La question de l'absentéisme scolaire agite à nouveau le landerneau. L'idée de supprimer les allocations familiales aux familles dont les enfants font un peu trop souvent l'école buissonnière refait surface, comme un bon vieux serpent de mer. Evidemment, il est plus facile d'agiter des chiffons rouges que de prendre le temps de réfléchir. Essayons pourtant de raisonner tranquillement: pourquoi certains enfants ne vont-ils pas à l'école? Pourquoi est-ce un problème? Et que peut-on bien faire pour y remédier?
Pourquoi certains enfants ne vont-ils pas à l'école? Cette question de l'absentéisme scolaire a reçu une attention particulière avant tout chez les économistes du développement. L'éducation est en effet la pierre angulaire du développement, et comprendre pourquoi les enfants ne vont pas à l'école alors même que l'enseignement est obligatoire et gratuit est un enjeu majeur pour les politiques éducatives des pays en voie de développement. Esther Duflo (que l'on félicite au passage) explique très bien dans le premier chapitre de son bouquin à la République des Idées les différentes raisons qui peuvent expliquer pourquoi les enfants pauvres désertent les salles de classe dans ces pays: programmes scolaires inadaptés, absentéisme des professeurs, coût d'opportunité du travail des enfants, coûts d'équipement (uniformes ou livres), etc. Dans les pays développés, la plupart de ces facteurs sont évidemment moins déterminants. Et la plus grosse partie du problème se joue sans nul doute au niveau de la relation parents/enfants.
Il y a fondamentalement deux types de raisons qui peuvent expliquer que cette relation parent/enfant ne fonctionne pas de manière optimale en termes de choix d'éducation. Le premier écueil peut provenir du fait que les parents eux-mêmes ne poussent pas les enfants à aller à l'école parce qu'ils ne perçoivent pas correctement les bénéfices du fait d'aller à l'école. Il me semble assez peu probable que ce soit l'explication principale de l'absentéisme scolaire en France, car les parents semblent percevoir assez bien les dangers de voir leurs enfants quitter l'école et traîner dans la rue. Pour autant, ce peut être une partie de l'explication, dans les pays en développement notamment. Mais dans ce cas, la politique adéquate à mettre en place est une politique d'information plutôt que de répression. Jensen a par exemple montré que les bénéfices scolaires sont clairement sous-estimé en République Dominicaine et qu'en fournissant de l'information sur les bénéfices réels, il était possible de réduire l'absentéisme chez les élèves les moins pauvres. (Cf. une fois de plus le bouquin d'E. Duflo qui évalue l'efficacité des différentes manières possibles d'informer les parents sur les bénéfices de scolariser leurs enfants.)
Le deuxième problème, qui à mon sens est le nerf de la guerre, c'est que les parents ne parviennent pas a contrôler correctement les actions de leurs enfants. C'est ce qu'on appelle communément chez les économistes un "problème d'agence" des plus classiques. Les parents ("le principal") veulent mettre leur enfant (l'agent) à l'école. Mais, premièrement, l'agent et le principal ont des objectifs divergents (l'enfant veut aller brûler des voitures parce que c'est plus marrant que d'apprendre les identités remarquables) et deuxièmement, le principal ne peut pas contrôler parfaitement les actions de l'agent (il y a asymétrie d'information, parce que l'enfant peut sécher sans que les parents s'en rendent complètement compte) et donc il y a risque d'aléa moral du point de vue de l'agent, c'est-à-dire que l'enfant va choisir un niveau de présence scolaire inférieur à celui souhaité par les parents. Les parents peuvent exercer un monitoring plus ou moins important pour tâcher de réduire cet aléa moral, mais ce monitoring est coûteux (conflits au sein du foyer, coût d'opportunité du temps passé à être derrière les enfants, etc...). Quelle est donc la meilleure solution pour atténuer ce problème d'agence?
