Le prix du pétrole flambe… Les pêcheurs français bloquent les ports, les Espagnols les imitent. Les camionneurs britanniques bloquent les routes. Nicolas Sarkozy offre des aides aux premiers et suggère une baisse des taxes sur l’essence dans toute l’Europe. Aux Etats-Unis, Hillary Clinton et John McCain se battent pour mettre en avant leur programme de baisse des taxes sur l’essence. Le populisme fiscal bat son plein et les beaux discours sur le réchauffement climatique volent en éclat. On pourrait croire qu’il ne s’agit que d’une nouvelle manifestation de l’hypocrisie des consommateurs des pays développés qui professent leur foi écologique tout en refusant de modifier d’un iota leur mode de vie. Peut-être. Mais une analyse plus précise de l’hystérie actuelle sur la baisse des taxes sur l’essence montre que c’est surtout l’ignorance des principes de base de l’économie dont font preuve les dirigeants européens et américains (et/ou une énorme dose de démagogie).
Sans aucune crise pétrolière, le prix du baril n’a cessé de monter, avec une accélération de la hausse depuis début 2007 (comme le montre le graphique ci-dessous pour les prix par gallon aux Etats-Unis), alimentée en partie par l’augmentation de la consommation de pétrole des pays asiatiques. Il est encore trop tôt pour savoir si le passage du seuil symbolique des 100 dollars pour le baril de brut au début de l’année 2008 marque l’entrée dans l’ère du pétrole cher (le prix du pétrole avait déjà atteint, en dollars constants de 2007, des niveaux proches de 100 dollars au début des années 1980, comme on peut le voir là) même si les analystes, qui avaient jusqu’à présent le plus souvent sous-estimé la hausse, semblent considérer que le prix du baril va continuer à augmenter.
A qui profite la baisse des taxes sur l’essence ?
Les premiers signes de populisme fiscal sont apparus aux Etats-Unis, avec la proposition d’une « summer gas tax cut » par le futur candidat républicain John McCain, suivi par la démocrate Hillary Clinton (mais pas par Barack Obama…). Le principe de cette proposition est simple : réduire de près de 20 cents par gallon la taxe sur le prix du pétrole pendant les mois d’été. Nicolas Sarkozy a proposé de baisser la TVA sur l’essence au niveau européen. Son intervention a été acclamée par les camionneurs britanniques qui font pression sur le gouvernement Brown pour suivre la marche à suivre indiquée par les Français.
Quel sera l’effet d’une telle baisse des taxes sur l’essence ? Les lecteurs assidus d’Ecopublix auront compris que c’est encore une histoire d’incidence fiscale. L’impôt n’est pas payé par celui qui doit faire un chèque au Trésor public mais par celui qui, par le jeu du marché et des modifications de prix, va voir son pouvoir d’achat baisser. Le résultat de base de l’incidence fiscale (il faut le répéter mille fois) est que l’effet de la taxe va dépendre de l’élasticité de l’offre et de la demande (et aussi du degré de concurrence sur le marché considéré).
L’offre de pétrole est relativement inélastique à court terme : la production de pétrole est en grande partie limitée par le plus célèbre des cartels, l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP). Ce groupement de pays contrôle environ 42% de la production actuelle (et environ les trois quarts des réserves mondiales) et a instauré volontairement des quotas de production pour contrôler les prix. Or, jusqu’à présent, l’OPEP a refusé d’augmenter les quotas de production. A l'occasion de la dernière réunion du Cartel en mars dernier, les leaders de l’OPEP ont décidé de ne pas augmenter les quotas en place depuis septembre 2007 malgré des pressions de plus en plus fortes. Même si l’OPEP ne contrôle pas la totalité de la production de pétrole (la Russie et les Etats-Unis, respectivement 2e et 3e pays producteurs en 2006, n’en font par exemple pas partie), le développement de nouvelles capacités de production prend du temps, y compris pour les pays qui seraient prêts à réagir à une hausse des prix.
A court terme, la demande de pétrole des ménages est aussi relativement inélastique, car elle dépend du choix du mode de déplacement des ménages, qui ne peuvent pas être modifiés rapidement. Mais à moyen terme, les ménages peuvent modifier leurs trajets quotidiens, ou acheter des voitures moins puissantes. Les constructeurs automobiles américains ont ainsi bien compris les risques que l'augmentation des prix du pétrole fait peser sur les ventes de Jeep et autres 4x4 : la dernière innovation promotionnelle consiste à garantir aux nouveaux acheteurs un prix maximum garanti du gallon de pétrole pendant 3 ans. Un changement fiscal temporaire a cependant peu de chances d’affecter ces choix. Pourtant, même à court terme, la demande de pétrole n’est pas complètement inélastique, car les ménages peuvent facilement agir sur les trajets des vacances. Le week-end prolongé du Memorial day qui vient de se terminer aux Etats-Unis a vu une réduction des trajets automobiles et une augmentation des trajets en train, attribuée en grande partie aux prix actuels du gallon d’essence. Or ce sont précisément ces trajets estivaux qui sont visés par la baisse temporaire de la taxe. On peut donc supposer que cette baisse aura pour effet d’augmenter un peu la demande. Si la demande augmente alors que l’offre reste relativement inélastique, alors le prix diminuera moins que le montant actuel de la taxe et la majeure partie de la baisse de la taxe sera finalement captée par les producteurs, comme on peut le voir sur le graphique suivant:
Le raisonnement précédent suppose que le marché des stations pétrolières est en concurrence pure et parfaite, et que la baisse de la taxe est initialement complètement reportée sur les consommateurs. Mais ce n’est pas forcément le cas (comme le suggère cet article), car les stations d’essence peuvent bénéficier d’un pouvoir de marché local (si elles sont situées loin les unes des autres). Dans ce cas, les distributeurs de pétrole seront à même de capter une partie de la baisse de la taxe, qui ne sera donc pas complètement répercutée sur les consommateurs.
