducation, la police, l’armée, les institutions judiciaires, les assurances de retraite, d’invalidité, de maternité, de chômage, l’aide au logement… la liste est longue et non exhaustive. La plupart des débats politiques tournent autour du niveau de prélèvement : trop élevé pour beaucoup, il faut faire des économies, arrêter le « grand gaspillage ». Un débat récent s’intitulait ainsi faut-il augmenter ou baisser les prélèvements obligatoires. Il s’agit finalement d’une vieille rengaine du débat économique : le secteur privé ou le secteur public doivent-ils fournir les biens et les services demandés par la collectivité. Nationalisation contre privatisation, économie administrée contre économie de marché, gauche contre droite ? Cette vision correspond à une vision idéologique de l’économie, un choix des moyens et non des objectifs. A l’inverse, l’approche par l’évaluation des politiques publiques repose sur l’idée que les objectifs sont d’ordre politique, résultat des choix des citoyens, mais que les moyens pour atteindre ces objectifs peuvent être plus ou moins efficaces et doivent donc être soumis à l’analyse.
Le débat économique français reste pourtant cantonné à une vision idéologique des politiques publiques. Les politiques sont classées plus ou moins à droite ou à gauche et on choisit les études économiques qui vont dans le sens du résultat escompté. Le problème est que le plus souvent les effets de ces politiques sont a priori inconnus pour ceux qui ne se reposent pas sur une croyance idéologique. Pour savoir si une politique est efficace, il faut le plus souvent l’évaluer. C’est un travail difficile, minutieux et qui nécessite l’honnêteté intellectuelle de celui qui le mène. Contrairement à une pensée répandue, on ne peut pas faire dire ce que l’on veut aux statistiques !
Pour mener à bien de telles évaluations, de nombreuses conditions doivent être réunies : des chercheurs proches de la recherche académique, évalués par leurs pairs de façon indépendante, mais suffisamment proches des administrations pour connaître les institutions en jeu et pouvoir transmettre leurs résultats au public par la presse.
On est très loin d’un tel système en France. Le constat se nourrit d’un cercle vicieux que l’on pourrait décrire ainsi : le débat économique est notoirement faible ; les journalistes sont souvent accusés de rédiger de piètres articles économiques et de répéter les poncifs idéologiques des uns et des autres. Mais il faut reconnaître que les journalistes n’ont pratiquement pas à leur disposition des analyses économiques de qualité, des conférences de vulgarisation où ils pourraient être conviés. On ne peut pas décemment demander aux journalistes de lire les revues scientifiques en anglais pour traduire à leurs lecteurs les avancées de la recherche économique ! Est-ce alors la faute des chercheurs français ? Pas vraiment. Ceux-ci n’ont pas d’institutions pour communiquer leurs résultats ; ne disposant pas de données françaises gardées jalousement par les administrations, ils se reportent sur les données étrangères (qui intéressent nettement moins le débat national) ou plus souvent sur les questions théoriques… du coup, on n’investit pas dans la recherche sous prétexte que les chercheurs vivent dans leur bulle. Et la boucle est bouclée.
Pour réconcilier les Français avec leurs politiques publiques, il faut deux conditions sine qua non : que celles-ci soient efficaces et que les Français comprennent pourquoi. L’évaluation est un exercice d’expertise et un exercice de citoyenneté. Pour paraphraser Ségolène Royal, « les experts sont des citoyens »…
Ce feuilleton va d’abord aborder la question du problème de l’évaluation (pourquoi évaluer est compliqué : techniquement et institutionnellement), puis faire un bilan de l’évaluation en France, à l’étranger et enfin proposera des réformes.
Depuis le 21 avril 2002, la France semble faire l’expérience d’un décrochage entre citoyens et hommes politiques ou plus généralement entre les citoyens et les « experts » des politiques publiques. Les Français ont l’impression d’avoir abandonné leur souveraineté à des experts dont ils contestent les choix qu’ils soient bureaucrates à Bruxelles, énarques à Paris ou même statisticiens à l’Insee. Le succès des propositions de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy repose largement sur la remise en cause de ceux-ci.
A l’inverse, le constat pratiquement inverse est partagé par les chercheurs en sciences sociales qui déplorent à chaque intervention dans le débat public combien l’évaluation des politiques publiques est en retard en France, combien les données disponibles pour mesurer l’efficacité des politiques sont d’accès difficiles et combien les politiques publiques répondent plus souvent à des impératifs électoraux qu’à des nécessités de long terme.
Ces deux constats sont-ils vraiment contradictoires, opposant la vision d’experts méprisant la démocratie à celle des citoyens qui souhaitent reconquérir une souveraineté disparue ? Notre conviction est qu’il s’agit, au contraire, du même problème qui vient des lacunes de notre système d’évaluation des politiques publiques.