La première solution c'est le paternalisme bien conservateur, c'est-à-dire punir les parents dont on soupçonne le monitoring de n'être pas suffisamment efficace. On peut donc à peu près tout envisager ici, et je m'étonne presque de ne pas encore avoir vu dans le programme de l'UMP des propositions telles que déchoir de leur nationalité française ces pourritures de parents polygames dont les enfants désertent les cours de recré, ou encore châtrer les pères de famille dont les enfants sèchent l'école... De manière un peu moins radicale, on peut aussi envisager de sucrer les allocations familiales aux parents dont les enfants sont trop souvent absents. L'idée de base, c'est que du fait du coût de monitoring, le niveau de contrôle choisi par les parents est socialement sous-optimal, du coup il faut forcer les parents à être plus dur avec les enfants, et pour ce faire on créé une amende qui génére une incitation pour le principal à choisir un niveau de monitoring plus élevé. Dans le monde de l'entreprise (ou un problème similaire d'agence existe entre les actionnaires (le principal) et les dirigeants (l'agent)), l'équivalent d'un tel schéma serait d'imposer une amende aux actionnaires qui n'exercent pas leur droit de vote afin de les obliger à monitorer plus directement les actions du principal. C'est pas idiot en soi. Mais dans le cas de l'absentéisme scolaire, il est peu probable que ce soit efficace. D'abord parce que ce type de mesure n'est vraiment efficace que lorsque le niveau de contrôle choisi par le principal (les parents, les actionnaires) est vraiment très inférieur au niveau optimal. C'est sans doute le cas pour les petits actionnaires, car le coût d'aller voter est bien supérieur aux bénéfices qu'une voix parmi des milliers risque d'apporter en termes de contrôle sur la politique des dirigeants. C'est je pense beaucoup moins vrai dans le cas des familles, car pour les parents, le coût de l'absentéisme scolaire est vraiment très visible, immédiat et plutôt correctement perçu par les parents. Ensuite parce que ce type de mesure n'est efficace que lorsque les problèmes de contrôle (les asymétries d'informations) sont faibles. (En gros, pour ceux que cela intéresse, ce type de mesure est optimal lorsqu'il n'y a aucun problème d'information et que donc le "rotten-kid theorem" de Becker s'applique). Par ailleurs, du point de vue de la justice sociale, ca me paraît très sous-optimal d'instituer une forme de double-peine de la sorte. S'il peut être utile de créer des incitations à augmenter le niveau de monitoring, il me semble que faire entièrement porter à ces familles (souvent pauvres) le coût de ce monitoring additionnel (et je pense que ces coûts sont potentiellement très importants, en termes de conflits au sein du foyer, etc.) est clairement moins équitable que d'instaurer une subvention aux parents qui monitorent efficacement leurs enfants.
Le deuxième type de solution, c'est de viser non plus le principal, mais l'agent, et de créer des incitations pour que les objectifs de l'agent se rapprochent de ceux du principal. Typiquement, c'est le fameux programme de la cagnotte scolaire, où l'on donne de l'argent aux enfants en fonction de leur assiduité. Ainsi les bénéfices pour l'enfant d'aller à l'école augmentent, et les objectifs des parents et des enfants convergent désormais. Ce n'est pas absurde, mais franchement comme politique publique, en termes de rapport coût/bénéfice, c'est super couteux. En effet, si 'on veut que ce types d'incitations soient efficaces, -sachant que la plupart de ces enfants perçoivent le bénéfice d'être à l'école comme quasi-nul-, les montants financiers qu'il faut verser aux enfants doivent être à la hauteur de leur outside option (le coût d'opportunité de rester à l'école, c'est-à-dire, grosso modo ce que je peux gagner dans la rue en dealant du shit). Clairement, ce ne sont pas des petits montants en jeu. Et cela pose également de vrais problèmes d'équité, puisqu'il faudrait verser logiquement ce type de primes à tous les enfants scolarisés, même ceux dont l'absentéisme est déjà minimal en l'absence d'incitations financières.
La troisième solution, à mon sens la plus efficace en termes de rapport coût/bénéfices, c'est de prendre le problème à la racine et d'agir sur les asymétries d'information en cherchant à améliorer les outils de monitoring pour en réduire les coûts et ainsi minimiser le problème d'agence. Concrètement, c'est permettre aux parents de contrôler heure par heure l'assiduité des enfants en envoyant par exemple des SMS aux parents quand les enfants ne sont pas a l'école. Il y a beaucoup à apprendre de ce point de vue des nombreuses expériences menées dans des pays comme le Brésil avec le programme Bolsa-Escola, où les municipalités ont la liberté de jouer sur les paramètres du programme fédéral. Une fois de plus, il me semble que laisser de la liberté aux collectivités locales pour expérimenter et évaluer différentes façons d'améliorer les outils de monitoring des parents est la solution pour faire émerger les meilleures pratiques. Mais évidemment, c'est politiquement moins rassembleur que de châtrer les parents polygames...