C’est pourquoi le cas du pétrole est l’exemple que les profs d’éco utilisent le plus souvent pour illustrer l’incidence fiscale et les conséquences de sa méconnaissance : car sous couvert d’aider les consommateurs, les baisses des taxes sur l’essence reviennent en fait à faire un chèque aux producteurs de pétrole (compagnies pétrolières et pays producteurs).
C’est presque une routine pour les économistes de dénoncer le populisme fiscal dans le cas des taxes sur l’essence. Il y a 8 ans, Paul Krugman conspuait les « gasoline tax follies » de Bush par ce titre : « Ending a gas tax is subsidizing OPEC. It solves nothing for Americans » ; aujourd’hui, l’économiste de Princeton dénonce par le même titre les propositions de McCain et de Clinton (pourtant sa candidate préférée). Greg Mankiw s’étonne quant à lui que ces notions économiques de base puissent encore surprendre. Au vu des récentes déclarations de Nicolas Sarkozy (qui n’a même pas l’excuse d’être en campagne électorale), on est en droit de se lamenter sur l’inculture économique de nos dirigeants et du peu de sens critique de la presse. Il n’y a que le Financial Times pour souligner aujourd’hui l’incohérence des propositions françaises.
Enfin, cette hystérie sur les taxes sur l’essence masque un problème plus profond : pour diminuer efficacement les émissions de dioxyde de carbone, il faut inciter les agents économiques à modifier leurs comportements de consommation énergétique, en donnant des signaux à travers les prix de l’énergie. C’est dans cet esprit que le gouvernement britannique de Gordon Brown a annoncé la mise en place d’un « ascenseur des taxes sur l’essence » : ces taxes anticipées doivent servir d’aiguillon à la recherche de nouveaux modes de consommation et de production. Elles visent par exemple à rendre rentable l’investissement des compagnies automobiles dans des modèles très peu polluants (mais plus chers). Baisser les taxes sur le pétrole, c’est donner les mauvais signaux aux consommateurs et donc aussi remettre en cause les objectifs environnementaux.
Sans aucune crise pétrolière, le prix du baril n’a cessé de monter, avec une accélération de la hausse depuis début 2007 (comme le montre le graphique ci-dessous pour les prix par gallon aux Etats-Unis), alimentée en partie par l’augmentation de la consommation de pétrole des pays asiatiques. Il est encore trop tôt pour savoir si le passage du seuil symbolique des 100 dollars pour le baril de brut au début de l’année 2008 marque l’entrée dans l’ère du pétrole cher (le prix du pétrole avait déjà atteint, en dollars constants de 2007, des niveaux proches de 100 dollars au début des années 1980, comme on peut le voir là) même si les analystes, qui avaient jusqu’à présent le plus souvent sous-estimé la hausse, semblent considérer que le prix du baril va continuer à augmenter.
A qui profite la baisse des taxes sur l’essence ?
Les premiers signes de populisme fiscal sont apparus aux Etats-Unis, avec la proposition d’une « summer gas tax cut » par le futur candidat républicain John McCain, suivi par la démocrate Hillary Clinton (mais pas par Barack Obama…). Le principe de cette proposition est simple : réduire de près de 20 cents par gallon la taxe sur le prix du pétrole pendant les mois d’été. Nicolas Sarkozy a proposé de baisser la TVA sur l’essence au niveau européen. Son intervention a été acclamée par les camionneurs britanniques qui font pression sur le gouvernement Brown pour suivre la marche à suivre indiquée par les Français.
Quel sera l’effet d’une telle baisse des taxes sur l’essence ? Les lecteurs assidus d’Ecopublix auront compris que c’est encore une histoire d’incidence fiscale. L’impôt n’est pas payé par celui qui doit faire un chèque au Trésor public mais par celui qui, par le jeu du marché et des modifications de prix, va voir son pouvoir d’achat baisser. Le résultat de base de l’incidence fiscale (il faut le répéter mille fois) est que l’effet de la taxe va dépendre de l’élasticité de l’offre et de la demande (et aussi du degré de concurrence sur le marché considéré).