Les administrations publiques taxent 45 % du PIB et en dépensent 48%. Cela représente près de 800 milliards d’Euros en 2005. Ces dépenses sont largement essentielles au fonctionnement de notre pays, la santé, l’éducation, la police, l’armée, les institutions judiciaires, les assurances de retraite, d’invalidité, de maternité, de chômage, l’aide au logement… la liste est longue et non exhaustive. La plupart des débats politiques tournent autour du niveau de prélèvement : trop élevé pour beaucoup, il faut faire des économies, arrêter le « grand gaspillage ». Un débat récent s’intitulait ainsi faut-il augmenter ou baisser les prélèvements obligatoires. Il s’agit finalement d’une vieille rengaine du débat économique : le secteur privé ou le secteur public doivent-ils fournir les biens et les services demandés par la collectivité. Nationalisation contre privatisation, économie administrée contre économie de marché, gauche contre droite ? Cette vision correspond à une vision idéologique de l’économie, un choix des moyens et non des objectifs. A l’inverse, l’approche par l’évaluation des politiques publiques repose sur l’idée que les objectifs sont d’ordre politique, résultat des choix des citoyens, mais que les moyens pour atteindre ces objectifs peuvent être plus ou moins efficaces et doivent donc être soumis à l’analyse.
Le débat économique français reste pourtant cantonné à une vision idéologique des politiques publiques. Les politiques sont classées plus ou moins à droite ou à gauche et on choisit les études économiques qui vont dans le sens du résultat escompté. Le problème est que le plus souvent les effets de ces politiques sont a priori inconnus pour ceux qui ne se reposent pas sur une croyance idéologique. Pour savoir si une politique est efficace, il faut le plus souvent l’évaluer. C’est un travail difficile, minutieux et qui nécessite l’honnêteté intellectuelle de celui qui le mène. Contrairement à une pensée répandue, on ne peut pas faire dire ce que l’on veut aux statistiques !
Pour mener à bien de telles évaluations, de nombreuses conditions doivent être réunies : des chercheurs proches de la recherche académique, évalués par leurs pairs de façon indépendante, mais suffisamment proches des administrations pour connaître les institutions en jeu et pouvoir transmettre leurs résultats au public par la presse.
On est très loin d’un tel système en France. Le constat se nourrit d’un cercle vicieux que l’on pourrait décrire ainsi : le débat économique est notoirement faible ; les journalistes sont souvent accusés de rédiger de piètres articles économiques et de répéter les poncifs idéologiques des uns et des autres. Mais il faut reconnaître que les journalistes n’ont pratiquement pas à leur disposition des analyses économiques de qualité, des conférences de vulgarisation où ils pourraient être conviés. On ne peut pas décemment demander aux journalistes de lire les revues scientifiques en anglais pour traduire à leurs lecteurs les avancées de la recherche économique ! Est-ce alors la faute des chercheurs français ? Pas vraiment. Ceux-ci n’ont pas d’institutions pour communiquer leurs résultats ; ne disposant pas de données françaises gardées jalousement par les administrations, ils se reportent sur les données étrangères (qui intéressent nettement moins le débat national) ou plus souvent sur les questions théoriques… du coup, on n’investit pas dans la recherche sous prétexte que les chercheurs vivent dans leur bulle. Et la boucle est bouclée.
Pour réconcilier les Français avec leurs politiques publiques, il faut deux conditions sine qua non : que celles-ci soient efficaces et que les Français comprennent pourquoi. L’évaluation est un exercice d’expertise et un exercice de citoyenneté. Pour paraphraser Ségolène Royal, « les experts sont des citoyens »…
Ce feuilleton va d’abord aborder la question du problème de l’évaluation (pourquoi évaluer est compliqué : techniquement et institutionnellement), puis faire un bilan de l’évaluation en France, à l’étranger et enfin proposera des réformes.
2 commentaires:
Encore une série d'articles que j'avais loupés. Très intéressant! Merci encore!!
Intéressante série, mais qui laisse l'impression que l'évaluation des politiques publiques est essentiellement, voire uniquement, une affaire d'économistes (alors que d'autres disciplines pourraient aussi avoir leur mot à dire). Faut-il y voir le reflet, l'expression, la traduction, d'une tendance économiciste qui semble largement présente dans maints domaines de l'action publique, et de manière symptomatique dans celui en expansion du "développement durable" ?
Sur les vecteurs et les effets de cette tendance, voir par exemple http://yannickrumpala.wordpress.com/2008/12/05/confirmation_de_tendance/
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