Le premier point à rappeler pour ceux de nos lecteurs qui auraient manqué les premiers épisodes est le fait que les cotisations sociales salariales et patronales sont payées par les salariés. Le véritable salaire d’un Français n’est donc pas son salaire brut (celui qui sert de référence officielle), mais son salaire super-brut qui inclut donc les cotisations patronales. Il n’y a aucune différence à recevoir un salaire brut de 100, avec 50% de cotisations patronales et 25% de cotisations salariales (un salaire net de 75) et recevoir un salaire brut de 150 avec 50% de cotisations salariales. Lorsqu’on parle de « travail » dans le partage de la valeur ajoutée, on inclut les salaires brut et les cotisations assises sur ces salaires. Si les économistes parlent parfois de coût du travail, pour les salariés, il est plus juste de parler des « revenus du travail ».
Le second point de clarification à rappeler à nos Gaulois non économistes est la distinction entre les impôts qui sont destinés au budget de l’Etat (le système fiscal) et les cotisations sociales qui servent à financer la protection sociale (le système social). Les deux forment les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire des prélèvements auxquels on ne peut pas se soustraire légalement. Lorsque l’OCDE compare les niveaux de prélèvements obligatoires entre pays c’est une mesure de l’ensemble des impôts et cotisations sociales qui est présentée. En France, le montant global des prélèvements obligatoires est de 44 % du PIB pour 2005 (plus d’informations dans le projet de loi de finance 2007).
Parmi tous les prélèvements obligatoires, trois sont imposés sur les revenus des salariés : l’impôt sur le revenu (IR), les contributions sociales (CSG-CRDS) et les cotisations sociales. Combien paie-t-on de ces différents prélèvements ?
I/ Les différents barèmes de l’impôt sur le revenu, des cotisations sociales et de la CSG
Le prélèvement obligatoire le plus connu est l’impôt sur le revenu sur les personnes physiques (IRPP). Lorsque les Français se plaignent de payer trop d’impôts, c’est avant tout à l’impôt sur le revenu qu’ils pensent. Bien souvent on confond le taux de prélèvement obligatoire de 44% avec le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu (« l’Etat prend la moitié de mon revenu »). En fait, l’impôt sur le revenu n’est pas imposé sur l’ensemble du salaire, mais sur le salaire net, c’est-à-dire une fois les cotisations sociales déduites. Le barème de cet impôt est progressif, c’est-à-dire que la part du revenu taxée croît avec le revenu.
La CSG et la CRDS sont des impôts sur le revenu mais qui sont affectés à la protection sociale. Ils ne sont pas progressifs, mais proportionnels au revenu brut.
Le barème des cotisations sociales est plutôt complexe car il existe de multiples cotisations sociales. Certaines ne sont pas liées au montant prélevé (cotisations maladie, invalidité, cotisations famille ou logement) et sont donc plus proches d’une imposition classique. D’autres (comme les cotisations retraite et chômage) vont donner droit à des prestations proportionnelles (selon une formule plus ou moins complexe) et correspondent à une assurance des risques de chômage et de vieillesse.
L’autre complexité du barème des cotisations sociales vient des jeux des plafonds. Les cotisations sociales sont plafonnées, c’est-à-dire que jusqu’au plafond, une cotisation sociales est calculée, puis les revenus au-dessus de ce plafond ne le sont pas. La majeure partie des cotisations sont imposées sous le plafond de la sécurité sociale. Par exemple, en 2007 les cotisations retraite du régime général se montent à 16,65 % du salaire brut jusqu’au plafond, puis à 1,7 % du salaire brut au-dessus de ce plafond. D’autres cotisations donnent lieu à des prélèvements jusqu’à 3 plafonds (chômage) et certaines jusqu’à 8 plafonds (régimes de retraite complémentaires). Ci-dessous le barème qui s’applique aux salaires en-dessous du plafond pour 2006.
Les cotisations sociales sont définies en fonction du salaire brut, qui est la référence légale du salaire, mais pas sa définition économique (je vous renvoie au post de Julien). La définition économique du salaire correspond à l’ensemble du salaire brut augmenté des cotisations sociales dites employeurs, c’est-à-dire au montant versé par l’employeur en échange du travail du salarié. Par exemple, au 1er janvier 2007, le plafond de la sécurité sociale (qui sert de référence pour de nombreuses cotisations sociales) était de 2682 Euros mensuel. Un employeur offrant ce salaire à un employé devra en fait débourser 41,48% de plus soit 3794 Euros mensuel. A l’inverse l’employé ne va pas percevoir 2682 Euros, mais un salaire net des cotisations sociales des employés (soit 13,70% du brut) et net de la CSG et de la CRDS (7,78% du brut) qui sont des impôts sur le revenu prélevés à la source, soit au total 2106 Euros. C’est ce montant net qu’il va ensuite devoir déclarer sur sa feuille d’impôt.
On peut résumer tout ce charabia dans le tableau ci-dessous pour notre salarié payé au niveau du plafond de la Sécurité sociale.