L’offre de pétrole est relativement inélastique à court terme : la production de pétrole est en grande partie limitée par le plus célèbre des cartels, l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP). Ce groupement de pays contrôle environ 42% de la production actuelle (et environ les trois quarts des réserves mondiales) et a instauré volontairement des quotas de production pour contrôler les prix. Or, jusqu’à présent, l’OPEP a refusé d’augmenter les quotas de production. A l'occasion de la dernière réunion du Cartel en mars dernier, les leaders de l’OPEP ont décidé de ne pas augmenter les quotas en place depuis septembre 2007 malgré des pressions de plus en plus fortes. Même si l’OPEP ne contrôle pas la totalité de la production de pétrole (la Russie et les Etats-Unis, respectivement 2e et 3e pays producteurs en 2006, n’en font par exemple pas partie), le développement de nouvelles capacités de production prend du temps, y compris pour les pays qui seraient prêts à réagir à une hausse des prix.
A court terme, la demande de pétrole des ménages est aussi relativement inélastique, car elle dépend du choix du mode de déplacement des ménages, qui ne peuvent pas être modifiés rapidement. Mais à moyen terme, les ménages peuvent modifier leurs trajets quotidiens, ou acheter des voitures moins puissantes. Les constructeurs automobiles américains ont ainsi bien compris les risques que l'augmentation des prix du pétrole fait peser sur les ventes de Jeep et autres 4x4 : la dernière innovation promotionnelle consiste à garantir aux nouveaux acheteurs un prix maximum garanti du gallon de pétrole pendant 3 ans. Un changement fiscal temporaire a cependant peu de chances d’affecter ces choix. Pourtant, même à court terme, la demande de pétrole n’est pas complètement inélastique, car les ménages peuvent facilement agir sur les trajets des vacances. Le week-end prolongé du Memorial day qui vient de se terminer aux Etats-Unis a vu une réduction des trajets automobiles et une augmentation des trajets en train, attribuée en grande partie aux prix actuels du gallon d’essence. Or ce sont précisément ces trajets estivaux qui sont visés par la baisse temporaire de la taxe. On peut donc supposer que cette baisse aura pour effet d’augmenter un peu la demande. Si la demande augmente alors que l’offre reste relativement inélastique, alors le prix diminuera moins que le montant actuel de la taxe et la majeure partie de la baisse de la taxe sera finalement captée par les producteurs, comme on peut le voir sur le graphique suivant:
Le raisonnement précédent suppose que le marché des stations pétrolières est en concurrence pure et parfaite, et que la baisse de la taxe est initialement complètement reportée sur les consommateurs. Mais ce n’est pas forcément le cas (comme le suggère cet article), car les stations d’essence peuvent bénéficier d’un pouvoir de marché local (si elles sont situées loin les unes des autres). Dans ce cas, les distributeurs de pétrole seront à même de capter une partie de la baisse de la taxe, qui ne sera donc pas complètement répercutée sur les consommateurs.
C’est pourquoi le cas du pétrole est l’exemple que les profs d’éco utilisent le plus souvent pour illustrer l’incidence fiscale et les conséquences de sa méconnaissance : car sous couvert d’aider les consommateurs, les baisses des taxes sur l’essence reviennent en fait à faire un chèque aux producteurs de pétrole (compagnies pétrolières et pays producteurs).
C’est presque une routine pour les économistes de dénoncer le populisme fiscal dans le cas des taxes sur l’essence. Il y a 8 ans, Paul Krugman conspuait les « gasoline tax follies » de Bush par ce titre : « Ending a gas tax is subsidizing OPEC. It solves nothing for Americans » ; aujourd’hui, l’économiste de Princeton dénonce par le même titre les propositions de McCain et de Clinton (pourtant sa candidate préférée). Greg Mankiw s’étonne quant à lui que ces notions économiques de base puissent encore surprendre. Au vu des récentes déclarations de Nicolas Sarkozy (qui n’a même pas l’excuse d’être en campagne électorale), on est en droit de se lamenter sur l’inculture économique de nos dirigeants et du peu de sens critique de la presse. Il n’y a que le Financial Times pour souligner aujourd’hui l’incohérence des propositions françaises.
Enfin, cette hystérie sur les taxes sur l’essence masque un problème plus profond : pour diminuer efficacement les émissions de dioxyde de carbone, il faut inciter les agents économiques à modifier leurs comportements de consommation énergétique, en donnant des signaux à travers les prix de l’énergie. C’est dans cet esprit que le gouvernement britannique de Gordon Brown a annoncé la mise en place d’un « ascenseur des taxes sur l’essence » : ces taxes anticipées doivent servir d’aiguillon à la recherche de nouveaux modes de consommation et de production. Elles visent par exemple à rendre rentable l’investissement des compagnies automobiles dans des modèles très peu polluants (mais plus chers). Baisser les taxes sur le pétrole, c’est donner les mauvais signaux aux consommateurs et donc aussi remettre en cause les objectifs environnementaux.