Pourquoi certains enfants ne vont-ils pas à l'école? Cette question de l'absentéisme scolaire a reçu une attention particulière avant tout chez les économistes du développement. L'éducation est en effet la pierre angulaire du développement, et comprendre pourquoi les enfants ne vont pas à l'école alors même que l'enseignement est obligatoire et gratuit est un enjeu majeur pour les politiques éducatives des pays en voie de développement. Esther Duflo (que l'on félicite au passage) explique très bien dans le premier chapitre de son bouquin à la République des Idées les différentes raisons qui peuvent expliquer pourquoi les enfants pauvres désertent les salles de classe dans ces pays: programmes scolaires inadaptés, absentéisme des professeurs, coût d'opportunité du travail des enfants, coûts d'équipement (uniformes ou livres), etc. Dans les pays développés, la plupart de ces facteurs sont évidemment moins déterminants. Et la plus grosse partie du problème se joue sans nul doute au niveau de la relation parents/enfants.
Il y a fondamentalement deux types de raisons qui peuvent expliquer que cette relation parent/enfant ne fonctionne pas de manière optimale en termes de choix d'éducation. Le premier écueil peut provenir du fait que les parents eux-mêmes ne poussent pas les enfants à aller à l'école parce qu'ils ne perçoivent pas correctement les bénéfices du fait d'aller à l'école. Il me semble assez peu probable que ce soit l'explication principale de l'absentéisme scolaire en France, car les parents semblent percevoir assez bien les dangers de voir leurs enfants quitter l'école et traîner dans la rue. Pour autant, ce peut être une partie de l'explication, dans les pays en développement notamment. Mais dans ce cas, la politique adéquate à mettre en place est une politique d'information plutôt que de répression. Jensen a par exemple montré que les bénéfices scolaires sont clairement sous-estimé en République Dominicaine et qu'en fournissant de l'information sur les bénéfices réels, il était possible de réduire l'absentéisme chez les élèves les moins pauvres. (Cf. une fois de plus le bouquin d'E. Duflo qui évalue l'efficacité des différentes manières possibles d'informer les parents sur les bénéfices de scolariser leurs enfants.)
Le deuxième problème, qui à mon sens est le nerf de la guerre, c'est que les parents ne parviennent pas a contrôler correctement les actions de leurs enfants. C'est ce qu'on appelle communément chez les économistes un "problème d'agence" des plus classiques. Les parents ("le principal") veulent mettre leur enfant (l'agent) à l'école. Mais, premièrement, l'agent et le principal ont des objectifs divergents (l'enfant veut aller brûler des voitures parce que c'est plus marrant que d'apprendre les identités remarquables) et deuxièmement, le principal ne peut pas contrôler parfaitement les actions de l'agent (il y a asymétrie d'information, parce que l'enfant peut sécher sans que les parents s'en rendent complètement compte) et donc il y a risque d'aléa moral du point de vue de l'agent, c'est-à-dire que l'enfant va choisir un niveau de présence scolaire inférieur à celui souhaité par les parents. Les parents peuvent exercer un monitoring plus ou moins important pour tâcher de réduire cet aléa moral, mais ce monitoring est coûteux (conflits au sein du foyer, coût d'opportunité du temps passé à être derrière les enfants, etc...). Quelle est donc la meilleure solution pour atténuer ce problème d'agence?