II/ Poids des différents prélèvements
Pour pouvoir mesurer correctement le poids de chaque composante des prélèvements obligatoires, il est nécessaire de les exprimer en fonction du revenu global du salarié, soit son salaire super-brut. Reprenons alors le cas de notre salarié payé au niveau du plafond de la sécurité sociale. Il gagne un salaire super-brut de 3794 Euros et après déductions des cotisations sociales, reçoit un chèque de 2106 Euros, soit un taux de prélèvement moyen de 44,5 % de son salaire super-brut. Il ne s’agit pas bien sûr uniquement de prélèvements sans contrepartie : il va pouvoir bénéficier à l’âge de départ en retraite d’une pension proportionnelle à ses cotisations retraite (nous y reviendrons un autre jour), d’une allocation chômage proportionnelle à ses revenus (nous avons déjà évoqué ici ce cas). Pour l’heure notre salarié gaulois doit encore payer l’impôt sur le revenu. Il ne déclare pas son revenu de 3794 Euros mais son revenu net de 2106 Euros. Si on utilise le barème de l’impôt 2007 sur les revenus de 2006 et que l’on suppose que notre gaulois est célibataire et sans enfant, il devra envoyer au fisc un chèque de 1924 Euros pour l’année, soit un prélèvement mensuel de 160 Euros. Son revenu net d’impôt est alors de 1946 Euros, soit un taux net de prélèvement obligatoire de 47,4% se décomposant de 44,5% de cotisations sociales et de 2,9% d’impôt sur le revenu (toujours en fonction de son salaire super-brut).
Les cotisations sociales, qui n’apparaissent pas sur la feuille d’impôt mais sur la feuille de paie sont les prélèvements les plus importants des prélèvements obligatoires français, mais ils sont à peine connus des salariés français. Rien d’étonnant à ce qu’ils aient eu tendance à augmenter massivement sans trop de peine pour financer la protection sociale. A l’inverse l’impôt sur le revenu, très visible, suscite des diatribes enflammées.
Maintenant que le fonctionnement du système est clarifié, il est possible de calculer quelle est la part des différents prélèvements payés par les salariés pour différents niveaux de salaire. Le graphique ci-dessous représente le pourcentage des prélèvements obligatoires (cotisations sociales, impôt sur le revenu, CSG-CRDS) en fonction du salaire super-brut. L’axe des abscisses est par contre le salaire brut mensuel afin de faciliter la lecture. Dans ce calcul les baisses ciblées des charges patronales ne sont pas incluses.
Les cotisations sociales sont un prélèvement régressif (dont le taux marginal est décroissant en fonction du salaire), les prélèvements sociaux CSG-CRDS sont des prélèvements proportionnels (dont les taux marginaux sont constants) et l’impôt sur le revenu est un prélèvement progressif (avec un taux marginal croissant avec le salaire). Le fait que les cotisations sociales soient prélevées de façon régressive ne signifie pas forcément qu’elles sont en soi régressives puisque la protection sociale n’est pas proportionnelle aux cotisations (sauf pour les retraites). Mais plutôt que discuter des mérites redistributifs de notre système de prélèvement fiscalo-social (fiscal et social), regardons plutôt les effets d’une telle structure.
III/ Un système incompréhensible aux effets pervers
La structure des prélèvements obligatoires en France est foncièrement incompréhensible aux citoyens français. Elle est complexe sans raison valable et a de nombreux effets pervers. J’en vois au moins trois :
1/ La distinction entre cotisations sociales et employeurs induit en erreur les salariés en leur faisant croire qu’ils ne paient pas le coût de leur protection sociale. Ils ne peuvent donc pas prendre des bonnes décisions sur le niveau de protection sociale qu’ils désirent vraiment puisque l’arbitrage entre le coût et les bénéfices n’est pas clairement établi. A ce titre la proposition d’Overzelus de supprimer cette distinction permet d’aligner l’incidence fiscale légale sur l’incidence fiscale réelle. Cela a un avantage pédagogique au cas où l’incidence fiscale n’était pas comprise par les salariés ou les syndicats.
2/ Ensuite le fait d’exprimer des taux de prélèvement en fonction de base qui varient (salaire brut, salaire net) accroît la complexité d’un système qui n’en a pas besoin. En supprimant la distinction cotisations salariés /employeurs, il devient possible d’exprimer tous les prélèvements en fonction du coût du travail et donc de clarifier la discussion sur le niveau de redistribution et sur le niveau des prélèvements obligatoires. Si souvent les salariés confondent le taux marginal supérieur d’impôt sur le revenu avec le taux moyen payé, ils ignorent largement combien de cotisations sociales (salarié/employeur) ils paient en réalité. Il n’est pas rare de voir des gouvernements promettre des baisses d’impôt (sur le revenu) pendant qu’ils laissent augmenter les prélèvements moins visibles (les cotisations sociales).
3/ La distinction cotisations salarié/employeur donne ainsi une incitation fiscale particulièrement peu bienvenue à l’augmentation des cotisations sociales : toute augmentation de salaire qui a lieu par l’augmentation des cotisations patronales est non imposée à l’impôt sur le revenu (par exemple augmenter les cotisations patronales retraite est une façon d’augmenter les salaires super-brut en échappant à l’impôt sur le revenu).
On peut juger que le système socialo-fiscal français est trop/pas assez redistributif, mais cela ne devrait pas empêcher de considérer qu’il est d’abord extrêmement illisible. Cette illisibilité pose à mon sens un problème démocratique. Si les électeurs (ou les salariés) ne peuvent pas facilement comprendre quels sont les montants d’impôt ou de contribution qu’ils font, alors il ne faut pas s’étonner que la démagogie nourrisse le débat politique. L’ exigence de transparence est une condition du bon déroulement du débat démocratique. L’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyens, rédigés par les descendants de nos gaulois, garde toute sa modernité : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »
J’espère que tout le monde est encore avec moi… il est temps d’aller manger une petite fondue !