La première solution c'est le paternalisme bien conservateur, c'est-à-dire punir les parents dont on soupçonne le monitoring de n'être pas suffisamment efficace. On peut donc à peu près tout envisager ici, et je m'étonne presque de ne pas encore avoir vu dans le programme de l'UMP des propositions telles que déchoir de leur nationalité française ces pourritures de parents polygames dont les enfants désertent les cours de recré, ou encore châtrer les pères de famille dont les enfants sèchent l'école... De manière un peu moins radicale, on peut aussi envisager de sucrer les allocations familiales aux parents dont les enfants sont trop souvent absents. L'idée de base, c'est que du fait du coût de monitoring, le niveau de contrôle choisi par les parents est socialement sous-optimal, du coup il faut forcer les parents à être plus dur avec les enfants, et pour ce faire on créé une amende qui génére une incitation pour le principal à choisir un niveau de monitoring plus élevé. Dans le monde de l'entreprise (ou un problème similaire d'agence existe entre les actionnaires (le principal) et les dirigeants (l'agent)), l'équivalent d'un tel schéma serait d'imposer une amende aux actionnaires qui n'exercent pas leur droit de vote afin de les obliger à monitorer plus directement les actions du principal. C'est pas idiot en soi. Mais dans le cas de l'absentéisme scolaire, il est peu probable que ce soit efficace. D'abord parce que ce type de mesure n'est vraiment efficace que lorsque le niveau de contrôle choisi par le principal (les parents, les actionnaires) est vraiment très inférieur au niveau optimal. C'est sans doute le cas pour les petits actionnaires, car le coût d'aller voter est bien supérieur aux bénéfices qu'une voix parmi des milliers risque d'apporter en termes de contrôle sur la politique des dirigeants. C'est je pense beaucoup moins vrai dans le cas des familles, car pour les parents, le coût de l'absentéisme scolaire est vraiment très visible, immédiat et plutôt correctement perçu par les parents. Ensuite parce que ce type de mesure n'est efficace que lorsque les problèmes de contrôle (les asymétries d'informations) sont faibles. (En gros, pour ceux que cela intéresse, ce type de mesure est optimal lorsqu'il n'y a aucun problème d'information et que donc le "rotten-kid theorem" de Becker s'applique). Par ailleurs, du point de vue de la justice sociale, ca me paraît très sous-optimal d'instituer une forme de double-peine de la sorte. S'il peut être utile de créer des incitations à augmenter le niveau de monitoring, il me semble que faire entièrement porter à ces familles (souvent pauvres) le coût de ce monitoring additionnel (et je pense que ces coûts sont potentiellement très importants, en termes de conflits au sein du foyer, etc.) est clairement moins équitable que d'instaurer une subvention aux parents qui monitorent efficacement leurs enfants.
Le deuxième type de solution, c'est de viser non plus le principal, mais l'agent, et de créer des incitations pour que les objectifs de l'agent se rapprochent de ceux du principal. Typiquement, c'est le fameux programme de la cagnotte scolaire, où l'on donne de l'argent aux enfants en fonction de leur assiduité. Ainsi les bénéfices pour l'enfant d'aller à l'école augmentent, et les objectifs des parents et des enfants convergent désormais. Ce n'est pas absurde, mais franchement comme politique publique, en termes de rapport coût/bénéfice, c'est super couteux. En effet, si 'on veut que ce types d'incitations soient efficaces, -sachant que la plupart de ces enfants perçoivent le bénéfice d'être à l'école comme quasi-nul-, les montants financiers qu'il faut verser aux enfants doivent être à la hauteur de leur outside option (le coût d'opportunité de rester à l'école, c'est-à-dire, grosso modo ce que je peux gagner dans la rue en dealant du shit). Clairement, ce ne sont pas des petits montants en jeu. Et cela pose également de vrais problèmes d'équité, puisqu'il faudrait verser logiquement ce type de primes à tous les enfants scolarisés, même ceux dont l'absentéisme est déjà minimal en l'absence d'incitations financières.
La troisième solution, à mon sens la plus efficace en termes de rapport coût/bénéfices, c'est de prendre le problème à la racine et d'agir sur les asymétries d'information en cherchant à améliorer les outils de monitoring pour en réduire les coûts et ainsi minimiser le problème d'agence. Concrètement, c'est permettre aux parents de contrôler heure par heure l'assiduité des enfants en envoyant par exemple des SMS aux parents quand les enfants ne sont pas a l'école. Il y a beaucoup à apprendre de ce point de vue des nombreuses expériences menées dans des pays comme le Brésil avec le programme Bolsa-Escola, où les municipalités ont la liberté de jouer sur les paramètres du programme fédéral. Une fois de plus, il me semble que laisser de la liberté aux collectivités locales pour expérimenter et évaluer différentes façons d'améliorer les outils de monitoring des parents est la solution pour faire émerger les meilleures pratiques. Mais évidemment, c'est politiquement moins rassembleur que de châtrer les parents polygames...